Ce colloque était appuyé par l’Institut de Recherche en Économie Contemporaine, le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, la Chaire du Canada sur la mondialisation, la citoyenneté et la démocratie et l’Observatoire de l’administration publique. Le colloque accueillait des personnalités connues de la social-démocratie internationale comme François Hamon du Parti socialiste français, des syndicalistes comme Claudette Charbonneau de la la CSN, bon nombre d’enseignant-e-s universitaires comme Gérald Larose, Diane Tremblay ou et des représentants de partis politiques comme Pierre Paquette du Bloc québécois, Marylyse Lapierre du PQ et Françoise David de Québec solidaire.
Dans un texte définissant cette démarche, Michel Doré, Marilyse Lapierre, Benoît Lévesque et Yves Vaillancourt établissaient un cheminement critique en 4 étapes : a) la publication du texte « Le renouvellement de la social-démocratie au Québec : un chantier qui s’impose plus que jamais » ; b) La discussion de ce document en avril 2009 ; c) en mai 2009, la mise sur pied et la tenue de la première réunion du comité organisateur et du comité d’orientation ; d) la tenue du colloque à l’automne 2010 ; et e) enfin le suivi du colloque et la diffusion des résultats.
Passer sous silence, l’évolution concrète de la social-démocratie des 30 dernières années
Pour nos rénovateurs de la social-démocratie, la situation est simple. Le socialisme réel a échoué. La crise récente du capitalisme de l’automne 2008 indique clairement la fin de la période néolibérale. “Ce nouveau contexte mondial, paradoxalement, rend possible et souhaitable un retour de la sociale-démocratie, la seule voie politique de gauche capable de s’imposer actuellement sur la scène électorale, la seule force politique dont la trajectoire historique est marquée par un engagement sans réserve en faveur d’une démocratie représentative ouverte à une participation citoyenne active." [1]
Leur texte fondateur rappelle avec nostalgie les trente glorieuses (1945-1975), mais ne dit pratiquement rien sur l’évolution de la social-démocratie et de ses principaux partis durant les trois dernières décennies. C’est pourtant une analyse de cette évolution qui nous permettrait de saisir la réalité actuelle de la social-démocratie contemporaine et son avenir probable.
Les partis sociaux-démocrates depuis les années 80 ont adopté des politiques néolibérales sur le plan économique et fiscal. Ils ont participé à la privatisation des services publics. Ils ont instauré lorsqu’ils étaient au gouvernement des modes de gestion du privé dans le secteur public. Ils ont favorisé la mise en place de partenariats public-privé. Ils ont participé à la déréglementation des marchés financiers. Ils se sont attaqués aux mécanismes de redistribution des revenus. Ils se sont présentés comme des gestionnaires accomplis du capitalisme. Ils ont rompu avec les idéaux de justice sociale et de redistribution.
Le passage de responsables de socialistes français dans le gouvernement Sarkozy n’est qu’une expression de cette évolution. L’évolution du Parti travailliste en Angleterre n’est guère plus réjouissante. Le blairisme a accompagné la mondialisation capitaliste y compris sur le terrain militaire en devenant l’allié le plus indéfectible du gouvernement Bush et de sa sale guerre en Irak. La gouvernance blairiste a donné un second souffle aux politiques néolibérales et a constitué une chance pour les tenants du capitalisme globalisé. [2] Et le blairisme, le New Labour, est devenu l’inspirateur des partis socialistes ou sociaux-démocrates européens. Cette troisième voie n’est pas de gauche, mais constitue une rupture claire avec les idéaux égalitaires et de justice sociale. Comme l’écrit Tariq Ali, “En réalité le New Labour représente aussi, à bien des égards, la réussite la plus significative de la contre-révolution néolibérale des années 80. [3]
Et, aujourd’hui encore, ce sont des partis sociaux-démocrates, entre autres, qui mènent les politiques d’austérité contre les peuples européens. En Grèce, le Pasok de Papandreou, en Espagne les socialistes de Zapatero, au Portugal les socialistes de J. Socrates, tous ces partis sociaux-démocrates appliquent les politiques d’austérité sans frein demandées par le grand Capital.
