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Les élections sont-elles « un piège à cons » ?

Candidat du PDS dans le comté de Charlesbourg en 1998

dimanche 11 octobre 1998, par Jean-Pierre Duchesneau

Loin de moi l’idée de faire ici un débat avec ceux et celles qui croient que la participation aux élections nous amène à jouer le jeu de l’État bourgeois et, de ce fait, à légitimer la démocratie bourgeoise et tout son aspect antidémocratique. Mais, quand même, j’estime que les élections peuvent devenir « un piège à cons » si nous oublions qu’il s’agit d’un processus pensé par et pour la bourgeoisie dominante et dans lequel les dés sont pipés plus souvent qu’autrement. J’aimerais surtout, à la veille du déclenchement des élections au Québec, poser la question du pourquoi et surtout comment la gauche, dans son ensemble, doit participer à cette période politique. Il s’agit donc d’une contribution à une stratégie dont devrait se doter la gauche en campagne électorale.

Bouchard nous a laissé entendre vendredi que les élections devraient avoir lieu à l’automne, probablement le 23 ou le 30 novembre prochain. Le fait que tous et toutes sommes à l’affût de la moindre information nous permettant de deviner la date du scrutin nous démontre une partie du caractère antidémocratique de celui-ci. Comment une seule personne peut-elle décider de modifier l’agenda de milliers de militantes et militants ? Comment peut-elle décider du moment qui sera préférable pour son parti ? Déjà, ce parti a le pouvoir. Déjà, il a pu commencer sa campagne en accordant des cadeaux à droite et à gauche, en fait surtout à droite... Déjà, sa machine électorale, composée entre autres de dizaines de permanent-e-s payé-e-s est en marche. En fait, le PQ part avec des jours voire des mois d’avance dans la campagne et le PLQ, financé par la haute finance, a suffisamment d’argent pour essayer de suivre derrière.

Le processus électoral dans son ensemble est loin d’être un moment où la démocratie est au poste de commande. La loi électorale favorise les grandes organisations politiques (PQ et PLQ). Le mode de scrutin à un tour laisse peu de place au tiers partis. Rien n’est prévu en ce qui a trait au temps d’antenne ou à l’espace dans les médias. En fait, la loi électorale favorise les organisations politiques les plus riches en ne régissant pas ou très peu l’apparition dans les médias qui sont loin d’être neutres.

Peut-on changer la société par les élections ? Voilà une question fondamentale. Plusieurs y ont cru. Malheureusement, les exemples nous démontrent une série d’échecs et ce, malgré la très bonne volonté de la grande majorité des militantes et militants de ces organisations. L’exemple des NPD dans l’Ouest est très éloquent : un discours plus ou moins radical dans l’opposition et par la suite, lorsqu’ils sont au pouvoir, la gestion « humaine » de la barbarie capitaliste. Pour l’État capitaliste, il s’agit d’une soupape pour évacuer les frustrations engendrées par cette société inhumaine, irritant accepté tant et aussi longtemps que ces organisations respecteront la sacro-sainte propriété privée. Mais si jamais il s’avérait qu’un gouvernement issu des mouvements populaires décide vraiment d’appliquer son programme anticapitaliste, nous verrions la réaction s’organiser rapidement. N’est-ce pas Trudeau, ce grand démocrate devant l’éternel, qui a dit en 1980 dans la période référendaire : « si nécessaire j’utiliserai le glaive » ou, si vous préférez, l’armée ? Au Québec, nous devrions être conscientes et conscients de cette réalité. Octobre 1970 n’est pas si loin.

Ce que nous pouvons retenir de l’histoire des luttes de libération, c’est que le pouvoir politique ne s’exerce pas qu’au parlement. Il est détenu par une classe sociale, par l’entremise d’une multitude d’organisations non élues et ce, tant gouvernementales que non gouvernementales. Qui dirige les destinées économiques et, par le fait même, sociales de notre société ? Paul Martin, Landry ? Non ils ne sont que les représentants politiques de leur classe et gèrent selon des intérêts de classe et non dans l’intérêt de l’ensemble de la population. Qui a dicté la campagne pendant des années pour le déficit zéro ? Qui dicte à l’heure actuelle la campagne de propagande pour faire baisser les impôts et ce, dans une logique de coupures dans les programmes sociaux ? Ce sont les mêmes qui financent les partis de Martin et Landry : la haute finance, le patronat, les « élites » de la société, etc.

