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Un dangereux dérapage

Alain Marcoux et Bernard Rioux, pour la Coordination nationale de Gauche Socialiste

dimanche 15 février 2004, par Alain Marcoux, Bernard Rioux

Il nous impossible de passer sous silence notre rejet et notre désapprobation du texte "La grande bataille qui vient" de Marc Bonhomme. Ce texte noie certaines remarques pertinentes dans des caractérisations accusatrices, dans une vision en carton de pâte de l’évolution de la situation politique et dans des perspectives qui relèvent plus du rêve que de la réalité. Nous voulons ici expliquer ces affirmations et faire connaître notre approche du débat.

Le respect de la gauche sociale,
fondement de la démocratie participative

Le texte de MB manque à un devoir essentiel de respect envers la gauche sociale. Les jugements sévères succèdent aux condamnations. Le texte ferme ainsi le débat au lieu de l’ouvrir. "Le mouvement syndical populaire (?) est-il dit, aurait foncé (dans le piège des consultations prébudgétaires) tête baissée." Pourtant, tout le monde sait que le PLQ prépare un budget néolibéral. Personne ne dort au gaz. Charest a imposé ses lois. Mais il commence à payer pour ses politiques anti-syndicales, anti-femmes et anti-populaires. Tout un débat est ouvert dans les organisations syndicales, populaires, féministes et jeunes sur les voies de la riposte. Et c’est cela qu’il faut souligner.

Le parti néolibéral lui a droit aux fleurs. Le PLQ est caractérisé comme étant un fin tacticien. C’est sans doute pour cela que 70% de la population veut s’en débarrasser après moins d’un an au pouvoir. .

Après avoir accusé les mouvements sociaux d’aveuglement, le texte de MB dénonce "l’inepte direction du FRAPRU". Ce n’est pas débattre. On peut interroger et critiquer une orientation, mais il est inacceptable d’insulter et de chercher discréditer ceux et celles qui, dans le mouvement populaire, mènent quotidiennement des luttes.

Et puis, le texte jette un regard condescendant sur les "petites manifs sans lendemain". Toutes ces actions sont des moments de la remobilisation. Le texte jette le discrédit sur une organisation (Conseil central de Montréal de la CSN) qui a organisé l’occupation des bureaux de la ministre du Conseil du trésor, alors qu’il serait à propos de manifester une solidarité militante. De plus, on ne caractérise pas une action à partir d’un propos d’un dirigeant sur cette dernière. Cela ne relève pas d’une saine méthode de débat et ne sera pas considérée comme telle par personne.

Le Réseau vigilance (malgré sa faiblesse que l’on reconnaît) n’est pas décrit comme le symbole d’une unité nécessaire. Les militant-e-s qui ont contribué à le mettre sur pied, qui y oeuvrent et qui ont porté le flambeau de la nécessaire unité, ne sont pas encouragés dans leur combat. Le texte caractérisera quelques lignes plus loin cette organisation comme un annexe des bureaucraties syndicales. On peut s’opposer à un plan d’action qui nous semble insuffisant mais on doit d’abord l’expliquer par la faiblesse des perspectives unitaires concrètes (ou la réalité des divisions effectives) plutôt qu’en s’en prenant à ceux et celles qui portent la nécessité de les dépasser.

Une conception grand-méchant-loupiste de l’histoire

Une grande bataille contre l’offensive néolibérale est essentielle pour bloquer les plans des gouvernements Charest et Martin asservis aux intérêts de la grande entreprise. Qui n’en convient pas dans la gauche ? Mais, elle ne se fera pas au-delà ou en deçà du mouvement syndical réel ; elle se mènera autour des stratégies issues des débats dans lesquels la gauche syndicale et sociale devra construire son audience et proposer des perspectives concrètes d’unification des luttes dans un mouvement d’ensemble.

La capacité de résistance ne découle pas d’abord de la clarté des mots d’ordre généraux. Elle vient d’un ensemble d’initiatives et de luttes concrètes qui renforcent la détermination, désarçonnent les secteurs du mouvement syndical et des mouvements sociaux qui pensent pouvoir continuer dans le cadre et les habitudes qu’ont créés la période de grande prospérité ou qui se contente du peu de place laissée par le social-libéralisme péquiste.

