Traditionnellement, les négociations entre l’État québécois et ses employés-es ne passent pas inaperçues. Or, ce sera encore le cas avec les prochaines si les événements qui s’annoncent se concrétisent. En effet, l’élection d’un gouvernement du Parti libéral du Québec laisse croire que cette ronde de négociations sera marquée d’une polarisation plus importante qu’à l’habitude. Pour y faire face, le mouvement syndical doit créer un véritable front commun intersyndical. Y parviendra-t-il ?
Comme plusieurs l’ont déjà souligné par ailleurs, la mise en place d’un authentique front commun est un élément de première importance pour développer un rapport de force susceptible de faire face à une telle offensive de l’État. Les positions des syndicats indiquent à ce jour une telle volonté. Dans les journaux, toutes les organisations se sont prononcées en faveur d’une telle perspective. Toutefois, les admissions ne s’accompagnent pas de réalisations concrètes. Le Front commun est toujours à l’état de projet ! Avant de pouvoir compter sur un tel outil, plusieurs difficultés doivent être dénouées.
Des revendications et des objectifs communs doivent être établis. Sur ce plan, la situation est complexe car, à ce jour, il n’y a pas vraiment d’harmonisation du point de vue des orientations stratégiques. Bien sût, les demandes se ressemblent mais le lien entre les différentes préoccupations ne fait pas l’objet d’un consensus entre les différents groupes. Parmi les éléments mis en cause dans ce débat, se trouve encore la question de l’équité salariale.
L’équité salariale devant un cul-de-sac ?
Durant la prolongation obtenue par le précédent gouvernement, l’équité salariale était le principal enjeu. Sans faire le bilan de cette période, on remarque qu’il n’y a pas eu d’entente sur cette question. Le versement des correctifs partiels convenus avec le gouvernement précédent au lendemain des élections a aussi tendance à désynchroniser les différents groupes dans le secteur public.
Aussi, les différentiations entre secteurs sont d’autant plus aiguisés que les travaux récents s’allongent. Ils durent depuis maintenant plus de deux ans. L’échéance du 21 novembre 2001 est dépassée depuis longtemps et rien n’indique quand ils se termineront. Ainsi, la mobilisation autour de cette question est en difficulté et semble étouffée par la conjoncture.
Le gouvernement de Jean Charest a continuellement repoussé la reprise des travaux sur l’équité salariale et a soigneusement évité d’admettre quoi que ce soit en regard de leurs conclusions. Récemment, il a fait savoir, par le biais des journaux et par la voix de son principal porte parole à la négociation dans les secteurs public et para public, Jean-François Munn, que l’équipe de négociation du Conseil du trésor apprécierait globalement la situation dans le secteur public, tant sur le plan de l’équité qu’en regard des demandes de négociation et des stratégies syndicales.
Autrement dit, la conclusion à court terme d’une entente satisfaisante sur le plan de l’équité salariale n’est certainement pas à l’ordre du jour. Bien plus, une telle conclusion, le cas échéant, coïncidera vraisemblablement avec celle des négociations. En fait, tous les aspects de rémunération et de conditions de travail du personnel de l’État seront mis au jeu dans une seule perspective budgétaire, celle qui débutera au printemps prochain et qui concrétisera les baisses d’impôt.
Un règlement à rabais, qui déduit les augmentations consenties pour l’équité aux résultats de la négociation concernant les augmentations générales, est une avenue contre laquelle plusieurs organisations dans le mouvement syndical cherchent à s’opposer. C’est pourquoi, il devient incontournable de protéger la démarche pour l’équité de façon à favoriser un règlement au mérite de l’enjeu pour les emplois à prédominance féminine.
Les organisations syndicales s’entendront certainement pour accorder aux travaux sur l’équité toute l’attention nécessaire. Toutefois, la concertation entre les organisations pour permettre à la fois les avancées dans ce dossier et l’harmonisation de la démarche de négociation offrira certainement des occasions de dissensions. On se rappellera que cette question a été, à la négociation 1998-2000, à la source de différends principalement entre la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) et les autres groupes du secteur public, surtout en santé.
Le lien entre les travaux sur l’équité salariale et ceux concernant plus généralement les négociations dans le secteur public peut ainsi être une pierre d’achoppement pour la constitution d’un Front commun. Toutefois, ça ne peut constituer des différends tels qu’il serait impossible d’édifier un front commun devant les attaques du gouvernement libéral. Le défi de toutes les organisations syndicales est d’assoir une stratégie qui intègre à la fois une perspective pour l’équité salariale et la mise en route des négociations.
Pour un front commun intersyndical
La constitution d’un front commun de négociation dans le secteur public est liée entre autres à l’établissement de demandes communes. L’alliance établie sur la base de telles demandes se traduit alors par la constitution d’une délégation composée de toutes les organisations à une même table commune de négociation avec le gouvernement. Or, la composition du front commum est aussi une source de différends.
Traditionnellement, les alliances dites de table commune ont pratiquement toujours été limitées aux trois principales centrales syndicales. Depuis la constitution de la Fédération des infirmières et des infirmiers du Québec (FIIQ), la question d’élargir les alliances à des groupes non affiliés a toujours été soulevée mais fut écartée la plupart du temps. À la dernière négociation et à plusieurs reprises d’ailleurs, le Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) a fait des démarches pour se concerter avec les trois centrales syndicales en ce qui a trait aux négociations de table commune, mais en vain.
Il faut rappeler toutefois que les dernières négociations avaient renoué en matière d’alliance de table commune, puisqu’elles furent l’occasion d’une mise en place, sur le tard, certes, d’un front commun intercentrale. Les négociations 1998-2000 ont ainsi permis aux trois principales centrales de signer ensemble les ententes de table commune. Une alliance plus large, comprenant à la fois les trois principales centrales syndicales et les deux principales organisations non affiliées, la FIIQ et le SFPQ, ne s’est jamais vue, avant celle constituée en avril 2001 sur le dossier de l’équité salariale.
