6.1 Recherche et stratégie d’information
Le principal défi auquel fait face le mouvement syndical québécois en est un d’appréhension. Une voie à suivre pour faciliter cette appréhension réside dans les liens entre les organisations syndicales d’autres régions ayant connu concrètement l’expérience des PPP. Les syndicats québécois doivent également accélérer leur collaboration avec la communauté scientifique et les chercheurs qui étudient ces phénomènes. Les promoteurs des PPP dépensent beaucoup d’énergie en recherche par l’intermédiaire de plusieurs instituts de recherche et think tank. Ces organismes inondent les médias de leur discours. Les syndicats se doivent de riposter, non seulement par l’éducation de leurs membres, mais aussi sur la place publique et l’arène médiatique. Les recherches syndicales subissent actuellement un préjugé défavorable de la part des médias. Une stratégie syndicale à long terme se doit de faire face à cette problématique et se donner les moyens d’y remédier. Des stratégies médiatiques doivent être développées afin de permettre une meilleure transmission des positions syndicales par les médias.
Les syndicats doivent continuer à se documenter et à approfondir la question des partenariats public-privé. Ils doivent être davantage en mesure de reconnaître ce que sont et ce que ne sont pas les PPP. Bien souvent, la nouveauté du terme est utilisée afin de faire passer des projets de privatisation pour des projets de type PPP alors qu’ils n’en sont rien. Le débat étant actuellement essentiellement idéologique, le mouvement syndical se doit d’occuper le terrain du pragmatisme et d’exposer au grand jour des cas concrets de PPP et leurs conséquences pour la collectivité. Pour ce faire, le mouvement syndical doit aussi être au centre d’un mouvement citoyen visant la transparence des modalités contenues au sein d’ententes PPP. La divulgation de ces paramètres est essentielle à une analyse rigoureuse des expériences passées. Aussi, une plus grande transparence nous permet de nous éloigner de l’idéologie et d’étudier les diverses perspectives de PPP avec davantage de lucidité. Par ailleurs, la méta-analyse et les comparaisons empiriques peuvent être des avenues de recherche intéressantes et efficaces pour affronter le mouvement de privatisation et déconstruire sa logique sous-jacente. Plus largement, la critique des PPP se doit d’être accompagnée d’une critique positive. Ainsi, les syndicats doivent réaffirmer leur attachement à un projet de société où le bien commun constitue une priorité centrale. Les qualités intrinsèques des services publics ainsi qu’un modèle de service public viable doivent accompagner la critique des PPP.
6.2 Lieu d’action
Il ne fait aucun doute que les municipalités constituent un lieu d’action privilégié dans l’analyse et la lutte aux partenariats public-privé. Les villes canadiennes ont été les grandes victimes du délestage de responsabilités, des compressions budgétaires et des restructurations imposés par les gouvernements fédéral et provinciaux. Les villes doivent donc assumer des responsabilités de plus en plus grandes avec des budgets de plus en plus restreints. Profitant de la situation, les entreprises poussent de plus en plus leurs projets de privatisation. Jack Layton, ancien président de la Fédération canadienne des municipalités en 2001-2002, illustre la dynamique de cette industrie : " Toute l’industrie des partenariats public-privé est faite de lobbyistes et de négociateurs.
Et il y a les investisseurs qui cherchent des occasions d’investissement, et leurs industries prennent de l’expansion grâce à leurs activités de prédateurs. Il se trouve que ce sont les services municipaux qui leur permettent de faire de l’argent. Et, bien sûr, les services qu’ils offrent ne possèdent aucun des éléments égalisateurs et communautaires inhérents aux services publics61. " Sachant que les gouvernements municipaux canadiens assurent une infrastructure physique et sociale d’une valeur de 43 milliards de dollars, on comprend les motivations du secteur privé.
En plus de favoriser, de façon indirecte, la privatisation par le sous-financement et le délestage, certains ministères fédéraux travaillent à conclure des accords qui ouvrent encore davantage la voie à la privatisation. Par exemple, Industrie Canada travaille main dans la main avec le Conseil canadien des sociétés publiques-privées en faisant la promotion active des PPP auprès des municipalités. Au niveau provincial, l’Ontario a adopté des lois qui obligent les municipalités à ouvrir la porte plus grande au secteur privé. Étant des créations juridiques des provinces, les municipalités sont vulnérables aux pressions exercées par les provinces en faveur d’un recours accru aux partenariats public-privé.
