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Position de l’ADDS de Gatineau sur l’avenir du Collectif en faveur d’une loi sur l’élimination de la pauvreté

dimanche 2 février 2003

L’Association pour la défense des droits sociaux de Gatineau (ADDS) a participé à la démarche en faveur d’une loi sur l’élimination de la pauvreté depuis presque le début de cette initiative populaire. Elle a participé sans se faire d’illusions sur la capacité d’une partie des mouvements sociaux québécois de forcer la moitié de l’État (Canada/Québec) à adopter une loi qui allait vraiment faire disparaître la pauvreté.

L’ADDS a choisi de se joindre à cette initiative populaire parce qu’elle l’a jugée intéressante à plus d’un chapitre. D’abord, l’idée d’éliminer la pauvreté était un objectif tout à fait conforme à l’exercice réel des droits sociaux et économiques. Ensuite, l’idée d’une proposition de loi populaire représentait un outil pédagogique très attrayant. Finalement et au-delà de la proposition de loi sur l’élimination de la pauvreté, l’ADDS souhaitait que le Collectif devienne un lieu de mobilisation populaire pour obtenir des gains concrets pour ses membres et les autres personnes à faible revenu du Québec.

Cette vision n’était pas partagée par tous les groupes qui ont adhéré au Collectif, ni par d’autres groupes qui ont choisi de ne pas en faire partie ce qui témoigne de la richesse et de la diversité des mouvements sociaux québécois. Maintenant que nous sommes rendus à l’heure du bilan, l’ADDS voudrait proposer son analyse du chemin parcouru et son avis sur l’orientation à prendre suite à l’adoption de la Loi 112.

Même si les attentes de l’ADDS étaient assez minimalistes, son point de vue sur l’état de la situation est critique. Critique parce que les résultats obtenus commandent la critique, critique aussi parce qu’elle considère que ces résultats ne méritaient pas une caution populaire. Et c’est dans l’espoir de susciter un débat autour de l’avenir du Collectif qu’elle a décidé de consacrer sa critique.

Des gains beaucoup trop modestes pour justifier une loi contre la pauvreté

Le 13 décembre dernier, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Il y en a qui ont qualifié cet événement d’historique et la loi, d’unique au monde. Mais s’agit-il vraiment d’une réelle avancée sociale ? L’ADDS est loin d’en être convaincue.

Lorsque les trois formations politiques néolibérales qui siégent à l’Assemblée nationale donnent leur assentiment à une législation à caractère sociale, ne faudrait-il pas être un peu sceptique sur la valeur de celle-ci ?

D’abord il faut reconnaître que les mouvements sociaux du Québec qui étaient à l’origine de la loi gouvernementale, ont de nouveau innové en proposant eux-mêmes une loi sur l’élimination de la pauvreté. Après avoir élaboré un projet de société dans « La charte d’un Québec populaire », après les deux extraordinaires mobilisations du mouvement des femmes, voilà une autre initiative populaire qui était à la fois proactive et prometteuse.

Le Collectif a reçu plus de 215 000 signatures sur sa pétition en faveur de l’idée d’une telle loi et l’ensemble de son action a définitivement fait avancer, au sein de la société québécoise, l’idée que l’élimination de la pauvreté soit possible et socialement désirable. Cela étant dit, entre une bonne idée et la réalité objective, entre la proposition mise de l’avant par le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté et la loi adoptée par le gouvernement il y a non seulement une marge, mais un gouffre.

Ce n’était pas pour faire de l’histoire que les membres de l’ADDS avec tant d’autres personnes à faible revenu à travers le Québec se sont joints au Collectif. C’était plutôt pour améliorer leurs conditions de vie, conditions qui changeront à peine avec la loi adoptée dans une trop belle unanimité.

Cette loi gouvernementale ne fera pas grand-chose parce qu’elle ne remet absolument rien en question qui compte, comme des mesures impliquant de l’argent neuf qui est après tout le nerf de la guerre.

