On espère que ce résultat, qui confirme l’appui que le scrutin proportionnel avait obtenu dans une proportion de 72% lors d’un sondage effectué au printemps 2002 dans l’ensemble du Québec, convaincra le prochain gouvernement et l’ensemble des députés de placer cette réforme en tête de liste de leurs priorités et de se mettre à pied d’oeuvre dès le début de la prochaine législature afin de ne pas manquer de temps pour la compléter avant la fin de leur mandat comme c’est malheureusement le cas pour celle qui se termine. Il faut en effet que les prochaines élections soient les dernières au Québec où la volonté populaire soit faussée de façon aberrante par le mécanisme électoral que constitue le scrutin majoritaire, comme c’est arrivé 75% des fois lors des 17 élections qui ont eu lieu depuis 1936.
Mais revenons au présent. Les observateurs sont unanimes à prévoir le déclenchement des élections le 12 mars en vue d’un scrutin qui sera tenu le 14 avril. Ce geste, qui va automatiquement signifier la dissolution de l’Assemblée nationale, aura aussi pour effet d’expédier aux oubliettes les travaux inachevés de la Commission des institutions qui, suite à une pétition présentée par le Mouvement pour une démocratie nouvelle (MDN), avait pris l’initiative de se donner, le 19 décembre 2001, le mandat d’étudier la réforme du mode de scrutin.
Depuis près de 15 mois, en effet, ces travaux, entrecoupés de multiples remises inexpliquées, ont progressé à un rythme tellement lent que, non seulement la commission ne mènera-t-elle pas son mandat à terme, mais qu’elle n’entendra même pas les nombreux citoyens et organismes qui lui ont présenté des mémoires, l’automne dernier.
Le manque de transparence qui a entouré ce processus n’est pas non plus de nature à redonner confiance aux citoyens dans le fonctionnement de nos institutions démocratiques. Fait paradoxal et contradictoire ; ces manœuvres dilatoires survenaient en coulisses au moment même où le gouvernement décidait, par l’entremise de ce qu’il a appelé pompeusement des États généraux, de consulter la population québécoise sur l’avenir de ces mêmes institutions "pour la première fois en 400 ans d’histoire", se targuait-il. Espérons que le sort qu’attend les résultats de cette dernière consultation ne soit pas semblable à celui réservé à ce qui devait être une consultation sur la réforme du mode de scrutin. Mais laissons parler les faits.
Un mandat essentiel pour faire progresser le dossier
Le mandat d’initiative que s’était donné la Commission des institutions, en décembre 2001, était pourtant essentiel à l’avancement du dossier. Il ne prévoyait pas seulement l’évaluation du mode de scrutin actuellement en vigueur, mais aussi l’étude des différentes avenues de réforme et la mesure de leurs impacts. C’était donc beaucoup plus que la simple approbation de principe donnée par les États généraux aussi massif a-t-elle été. Un peu comme l’a fait le comité directeur des États généraux présidé par Claude Béland, la commission se proposait également de se rendre dans une dizaine de villes pour écouter les citoyens et les groupes ayant préalablement présenté des mémoires.
Les travaux de la commission, composée de députés appartenant aux trois partis représentés au Parlement, s’étaient d’abord présentés sous d’excellents augures. Le premier ministre Landry avait apparemment donné sa bénédiction à cette façon de procéder même s’il s’agissait d’une initiative venant de simples députés. Signe d’affranchissement de la part de ces derniers elle dérogeait à l’usage voulant que le leader du gouvernement, en l’occurrence le ministre André Boisclair, soit le seul à confier des mandats prioritaires aux commissions parlementaires.
Un premier échéancier prévoyait que les travaux de la commission débuteraient dès le retour des vacances des Fêtes en janvier 2002 ; ce qui laissait présager le dépôt des mémoires et la tenue des audiences publiques le printemps suivant. Si cet échéancier avait été respecté la commission aurait pu remettre son rapport à l’Assemblée nationale l’automne dernier.
Mais dès janvier, le président de la commission, le député péquiste Roger Bertrand, était pressenti puis nommé ministre ; ce qui a eu pour effet de la paralyser pendant de nombreuses semaines. Ce dernier n’a été remplacé qu’à la reprise de la session en mars. Entre-temps, le nouveau ministre de la Réforme des institutions démocratiques, Jean-Pierre Charbonneau, rendait publique une nouvelle stratégie gouvernementale : la tenue, au début de 2003, d’États généraux qui risquaient de lier l’instauration d’un scrutin proportionnel à l’avènement d’une série d’autres réformes majeures qui n’avaient encore jamais fait l’objet de débats publics au Québec, telle l’adoption d’un régime de type présidentiel pour remplacer le système parlementaire actuel. On sait maintenant que les citoyens qui ont participé aux États généraux ont majoritairement refusé cette proposition parce que la jugeant prématurée.
Mais, il y a un an, cette stratégie risquait de noyer le poisson au moment même où un sondage indiquait que 72% de la population étaient en faveur du scrutin proportionnel. Maintenu au pouvoir grâce aux distorsions causées par le scrutin majoritaire, le gouvernement péquiste voulait-il encore une fois renvoyer aux calendes grecques l’engagement que son parti avait pris, il y a 30 ans au moment où ce dernier l’avait défavorisé gravement en 1970 et 1973, d’introduire des éléments de proportionnalité dans le système électoral ? Cette hypothèse semble loin d’être farfelue lorsqu’on se rappelle comment le leader parlementaire Boisclair, un adversaire déclaré du scrutin proportionnel, a surchargé la Commission des institutions de mandats dits prioritaires au cours du printemps 2002 ne lui laissant pas la possibilité d’entreprendre son mandat sur la réforme du mode de scrutin.