Nos rénovateurs sociaux-démocrates québécois, eux, n’hésitent pas à se réclamer du blairisme et de la troisième voie : “Dans la perspective de notre proposition de renouvellement de la social-démocratie, ce qui nous semble le plus intéressant en ce qui concerne la troisième voie c’est la démarche préconisée par Tony Blair et son équipe.” [4] On présente comme une voie à suivre, le recentrage extrême qu’a opéré la social-démocratie depuis les années 80.
Au Québec, la social-démocratie est partout !
Nos rénovateurs voient la social-démocratie partout. L’important, c’est d’afficher un réalisme sans rivage qui évite surtout de remettre en cause le pouvoir de la propriété privée et de faire prévaloir l’appropriation sociale du bien commun.
Alors, pour obtenir l’étiquette de social-démocrate, les élites québécoises n’ont pas de grands efforts à faire. Ainsi, le gouvernement Parizeau est un gouvernement de cohabitation de politiques tantôt néolibérales, tantôt sociales-démocrates. Le gouvernement Bouchard aurait proposé avec son sommet sur l’économie et l’emploi de l’automne 1996 de discuter de nouvelles initiatives social-démocrates novatrices. Mais on n’est pas au bout de nos surprises.... Même le gouvernement Charest aurait été touché par la grâce sociale-démocrate. “En somme, au cours des années 2007 et 2008, le gouvernement Charest a donné l’impression d’être lui aussi influencé par le phénomène de la résilience des acteurs de la société civile. En conséquence, il a dû renoncer à certains projets de réformes d’inspiration néolibérales pour maintenir voire renforcer des réformes d’inspiration sociale-démocrate telles les CPE et le logement social.” [5]
En somme, si les gouvernements péquistes ont pu développer des politiques social-démocrates alors qu’ils défendaient le libre-échange et le déficit zéro et qu’ils attaquaient les travailleuses et les travailleurs du secteur public, la social-démocratie est vraiment partout. Mais ce qu’ils veulent surtout souligner c’est qu’elle n’est surtout pas révolutionnaire, qu’elle ne remet surtout pas la démocratie libérale en question, qu’elle n’a surtout pas d’ambitions anticapitalistes ou réellement transformatrices de la société actuelle. Nos rénovateurs sociaux-démocrates trouvent que la combinaison des crises économique, écologique, climatique, alimentaire, ne pose pas la question de la rupture avec l’économie de marché et le dépassement du capitalisme...
Voilà où conduit le réalisme pitoyable qui refuse de poser les problèmes réels auxquels font face les peuples du monde et le peuple québécois en particulier. C’est pourquoi leur message s’adresse surtout aux élites politiques québécoises si justement méprisées. Nos rénovateurs eux ne visent pas à fonder un parti politique. “Les résultats du travail que nous proposons, écrivent-ils pourraient intéresser, sans doute différemment, des partis politiques comme le Parti québécois, Québec solidaire et même le Parti libéral du Québec.” [6]Rien de moins.
Pour nos rénovateurs sociaux-démocrates, les partis politiques du Québec, indépendamment des intérêts de classes qu’ils défendent pourraient embrasser l’orientation sociale-démocrate.
Mais aujourd’hui, c’est d’un programme intransigeant contre le démantèlement de l’état social qu’il nous faut. C’est un programme qui n’hésite pas à proclamer qu’une défense réelle d’une écologie sociale devra se heurter au pouvoir de la propriété privée ; un programme qui fera de la domination patriarcale dans sa forme capitaliste une cible de notre mobilisation ; un programme qui permettra de repenser de fond en comble les mécanismes d’une démocratie qui saura restaurer la souveraineté populaire ; un programme qui saura lier tous ces combats essentiels au projet d’indépendance du Québec, au projet de pays que nous voulons construire.