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Deux grands oublis : indépendance et politique de la rue pour réconcilier stratégie et tactique

Commentaire en marge du colloque

dimanche 22 septembre 2002, par Marc Bonhomme

Deux positions ont polarisé le colloque " Les mouvements sociaux et l’action politique de gauche au Québec ".

D’un côté il y avait celles qui préconisaient que l’objectif prioritaire des prochaines élections devait être de faire barrage à l’ADQ. La plupart des partisanes de cette position prétendaient que présenter des candidatures de gauche, qui n’auraient de toute façon qu’un faible score électoral, affaiblirait davantage la gauche politique. Certaines allaient jusqu’à dire que sans réforme du mode de scrutin il était inutile d’investir la scène électorale, sans se rendre compte que l’existence d’un parti de la gauche reconnu médiatiquement rendrait d’autant plus signifiant la campagne pour le scrutin proportionnel.

L’une ou l’autre allait jusqu’à dire qu’il n’y avait pas de différence fondamentale entre les plate-formes du PQ et de l’UFP, toutes deux étant social-démocrates. Pratiquement parlant, cette position revenait à préconiser le vote pour le PQ même si personne n’a osé le dire franchement. Pour le reste, il fallait davantage faire d’éducation politique sans réaliser qu’une campagne électorale présentant une alternative de gauche est le plus convaincant exercice d’éducation politique qui soit.

De l’autre côté se trouvaient celles pour qui la priorité était de faire barrage au néolibéralisme. Pour elles, ce sont justement les politiques néolibérales du PQ, et des Libéraux auparavant, dont l’envers de la médaille a été son discours social-démocrate menteur et trompeur et donc aliénant, qui ont à ce point écœuré et enragé le peuple qu’il s’accroche au premier parti concocté par les grands médias bourgeois.

Contre les partis néolibéraux, elles préconisaient donc de présenter des candidatures de gauche aux prochaines élections, soit des candidatures UFP soit un mélange de candidatures issues des groupes populaires et des candidatures UFP. Celles-ci reconnaissaient le dilemme posé par le système uninominal à un tour. Mais elles posaient la nécessité de positionner sans plus tarder un parti des travailleuses et des couches populaires, soit l’UFP pour plusieurs soit quelque chose d’autre qui n’exclurait pas l’UFP pour les autres.

Comme on pouvait s’y attendre, les tenantes de la deuxième position ont marqué des points tellement la solution d’un vote péquiste (ou l’abstention), d’ailleurs inavouable, va contre le sentiment populaire et tellement la solution d’appuyer la cause péquiste ne peut en rien contribuer à amoindrir l’effet adéquiste. Cependant, si les partisanes de la deuxième solution ont marqué des points, on ne peut pas dire qu’elles ont pleinement convaincu. En effet, une grande partie des militantes syndicales et populaires, prenant en considération les expériences Klein, Harris et maintenant Campbell, restent traumatisées par la perspective d’un gouvernement ADQ. Pour elles, il s’agit d’éviter le pire et après on verra bien.

Est-ce possible, malgré ce maudit mode de scrutin britannique, de concilier les intérêts fondamentaux de classe - doter enfin les classes ouvrière et populaire du Québec d’un projet de société alternatif porté par leur parti - et les impératifs d’atténuer immédiatement les souffrances populaires ? À l’impossible nul n’est tenu. Reste que deux pistes de solution ont été oubliées. L’une programmatique, l’autre stratégique.

L’épine dorsale du projet de société alternatif : l’indépendance

L’alternance inhérente au mode de scrutin uninominal à un tour aurait dû normalement favoriser les Libéraux. Certes les politiques néolibérales qui sont aussi les leurs agissent comme un repoussoir. Pourtant ce que préconise l’ADQ est encore pire. Suffit-il de plaider l’ignorance populaire du programme social adéquiste pour expliquer ce paradoxe ? Pourquoi alors les sondages montrent-ils un appui croissant à l’ADQ alors que le caractère ultra-droitier de leurs politiques sociales est de plus en plus connu ?

