Le partenariats public-privé (PPP) est le canal privilégié pour répondre aux exigences de l’Accord sur les marchés publics et " transformer les règles de gouverne, pour établir de nouvelles relations avec le secteur privé ", c’est-à-dire des contrats à long terme pour assurer la conception, la réalisation et l’exploitation de projets de l’administration publique.
Voulant rassurer la population le document gouvernemental précise qu’il ne s’agit pas de privatisations et que le gouvernement conservera la maîtrise d’œuvre de l’opération. Il prend soin de préciser les caractéristiques des ententes à conclure, notamment au chapitre du partage de risque, des échéanciers, de l’expertise et du financement. Il souligne que ces PPP pourront s’appliquer à des projets d’infrastructures mais aussi à la livraison de services aux citoyens et que toute cette opération sera inscrite dans une Politique cadre de partenariats public-privé et qu’une agence sera crée.
De grands pans de l’actuel plan de modernisation sont issus d’une réflexion confiée, l’automne dernier, à des firmes d’ingénieurs ou de gestion par le Conseil du trésor. Ces firmes d’ingénieurs, qui doivent déposer des soumissions sur la manière d’effectuer la réingéniérie, ont demandé au gouvernement de subventionner leurs travaux à cause de leurs risques financiers, des coûts importants liés, notamment à l’expertise technique professionnelle d’ingénieurs, d’architectes, d’experts-comptables, d’avocats, etc. ! C’est l’Association des ingénieurs conseils du Québec, qui regroupe notamment SNC Lavalin, Tecsult, Roche, Despau-Soprin, qui a lancé le bal de ces demandes.
Selon la présidente de cette association, Johanne Desrochers :
Les firmes d’ingéniérie-conseil du Québec ne pouvaient pas être des leaders potentiels dans cette forme de réalisation et de financement de projets. Elles vont être là à certaines conditions. (...) Quand le partenaire public demande à des partenaires privés de lui fournir des propositions, c’est normal qu’il partage le risque... (surtout) si la préparation d’un PPP représente généralement de 1 à 2 % des coûts du projet.
En fait, c’est le mode de rémunération qui est en cause. Le secteur privé veut bien obtenir les retombées des PPP, mais ne veut pas assumer les coûts de leur conception. Il veut les transférer au gouvernement. En conséquence, doit-on comprendre que les contribuables devront subventionner les entreprises associées aux projets PPP comme le prolongement de l’autoroute 30, la construction du complexe culturel et administratif de Montréal (salles pour l’Orchestre symphonique de Montréal et le Conservatoire de musique et d’art dramatique) ? Alors, pourquoi ne pas utiliser l’expertise des professionnels du gouvernement ?
La future Politique-cadre concernant les PPP doit définir les balises pour recourir à cette pratique, notamment en ce qui concerne la transparence dans la sélection des entreprises retenues et la garantie de la protection des acquis du personnel des secteurs public et parapublic. Pourtant, sans attendre l’adoption de cette politique, onze projets potentiels de partenariats public-privé sont à l’étude dans le secteur des transports et de la santé ainsi qu’au niveau des équipements culturels et d’un centre de détention.
Quant à la mise en place d’une agence des partenariats public-privé, elle aura comme effet d’institutionnaliser le concept de PPP. Elle aura comme mandat d’étudier les projets de PPP afin de comparer ces projets avec le mode public traditionnel pour " s’assurer que le mode retenu soit celui offrant la plus grande valeur pour l’argent investi ". Va pour l’avenir, mais actuellement, aucun des onze projets de partenariats public-privé n’a fait l’objet de ces comparaisons et le gouvernement en général reste muet quant aux éventuelles économies résultant de ces projets de partenariats public-privé, parce qu’il est incapable de les chiffrer. Une exception : le remplacement des centres de détention à Valleyfield et Sorel par une " prison clés en main " construit par un partenaire privé qui pourrait en assurer la gestion, charger un certain montant par cellule et pourquoi pas fournir les gardiens qui proviendraient d’une compagnie privée. Le coût prévu est de 70 millions de dollars.
Encore une fois, tout comme dans le cas de la révision des relations contractuelles avec le secteur privé, l’introduction de partenariats public-privé ne constitue pas une réforme administrative mineure, mais bien une remise en question profonde des façons de faire de l’État, un affaiblissement de l’identité nationale québécoise.
" Vouloir démanteler les institutions qui ont contribué à façonner la différence québécoise revient à minimiser l’originalité québécoise. Les PPP, à cause de la faiblesse de leur imputabilité démocratique et le peu de participation démocratique à leur gouverne, participent à cet élan d’aplanissement de la particularité québécoise. Peut-être plus que partout ailleurs en Amérique du Nord, les services publics définissent qui nous sommes et participent à une plus grande diversité culturelle. Par conséquent, la nécessité de participer démocratiquement au développement et à la livraison de ces services publics est essentielle à l’essor identitaire québécois et à la préservation d’une diversité culturelle. La structure inhérente de fonctionnement des PPP nous éloigne de cet idéal.8
" Privatisation Plus Poussée en santé et services sociaux
Le réseau de la santé et des services sociaux n’échappe pas aux accords de libéralisation des marchés publics. Depuis 1997, il est soumis à l’Accord de libéralisation des marchés publics du Québec et de l’Ontario et à l’Accord sur le commerce intérieur depuis 1999. Les appels d’offre sont déjà sous la juridiction de corporations formées en vertu de la Loi sur les services de santé et de services sociaux, qui stipule que " la régie régionale s’assure que les établissements de sa région se regroupent pour l’approvisionnement en commun de biens et de services qu’elle détermine. Elle peut, si nécessaire, obliger un établissement à participer aux groupes d’achat régionaux ". Comme nous l’avons expliqué, ce que la Loi 25, créant les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux, et la Loi 30, forçant les fusions d’établissement de santé, permettent dorénavant, c’est l’ouverture de marchés publics en santé à la concurrence pancanadienne et à court terme à la concurrence internationale.
