En guise d’arguments pour l’annulation ou l’abstention, on nous dit que l’UFP n’est pas assez radicale, qu’elle reprend trop fidèlement les revendications des mouvements sociaux. En même temps, on l’accuse de chercher à satelliser et à contrôler ces mêmes mouvements. Il y a là une contradiction flagrante. Si l’UFP essayait d’imposer sa plateforme radicale à des mouvements sociaux réticents (comme le faisait les ML dans les années 1970), on pourrait parler d’instrumentalisation. Mais l’UFP veut ETRE un instrument pour ces mouvements, pas l’inverse. La réalité des relations entre ce nouveau parti et les appareils des mouvements ( à ne pas confondre avec la base militante ou les membres) est que les directions des centrales syndicales et la bureaucratie communautaire s’opposent à l’UFP en utilisant la rhétorique de l’autonomie et de la neutralité politique, une vieille excuse qui a été utilisée pour appuyer les libéraux dans les années 1950 et 1960 et le PQ depuis 30 ans.
La rupture avec le PQ sans véhicule partidaire est une position confortable qui convient aux bureaucrates qui cherchent à se ménager de bonnes relations avec le PQ tout en se préservant une crédibilité " de gauche " auprès de leurs membres. Si en plus on peut donner un vernis anarchisant à cet opportunisme, c’est encore plus fort !
On doit être capables de faire une différence entre hégémoniser la gauche et unir la gauche. La peur irrationnelle anarchiste de toute organisation politique de masse doit être surmontée si on veut sortir la gauche québécoise de l’éternelle marginalité. La réalité de l’UFP est une extrême décentralisation et un refus de créér des idoles et des chefs de gauche. La priorisation de certains comptés en terme de ressources comme les grosses pancartes est simplement une bonne tactique, pas une man ?uvre visant à créer une micro-élite au sein du parti.
La mauvaise expérience des groupes ML, ultra-centralisés et dogmatiques, ne se compare pas avec le projet de l’UFP qui est tout autre. Que des anciens et anciennes d’En Lutte ! et du PCO utilisent LEURS erreurs sectaires et LEUR campagne pour le contrôle bureaucratique des mouvements sociaux d’il y a vingt ans pour dénigrer le travail de rassemblement pluraliste des militant-e-s de l’UFP est d’une hypocrisie répugnante.
Ça fait 100 ans que la gauche québécoise n’arrive pas à créer un parti de masse et le résultat est que c’est le PQ qui hégémonise les mouvements sociaux, pas l’UFP. L’autonomie réelle des mouvements passe par la rupture de ce clientélisme malsain qu’on appelle maintenant l’économie sociale ou la concertation. Pour ce qui est de " nos bonnes vieilles organisations de combat : nos syndicats, nos groupes populaires, nos associations étudiantes, nos groupes féministes, nos groupes écologistes, etc. ". Elles sont dans la poche du PQ depuis 30 ans. La convergence entre anarchistes, bureaucrates et nationalistes qui s’oppose présentement à l’UFP ne peut avoir comme résultat, si elle réussit, qu’à maintenir cette relation de dépendance matérielle et d’infantilisation politique.
La voie parlementaire vers le socialisme ne peut pas donner de résultats. D’accord. Mais l’UFP ne prétend pas être un candidat au pouvoir dans un avenir prévisible, seulement l’_expression de cette rupture nécessaire avec le péquisme sous toutes ses formes. Et personne ne déserte ces organisations pour construire l’UFP à la place. Il n’y a pas d’évacuation de la lutte sociale mais simplement la volonté d’être conséquent entre ce qu’on fait à chaque jour (combattre l’exploitation et l’oppression) et ce qu’on fait à tous les quatre ans.
De plus, faire une dichotomie entre le travail au sein d’un parti et celui qui s’impose dans les luttes sociales est artificielle et contre-productive. Un regroupement comme l’UFP permet à des centaines (et potentiellement des milliers) de personnes impliquées dans toutes sortes de luttes, de milieux, de régions, de discuter ensemble de la situation politique, de développer des campagnes d’appui aux luttes prioritaires ou urgentes, de jouer un rôle clé dans la mobilisation sur des enjeux internationaux, etc. Cette dimension du parti de la rue est plus importante et encore plus utile celle du parti des urnes.
Certains parlent de " développer une économie parallèle, non-capitaliste " comme stratégie révolutionnaire. Pour moi, il s’agit là d’un réformisme à la Owen (ou Desjardins) qui a été discréditée par l’histoire bien avant le réformisme à la Bernstein (ou Gérald Larose) . J’aime mieux dévouer mon précieux temps à l’éducation politique et à la construction d’une tendance marxiste au sein d’un parti de masse décentralisé.
La meilleure stratégie pour prévenir une dérive électoraliste à la Blair dans l’UFP est d’y développer un courant révolutionnaire dynamique, ouvert et qui ne confonde pas le socialisme avec la propriété étatique ou une colonne de tanks avec une révolution sociale, un courant pour un socialisme par la base qui est synonyme de démocratie directe. Je reviens au Québec cet été, j’habiterai dans la nouvelle ville fusionnée de Gatineau, et j’ai terriblement hâte de travailler avec les gens de l’UFP dans cette région afin de réaliser la " promesse électorale " la plus importante de l’UFP, celle de devenir un parti de la rue autant qu’un parti des urnes. Ma propre promesse est de faire ce travail tout en organisant une tendance socialiste révolutionnaire au sein de l’UFP. À bientôt camarades !
Halifax, 10 avril 2003