Est-ce vraiment possible de lutter contre la pauvreté sans remettre en question la répartition de la richesse ? À cette question fondamentale, les trois formations politiques de l’Assemblée nationale répondent dans l’affirmative mais ils savent trop bien, que c’est impossible. Et c’est sur cette imposture que repose la démagogie politique de ceux et de celles qui nous ont écoutés lors des audiences publiques avec tant de compassion pour la misère du monde.

Le gouvernement du Québec s’est doté d’une politique et d’une loi cadre sur l’élimination du déficit, une politique et une loi cadre tellement brutales et tellement efficaces qu’une marge de manœuvre de plusieurs milliards de dollars a été dégagée pour les baisses d’impôt. Et aujourd’hui le PQ, le PLQ et l’ADQ sont tous d’accord pour réduire davantage la charge fiscale. Puisqu’il n’y a plus de Réal Caouette pour proposer qu’on imprime de l’argent, d’où viendront les moyens pour lutter contre la pauvreté alors que l’État n’a plus de marge de manœuvre et sa capacité financière s’est réduite comme peau de chagrin.

Le gouvernement a promis de dégager 300 millions de dollars par année au cours les cinq ans à venir pour financer sa stratégie de lutte contre la pauvreté, ce qui est nettement insuffisant, mais il n’a jamais indiqué que c’était de l’argent nouveau. Nous savons déjà que ce fonds remplacera le Fonds de lutte à la pauvreté et vraisemblablement il sera complété par d’autres argents provenant de programmes existants.

De plus, la ministre des finances a déjà annoncé qu’elle était dans le trou de 479 millions de dollars, alors il est évident qu’elle n’a vraiment pas de marge de manœuvre pour des nouvelles dépenses.

Il faut dire que la philosophie du gouvernement, toutes couleurs confondues, n’a jamais changé en ce qui a trait à la répartition de la richesse. Essentiellement, elle se résume au grand sophisme qu’on nous radote depuis toujours : « Avant de répartir la richesse, il faut la créer, et pour la créer il faut être compétitif, et bla-bla-bla, etc. etc. ad infinitum ».

Ainsi, la nouvelle-vieille stratégie gouvernementale propose des investissements supplémentaires en faveur les bas revenus « au rythme de l’enrichissement collectif ». Il n’est donc surtout pas question d’enlever à Pierre pour donner à Paul et Paulette. Mais dans la mesure que Pierre s’enrichit, et Pierre doit s’enrichir pour qu’il y ait de l’enrichissement collectif, Paul et Paulette pourraient bénéficier d’une bonification de leur pitance.

Une des meilleures illustrations de cette répartition des miettes de l’enrichissement collectif est le nouveau mécanisme d’évaluation périodique du salaire minimum que le gouvernement a eu le culot de vanter dans son énoncé de politique sur la pauvreté. Cette dernière trouvaille pour le bénéfice des bas salariés permettra des augmentations du salaire minimum au même rythme que l’enrichissement de l’ensemble des salariés qui sont payés à l’heure. Grâce à cette grande largesse gouvernementale, les travailleuses et travailleurs du salaire minimum vont pouvoir gagner moins de 50% du taux horaire moyen jusqu’à l’âge de la retraite, mais ils n’auront pas plus car il s’agit d’un barème plafond.

Il n’est donc pas étonnant que la très grande majorité des propositions présentées dans l’énoncé de politique en vue du plan d’action ressemblent tellement à ce qui se fait déjà. Le gouvernement n’avait guère le choix dans la mesure qu’il fallait produire quelque chose qui ne remet rien en question. En somme, le cadre financier tout comme la majeure partie de la stratégie gouvernementale n’est qu’un nouvel emballage du statu quo. C’était déjà clair dans le document « Ne laissez personne de côté » et maintenant nous en avons la confirmation une fois de plus.

Il y a eu bien sûr quelques nouveautés dans la loi. La possibilité très hypothétique pour les prestataires d’aide sociale de développer des actifs, un revenu de solidarité pour les bons pauvres qui équivaudrait à environ cent dollars de plus par mois, une bonification indéterminée des primes à la participation aux mesures d’employablité, une prestation minimale, une généralisation de la réduction de 100$ par mois du vol des pensions alimentaires, et quoi d’autre encore… Ah oui, une clause d’impact qui n’est pas encore en vigueur et déjà le gouvernement propose d’enrichir les propriétaires au dépens des locataires.