Ouvrir le secteur de la santé et des services sociaux aux partenariats public-privé (PPP), ce n’est pas moderniser l’État. C’est le faire reculer à l’ère où les services et les soins de santé étaient un privilège privé plutôt qu’un droit public. La présidente du Conseil du Trésor propose, notamment, de confier au secteur privé les chirurgies mineures et les chirurgies d’un jour, en soutenant que les patients ne paieront pas plus dans ces cliniques privées agréées qu’ils ne le font actuellement en centres hospitaliers.
Ce projet est en tout point conforme à l’expérience albertaine où, comme le projet québécois, l’initiative avait été justifiée par une volonté de réduire les listes d’attente. Or, en Alberta, les résultats ont non seulement été peu concluants mais, au contraire, il s’est avéré que les localités où le secteur privé était présent ont vu surgir un allongement des listes d’attente pour d’autres types de chirurgie dans les établissements publics. Et pour cause, ces cliniques privées spécialisées vampirisent tout simplement les rares ressources médicales et infirmières du réseau public.
De plus, ce sont les chirurgies à haut volume et peu coûteuses, donc très rentables, qui seraient confiées au secteur privé (comme les opérations pour la cataracte, par exemple). À l’inverse, les chirurgies lourdes et très coûteuses continueraient à être à charge publique avec moins de ressources professionnelles disponibles pour les réaliser dans des temps raisonnables.
Également, dans un tel système, les patients finissent par payer pour des médicaments qu’ils auraient reçus gratuitement à l’établissement public et pour toutes sortes de frais afférents dits " non-médicaux " propres aux pratiques des cliniques à but lucratif.
Pour sa part, l’hébergement des personnes âgées en perte d’autonomie, autre cible des partenariats publics-privés de Québec, en plus de priver de services de proximité les personnes âgées lourdement affectées (les seules clientèles pressenties pour recevoir des services dans le réseau public) et leur famille, comme c’est le cas au Foyer le Pionnier au Lac-St-Jean, relègue les autres personnes vers un réseau parallèle dont la prestation des soins et leur contrôle de la qualité ne sont plus sous la maîtrise d’œuvre publique contrairement à ce qu’affirme la présidente du Conseil du Trésor.
En effet, est-il nécessaire de rappeler que déjà, le secteur privé non conventionné n’est soumis à aucune règle quant à la qualité et à la quantité des services offerts aux personnes hébergées et que les personnes hébergées n’ont accès à aucun mécanisme de plainte ? Est-il nécessaire de rappeler également au ministre de la Santé et des Services sociaux et à la présidente du Conseil du Trésor, qu’il y a deux ans à peine, la Commission des droits de la personne s’indignait du sort réservé aux personnes âgées en perte d’autonomie hébergées dans des résidences privées où les cas d’abus rapportés étaient nombreux et plus qu’inquiétants ?
Par ailleurs, le gouvernement veut remplacer le rôle conseil des organismes consultatifs, dont la diversité de la représentation est plus démocratique et dont le caractère permanent assure une vigie continue des orientations gouvernementales, par des consultations ad hoc auprès d’experts sélectionnés pour lesquels il serait naïf de ne pas présumer de leur allégeance idéologique.
Le cas de l’élaboration d’une politique du médicament, mentionné d’ailleurs dans le document gouvernemental, est patent. Alors qu’une telle politique, incluant des mesures d’achat au plus bas prix et des mesures pour l’utilisation optimale des médicaments, est réclamée depuis près d’une décennie par les groupes syndicaux et communautaires, le ministère a déjà formé un comité composé uniquement d’experts proches du milieu pharmaceutique et a annoncé la tenue d’un symposium de consultation, les 20 et 21 mai 2004, qui exclut volontairement les organisations syndicales et communautaires. C’est ainsi que la participation démocratique pour les prises de décision dans le secteur de la santé et des services sociaux, considérée comme une pratique de gestion nécessaire et efficace dans les sociétés avancées, s’avère, ici, réduite à la participation entrepreneuriale.
D’ailleurs, pour les lobbies prônant cet esprit d’entrepreneurship, c’est justement " cette perception que le champ de la santé et des services sociaux relève exclusivement du champ des politiques sociales qui freinent le développement des partenariats public-privé au Québec ". Celui qui tient de tels propos n’est nul autre que Claude Castonguay9
qui, malgré des allégeances plus récentes avec le secteur privé, continue d’asseoir sa légitimité sur son titre de " père de l’assurance maladie ". La vision gouvernementale est aux antipodes de celle prônée par la CSQ dans sa plateforme syndicale en santé et services sociaux10
. Pour la Centrale, le rôle majeur d’un État responsable est celui d’assurer une justice sociale pour sa population, particulièrement dans les domaines où il en va de ses besoins fondamentaux, de sa qualité de vie et de son développement comme celui de la santé. Dans le contexte d’une organisation québécoise, canadienne et mondiale qui s’oriente de plus en plus vers la performance, la productivité, la compétitivité et qui creuse de plus en plus les écarts économiques entre les personnes favorisées et défavorisées, ce principe fondamental de justice social, loin d’être caduc, prend tout son sens. Surtout que le document de la présidente du Conseil du Trésor annonce une analyse approfondie, à venir, concernant le financement de la santé, les différentes options qui s’offrent au gouvernement québécois (parmi lesquelles il a déjà avancé l’hypothèse de remettre sur la table la question d’une caisse santé dédiée, laquelle sera discutée lors des forums régionaux) et la détermination des réponses à y apporter.
Juin 2004