Des ballons d’essai ?
Depuis son élection, le 14 avril dernier, le gouvernement Charest a annoncé une série de politiques, sans en préciser autrement le contenu que par le lancement d’une série de ballons d’essai afin sans aucun doute de prendre la température de l’eau et tenter de mesurer le degré de résistance de l’opinion publique et des leaders d’opinion face à ses politiques. On n’a qu’à penser :
· au patinage de Pierre Reid sur le financement des commissions scolaires et le dégel éventuel des frais de scolarité en 2004-2005 (contrairement aux promesses libérales) ;
· aux allusions on ne peut plus maladroites de la présidente du Conseil du trésor sur la qualité de l’eau à Montréal ;
· aux scénarios évoqués par la ministre Carole Théberge sur le financement des garderies et sur le parachèvement des objectifs en terme de nombre de places, en grande partie toutefois par des garderies commerciales ;
· aux multiples coulages de scénarios sur la fameuse réingénierie de l’État ;
· aux nombreuses sorties de Jean Charest ou de ses alliés (Conseil du patronat, instituts de recherche de droite, etc.) sur la nécessité d’écarter certaines contraintes comme l’article 45 du Code du travail1, tant dans le secteur privé que dans les administrations publiques, y inclus les secteurs public et parapublic ;
· à la réintroduction éventuelle de pénalités à l’aide sociale pour les personnes jugées aptes au travail qui ne participeraient pas à un programme de réinsertion en emploi ;
· au recours au privé pour toutes les activités autres que la dispensation directe des soins aux bénéficiaires dans le secteur de la santé (projet pilote en Montérégie démarré à la vapeur au début octobre) ;
· à la fusion des établissements de santé (CLSC-CHSLD, sur une base territoriale) et à l’abolition des régies régionales (repoussée par ailleurs d’une année) ;
· à la valse-hésitation et aux réflexions à voix haute du ministre Fournier sur les règles de défusions municipales ;
· aux ouvertures de Jean Charest sur la mobilité interprovinciale de la main-d’œuvre dans la construction et sur l’allègement de la réglementation ;
· Etc.
Au centre de ces « annonces » se trouvent, de l’aveu même des ministres et du Premier ministre, le recours à la sous-traitance tous azimuts et les partenariats public-privé (PPP).
Le 14 octobre 2003 : la lettre du Premier ministre, un point tournant
Jusqu’à la publication de sa fameuse lettre ouverte du 14 octobre dernier, le premier ministre, entre deux visites à New-York et ses vacances à North-Hathley, s’était donné le rôle de pompier dans l’opinion publique pour éteindre les feux allumés par l’un ou l’autre de ses ministres.
Le premier ministre s’était donné le rôle de pompier.
Les ministres, quant à eux, se sont contentés de temporiser, de gagner du temps dans les dossiers déjà engagés comme l’équité salariale, le plan de lutte à la pauvreté, etc. Bref la machine gouvernementale s’est ni plus ni moins mise au neutre, hormis des consultations internes des ministères sur les compressions possibles dans les programmes ou sur l’abolition pure et simple de sociétés d’État.
Jean Charest a lui-même ouvert les hostilités.
Avec la publication de sa lettre, le 14 octobre dernier, Jean Charest a lui-même ouvert les hostilités. À la lecture de cette lettre, rien de nouveau n’est apparu sur les intentions du gouvernement. Le seul élément nouveau était la mise en garde à peine voilée au mouvement syndical de prendre sa pilule et de mettre de côté ses intérêts corporatistes au nom « des intérêts historiques du Québec ».
Terminé, le rôle de pompier
Qualifiée presque unanimement de maladroite par les médias, cette sortie de Jean Charest, par dessus la tête des journalistes qu’il n’a pratiquement pas rencontrés depuis son élection, le privait désormais de son rôle d’arroseur de feux. Il se peinturait ni plus ni moins dans le coin.
Durant tout l’été, le Premier ministre pouvait se permettre d’intervenir à la suite d’un ministre ou d’un représentant du gouvernement pour tempérer certaines déclarations, mais avec sa lettre ouverte, il s’est mis sur le devant de la scène, sans porte de sortie pour rectifier le tir dans les perceptions publiques.