La FIIQ et le SFPQ, avec 45 000 membres chacun, sont des organisations non affiliées qui regroupent des personnes salariées soit de la même catégorie d’emploi, les infirmières et les infirmiers, soit étant tous et toutes du même réseau de services, celui de la fonction publique. Lorsqu’elles sont intégrées dans une alliance avec les trois principales centrales, elles obtiennent un statut supérieur à des groupes, parfois plus important en nombre, que les centrales représentent.
À la CSN, l’organisation la plus importante, la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS) regroupent 100 000 personnes et organise le personnel avec les plus bas salaires dans le réseau de la santé. À la CSQ, la Fédération des syndicats indépendants (FSE) regroupent plus de 80 000 membres dans les commissions scolaires. Ces deux groupes sont représentés par leur centrale respective auprès des autres organisations dans les alliances.
Toutefois, la concertation intersyndicale avec la FIIQ et le SFPQ est nécessaire. Ce sont des organisations importantes au regard de leur nombre et des organisations représentatives de personnes salariées bien définies dans les réseaux. Avec les trois centrales syndicales, elles constituent l’essentiel des forces syndicales dans le secteur public. Un front commun incluant les cinq groupes, donc un front commun intersyndical, est un élément clé d’une stratégie pour contrer les plans du gouvernement Charest.
L’expérience des travaux en équité salariale constitue un point d’appui pour bâtir les alliances entre les cinq principales organisations syndicales dans le secteur public québécois. Les travaux en vue des prochaines négociations ne pourront être totalement en rupture avec ceux réalisés jusqu’à récemment sur l’équité. En fait, la question des suites de l’équité salariale devient ainsi un élément clé dans la conduite des prochaines négociations.
La fusion des accréditations
Mais, la perspective d’une réorganisation dans le réseau de la santé et des services sociaux qui inclut le projet d’obliger la fusion des accréditations syndicales est aussi un élément central de la conjoncture intersyndicale. En effet, le comportement des organisations syndicales sera gouverné en large partie par la nécessité de se démarquer des autres dans la prochaine période. Les principales organisations qui seront au jeu seront les trois principales centrales syndicales, en particulier la FTQ et la CSN, et la multitude de petits groupes non affiliés.
D’une part, il semble bien que l’épreuve de force annoncé dans les journaux entre l’État et les organisations syndicales sera reportée après cet exercice. La bataille de frontière qui est associée avec la fusion des accréditations divisera les organisations et aura tendance à les éloigner d’une politique visant la convergence. Aujourd’hui, il devient donc important de protéger les avancées quant aux alliances avant que ne s’enclenche cette période de lutte intersyndicale.
Le combat pour l’unité intersyndicale doit tenir compte de ce calendrier incontournable dans le secteur de la santé. Une plus grande division entre les organisations sera certainement en contradiction avec le travail effectué sur l’équité salariale dans la dernière période, alors qu’il s’est toujours réalisé en alliance. Toutefois, pour mieux traverser la période de fusion des accréditations qui occasionnera à coup sûr des conflits, toute avancée permettant le renforcement des alliances actuellement sera autant de points d’ancrage d’une politique si nécessaire pour contrer les plans de réingénierie du gouvernement Charest.
Reprendre l’initiative sur la base de demandes communes
La nécessité de prendre l’initiative maintenant apparaît évidente sur le plan de l’équité salariale comme sur la question des demandes en vue des prochaines négociations. Mais comment prendre l’initiative alors qu’il est évident que la négociation sera reportée et que la concurrence intersyndicale sera à l’agenda. L’identification des demandes communes et leur présentation publique conjointe en unité sont encore les meilleurs moyens par lesquels le mouvement syndical peut se faire entendre et indiquer où il veut aller.
Il est peine perdue de croire que la présentation des demandes harmonisées au gouvernement avant la période de fusions des accréditations amènera à bruler les revendications. L’essentiel, à cette étape-ci des négociations, est de présenter clairement et concrètement la direction dans laquelle le mouvement syndical veut engager le combat.
Dans un contexte de lutte interne au sein du mouvement syndical, il importe d’établir les mêmes règles au départ entre les organisations. Il serait de loin préférable que toutes les demandes dont la négociation est partagée en intersyndicale soient présentées au Conseil du trésor afin d’éviter qu’une organisation tente de s’en arroger la propriété.
Le dépôt des demandes communes n’apprendra rien aux stratèges du gouvernement Charest. Par contre, les dépôts syndicaux ont tout à apprendre à la population du Québec qui, aujourd’hui, enregistre les avancées des uns et des autres à travers le filtre déformant des médias.
Sans unité, pas de victoire
Le développement d’un front commun est possible car il existe une volonté largement partagée au sein des organisations pour le mettre en place. Même une alliance large de table commune permettant l’intégration des composantes FIIQ et SFPQ est possible et reconnue plus sérieusement par les organisations.
Si la réingénierie est telle qu’elle semble s’annoncer, le gouvernement Charest devra heurter durement le personnel salarié des secteurs public et parapublic. La riposte syndicale ne pourra attendre. L’ampleur des mobilisations et la profondeur des alliances stratégiques seront alors mises à l’épreuve. C’est à ce moment que les présents efforts d’unité seront utiles.
Les organisations syndicales représentent une force indéniable pour lutter contre les politiques du gouvernement Charest. Elles ne sont pas les seules à ce chapitre, mais elles sont les seules à pouvoir véritablement y faire échec. Ces défis exigent d’elles qu’elles soient à la hauteur des attentes de leurs membres mais aussi de toute la population au Québec.