"Oui à la grève générale et à l’action politique !" C’est ainsi que Pierre Dubuc intitule La page éditoriale du numéro de février de l’Aut’journal. Et plus bas, nous pouvons lire : "la leçon ontarienne est claire : le mouvement syndical doit investir le champ politique". Voilà qui est bien dit. Il ajoute que le gouvernement Charest a déclaré une véritable guerre au mouvement syndical et que la concertation a vécu", si ce n’est, pourrions-nous ajouter, dans le cœur des concertationnistes d’hier.
M. Pierre Dubuc rappelle également à propos que les expériences de démocratie participative "n’aurait été possible sans le développement phénoménal du Parti des travailleurs de Lula, issu lui-même des grandes luttes du mouvement syndical brésilien." Et il déplore que le mouvement syndical québécois soit orphelin politiquement.
Les perspectives politiques de La Gauche et de l’Aut’journal connaîtraient une heureuse convergence ? Mais il a suffi d’une lecture attentive de cet article pour déchanter complètement.
On se serait attendu, que Pierre Dubuc souligne la nécessité d’un parti des travailleuses et des travailleurs et la nécessité que le mouvement syndical prenne des initiatives en ce sens. On aurait pu s’attendre également à ce que les efforts de l’UFP pour rassembler la gauche et offrir un débouché politique aux luttes soient salués.
Non voilà, il affirme le contraire des leçons affichées quelques lignes plus haut. Prétextant l’absence d’un mode de scrutin proportionnel et l’importance de la lutte pour l’indépendance, il propose de revendiquer la proportionnelle ... à l’intérieur du Parti québécois !
Il propose à la gauche syndicale la voie du cul-de-sac le plus total : l’entrée au PQ et la formation d’une tendance en son sein. Pour compléter le dispositif organisationnel, il propose de mettre sur pied "un club politique" regroupant, à l’extérieur du Parti québécois, les membres du courant syndicaliste et progressiste." Et il en appelle à Bernard Landry lui-même pour assurer de la faisabilité d’un tel projet.
Comme on est loin de la formation d’un parti de classe comme le Parti des travailleurs. Dubuc invite la gauche syndicale à se placer dans une position qui sera vite intenable entre des nationalistes de droite, des politiciens traditionnels, des néolibéraux à la Facal qui n’ont d’autres ambitions que de reprendre en main le contrôle de l’État du Québec et qui se sont révélés prêts à toutes les compromissions pour ce faire. Il demande à la gauche sociale de donner une nouvelle chance au Parti québécois, qui a mené une politique sociale régressive qui a mis à mal la lutte pour l’indépendance et qui a introduit une crise stratégique majeure de la lutte nationale par sa gestion néolibérale. Investir le champ politique, en défendant l’autonomie politique de classe, c’est refuser d’emprunter la voie suivie par l’AFL-CIO qui a placé ses espoirs (et les place encore ) dans la réélection des Démocrates, espoirs qui ont été à chaque fois déçus.
Le pragmatisme à courte vue, basée sur le refus de l’organisation politique autonome des travailleuses et des travailleurs, nous tire en arrière vers un populisme nationaliste qui a placé le mouvement syndical dans une position de dépendance politique depuis des décennies déjà, alliance qui a donné ses fruits les plus amers autour des derniers sommets économiques organisés par le gouvernement Bouchard lorsqu’il a réussi à imposer son objectif du déficit zéro.
Si Landry se prête au jeu actuellement, c’est qu’il espère bloquer la voie au développement d’un parti politique autonome qui défendrait de façon conséquente et inconditionnelle les droits syndicaux et les droits sociaux de la majorité de la population. C’est qu’il sait bien qu’un conseil des ministres dans la tradition du Parti québécois n’a pas de compte à rendre aux membres du PQ et encore moins à une future tendance oppositionnelle. Et il sait qu’il est un expert à se moquer des résolutions de congrès et d’un programme qui a la fâcheuse habitude de rester lettres mortes. Mentionnons seulement la réforme du mode de scrutin à cet égard.
Un parti qui, tout en reprenant la lutte pour l’indépendance, saurait lier la lutte pour la libération nationale à la lutte pour une société égalitaire, voilà ce que veut dire pour le mouvement syndical et les autres mouvements sociaux investir le champ politique. Investir le PQ, c’est tout le contraire de l’autonomie, c’est se placer, dans la position inconfortable, celle de servir, tôt ou tard, de marchepied aux politiciens péquistes.