Suite à son élection en avril dernier, le chef conservateur du Parti libéral du Québec Jean Charest est passé du mode « promesses » au mode « on fesse ! ». Ne comptent plus maintenant que les baisses d’impôts - et le massacre à la tronçonneuse dans les dépenses qui doit les rendre possibles.
Plusieurs journalistes ont insisté sur le fait que, selon eux, Charest ne faisait que livrer ce qu’il avait promis ou, à tout le moins qu’on devait s’attendre à ce qui se passe maintenant. Charest n’avait-il pas promis de baisser les impôts de 27% en 5 ans ? N’avait-il pas déjà exprimé sa sympathie pour les politiques de Mike Harris ? N’avait-il pas avoué, lors d’une entrevue au « Grand blond… » durant la campagne électorale présidentielle américaine, qu’il avait « un faible pour Monsieur Bush » ? (celle-là, les journalistes ne l’ont pas relevée…). N’avait-il pas, surtout, été ministre dans la cabinet Mulroney puis chef du Parti conservateur ?
Sauf qu’il n’y avait pas que Jean Charest dans la dernière campagne électorale : le Parti libéral y participait aussi, avec une plate-forme remplie de promesses dans une foule de domaines dont la santé, bien sûr, mais aussi le logement social, les maisons d’hébergement pour femmes, la culture (etc., etc.,) et l’aide sociale. Sur ce dernier point, Jean Charest s’était engagé spécifiquement à trois mesures : instaurer un barème plancher à l’aide sociale, rétablir la gratuité des médicaments pour les personnes assistées sociales (et les personnes âgées) et indexer annuellement les prestations. Aucun de ces points n’a été prévu dans le budget Séguin qui passe plutôt une commande de coupures à l’aide sociale (106 millions $ au total pour Emploi et solidarité sociale et Famille, dont 50 millions $ dans les prestations).
Pourtant plusieurs libéraux en vue, députés et ministrables [1] , avaient défendu ces engagements de façon solennelle, dénonçant le manque de compassion du PQ avec de magnifiques trémolos. Par exemple Christos Sirros qui qualifiait de « sadisme social » l’insistance du PQ à vouloir pouvoir continuer de couper sur un chèque mensuel de 523$. Si bien que c’est en ce qui concerne l’aide sociale que le contraste entre les promesses électorales et les politiques actuelles du gouvernement est le plus saisissant.
Pour bien s’en rendre compte, il sera utile de revenir un moment sur ce qu’était l’état du débat public sur l’aide sociale avant les élections, tant en ce qui concerne les positions des partis que celles des groupes de personnes assistées sociales.
Avant les élections…
Après des décennies de réformes et de coupures à l’aide sociale [2] on était arrivé à une situation où le total des pénalités et coupures pouvant s’appliquer était plus élevé que la prestation de base. C’est ainsi qu’on vit se multiplier les cas où des personnes pourtant sans autre revenu recevaient moins de 300$, 200$ ou même 100$ par mois. C’est dans ce contexte, après des années de lutte sans succès contre l’introduction de chaque nouvelle coupure, pénalité ou réforme au fur et à mesure qu’elles apparaissaient, que la majorité des groupes de personnes assistées sociales (45 sur une soixantaine) mirent de l’avant en 1997 la revendication d’un barème plancher, soit d’un minimum protégé des coupures et des pénalités, garanti dans la loi et calculé de façon à couvrir les besoins essentiels de toute personne en situation de dernier recours [3] . La campagne développée à cet effet par l’Organisation des sans emploi de la région de Montréal puis par le Front commun des personnes assistés sociales du Québec (FCPASQ) reçut éventuellement l’appui d’un millier d’organisations dont la Marche des femmes de l’an 2000. La Déclaration pour un barème plancher fut même endossée par plus d’une vingtaine de députés péquistes et libéraux parmi lesquels le ministre actuel Claude Béchard [4] .
Le gouvernement du Parti québécois refusa toujours de même en discuter [5] . D’abord en ignorant la question, puis en tendant de confondre le barème plancher avec le Revenu de citoyenneté -dans sa version à 17 000 $ par année - auquel il lui était beaucoup plus confortable de s’opposer [6] . Mais à mesure que l’enjeu véritable du barème plancher risquait de devenir mieux connu, le gouvernement se devait de résoudre un problème de taille : comment maintenir son image social-démocrate tout en refusant net d’assurer aussi peu que les besoins les plus vitaux des plus pauvres parmi les pauvres ? La tactique développée par le gouvernement à cet effet fut de noyer ce débat dans une discussion plus large sur la « lutte à la pauvreté » en général. La campagne du Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté (CLEP), débutée en 1998, visait une large discussion sur la lutte contre la pauvreté posée globalement. Le gouvernement sut se servir de la vaste patinoire ainsi déblayée pour éviter d’avoir à se prononcer sur des questions pointues comme le barème plancher, tout en se montrant disposé à discuter et en étalant de généreuses déclarations de principes sans conséquences. Le couronnement de cette politique fut l’adoption de la loi 112 (sur la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale) qui portait si peu à conséquence [7] qu’elle reçut facilement l’appui unanime de l’assemblée nationale, ADQ comprise ! La loi 112 contenait toutefois une concession, essentiellement virtuelle, sur la question du barème plancher en précisant que le plan d’action que présenterait le gouvernement devrait contenir une proposition relative à une « prestation minimale ».
