Politiquement parlant, le PLQ a réussi son pari : s’attirer un mélange de louanges et de reproches tout autant du côté patronal que du côté syndical-populaire. Pour rétablir sa crédibilité politique, il fallait à tout prix que le PLQ évite le braquage patronat archi-pour face à un mouvement syndical-populaire archi-contre. C’est mission accomplie pour le Ministre des finances dont les consultations pré-budgétaires avaient commencé à désamorcer la colère du décembre 2003.
Même les désaccords durs sont équilibrés. D’un côté, le patronat montréalais, les municipalités et les recteurs sont en colère pour abandon du développement économique de la métropole, du financement des infrastructures et du rattrapage universitaire. De l’autre, la Fédération étudiante universitaire l’est aussi pour le coup fourré au système de prêts-bourses et la CSN pour le manque évident de provisions afin de satisfaire tant l’équité salariale que les augmentations de salaires du secteur santé.
L’équation n’était pas facile à résoudre pour le PLQ puisque lesté par un programme électoral populiste, une croissance modeste et le lâchage du grand frère fédéral, il ne pouvait que décevoir par rapport à ces deux grandes promesses : la santé et la baisse des impôts. Pas à pas, le PLQ reprend cependant le contrôle de la situation même s’il est encore au bas de la pente des sondages. En refusant de mobiliser en masse quand c’était le temps, les hautes directions syndicales auront donner au PLQ du temps pour manœuvrer.
Bien sûr, rien n’est perdu tant que les conventions collectives du secteur public n’auront pas été signées... ou imposées. Car c’est là la bataille décisive. Elle ne pourra, cependant, être gagnée que si dès maintenant on prépare une grève générale illimitée publique-privée tous et toutes ensemble. Tant mieux si les mobilisations du 14 avril et du premier mai y contribuent. Tant mieux si la grève générale de 24 heures a effectivement lieu et qu’elle soit comprise non comme une limite à ne pas franchir mais le tremplin d’une grève générale illimitée. Mais cela n’a rien d’automatique comme l’ont plus que démontré par la négative les Days of Action de l’Ontario et le Printemps français de 2003.
Apparence trompeuse
Le PLQ, en apparence, fait « payer les riches »... et les classes moyennes pour venir au secours des pauvres et des enfants. D’aucuns y verront un recul du PLQ. C’est oublié que le gros des suppressions de crédits d’impôt aux entreprises date du premier budget libéral de l’an dernier. Le tout-marché signifie aussi le non-interventionnisme favorisant un secteur ou une entreprise aux dépens des autres.
C’est la même chose pour les déductions fiscales que seulement les couches riches peuvent utiliser, telles ces options d’achat d’actions que même les gouvernements de droite admettent devoir contrôler tellement elles ont été sources de fraudes pour faire monter artificiellement le cours des actions. Par contre, baisser l’impôt sur le capital de toutes les entreprises, c’est « neutre ».
C’est quand même « choquant » pour le patronat de ne pas pouvoir, pour l’instant, baisser les impôts aussi vite qu’on coupe les distorsions. Pour se faire pardonner, le PLQ subventionne les entreprises par le biais de l’aide aux personnes à bas salaire. En effet, qui bénéficiera au bout du compte de la « prime au travail » sinon les Wal-Mart, McDonald et autres PME (!!) qui font crever leur personnel ? Cette prime deviendra l’excuse parfaite pour geler le salaire minimum et pour servir d’excuse aux entreprises pour ne pas hausser leurs salaires.
En plus, les tergiversations des directions syndicales-populaires permet au PLQ de garder le cap sur les privatisations, c’est-à-dire l’élargissement du marché, et même d’en annoncer le début à un rythme relatif (en % du PIB) deux fois plus rapide qu’Ottawa. Il n’y aura pas, cependant, que des actifs de propriété publique qui seront liquidés pour respecter la religion, d’origine péquiste/concertationniste, du « déficit zéro ». La politique fiscale peut elle aussi alimenter le marché directement.