Les débats sur les perspectives de la résistance sont importants. Mais présenter les différentes positions uniquement comme une divergence entre les directions bureaucratiques et les travailleurs et les travailleuses de la base qui souhaiterait en découdre le gouvernement relève d’une simplification outrancière des dynamiques concrètes. Si la réalité pouvait rentrer dans un tel schéma simplificateur, la rupture avec l’orientation concertationniste des directions syndicales serait chose facile surtout suite aux fruits amers qu’elle a livrés et livrera encore. Mais, une telle affirmation suppose réalisée une autonomie politique qui est à construire. Malheureusement, la rupture politique réelle avec le PQ n’est pas consommée, y compris dans des secteurs importants des couches militantes et de la population. Et c’est cette dépendance politique qui donne une base de masse à la perspective concertationniste de secteurs importants des directions.

Le gouvernement Charest a déjà démontré son caractère anti-syndical, anti-populaire, anti-écologiste et anti-féministe. Des organisations syndicales qui s’engagent dans les négociations particulièrement dans le secteur public envisagent la nécessité de la grève générale. Dans la nécessité des combats, dans la dynamique des luttes bien des barrières pourront être levées à l’unité. Le mouvement syndical a déjà fait face dans les derniers mois et est appelé à faire face dans les prochains mois à des défis nouveaux qui nécessiteront des recompositions importantes et des réorientations stratégiques étant entendu que l ’orientation de la concertation sociale désorganise la capacité de résistance.

Le mouvement syndical québécois a manifesté et manifestera une combativité importante. Son talon d’Achille est l’inexistence d’un parti des travailleuses et des travailleurs de masse et le poids du Parti québécois, qui offre, tout au mieux, comme perspective le repliement sur un modèle social-libéral. La gestion péquiste et ses attaques multiples tendent à être oubliées face à la dureté des offensives du gouvernement Charest. Déjà, certains voient dans le report au pouvoir du PQ, l’instrument essentiel pour se débarrasser des libéraux et pour protéger les intérêts des classes ouvrière et populaires. Cette perspective est une dangereuse illusion et le texte le souligne correctement.

Escamotage des débats sous les accusations

Deux importants débats : a. celui des rapports à établir entre un parti politique progressiste (et le mouvement syndical et les autres mouvements sociaux) et b. celui des tâches de l ’UFP dans la conjoncture de résistance actuelle à l’offensive du gouvernement Charest sont escamotés au profit d’accusations qui ne font pas avancer le débat d’un iota mais sèment la méfiance et la rancoeur.

Rapports à établir entre un parti politique progressiste (et le mouvement syndical et les autres mouvements sociaux

MB écrit : "Au Québec, d’ailleurs, le problème n’est pas l’autonomie du relativement vaste mouvement social vis-à-vis une humble gauche politique - vis-à-vis le national-populisme péquiste c’est une autre histoire - mais plutôt l’autonomie de la gauche politique vis-à-vis la gauche sociale. À quand l’autonomisation de l’UFP vis-à-vis les hautes directions syndicales et tutti quanti ?"

Allez y comprendre quelque chose. Le problème serait celui de l’autonomie de la gauche politique vis-à-vis la gauche sociale ? Et sans médiation, le texte parle de l’autonomisation de l’UFP vis-à-vis les hautes directions syndicales. Que faut-il donc comprendre ?. Le problème c’est l’autonomie de la gauche sociale et de la classe ouvrière et des couches populaires vis-à-vis le nationalisme populiste péquiste et son modèle concertationniste. Ce n’est pas une autre histoire. C’est le centre de la question. Le problème, c’est comment amener la gauche sociale (syndicale, populaire, féministe et jeunes) à rompre avec le bloc national et le soutien au PQ et à comprendre la nécessité d’un parti politique de classe et à agir politiquement sur une base partidaire. L’existence même de l’UFP constitue un pas important dans la bonne direction. L’UFP a construit sa place publique dans les dernières élections en rupture (globalement accomplie) avec le soutien plus ou moins explicite d’importants secteurs des directions syndicales au Parti québécois. Voilà l’essentiel et ce pourquoi nous devons féliciter tous les constructeurEs de l’UFP.