Un second échéancier n’est pas plus respecté
Ce n’est qu’après l’ajournement de la session pour l’été que cette dernière a finalement donné signe de vie au MDN qui attendait de ses nouvelles depuis six mois. Selon son nouvel échéancier, elle devait publier son avis de consultation à la mi-août, tenir ses audiences publiques à l’automne et déposer son rapport à l’Assemblée nationale au début de 2003 avant le déclenchement des élections qui ne devaient pas avoir lieu avant le printemps, selon les dires mêmes du premier ministre.
Mais encore une fois, cet échéancier n’a pas été respecté. Même si les documents de consultation préparés par les recherchistes de la commission étaient de fort bonne qualité, l’avis, lui, n’a été publié que le 28 octobre, soit 10 semaines plus tard que prévu. Et les citoyens, ainsi que les groupes, ne se sont vus allouer qu’un délai de 24 jours pour présenter leurs mémoires. Malgré tout, la commission en a reçu plus 250 sans compter les nombreuses expressions d’opinions, pétitions, etc.
Mais un voile opaque s’est de nouveau abattu sur les travaux de commission après l’unique séance qu’elle a tenue, le 14 novembre dernier, alors qu’elle a entendu des politicologues experts en mode de scrutin.
Pourtant, lors de cette séance, le président de l’organisme parlementaire, le député péquiste Claude Lachance, a déclaré qu’il "ne faudrait pas que, cette fois-ci, étant donné qu’il y a un consensus parmi les partis représentés à l’Assemblée nationale, ça se termine de la même façon que les années antérieures". Il faisait sans doute allusion au rapport de la Commission de la représentation électorale qui, après avoir consulté la population en 1983, selon le mandat que lui avait confié l’Assemblée nationale, avait recommandé l’instauration d’un scrutin où tous les députés seraient élus au scrutin proportionnel. Fidèle à ses idéal démocratique, le premier ministre Lévesque avait préparé un projet de loi pour mettre cette recommandation en application ; mais le caucus péquiste l’avait bloqué avant qu’il ne soit présenté au Parlement. "La souveraineté d’abord ; la démocratie ensuite", était-ce écrit crûment dans le compte-rendu de la réunion du caucus. Un témoin a affirmé que le fondateur du PQ avait bondi en prenant connaissance de cette malencontreuse mais si significative mention.
Lors de cette séance du 14 novembre dernier, on avait aussi entendu un son de cloche rassurant de la part du principal représentant libéral sur la commission, l’ex-ministre Jacques Chagnon : "C’est un sujet extrêmement important pour faire en sorte que notre démocratie soit, non seulement plus représentative, mais plus près de la volonté de chacun des citoyens du Québec (…) Je pense qu’il y a lieu de continuer à travailler comme nous le faisons et d’inviter les gens à venir nous rencontrer le plus possible".
" Tu penses que je m’en aperçois pas"
Selon l’annonce faite par la Commission le 28 octobre, les audiences publiques devaient débuter le 29 novembre. Il y avait encore espoir à ce moment-là qu’un rapport puisse être présenté à l’Assemblée nationale avant les élections si ces dernières n’avaient lieu qu’à la fin du printemps. Puis on a su, en allant péniblement à la chasse aux informations, que les audiences avaient été reportées à la mi-janvier puis à la mi-février puis enfin la mi-mars afin "de ne pas porter ombrage aux États généraux" qui ont eu lieu du 21 au 23 février. Ces audiences doivent finalement avoir lieu entre le 14 et le 21 mars prochains. Mais c’est un secret de polichinelle depuis un bon moment, en fait depuis que les sondages, ont ramené le PQ en tête, que les députés risquent fort d’être en campagne électorale à ce moment-là. Devra-t-on recommencer tout le processus à zéro sous le prochain gouvernement ? Cette perspective est décourageante quand on pense toute l’énergie qu’ont dû dépenser pendant des mois plusieurs dizaines de citoyens pour rendre possible la consultation avortée. C’est ainsi qu’on tue la démocratie à petit feu.
Depuis plusieurs semaines, les travaux de la Commission des institutions portent exclusivement sur l’entente de principe signée entre le gouvernement et les Innus, un sujet que le ministre Boisclair considère sans doute comme beaucoup plus prioritaire que la réforme du mode de scrutin qui recueille pourtant l’appui d’une forte proportion de la population.
En résumant ce nouvel épisode de la réforme du mode de scrutin, les paroles d’une chanson de Gilles Vigneault me reviennent à l’esprit et j’ai envie de les dédier à certains de nos dirigeants politiques. C’est celle d’une lettre écrite à son premier ministre par un personne que notre barde national a affublé du nom de Tit-Cul Lachance au cours des années soixante-dix. "Tu penses que je m’en aperçois pas", lançait Tit-Cul au politicien comme refrain en lui rappelant toutes les "entourloupettes" auquel ce dernier s’était livré au détriment du peuple québécois.
La chanson se terminait ainsi :
"Je ne peux pas croire que tu sois si bas.
Je ne peux pas croire que tu sois si rat.
Faudrait que tu sois si bête.
À semer du vent de c’te force-la
Tu te prépares une joyeuse tempête.
Peut-être bien que tu t’en aperçois pas"
Paul Cliche, auteur du livre "Pour réduire le déficit démocratique : le scrutin proportionnel"
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