Le PLQ quant à lui adopta une position en faveur d’un barème plancher établi au montant de la prestation de base. Le PLQ ne précisait pas si ce minimum serait établi dans la loi. Et il ne s’appliquerait pas pour tous les prestataires puisqu’on en exclurait les « fraudeurs ». En particulier, le barème plancher des libéraux ne couvrait pas les besoins essentiels - ce qui aurait supposé une hausse importante du montant des prestations. (Par contre le PLQ s’engageait à couvrir au moins un besoin essentiel en rétablissant la gratuité des médicaments.)
Depuis l’élection
Bien que la portée pratique du barème plancher des libéraux aurait été très limitée en comparaison de la revendication mise de l’avant par les groupes, elle aurait tout de même été réelle puisqu’elle aurait eu pour effet d’empêcher l’application des sanctions pour refus, abandon ou recherche insuffisante d’emploi (qui peuvent aller jusqu’à 300$ par mois pendant un an) dans la grande majorité des cas où elles peuvent s’appliquer dans le régime actuel.
Or c’est très exactement au moyen de ces sanctions que le gouvernement se propose maintenant de récupérer des dizaines de millions sur les prestations d’aide sociale. L’intention annoncée de sortir 25 500 ménages de l’aide sociale ne sert qu’à couvrir cette opération puisque ce projet n’est assorti d’aucune nouvelle offre d’emploi (en fait le Québec a perdu 13200 emplois en août) alors qu’on coupe aussi dans les mesures d’aide à l’emploi : il s’agit plutôt de justifier les réductions de prestations au nom de la responsabilité des prestataires dans la recherche d’emploi.
À cette promesse de harcèlement et de coupures s’ajoutent d’autres mauvaises nouvelles pour les personnes assistées sociales : perspectives de hausses du compte d’Hydro, rumeurs au sujet de la Régie du logement, menaces sur l’accès futur à l’eau potable, etc.
Et maintenant ?
Le mouvement des personnes assistées sociales est passablement divisé, à la fois organisationnellement et politiquement. La majorité des groupes ne font partie d’aucun regroupement national (28 font partie du FCPASQ et le Syndicat populaire des personnes assistées sociales du Québec (SPPASQ) ne fonctionne plus) et une variété d’orientations différentes divise le mouvement. On peut ramener ces orientations à trois types principaux :
Certains, à la suite du CLEP, revendiquent en priorité l’application de la loi 112, ce qui forcerait le gouvernement à présenter un plan d’action contenant une proposition à débattre sur la question d’une prestation minimale, premier pas d’un processus devant éventuellement conduire à un barème plancher. Le FCPASQ, qui suit le CLEP dans cette voie y ajoute une insistance plus marquée pour une prestation minimale d’abord ajustée sur la prestation de base des personnes ayant des contraintes sévères à l’emploi pour aller graduellement vers la couverture de besoins essentiels. On lutte ici pour le barème plancher par étapes en faisant de la loi 112 -dont on reprend le vocabulaire- l’axe stratégique.
D’autres jugent que l’essentiel est mettre de l’avant la « bonne politique », qu’il s’agisse d’une prestation de base à 1000$ par mois ou du Revenu de citoyenneté, indépendamment de la possibilité de gagner ou non. Il n’y a pas ici de stratégie au sens propre, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de place pour une articulation entre revendications partielles (qui sont vues souvent comme une trahison) et lutte globale, ni distinction entre offensive et défensive.
D’autres encore considèrent que si les conditions ont changées et qu’on est passé d’une lutte offensive - face à un gouvernement péquiste malmené par les sondages et qui dût faire des concessions- à une lutte défensive contre un gouvernement fraîchement élu et à l’attaque, l’axe stratégique reste celui de la couverture des besoins essentiels, terrain sur lequel devront de mener d’autres luttes : dans la santé, le logement, éventuellement sur l’eau, etc.,
Quelle orientation permettra-t-elle d’avancer ? Il faudra peut-être d’abord se demander s’il sera seulement possible de gagner des luttes contre le gouvernement actuel sur le seul terrain de l’aide sociale. Il est fort probable que le sort des ces luttes sera en fait intimement lié à celui des autres luttes sociales. Jusqu’à quel point pourrons-nous lier, articuler l’ensemble de nos luttes ? Autour de quel axe stratégique : la promotion de la loi 112 ? La redistribution de la richesse ? La défense du bien commun ?
Le débat sur l’orientation et sur les priorités du mouvement des personnes assistées sociales peut difficilement se poser autrement que dans le cadre de ce débat plus large.
[1] …mais exclus du cabinet actuel
[2] dont le sommet absolu avait été atteint alors que Louise Harel était la ministre responsable, sous le gouvernement de l’ancien collègue de Jean Charest dans le cabinet Mulroney, Lucien Bouchard.
[3] Pour plus de détails voir http://www.baremeplancher.net
[4] Voir http://www.baremeplancher.net/signataires.htm
[5] Une attachée politique du ministre Boisclair expliquant même à des représentantes de la Marche des femmes que le barème plancher était impossible à retenir parce-que « ça va à l’encontre du néo-libéralisme » !
[6] Voir http://www.baremeplancher.net/harel.htm
[7] Pour une analyse de 112 voir http://www.baremeplancher.net/intro-112.htm . (Ces textes portent sur le projet de loi et non sur le texte final mais il n’y a pas vraiment de différencc importante entre les deux.)