Ces gains sont extrêmement minces, mais ils demeurent néanmoins tangibles. Ils sont le fruit réel de cinq ans de travail pour améliorer les conditions de vie de nos membres. Les efforts du Collectif ont également contribué à obtenir l’indexation automatique des prestations d’aide sociale, l’abolition de la coupure pour partage de logement et les améliorations dans la Loi sur les normes de travail.

Mais l’ensemble de ces gains ne suffit pas pour justifier une loi anti-pauvreté et ils n’ont rien à voir avec notre proposition pour une loi sur l’élimination de la pauvreté.

Un appui non mérité

Oui, il faut les accueillir parce qu’on s’est battu pour les avoir, mais il ne faudrait pas se contenter de ça, ni approuver la loi gouvernementale et c’est malheureusement la position extraordinaire de la majorité des groupes qui ont milité pour d’autre chose. Selon l’ADDS, cette prise de position en faveur de la loi gouvernementale était une erreur stratégique.

Lorsque le gouvernement a introduit son projet de loi, il ne faisait aucun doute qu’il était à des années lumières de notre proposition. Tout le monde le savait et une malheureuse majorité des groupes sociaux s’est laissée convaincre de l’appuyer dans l’espoir de le transformer en ce qu’il ne pourrait jamais devenir. Ce faisant, le contenant a pris le dessus sur le contenu au point que ces groupes qui revendiquaient jadis une loi sur l’élimination de la pauvreté ont de leur propre chef proposé deux cibles pour la loi gouvernementale qui visaient d’autre chose.

Outre l’appui au projet de loi et la remise en question de l’idée d’une loi sur l’élimination de la pauvreté, les positions présentées en Commission parlementaire cherchaient à insuffler le maximum du contenu de la proposition populaire dans le projet de loi gouvernemental. C’était le beau risque. Et quel fut le résultat ?

Oui, il y a eu quelques amendements de circonstance, dont une couple qui ont apporté des améliorations concrètes dans la vie du monde. Mais le résultat net de cette stratégie était de cautionner une loi qui laissait à désirer. Rendu là, peint dans un coin, ils n’y avaient d’autre choix que de l’applaudir, et c’est ce qu’ils ont fait. Il est vrai que certains ont apporté des nuances, mais l’effet était le même et ce n’est pas reluisant.

Comment faire maintenant pour revendiquer autre chose ? Pour questionner les paramètres financiers de la stratégie ? Les échéances ? Et le couloir très étroit pour les discussions ultérieures ? Dans l’opinion publique, le message qui passe, que plusieurs groupes ont contribué à façonner, est que tout le monde est content. Alors, quelle serait la crédibilité d’une intervention qui oserait affirmer que ça n’a pas d’allure ?

Nonobstant cette appréciation critique de la loi du gouvernement et de la stratégie populaire, l’histoire ne s’arrêtera pas là. Il faut donc dégager de nouvelles perspectives. Alors que faire ?

Perspectives

Nous avons amené le gouvernement à adopter une loi, ce qu’il n’avait aucunement l’intention de faire. Cet accomplissement est significatif, même si le contenu ne justifie pas le contenant. Tous les groupes membres du Collectif comprennent qu’il faut maintenant se réorienter et il est évident qu’aucun groupe ne se contentera des gains obtenus jusqu’à présent.

Une des questions qui se pose présentement est de savoir si nous continuons comme si de rien n’était, fier de notre loi et déterminé à le faire fructifier, ou si insatisfait de la loi qu’ils ont adopté, nous sommes disposés à prendre nos distances.

Jusqu’à présent, le Collectif a misé davantage sur les rapports de dialogue avec l’État que sur la mobilisation pour faire avancer sa cause. Cette absence d’un véritable rapport de force a probablement limité les résultats obtenus. La loi offre beaucoup d’occasions de poursuivre dans la même veine et la tentation sera grande de participer activement aux nouvelles instances.