6.3 Un choix de société
La clé pour réformer les services publics n’est pas l’introduction des impératifs de profits, mais bien une amélioration de la transparence et de l’aspect démocratique de ces services. Il ne fait aucun doute qu’une amélioration de ces deux aspects amène la population à se sentir partie prenante du système. Lorsqu’on a le sentiment de " posséder " les services publics, la propension à les utiliser intelligemment est plus grande. Par exemple, en santé, on remarque que les usagers s’occupent davantage de l’annulation de leur rendez-vous au sein des pays ayant un système de santé public et universel62. Sans contredit, l’avenue des PPP nous éloigne de cet idéal. Les choix sous-tendus par l’avenue des partenariats public-privé ne sont pas que des questions économiques et administratives. Ils impliquent aussi des valeurs et des choix de société importants. Les tenants des PPP et de la privatisation affirment que l’avidité est la valeur motrice des sociétés et qu’elle engendre l’efficience et la productivité. La réflexion entourant la pertinence des partenariats public-privé doit aussi s’accompagner d’une réflexion normative importante. Malheureusement, jusqu’à maintenant, aucun débat de société n’a eu cours sur la question, et ce, autant sur la place publique qu’au sein des institutions démocratiques québécoises et canadiennes.
6.4 Contexte gouvernemental québécois
Un ingrédient majeur de la réussite des partenariats public-privé, qui revient constamment au sein de la littérature scientifique, renvoie à la nécessité de mettre en place un contexte socio-économique favorisant la concertation. Sans ce souci constant de valorisation des différents partenaires, les ententes PPP sont vouées à un échec certain. La majorité des observateurs, éditorialistes et universitaires québécois s’entendent sur le peu de souci que le gouvernement libéral actuel accorde à la concertation. Le recours abusif au bâillon parlementaire et les commissions parlementaires partielles de l’année 2003 en sont de bons exemples. L’annonce récente de la tenue de forums sectoriels semble davantage tenir d’un exercice pédagogique et médiatique que d’une réelle ouverture au débat. De plus, les volontés du gouvernement actuel de restreindre la fonction publique n’augurent rien de bon quant à la conclusion d’ententes PPP profitables. " Réduire la capacité de management public non seulement limite la capacité des gouvernements à accroître la compétition, mais limite aussi ces derniers dans leur capacité d’effectuer une surveillance efficace, d’être des acheteurs intelligents et de renforcer l’imputabilité63. " Traduction libre.) Andrée de Serres, professeure au Département de stratégie des affaires de l’UQAM qualifie cette situation d’" asymétrie de l’expertise ". Lorsqu’un gouvernement négocie une première entente de PPP de deuxième génération pour la construction d’un hôpital avec un consortium qui a déjà conclu plus d’une centaine de projets similaires, on parle effectivement d’asymétrie de l’expertise ! Cet état de fait, combiné au dogmatisme idéologique du gouvernement actuel et son idolâtrie du secteur privé, nous invite à être très prudents et très consciencieux dans l’examen des projets de PPP.
6.5 Comment évaluer les PPP ?
Pour reprendre la typologie concernant les motifs de la sous-traitance que nous avons adaptés aux partenariats public-privé, il ne fait aucun doute que le recours au secteur privé peut être pertinent lorsque l’expertise ne se retrouve que dans le privé et que des procédures, comme les appels d’offres, existent pour encadrer le processus. Les partenariats public-privé ayant comme motif les économies sont teintés de dogmatisme, puisque ces économies ne se réalisent pratiquement jamais à moyen terme. Le caractère récent des PPP de nouvelle génération ne nous permet pas de conclure sur les économies à long terme, mais les résultats intermédiaires nous permettent d’être extrêmement sceptiques. De plus, lorsque des économies sont calculées à court terme, elles résultent la plupart du temps de comparaisons méthodologiques boiteuses qui n’intègrent pas l’ensemble des variables et des conséquences. En effet, comment calcule-t-on la perte de contrôle et d’imputabilité démocratique des citoyens sur le développement des infrastructures ? Comment calcule-t-on la perte de qualité des emplois transférés ? Et la dépendance future du secteur public envers le partenaire privé ? Comment chiffre-t-on la perte de mémoire institutionnelle d’une organisation publique ? La réponse à ces questions est souvent la même : on évacue ces variables de la méthodologie des modèles comparatifs, au grand bonheur des partisans des PPP.
