D.M. Expliquez-moi la logique de la démarche de « D’abord solidaires ».
A.K. On est un collectif de 16 personnes qui s’est créé en automne dernier en réaction à la montée de l’ADQ dans les sondages. Cela nous a stimulés à réfléchir aux moyens d’intervenir sur la scène publique dans cette période électorale, mais d’une façon non partisane.
Notre but principal est de stimuler la réflexion en vue des élections qui s’en viennent. On va d’abord retirer des programmes des cinq partis - PQ, PLQ, ADQ, Verts et UFP - ce que chacun a à dire sur différents thèmes, comme la santé, l’éducation, l’environnement. On va faire une fiche pour chaque parti et l’afficher sur notre site web. Ensuite, on fera une analyse des fiches du point de vue du bien commun.
Mais on veut aussi encourager la formation de collectifs régionaux et locaux à travers le Québec pour que chaque groupe puisse utiliser les fiches pour intervenir localement, par exemple, en animant des discussions de cuisine, de famille. On veut que les gens ordinaires posent des questions sur les choix politiques pour qu’ils puissent faire des choix éclairés lors des élections. Il y aura aussi la présence de représentants de « D’abord solidaires » dans des assemblée publiques et des congrès de différents partis. Nous voulons également organiser une tournée.
Notre objectif n’est pas tellement de rejoindre les militants qui sont déjà rejoints par les mouvements sociaux et des groupes communautaires, qui déjà ont leur propre analyse des programmes. On veut aller plus large.
D.M. De votre démarche puis-je conclure que vous, en tant que militants des mouvements sociaux, ne considérez pas que le moment soit venu pour la gauche sociale pour construction son propre parti politique ?
A.K. C’est une question qu’on pose souvent : pourquoi ne pas investir l’UFP ? Il y a plusieurs raisons. La première est que notre but principal est de faire une compagne d’éducation populaire. Une autre raison est qu’il y a différentes tendances politiques au sein du collectif. Il y en a qui vont voter stratégiquement dans certains comtés pour bloquer l’ADQ. D’autres vont peut-être voter UFP. Une autre raison est que sans le scrutin proportionnel il est très improbable que la gauche puisse être représentée à l’Assemblée nationale pour y avoir un impact. Le jour où en aura le proportionnel, ce sera autre chose. Après les élections on verra ce qu’on peut faire.
D.M. Il y a dans votre collectif des personnages de la gauche sociale très connus. Ne pensez-vous pas que leur présence dans l’UFP, par exemple comme candidats ou candidates, puisse justement lui donner la crédibilité politique qui lui manque dans l’opinion d’une partie importante de la gauche sociale ?
A.K. Cette question-là il faudrait la poser à Françoise David spécifiquement, et surtout pas à moi. Je suis anarchiste, une tendance très minoritaire au sein du collectif.
D.M. Mais il serait quand même intéressant d’avoir votre point de vue.
A. D’après mon analyse de l’Etat, n’importe quel parti aujourd’hui que se ferait élire n’aura pas une grande marge de manœuvre pour réaliser son programme, quel que progressiste que ne soit son programme. Evidemment, il y aurait une certaine différence entre l’UFP et les autres partis, comme il y aurait entre le PQ et le PLQ, et entre ces partis et l’ADQ. Mais quand même la marge de manœuvre est limitée. C’est pour cela que je ne pense pas que c’est à travers les partis politiques du type traditionnel qu’on va effectuer les changements qui nous semblent nécessaires. Il faut travailler au niveau des communautés, créer de la solidarité et des institutions parallèles, du type conseils de quartier. Evidemment, je ne me fais pas d’illusions que cela se fera le lendemain. Mais il y a beaucoup de jeunes qui partagent mon point de vue. L’Etat intervient partout dans notre vie, mais nous n’avons pratiquement rien à dire sur les décisions qu’il prend. On nous fait des promesses lors des campagnes électorales ; nous votons ; puis ils font ce qu’ils veulent selon les intérêts du capital Et je ne vois vraiment pas comment l’UFP peut prétendre qu’il fera autre chose que le PQ ou que le NPD dans les provinces où il était au pouvoir. Ceci dit, je ne sais pas encore comment je vais voter cette année. Dans le passé j’annulais mon vote. Mais cette année je ne veux pas que l’ADQ passe.
D.M. La gauche sociale aura-t-elle un jour besoin de sa propre expression politique ?
A.K. Personnellement, j’en suis convaincue, mais cette expression de doit pas s’inscrire dans un système électoraliste traditionnel.
D.M. Mais que dire aux gens ordinaires, membres des couches populaires, qui n’ont aucun intérêt objectif à voter ADQ, qui ne croient plus au PQ et au PLQ qui cherchent une alternative progressiste ? Vous pouvez bien leur expliquer que l’ADQ ne représente pas une telle alternative, mais n’y a-t-il pas quand même le danger que ces gens votent ADQ, comme « parti du changement, » ou bien ils opteront de nouveau pour le « moindre mal », et on connaît la suite.
A. Nous allons expliquer ce que les différents partis disent sur les grandes questions. On ne va pas dire au monde comment voter. Ils feront le choix eux-mêmes. Ils ne sont pas niaiseux. Il est important de souligner que notre démarche est conjoncturelle. Il fallait agir rapidement, et vu les tendances différentes qui existent au sein de notre collectif, on a opté pour l’éducation populaire.