Mais alors pourquoi y sommes-nous ?

Mais pourquoi participons-nous aux élections ? Sont-elles un piège à cons ? À la deuxième question je répondrai non, mais elles peuvent le devenir. Elles peuvent le devenir si nous ne sommes pas conscient-e-s de qui détient le pouvoir. Elles peuvent le devenir si nous prétendons ne pouvoir changer les structures antidémocratiques de la société que par le jeu électoral. Que ferait un parti comme le PDS si un jour il parvenait au pouvoir sans la mobilisation de l’ensemble des forces ouvrière et populaire ? D’abord, c’est peu probable. Ensuite, il ne pourrait pas appliquer ses politiques de libération sociale, car l’ensemble de l’État bourgeois - hauts fonctionnaires, tribunaux, police, armée, haute finance, patronat, médias bourgeois, etc.- se mobiliserait contre celles-ci. De plus, il deviendrait rapidement un ramassis de carriéristes de tout acabit pensant d’abord à être élu-e-s pour leur prestige personnel plutôt qu’à défendre les intérêts des classes ouvrière et populaire.

Seule une organisation politique portée par une mobilisation large des forces ouvrière et populaire pourra prétendre remettre en question ces mécanismes antidémocratiques. Quand Bombardier menacera de déménager nous ne pourrons nationaliser qu’avec l’appui de l’ensemble de la population et surtout l’appui des travailleuses et travailleurs de l’entreprise. Nous ne pourrons appliquer une politique d’autogestion de l’entreprise qu’avec elles et eux. Il en est de même pour l’ensemble d’un programme de libération social et national comme celui du PDS. Seule une organisation politique qui est le reflet de cette nouvelle société pourra poser vraiment la question du pouvoir. Cette organisation devra, pour ce faire, être enracinée dans l’ensemble des secteurs de lutte et, de ce fait, devenir l’expression politique des classes ouvrière et populaire. Elle le deviendra seulement si la démocratie est au centre de son combat tant dans la société que dans ses propres rangs. Elle le deviendra si elle sait impulser ces luttes essentielles au changement social.

Malheureusement, une telle organisation n’existe pas encore. Elle est à construire. Ni le PDS, ni le RAP ne peuvent prétendre actuellement être cette organisation. Ils sont tout au plus les embryons d’une telle organisation. Mais c’est déjà beaucoup ; c’est, je crois, un pas dans la bonne direction. Une telle organisation ne naîtra pas que de l’accumulation organisationnelle des forces en présence. Elle risque plutôt d’être le résultat de diverses expériences d’alliances politiques, de luttes sociales et surtout de la fin de la concertation sociale avec le PQ. C’est avec cette réalité que nous devons établir notre stratégie politique en période électorale.

La majorité de la population n’a malheureusement pas conscience du caractère antidémocratique de notre société ; ou encore, quand elle en est consciente, elle ne voit pas d’issue menant à un changement social. La classe ouvrière québécoise n’a pas ou que très peu conscience de ses intérêts en tant que classe. C’est en partie ce qui explique que, malgré un désabusement important envers les partis politiques traditionnels, la très vaste majorité de la population va voter PQ ou PLQ aux prochaines élections. Encore pire, une bonne partie de la population croit encore pouvoir changer quelque chose en votant pour le parti d’opposition. Non pas qu’elle approuve son programme, la majorité des gens n’ont pas lu le programme de Charest ni celui de Bouchard, mais parce qu’il n’y a pas d’alternative crédible pour l’instant.

Les élections sont un moment privilégié pour parler de politique largement. Ils sont un moment privilégié pour poser la question du pouvoir dans nos organisations de luttes comme les syndicats, les associations étudiantes, les groupes de femmes, les comités de quartiers, etc. Nous devons faire un travail de conscientisation sur la nécessité de lier lutte sociale et lutte politique, l’une ne va pas sans l’autre. Les élections nous permettent de présenter une proposition de changement social qui ne doit pas se limiter à un programme, mais aussi à une stratégie pour la prise du pouvoir. Et cette stratégie serait vide de sens sans la participation des militantes et militants de ces organisations qui sont le cœur de cette lutte. Nous ne voulons pas d’elles et d’eux comme travailleuses ou travailleurs de bras dans un parti prétendant avoir un programme de changement social. Nous voulons que ce parti soit le leur, car que serait-il s’il n’était pas le bras politique de ces militantes et militants de gauche qui luttent au jour le jour pour améliorer les conditions de vie des travailleurs et travailleuses, des femmes, des jeunes, des sans-emploi ? Qu’est-ce que ce parti si ce n’est pas la convergence des tendances politiques unies par les débats qui s’exercent dans le respect et la démocratie et ce, dans un but commun : changer la société ? Ce qui donnera de la force à notre organisation ce sera sa présence dans l’ensemble de la société nous permettant de mieux comprendre les différents enjeux. Ce sera son contrôle par sa base qui verra à ce qu’elle reste un instrument de lutte.

