Le Québec profite amplement d’une conjoncture des plus favorables parmi les pays impérialistes. Comme le dit le profil financier publié au même moment que le budget :
« • En 2002, la croissance économique du Québec a été de 3,8 %, un niveau plus élevé que celui observé au Canada, aux États-Unis et dans l’Union européenne [et au Japon, NDLR].
« • 118 000 emplois ont été créés en 2002, la plus forte création d’emploi depuis 1973. »
On peut se demander d’où vient cette chance. Tout simplement que le Canada bénéficie des avantages économiques de l’impérialisme étasunien mais sans en supporter les coûts - en termes de budget militaire et de militarisation de la société - et que, marginalement, c’est encore plus vrai pour le Québec que pour le Canada. La croissance économique des années 1990, qui se prolonge, s’appuie, dans le cadre de l’ALÉNA, sur une croissante fulgurante des exportations québécoises vers les ÉU à un rythme plus important que ses importations de sorte que les surplus d’exportation du Québec envers les ÉU correspondent à 13 % de son PIB en 2002. En effet, le Québec exporte 24% de son PIB aux ÉU mais n’en importe que l’équivalent de 11% !
« Québec Inc. » et les trois partis néolibéraux qui défendent ses intérêts, tout comme les directions syndicales et populaires, liées aux premiers dans le cadre du bloc nationaliste, non seulement taisent cette dépendance structurelle mais souhaitent en rajouter. Que propose, en effet, le PQ comme stratégie de développement économique dans son plan d’action ? Être davantage compétitif pour encore plus exporter que ce soit dans le domaine de la haute technologie, de l’aluminium ou de l’hydroélectricité avec, à l’avenant, un système d’éducation et de recherche taillé sur mesure pour l’entreprise exportatrice.
Ce dopage impérialiste parasitaire laisse prévoir une augmentation des revenus autonomes du gouvernement du Québec de 2,4 milliards $ en 2003-04 en comparaison de 2002-03, sans compter une augmentation ponctuelle de 1,5 milliards $ des transferts fédéraux. (Il faudra, cependant, que la continuation de la croissance soit au rendez-vous car autrement c’est plutôt l’impact de la réduction des impôts - déjà 15 milliards $ de pertes de revenu sur les 5 dernières années - et la chute des profits d’Hydro-Québec qui viendront hanter le gouvernement du Québec.) Belle marge de manœuvre potentielle que, malgré des besoins sociaux criants, le PQ redistribue avec parcimonie dans le plus grand respect des principes budgétaires néolibéraux tels qu’il les énonce dans le profil financier :
• « Le gouvernement entend poursuivre une gestion rigoureuse des finances publiques :
« maintien de l’équilibre budgétaire, pour une sixième année consécutive ;
« baisse continue de la dette représentant les déficits cumulés, en pourcentage du PIB. De 42,1 % en 1998-1999, elle sera réduite à 31,7 % en 2004-2005, une baisse de près de 25 % en six ans ;
« croissance des dépenses inférieure à celle du PIB : […]
« par ailleurs, les nouvelles mesures de 400 millions de dollars annoncées dans le présent budget seront financées par des réallocations budgétaires. »
À tel point que « [l]e gouvernement entend également affecter 809 millions de dollars dans la réserve budgétaire en 2003-2004, afin de financer des dépenses de santé les années subséquentes. »
À remarquer aussi qu’on ne connaît pas encore où se feront les 400 millions de coupures - des fonds de tiroir, paraît-il - qui financeront les infimes montants en 2003-04 pour la lutte contre la pauvreté (50 millions $), pour le logement social et à demi-social (17 millions $), pour les bibliothèques scolaires (un dérisoire 1.4 millions $) et pour respecter l’accord de Kyoto (16 millions $), sans compter qu’environ la moitié des coupures annoncées financera plutôt le soutien à l’entreprise privée. (À noter que les chiffres publicisés sont souvent plus importants car, soit ils couvrent plusieurs années, soit ils sont un investissement que les fonds budgétaires ne rembourseront qu’en partie. Le budget, en effet, est de moins en moins un document transparent.)
Même l’augmentation du budget de la santé de 1,7 milliards $ est loin d’être suffisante pour combler le déficit social accumulé dans la santé depuis 1993-94, soit environ 5 à 6 milliards l’an. En fait, cette année, le PQ prévoie couvrir en santé le maintien du statu-quo (les coûts du système) d’environ 900 millions $ et y ajoute sa part des surplus fédéraux affectés à la santé. Pour l’année suivante, en escomptant qu’il n’y ait pas de crise économique, il spécule que les surplus fédéraux seront encore au rendez-vous pour continuer à rattraper petit à petit le déficit social de la santé, lui-même prenant à sa charge les coûts du système.
Quant à la conciliation famille-travail, les sommes nouvelles qui y sont dédiées en 2003-04 sont de 200 millions $ - dont 25 millions $ annoncés lors du budget de 2003-04 -pour atteinte 200 000 places en garderie à cinq dollars en 2005, et 44 millions $ pour les autres mesures - en laissant aux parents le financement du salaire net de leur cinquième journée ! - ces dernières devant être d’ailleurs récupérées par des coupures à annoncer plus tard. À noter que si les garderies à cinq dollars vont certainement bénéficiés aux femmes - et doivent beaucoup à la ténacité des Québécoises - leur but premier aux yeux du PQ, à part un évident électoralisme pour gagner le vote des femmes et des progressistes, est de les inciter à intégrer le marché du travail à meilleur marché que les hommes tout en stimulant les naissances. Il y a dans cette mesure un interventionnisme néolibéral et nataliste en phase avec le nationalisme péquiste.
L’alternative à ce budget n’est certainement pas la surenchère libérale et adéquiste qui, tout en n’ayant aucune critique importante à ajouter, prétendent qu’on pourrait aussi continuer à couper les impôts et même à rembourser la dette. L’alternative est un budget fondé sur une politique économique axée sur la satisfaction des besoins populaires dont la plate-forme de l’UFP esquisse les grandes
lignes :
– Réinvestissement social immédiat de 10 milliards $ pour commencer à combler le déficit social de 20 milliards $
– Contruction-rénovation de 8000 logements sociaux par année
– Priorité au transport public, à l’efficacité énergétique, à l’éolien et au solaire
– Priorité au développement de l’agriculture durable
– Transformation régionale des ressources naturelles
– Sans compter des mesures redistributives essentielles comme le salaire minimum à 10 $ l’heure indexé, la réduction de la semaine de travail à 35 heures sans baisse de rémunération et une véritable équité salariale pour tous les employeurs.
Marc Bonhomme, 12 mars 2003