Mais si notre proposition a eu si peu d’impact sur le contenu substantiel du projet de loi et si tous nos arguments présentés dans les centaines de mémoires ont apporté si peu d’amendements à la loi, est-ce que cette stratégie de dialogue demeure toujours la bonne pour faire avancer, non pas la loi, mais les conditions de vie des personnes à faible revenu ?

Ne faudrait-il pas tenter d’augmenter notre rapport de force face à l’État en misant plutôt sur la mobilisation autour de gains concrets ? À la fin du mois d’octobre dernier, les groupes communautaires ont mobilisé en masse pour faire valoir leurs intérêts particuliers. Six semaines plus tard, à la veille de l’adoption du projet de loi, à peine trois cent personnes ont participé à un rassemblement suivi d’un spectacle dans un ultime effort pour faire fléchir le gouvernement. Non, nous n’avions pas le rapport de force pour obtenir davantage et l’ADDS ne croit pas que nous obtiendrons davantage, si nous ne changeons pas nos rapports avec l’État.

Au cours de la dernière année, l’ADDS a entrepris une campagne locale autour de deux revendications qui sont l’augmentation du salaire minimum à 10,00$ de l’heure et l’établissement d’une prestation minimale de 1 000,00$ par mois comme première étape vers une garantie de revenu. Elle a présenté et défendu ces deux revendications en Commission parlementaire, non pas comme solutions globales, mais à titre indicatif, c’est-à-dire pour montrer le genre de mesures qui comptent vraiment dans une politique contre la pauvreté.

L’ADDS pense que ces revendications pourraient faire partie d’une nouvelle offensive pour relancer le gouvernement suite à l’adoption de sa loi contre la pauvreté. Elle pense également qu’une campagne autour de ces deux demandes doit faire abstraction des échéances, des paramètres financiers et des instances prévues par la loi gouvernementale.

D’ailleurs en ce qui trait à la logique de la Loi 112, la revendication d’une prestation minimale de 1 000,00 $ par mois est intéressante. La consécration d’une prestation minimale dans la loi et l’éventuel établissement d’un revenu de solidarité maintiendront la fausse catégorisation qui est au centre du débat sur le droit à un niveau de vie suffisant.

Il y a un danger à l’heure actuelle concernant le débat à venir sur les montants de la prestation minimale et du revenu de solidarité. Ce débat est perdu d’avance dans la mesure qu’il soit mené à l’intérieur de la logique de la loi car la nature même des discussions présuppose que certaines personnes méritent une prestation minimale et d’autres un revenu de solidarité. Avec la proposition de l’ADDS, ces deux éléments sont unis ensemble.

L’autre avantage de cette revendication, c’est qu’elle permet de dépasser le cadre minimaliste de la couverture des besoins essentiels. Rappelons à cet effet que nous avons traîné la demande pour la couverture des besoins essentiels depuis la lutte contre la soit disant réforme Harel. Nous avons ensuite fait le saut d’appauvrissement zéro à pauvreté zéro tout en maintenant cette revendication qui est devenue anachronique.

Pour ce qui est du salaire minimum, il ne manque pas d’arguments pour une augmentation substantielle. Selon l’expérience de l’ADDS, la demande pour l’augmentation du salaire minimum à 10,00$ de l’heure rejoint les préoccupations des personnes à faible revenu. Les seuls commentaires négatifs reçus étaient à l’effet que c’était trop bas, un point de vue que l’ADDS partage.

Les deux revendications mises de l’avant par l’ADDS ont l’avantage d’être claires et chiffrées. Elles touchent directement le nerf de la guerre et lorsqu’elles sont présentées ensemble, c’est-à-dire l’une en faveur des sans emploi et l’autre en faveur des petits salariés, elles unissent les personnes à faible revenu et donnent moins d’emprise aux préjugés.

Pour l’ADDS, le moment est venu de prendre nos distances du gouvernement et défoncer les limites imposées par sa stratégie contre la pauvreté avec des cibles ambitieuses qui répondent directement aux besoins du monde et c’est ce qu’elle tente de faire avec ces deux revendications.

Gatineau, le 29 janvier 2003
Bill Clennett
pour les membres de l’ADDS à la suite des discussions tenues lors
des assemblées-souper du 14 et du 28 janvier 2003

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