La question qui reste posée dans toute la gauche politique, c’est le caractère des rapports d’un parti politique de gauche avec le mouvement syndical et l’ensemble des mouvements sociaux. Au Québec, où il n’y a jamais eu de parti des travailleurs et des travailleuses ayant un caractère de masse, ce questionnement fait souvent référence à certaines expériences amères du temps où la gauche "marxiste-léniniste" avait une certaine audience. On confond parfois le respect de la démocratie des mouvements sociaux avec l’autonomie politique des mouvements. Le mouvement syndical et les mouvements sociaux sont traversés de part en part par les débats politiques qui se développent dans la société. On retrouve dans ces organisations de masse des personnes soutenant divers partis dont des partis proches des intérêts patronaux. Lutter pour l’autonomie politique du mouvement syndical, c’est développer la lutte pour la rupture avec la concertation sociale et la mobilisation de militant-e-s du mouvement dans la construction d’un parti politique progressiste et de classe. Respecter la démocratie du mouvement, c’est respecter des mandats des assemblées et recevoir les mandats de ces assemblées. Ce sont deux dimensions qu’il faut savoir distinguer. Organiser la gauche politique dans cette lutte pour l’autonomie peut se faire dans le respect le plus total de la démocratie des organisations syndicales et des autres organisations de masse.

Tâches de l ’UFP dans la conjoncture de résistance actuelle à l’offensive du gouvernement

L’UFP pourrait être écrit MB dans son texte "une direction politique crédible capable de proposer une plate-forme qui soit à la fois largement rassembleuse et mobilisatrice". Mais il y aurait un hic. Et rapidement le débat fait place à des stigmatisations assez féroces. "La direction de l’UFP, écrit-il dans son texte, reste prisonnière du sacro-saint respect des analyses et directives des hautes directions syndicales. Ce qui signifie que l’UFP n’a aucune pertinence politique, qu’elle cherche aux mieux à être le bras électoral de ces instances qui pour l’instant, la rejettent." Et il ajoute : "Elle n’a pas non plus de pertinence organisationnelle car sa capacité de mobilisation est marginale et ne sera jamais celle d’organisations de masse. La direction de l’UFP reprend donc un discours social libéral et nationaliste."

C’est une véritable charge de cavalerie. Toute cette pseudo-analyse laisse échapper encore une fois une vision qui n’est pas capable de distinguer dans le réel que deux couleurs : le blanc et le noir.

Dire que la direction de l’UFP est prisonnière des analyses et directives des directions syndicales est une fausseté sans nom. L’UFP et sa direction n’aspirent pas à devenir le bras électoral de ces instances. Pour des secteurs de ces directions et des bases d’ailleurs, le bras électoral existe déjà, c’est le Parti québécois. Vouloir construire l’UFP, place tous les militantEs syndicaux de l’UFP dans une position en porte à faux avec le projet de concertation sociale et cette situation les oblige à ramer à contre-courant ce qui est difficile objectivement et pénible subjectivement. Le vrai problème pour toute personne qui fait confiance aux camarades de notre organisation, c’est de chercher et de trouver les moyens d’affaiblir l’influence péquiste dans le mouvement syndical et soutenir activement les personnes qui porte notre projet politique de la construction de l’UFP comme alternative progressiste et de classe.

Dire que la direction de l’UFP reprend le discours social-libéral n’est pas fondé ; personne n’a renié le programme adopté au congrès de fondation. On peut diverger sur le fait que l’UFP doive organiser ses militantEs dans la lutte pour l’autonomie politique de classe dans le mouvement syndical. Mais présenter ces divergences comme des oppositions de classe relèvent de vieilles méthodes qui conduiraient à des chasses aux sorcières si les rapports de force le permettaient. Cela est inacceptable dans une conception démocratique de l’organisation que nous voulons construire.

Tombant dans l’incohérence, le texte après avoir affirmé que la direction de l’UFP reprend le discours social-libéral et nationaliste, affirme quelques lignes plus bas : que " l’UFP, (est) un parti auquel adhère le prolétariat qui rejette le néolibéralisme fédéraliste et sexiste." On se demande comme des prises de positions social-libérales ont pu attirer "le prolétariat qui rejette le néolibéralisme fédéraliste et sexiste". Et écrire que l’UFP est un parti auquel adhère le prolétariat anti-néolibéral est un genre de raccourci par lequel le réel prend la fuite.