En réagissant de façon très ferme à la teneur de cette lettre, la FTQ a largement contribué à créer un momentum qui lui a notamment permis d’enfoncer le clou dans les jours suivants avec le dévoilement d’une étude importante, portant entre autres choses sur les impacts de l’article 45 dans la décision des entreprises de recourir ou non à la sous-traitance. Les réactions du Conseil du patronat et du fantômatique ministre du Travail étaient pour le moins pathétiques.
La FTQ a largement contribué à créer un momentum.
Le CPQ sortait de nébuleuses statistiques sur la croissance de l’emploi dans l’industrie des services en Ontario par rapport au Québec et critiquait la méthodologie et l’échantillonage de l’étude du professeur Jalette ( voir le communiqué et le contenu de l’étude ). Mais il se gardait bien de dévoiler comment le Conseil du patronat aurait mené une telle étude.
Le ministre du Travail disait que le gouvernement ne commanderait pas d’étude et que ceux qui en avaient n’auraient qu’à les présenter en consultation publique.
« Ce n’est plus le temps des études, c’est le temps de l’action » nous disait le ministre Després, ajoutant du même souffle qu’il fallait se débarrasser de cet irritant que constitue l’article 45 ! On va étudier quoi et consulter qui pour savoir quoi en consultation publique, si la table est déjà mise ?
Savoir s’organiser... avec stratégie
Les politiques que le gouvernement Charest veut nous imposer touchent l’ensemble des travailleurs et des travailleuses et les moins nantis de la société. C’est pourquoi il faut tout mettre en oeuvre pour construire une riposte unitaire aux actions de ce gouvernement. Cette riposte aura d’autant plus de chances de gagner qu’elle sera celle d’un regroupement de forces autonomes qui auront décidé d’agir d’un commun accord pour s’opposer à lui.
La FTQ est déterminée à aller de l’avant. Elle souhaite mener cette lutte avec les autres centrales syndicales et toute les autres organisations impliquées. Nous pouvons définir ensemble les objectifs et les moyens d’action, et ne rien ménager pour tout mettre en oeuvre, dans un esprit démocratique de respect mutuel. La volonté commune de faire échec aux projets gouvernementaux de mise à sac des acquis de la société québécoise doit primer. Nous ne nous faisons pas d’illusions, nous savons que la bataille sera longue. C’est pourquoi il faut éviter toute action précipitée ou insuffisamment préparée, sachant d’expérience que des résultats en deçà de nos attentes auraient un effet démobilisateur et handicaperaient les actions futures.
À n’en pas douter, les politiques annoncées du gouvernement Charest sont des politiques de droite, dans la foulée des Thatcher-Reagan-Harris. La question demeure sur la meilleure stratégie à adopter pour contrer ces politiques. On peut choisir la voie d’une opposition sur le plan des idées seulement, où on prend l’ensemble des politiques gouvernementales annoncées pour leur opposer une alternative social-démocrate, progressiste, que les militants les plus aguerris pourront saisir d’emblée mais avec le risque que le grand public associe ce débat à une lutte entre des pouvoirs qui lui échappent quelque peu.
Avec toutes les nuances qui s’imposent, on peut dire que c’est la voie qui a été adoptée par le mouvement syndical et les groupes progressistes ontariens face aux politiques de Bob Rae. De toute évidence, la population ontarienne n’a pas suivi. Elle a plutôt été séduite par le gros bon sens proposé par Mike Harris. Le premier ministre ontarien disposait alors de toute la légitimité populaire nécessaire pour procéder au démantèlement des services publics, pour permettre au privé de prendre toute la place, que ce soit à Hydro-One, dans les services d’eau et d’inspection de l’eau (Walkerton !), etc.
Devant l’ampleur du rouleau compresseur conduit par les conservateurs ontariens, le mouvement syndical ontarien, affaibli, a persisté dans une approche globale de la contestation des politiques de Mike Harris. Il aura fallu près de 10 ans pour mettre fin au carnage (s’il est terminé !) et le mouvement syndical ontarien mettra des années à s’en relever.
Mais nos confrères ontariens ne sont pas les seuls à avoir privilégié cette approche stratégique. Les syndicats italiens ont suivi la même voie et tentent aujourd’hui de retrouver leur rôle de moteur de la mobilisation contre les politiques de Sylvio Berlusconi. En France, les syndicats ont commencé à refaire bouger les choses en dirigeant leur mobilisation sur des cibles comme les 35 heures ou les régimes de retraite.