Notre stratégie pendant les élections doit être marquée par notre souci d’être présent-e-s dans les luttes sociales et ce, non pas pour se donner une belle image mais pour construire ces luttes. Dans toutes les régions, dans tous les comtés nous devons appuyer les luttes par des déclarations publiques, aider à les construire en fournissant des militantes et militants et, quand nous le pouvons, notre appui matériel (argent, pancartes, locaux, etc.). Nous devons organiser des assemblées s’adressant aux gens en lutte. Des assemblées de secteurs (jeunes, femmes, syndiqué-e-s, milieux communautaires, etc.) où nous pourrons échanger sur nos visions d’un changement social. Nous devons diffuser notre plate-forme électorale et en discuter dans ces milieux : Cégeps, cafétérias d’hôpitaux, centres d’emploi, soupes populaires, etc.

Notre stratégie pendant les élections doit être marquée de ce souci de construire cette organisation. Par un souci de faire rompre les militants et militantes de gauche du PQ et les convier à travailler avec nous. Nous ne sommes malheureusement pas encore à l’étape du porte à porte. Lorsque les partis font du porte à porte il s’agit d’une stratégie d’ensemble liée à des campagnes publicitaires, des apparitions publiques et surtout des centaines de militantes et militants qui font des téléphones et qui, par la suite envoient des personnes discuter avec les indécis-e-s. Nous en serons à cette étape, si besoin, lorsque nous aurons fait le plein dans les milieux militants, lorsque nous pourrons porter une campagne propagandiste aux niveaux national, régional et local. Lorsque le simple fait de trouver des candidat-e-s ne sera pas une tâche, mais plutôt un processus démocratique dans l’organisation permettant aux militantes et militants de décider qui est la personne pouvant le mieux porter notre message et défendre nos intérêts.

Je le dis plus haut, une organisation qui prétend pouvoir prendre le pouvoir dans l’intérêt des classes ouvrière et populaire ne naîtra pas que de l’accumulation organisationnelle des forces en présence. Elle risque plutôt d’être le résultat de diverses expériences d’alliances politiques. Cette réalité pose la question des alliances politiques durant la campagne électorale. À l’heure actuelle, ces forces semblent se résumer aux organisations suivantes : le Parti de la démocratie socialiste, le Groupe communiste ouvrier/Parti communiste canadien, le Parti communiste canadien (marxiste-léniniste) et le Rassemblement pour une alternative politique. Le PDS doit faire une proposition de travail en commun à l’ensemble de ces organisations. Au moment d’écrire cet article, le PDS a déjà, avant même le déclenchement des élections, plus de quatre-vingt candidates et candidats. Le programme est déjà adopté ainsi que la plate-forme électorale. Il semble être le seul a pouvoir offrir les structures immédiates pour mener une campagne unitaire, étant donné la probabilité du déclenchement des élections dans les prochains jours. Nous devrions proposer au PCC et PCCML, de travailler avec nous sous la bannière du PDS, dans le respect de leurs organisations, de leurs structures et avec des ententes sur la plate-forme électorale. En ce qui concerne le RAP, la situation est un peu différente étant donné sa nature et les décisions qu’il a prises lors de son congrès de fondation. Mais des discussions doivent être entreprises rapidement pour voir comment mener une campagne conjointe.

La possibilité pour nos différentes organisations politiques de mener une campagne unitaire lors des élections peut changer qualitativement la situation de la gauche au Québec. L’expérience de travail commun sur le terrain peut être un pas important vers la perspective d’une organisation politique de masse. Espérons que nous serons tous et toutes ensemble pour travailler à construire cette alternative.