Préparons la grève générale, mot d’ordre ou perspective

Le texte de MB : propose le mot d’ordre suivant : "Préparons dès maintenant la grève générale privé-public. Tel est le mot d’ordre que l’UFP devrait immédiatement lancer ".

Mais pour l’UFP s’agit-il d’un mot d’ordre ou d’une perspective ? Lancer un mot d’ordre c’est donner une consigne issue d’une résolution commune aux organisations impliquées dans une action.. Ce n’est pas l’UFP qui peut donner un tel mot d’ordre. Ce mot d’ordre ne peut qu’être le fruit de prises de position issues du mouvement syndical. L’UFP peut défendre la nécessité d’une telle perspective et expliquer ses positions. Ses militantEs syndicaux peuvent les défendre dans leurs organisations. Nous devons penser à des médiations pour avancer dans cette direction.

Mais croire qu’un mot d’ordre de l ’UFP enclenche un tel mouvement relève du plus pur spontanéisme. Et c’est bien le scénario qui est envisagé. Ainsi, MB écrit dans son texte : "Tant qu’une direction alternative ne se construira pas pour se substituer aux hautes directions syndicales, la victoire est peu probable même si les revendications et le plan sont relativement bons. Ce pourrait faire l’objet d’un mot d’ordre : " Auto-organisation à la base de comités pour la grève générale "

Après avoir défini le Réseau de vigilance comme une annexe des hautes directions syndicales, en autres injures visant à le discréditer, voilà qu’il faudrait lui faire des propositions et qu’il devienne un réseau à la base y compris dans les syndicats. Comment une annexe des hautes directions deviendrait-elle le fil organisateur d’un réseau de comités de grève dans les bases syndicales ? Par quelle alchimie cela se produirait-il ? On n’en sait trop rien. La construction d’équipes dans le mouvement syndical qui défendent un cours alternatif au cours concertationniste et au ralliement au modèle social-libéral du PQ est essentiel. Mais c’est un travail colossal et difficile. Cela ne sera le fruit d’aucun mot d’ordre aussi bien ciselé soit-il.

Le pouvoir des mots d’ordre atteint pour notre auteur des sommets de puissance. Serait-on serait, au Québec, à la veille d’un large débordement des directions syndicales et la formation d’organisations alternatives implantées dans le prolétariat se construisant en marge des directions actuelles. La rupture politique des masses avec le bloc national serait-il déjà consommée ? Les directions syndicales seraient-elles déjà sur le point d’être contournées par un mouvement masse impétueux auquel il ne manquerait que des mots d’ordre clairs portés par un UFP promis à un fabuleux destin ?

La bataille à mener pour l’autonomie politique y compris dans le mouvement syndical doit bien sûr se faire dans des conjonctures de lutte et la conjoncture actuelle en sera une. Et une défaite majeure rendrait la construction d’une alternative difficile. Cela est vrai. Mais les médiations pour construire les possibilités d’une riposte victorieuse ne peuvent être réduire à des mots d’ordre lancés par une petite organisation. Les tâches stratégiques et tactiques sont autrement complexes car pour les définir, il faut prendre au sérieux notre réalité concrète comme organisation. En avançant des éléments programmatiques pour fonder l’unité, le texte connaît son meilleur passage. Mais, ces éléments pertinents sont gommés par la fausseté de la perspective d’ensemble.

Enfin, le texte de MB nous invite à envisager des perspectives rien de mois que révolutionnaires. On peut lire en effet ceci : " Si la grève générale décolle et devient pro-active, c’est que la pyramide des comités de grève fonctionnera. Elle serait parfaitement en mesure soit de proposer une Assemblée constituante soit des États généraux pour préparer la Constitution d’un Québec indépendant. " Nous sommes ici dans un scénario de crise pré-révolutionnaire, rien de moins, débouchant sur l’indépendance, donc sur la destruction de l’État canadien. On peut bien espérer ce qu’on veut mais là l’analyse concrète de la situation concrète comme disait l’autre a définitivement foutu le camp.

Plus de rigueur dans l’analyse s’impose. Plus de respect avec les camarades de combat est nécessaire. Plus de rigueur et d’ouverture dans les débats sont essentiels. Malheureusement, à tous ces niveaux, le texte de MB nous tire dans une voie sans issue.