En écho au démagogique chèque citoyen, le PLQ remplit les poches des familles avec enfants quatre fois l’an. Le gouvernement Harris avait montré la voie en ce qui concerne les rabais d’impôt quitte même à faire grogner Bay Street qui préférait d’abord rapatrier ses fonds prisonniers de l’État. Les gouvernements provinciaux, car c’est bien ainsi que se voit le PLQ, sont en effet plus sensibles au capital régional, davantage manufacturier et commercial, qui veut que les gens achètent, qu’au capital pancanadien, davantage financier, qui veut d’abord investir à l’extérieur et financer les prises de contrôle.
Il y a, cependant, une différence notable entre l’approche Harris et celle du PLQ. Les rabais d’impôt du premier visait les couches riches et moyennes supérieures tandis que les chèques du dernier visent les couches pauvres et moyennes inférieures. C’est qu’au Québec 40% des contribuables ne paient pas d’impôt contre moins de 30% en Ontario. Cela vaut aux groupes anti-pauvreté québécois, largement définis, une assise, dont tiennent compte les centrales syndicales, assises que n’ont pas les groupes ontariens qui compensent leur isolement relatif par le radicalisme de leurs discours et tactiques.
Comme le PLQ n’est pas encore venu à bout du noyau dur du secteur public, particulièrement de la santé (et aussi du transport public), qu’il veut ouvrir au partenariat public-privé - quatrième et cruciale méthode d’élargissement du marché après le lissage de l’aide aux entreprises, les liquidations d’actifs et les chèques citoyens - il se doit, pour l’instant, de neutraliser ce secteur qui, heureusement pour lui, n’aspire qu’à un soulagement. À ce niveau intervient la lutte de classe, tant le legs du Front commun tendant à unifier les syndicats du secteur public que celui de la Marche des femmes priorisant la lutte contre la pauvreté.
Reste qu’en prolongeant la tactique de l’asphyxie des services publics, legs du « déficit zéro », le PLQ continue à préparer le terrain de l’opinion publique. Ne restera plus qu’à séparer les couches riches et moyennes supérieures des autres couches par la « caisse-santé » financée par des REER santé pour y arriver. Quant au transport en commun, cette séparation est déjà faite de par le profil même des usagers et usagères.
Dans l’immédiat, cependant, en découle le lâchage des classes moyennes comme le soulignent la une tant de La Presse que du Journal de Montréal. C’est le tendon d’Achille du budget. Toutefois, l’élection est encore loin.
Une logique semblable a joué en ce qui concerne les régions que le PLQ avait passablement malmené dans son budget de l’an dernier. Enième astuce du Ministre des finances qui parvient à tout télescoper - rabais fiscaux, lutte contre la pauvreté, aide aux familles - celui-ci met à contribution les fonds de capital-risque des centrales syndicales pour soutenir les investissements en région. Il faut dire que l’État a les centrales syndicale par les couilles car sans son soutien ces fonds s’effondreraient tellement ils sont à risque. En retour donc d’une hausse du plafond de contributions, FTQ et CSN se sont exécutées. C’est ce qu’on pourrait appeler de la concertation organique. Ce faisant, le PLQ ne viole pas à ce point le principe de la distorsion fiscale car toutes les entreprises sont traitées à égalité... et quel pied de nez au PQ qui, comme l’Union nationale en son temps, se targue d’être le parti des régions.
Les difficultés budgétaires libérales proviennent de ses promesses électoralistes que ce budget voudrait liquider, d’une croissance anémique qu’il espère que l’économie étasunienne résoudra, et d’Ottawa qu’il compte amadouer par le fédéralisme coopératif. À cette course à obstacles il faut ajouter la nécessité politique d’isoler les syndicats du secteur public, particulièrement de la santé. Pour y arriver, il faut amadouer les groupes anti-pauvreté et jouer à fond sur l’intégration de la FTQ (et quelque peu de la CSN) dans l’ordre néolibérale tant par le poids de cette centrale comme représentant des syndicats liés aux secteurs d’exportation favorisés par l’ALÉNA que par sa dépendance envers le Fonds dit de solidarité qui lient cette centrale au capital financier.
Marc Bonhomme, 31 mars 2004