Un objectif rassembleur
Pour revenir au Québec, on peut choisir également un objectif saisissable, compréhensible et essentiel au gouvernement pour mener à bien ses visées : l’article 45 du Code. En effet, cet encadrement de la sous-traitance depuis plus de 40 ans comme rempart contre le cheap labour et la dégradation générale des conditions de travail et de vie de nos membres et de la population est important.
Il peut devenir un puissant rassembleur, un catalyseur des revendications contre les politiques d’un gouvernement pour lequel l’effritement de l’article 45 est essentiel pour la suite des choses. C’est-à-dire pour la privatisation des services, l’impartition, le démantèlement des sociétés d’État, l’affaiblissement de la fonction publique, etc.
L’éditorialiste du journal Les Affaires l’a bien compris. Dans son article du 20 septembre dernier, il écrivait qu’il était évident « que le gouvernement Charest ne pourra pas s’attaquer à la réingénierie de l’État sans sous-traitance et sans partenariat public-privé. Or, l’article 45 renferme justement la clé de la réorganisation souhaitée. »
Infliger un échec, même partiel, au gouvernement Charest dans sa volonté de s’attaquer à l’article 45 du Code du travail enverrait un signal très clair sur notre capacité de mobilisation contre la remise en question des acquis sociaux dans l’ensemble de ses politiques. Et cette lutte contre l’effritement de l’article 45, du côté syndical, est tout sauf utopique.
Avec l’étude que nous avons en main, avec des exemples concrets des conséquences tant dans le secteur public que dans le secteur privé et avec d’autres outils que nous pourrions développer rapidement, c’est le gouvernement qui serait et qui est déjà confiné d’ailleurs au rôle de tenant d’un projet sans arguments économiques ou théoriques solides. Il nous faudrait, entre autres, démolir le modèle de sous-traitance municipale importé des États-Unis qui circule actuellement dans les officines gouvernementales. D’autres exemples pourraient également être remis en perspective, comme l’échec de la sous-traitance des services de buanderies, de cafétérias, etc., dans le secteur privé comme dans le secteur public.
Éléments de conclusion
Mais il n’y a pas de pensée magique. Oui, nous pouvons déterminer un objectif rassembleur et mettre le maximum de ressources et d’énergies pour l’atteindre. Mais nous ne pourrons faire l’économie de batailles à tous les niveaux contre le démantèlement des villes, contre les privatisations dans le transport en commun, à Hydro-Québec, dans la santé, l’éducation, contre la remise en question de l’accessibilité aux CPE, contre les tentatives de remise en question des retraites, contre la déréglementation dans la construction, contre les attaques aux lois du travail, contre la formation professionnelle, contre les régions, etc.
C’est le gouvernement lui-même qui a posé la nécessaire remise en question de l’article 45 comme l’un des pivots de son action pour réinventer le Québec. Faisons-lui clairement savoir que son pivot ne fonctionnera pas et c’est bien davantage qu’une bataille symbolique que nous aurons gagnée collectivement. Nous aurons redonné confiance à nos membres et à la population dans leur capacité de mobilisation pour éviter le démantèlement d’une société que personne n’a reçu le mandat de charcuter.
On a déjà vécu des vagues conservatrices comme celle que nous vivons actuellement. Nous n’avons qu’à penser au rapport Gobeil (l’État-Provigo sous Robert Bourassa) ou encore à la tentative de vente de feu des services d’eau avec le Comité des sages à Montréal.
De la même manière que nous avons réussi par le passé à combattre des politiques aussi rétrogrades, nous devons maintenant nous tenir debout et confronter le gouvernement avec des propositions concrètes, forcer les débats, interpeller la population quant au bien-fondé des politiques gouvernementales ; bref, passer à l’offensive.
Il n’est pas inutile de rappeler que nous avons appuyé le déficit « zéro ». De la même façon, nous n’avons pas demandé l’augmentation des impôts des entreprises à une époque où les taux de chômage astronomiques commandaient une lutte de tous les instants pour la création d’emploi.
Mais quand les mêmes entreprises que nous avons épargnées viennent aujourd’hui se bousculer au portillon pour toucher de lucratifs contrats octroyés par le Conseil du trésor3, tout en dénigrant l’article 45 et nos conditions de travail, nous ne leur ferons pas de quartiers !
La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)
(tiré du site de la FTQ)