Une deuxième méthode pour cerner la pertinence des partenariats public-privé concerne le cadre temporel des ententes. On constate en effet que les ententes connaissant le moins de dérapage sont celles ayant des conséquences limitées à long terme et celles dont le cadre temporel est court. Un horizon de 5 ans permet de diminuer les effets néfastes de dépendance entre le secteur public et le partenaire privé. De plus, l’horizon de 5 ans diminue les risques de transposer un monopole public en monopole privé et accentue la concurrence par un renouvellement fréquent des contrats. Cette courte période permet aussi au secteur public de maintenir sa capacité de planification et de réajustement des politiques publiques. Finalement, une entente de partenariat public-privé de cette échéance permet aussi de limiter les risques pour le partenaire public d’être pris avec une technologie désuète du secteur privé. Ces remarques ne légitiment en rien le principe même de partenariat public-privé. Il faut comprendre que les processus actuels d’appels d’offres fonctionnent et permettent au gouvernement d’être le donneur d’ouvrage et de garder la propriété et la gestion des infrastructures publiques.
Troisièmement, les questions de financement et de propriété sont cruciales dans l’évaluation d’une entente de partenariat public-privé64. Les qualités intrinsèques du privé dans la gestion d’un projet, c’est-à-dire sa rigueur à l’égard des dépassements de coûts, son expertise technique et sa capacité d’évaluer les coûts avec efficacité, sont souvent cités en exemple pour promouvoir les partenariats public-privé d’infrastructures où le privé s’accapare du financement et devient propriétaire de ces dernières.
Néanmoins, rien n’empêche le secteur public de profiter de cette expertise et de ce savoir-faire sans nécessairement transférer le financement et la propriété des infrastructures. Comme nous l’avons mentionné au chapitre 5, cet abandon du secteur public entraîne davantage d’inconvénients que de bénéfices pour le public. Toutefois, le secteur privé utilise certains de ces avantages comparatifs comme paravent pour pousser les PPP de deuxième génération et, par conséquent, la privatisation pure et simple des infrastructures publiques.
Conclusion
Les partisans des PPP répètent sur toutes les tribunes que leur approche est essentiellement pragmatique, voire réaliste. Le problème réside dans leur conception pour le moins limitée et réductrice du pragmatisme et du réalisme. En effet, les résultats d’études présentées pour démontrer la supériorité des partenariats public-privé ne prennent en compte que quelques variables économiques. Les coûts sociaux, l’impact sur les travailleurs, la qualité des services et la participation démocratique sont évacués du calcul. Comme nous l’avons vu précédemment, les conséquences sur les travailleurs, la perte de contrôle démocratique, la dépendance du secteur public, etc., ne figurent jamais au sein des estimations comparatives. De plus, même en s’en tenant à une grille de calcul sommaire, bien des projets PPP fournissent des rendements économiques inférieurs aux projets d’infrastructures effectués sous un modèle traditionnel. À la lumière de ces données, l’entêtement à s’engager sur la voie des PPP n’est pas le résultat d’une approche pragmatique, mais bien essentiellement idéologique. " Il ne fait aucun sens d’inventer de nouvelles formes de livraison de services publics pour leur nature intrinsèque plutôt que parce qu’elles améliorent la performance d’une quelconque façon65. " (Traduction libre.) De façon générale, les partenariats public-privé semblent n’être appropriés qu’en de très rares occasions. L’avenue des partenariats public-privé est d’autant plus néfaste et non indiquée lorsque l’imputabilité est critique, que les populations vulnérables sont les cibles des politiques, qu’il y a un risque d’écrémage, et lorsque les choix normatifs sociétaux sont plus importants que les coûts économiques. Finalement, la forte prévalence idéologique entourant les PPP, leurs résultats globaux mitigés, leurs conséquences à long terme importantes, ainsi que l’improvisation actuelle du gouvernement québécois, nous permettent de conclure que pour les années à venir, l’acronyme PPP devrait davantage faire référence à prudence, patience et pérennité des services publics.
61 SCFP, op. cit., p. 15.
62 David M. Van Slyke, " The Mythology of Privatization in Contracting for Social Services ", Public Administration Review, vol. 63, no 3, 2003.
64 J. Sussex, The Private Finance Initiative and Full Business Cases in the NHS, 2001.
65 P. Vaillancourt Rosenau, op. cit., p. 3.
(Tiré du site de la CSQ)