Monsieur le directeur,
Votre éditorial, nuancé et tolérant sur ce que vous appelez "le dilemme de la gauche", m’inspire les réflexions suivantes.
Le Parti québécois a toujours considéré les électeurs souverainistes de gauche comme une clientèle captive. D’une élection à l’autre depuis qu’il a goûté au pouvoir en 1976, il se sert du mode de scrutin majoritaire pour en garder le plus possible dans ses filets. Dans ce but, il utilise la tactique du "vote stratégique" ou du "vote utile" qui, induits par ce mécanisme électoral, comptent parmi ses effets pervers.
"Si vous ne votez pas pour nous, les libéraux vont prendre le pouvoir et alors dites adieu à un nouveau référendum !", argumentaient encore ses coryphées lors de la campagne de l998. Puis, depuis le printemps dernier, on entend une autre version de la même ritournelle en vue des élections de 2003. "Si vous ne votez pas pour nous, vous allez contribuer à amener l’ADQ au pouvoir et alors dites adieu non seulement au référendum mais également aux acquis de la Révolution tranquille !" Et certains, encore plus démagogues, ajoutent : "Vous allez être responsables de la privatisation de notre système de santé !".
Je pense qu’un peu de réalisme et de modération ne nuirait pas à la veille d’une campagne électorale qui s’annonce haute en couleurs et en coups de gueule même si, à mon avis, ses résultats sont fort prévisibles.
Qu’on ne se méprenne pas en effet. Compte tenu des distorsions causées par le scrutin majoritaire, la tendance que dégagent les récents sondages laisse présager une victoire du PQ encore plus écrasante cette année qu’en 1998. Certes, il s’agira d’une victoire au seul chapitre des sièges parlementaires et non quant aux suffrages populaires. On risque, en réalité, de se retrouver le 15 avril avec un gouvernement majoritaire qui aura reçu l’appui de moins de 40% de l’électorat. Ce phénomène s’est produit une seule fois dans l’histoire du Québec : en 1944 alors que l’Union nationale avec 35,8% des voix a vaincu les libéraux qui en avaient pourtant obtenus 39,5%.
Un tel renversement de la volonté populaire aux dépens des libéraux risque aussi de se répéter pour une quatrième fois le 14 avril prochain. La dernière fois que ça s’est produit, soit en en 1998, les politicologues Massicotte et Blais, de l’Université de Montréal, ont calculé que le parti libéral aurait dû récolter 300 000 voix de plus que le PQ (7% des suffrages globaux) pour se voir attribuer un nombre égal de sièges.
Autre ressemblance probable avec l’élection de 1944 qui avait marqué le début de la longue domination de l’Union nationale : le tiers partis qui recevra une proportion pourtant substantielle des suffrages ne sera quasiment pas représenté à l’Assemblée nationale. Alors, le Bloc populaire, qui avait récolté près de 16% des suffrages, n’avait réussi à faire élire que quatre députés. En 2003, ce sera probablement l’ADQ qui, selon les derniers sondages, verra son appui électoral se cantonner dans les 20% ; ce qui augure bien mal pour sa représentation parlementaire qui pourrait même être réduite. On se souvient aussi des élections de 1970 et 1973 alors que le PQ n’avait fait élire que 7 et 6 députés après avoir pourtant avoir recueilli plus de 23% et plus de 30% des suffrages.
Depuis que le Parti québécois bénéficie des largesses aberrantes du mode de scrutin, il a toutefois ignoré l’engagement qu’il avait pris dès 1970 de le réformer. Le caucus des députés a même refusé un projet de loi que René Lévesque voulait présenter en ce sens suite à une consultation populaire tenue en 1983 par la Commission de la représentation électorale.
De plus, vu son manque de légitimité démocratique, la plus élémentaire décence aurait voulu que le gouvernement péquiste mette le processus de révision en marche dès les premiers instants de la Législature qui s’achève, comme ça s’est fait en Nouvelle-Zélande dans des circonstances semblables. Il n’en fut pourtant rien. Même plus : le Mouvement pour une démocratie nouvelle a réussi à obtenir que la Commission des institutions se saisisse de la question en décembre 2001. On a vu depuis le leader parlementaire du gouvernement, André Boisclair, surcharger cette dernière de mandats dits prioritaires pour qu’elle soit obligée de laisser de côté la réforme du mode de scrutin. De telle façon qu’après 15 mois, la commission, loin de pouvoir présenter un rapport sur ce mandat à l’Assemblée nationale avant sa dissolution, n’a pas encore eu le temps d’entendre les quelques 250 de citoyens et organismes qui lui ont présenté des mémoires. Le mandat sera donc expédié aux oubliettes.
Que le Parti québécois ne se plaigne donc pas de ce qui arrivera dans Mercier et dans quelques autres circonscriptions le soir du 14 avril. Il se sera lui-même attiré ces petits ennuis qui assombriront quelque peu ses célébrations, il est vrai. Mais, tout bon indépendantiste que je sois, je n’en serai certes pas attristé.
Paul Cliche,
candidat unitaire de la gauche dans Mercier à l’élection partielle d’avril 2001.