Deux réponses, qui se complètent, sont possibles. La plus évidente : malgré la trahison péquiste des intérêts populaires, le peuple québécois dit toujours oui à l’indépendance à 33% - 39% pour sa composante francophone - et un oui référendaire à plus de 40% - à environ 50% pour sa composante francophone. Comment alors traduire dans les urnes cette forte résistance à l’oppression nationale, donc en excluant l’alternance libérale, tout en reniant le PQ néolibéral ? En votant ADQ, seule alternative médiatique dont la position sur la question nationale est sa mise de côté pour 10 ans - position qui est, elle, publicisée et connue - tout en sachant qu’on peut faire confiance à Mario qui a soutenu le " oui " en 1995. Réponse complémentaire : un certain découragement des " classes moyennes ", normalement sociales-démocrates, face au dépérissement de la qualité des services publics combiné à la lourdeur relative du fardeau fiscal québécois en Amérique du Nord, ce qui les porte à soutenir baisse des impôts et privatisation, ce que pressentait l’intervention de Françoise David.

Cette explication indique toute l’importance à redonner à la question nationale ce qui veut dire redéployer dans toute sa vigueur la revendication de l’indépendance comme moyen de libérer le peuple québécois du néolibéralisme fédéraliste. Il s’agit donc de remettre le mot d’ordre d’INDÉPENDANCE au centre de notre projet de société mais comme signifiant

Indépendance du capital financier - de Wall Street mais aussi des grandes institutions financières qui forment l’épine dorsale de la bourgeoisie canadienne tout comme des illusions du coopératisme à la Desjardins ;
Indépendance des multinationales - que ce soit l’étasunienne GM qui ferme son usine de St-Thérèse, la canadienne Noranda qui ferme Murdochville ou la québécoise Québécor qui plante ses employées de Vidéotron ;
Indépendance du fédéralisme qui jusqu’à notre existence nationale et anglicise le Québec à petit feu et, last but not the least ;
Indépendance politique des classes ouvrières et populaires du Québec derrière leur parti avec son projet de société.
Tout le contraire donc de l’illusion de la souveraineté-partenariat péquiste avec en supplément le dollar américain comme le faisait remarquer judicieusement Jean-Marc Piotte. N’est-ce pas d’ailleurs comme nation en voie de libération que le peuple québécois peut s’inscrire dans la lutte contre la mondialisation néolibérale, contre la ZLÉA ?

La politique de la rue dans les urnes

L’autre piste qu’a peu explorée le colloque est que la réponse politique doit non seulement venir des urnes mais aussi de la rue. D’ailleurs c’est ainsi que se veut l’UFP mais qu’elle ne pourra devenir sans une liaison organique avec le mouvement social qui l’enracinera dans les luttes sociales mais qu’à son tour elle poussera en avant, au-delà des accommodements du néolibéralisme à visage humain, vers des solutions alternatives.

Contre la montée de l’ADQ n’y a-t-il pas la possibilité d’un grand mouvement de soutien aux grévistes/lockoutées de Vidéotron dans la perspective de sa nationalisation avec contrôle populaire payée par l’investissement déjà consenti par la Caisse dans Québécor Média ? Non pas donc seulement une lutte défensive contre la privatisation mais une lutte offensive pour l’élargissement des services publics.

Contre l’impérialisme étasunien soutenu par le fédéral, dont le PQ veut la bénédiction et l’ADQ les investissements pour privatiser les services publics n’y a-t-il pas lieu, gauche politique et gauche sociale ensemble, de travailler à construire un grand front contre la guerre, dont la manifestation du 5 octobre serait le point de départ ?

Indépendance et politique de la rue auront été les grandes oubliées de ce colloque. Les remettre au centre du débat permettra de commencer à réconcilier la nécessité stratégique de construire un parti des classes ouvrière et populaire dans les urnes et dans la rue tout en la mariant avec les impératifs tactiques d’atténuer les souffrances populaires.