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Face à l’offensive soutenue du gouvernement Charest

Créer les conditions politiques d’une riposte unitaire et victorieuse !

dimanche 25 janvier 2004, par Bernard Rioux

La réingénérie de l’État menée par le gouvernement Charest vise essentiellement à diminuer les dépenses publiques, à démanteler des services pour les confier à l’entreprise privée soit directement soit par l’intermédiaire du partenariat public-privé. Elle vise également à rapetisser les structures de partenariat à tous les niveaux et à rendre le gouvernement le moins perméable possible aux pressions de la société civile. Elle vise enfin à diminuer les droits syndicaux, à donner une impulsion à un processus de désyndicalisation. La loi 31 modifiant l’article 45 du code du travail n’a d’autres sens que de favoriser la sous-traitance dans les secteurs public et privé. La privatisation de pans entiers du secteur public ouvre la possibilité de désyndicalisation et de diminution conséquente des salaires. En enlevant le statut de salarié aux responsables des services de garde en milieu familial, le PLQ a enlevé " le statut qui donne accès aux régimes de protection sociale et qui permet l’application des lois du travail. " En fait, le gouvernement veut permettre une redistribution des revenus des travailleuses et des travailleurs vers le patronat et, pour ce faire, il doit affaiblir les capacités du mouvement syndical à mener une résistance face à cette offensive.

Le gouvernement Charest semble estimer que la place octroyée aux directions des classes subalternes est beaucoup trop importante dans le mode de gestion mis en place par le PQ. Les rapports de force qu’elles peuvent construire constituent une menace. Tous les secteurs sociaux sont dans la cible du gouvernement mais le gouvernement Charest a comme principal objectif d’affaiblir durablement le mouvement syndical comme la bourgeoisie américaine a pu le faire aux États-Unis. Le PLQ veut remettre en question le mode de gestion politique des classes subalternes. C’est là l’essentiel du renouveau politique du PLQ sur le terrain politique. Il cherche consciemment à provoquer les divisions dans les rangs syndicaux afin de marquer de nombreux points. Il ne s’agit plus d’intégrer pour paralyser comme le faisait le PQ avec ses sommets économiques ; il s’agit d’affronter pour affaiblir et marginaliser.

Rien n’est l’abri du processus de redéfinition de État visant à le soumettre étroitement au patronat et à balayer des acquis sociaux fruits des luttes passées qui s’étaient matérialisées en une série de droits qui sont aujourd’hui remis en question.

Dès la prise du pouvoir, le PLQ a voulu préparer la population à la mise en oeuvre de sa politique réelle - pas celle clamée sur toutes les tribunes durant la campagne électorale - en agitant l’épouvantail d’un déficit budgétaire caché - le trou 4,5 milliards qu’aurait légué le gouvernement précédent. Malgré "ce trou", il n’a pas reculé d’un pas jusqu’ici sur sa promesse de baisses d’impôts pour les couches sociales ayant des revenus élevés. Aujourd’hui, c’est au nom de ces éventuelles baisses d’impôt, que les services à la population sont attaqués, que les privatisations sont envisagées, que des tarifications sont proposées et instaurées. Coupures dans les bibliothèques scolaires, coupures dans le soutien à l’accès à l’aide juridique, augmentation des frais de garde, indexation de ces frais au coût de la vie, augmentation des tarifs d’electricité (malheureusement saluée par la direction de la FTQ). C’est une offensive tout azimut contre la population du Québec.

L’accessibilité aux garderies, le droit à la syndicalisation, la possibilité de définir et de défendre les cadres de sa vie syndicale, la lutte contre l’appauvrissement, celui des femmes tout particulièrement, la défense de la démocratie... les enjeux sont multiples et essentiels. Ce n’est pas seulement la place même du mouvement syndical dans la société québécoise qui est remise en question, c’est également l’espace démocratique de l’ensemble de la société civile d’en bas. Et cette remise en question se fait ouvertement au nom du développement de la capacité concurrentielle des entreprises. Bref, c’est dans le mesure où les travailleuses et les travailleurs donneront plus et recevront moins que le Québec pourrait prospérer. C’est cette logique patronale ouverte qui est perçue comme odieuse et qui nourrit la mobilisation.

Le mouvement syndical face à l’offensive du gouvernement Charest

Durant les mois de novembre et décembre, c’est un véritable mouvement social contre l’arbitraire et l’autoritarisme du gouvernement Charest qui a manifesté sa détermination et sa créativité. Après la manifestation de plus de 30 000 personnes le 29 novembre à Québec, c’est plus de 30 000 personnes qui ont manifesté pour la défense des Centres de la petite enfance et pour le maintien des tarifs actuels à Montréal le 11 décembre. Ce sont des dizaines de milliers de personnes en provenance de centaines de lieux de travail différents qui sont descendues dans les rues et cela à plusieurs reprises. Les manifestations ont touché le secteur public mais également les travailleuses et travailleurs du secteur privé. Des rues ont été bloquées. La circulation dans les ports a été entravée. Toutes les centrales et syndicats indépendants ont été impliqués dans ces actions.

Les mobilisations du 11 décembre dernier ont démontré la volonté de différents secteurs de la population de défendre des acquis attaqués par le gouvernement Charest.. Les fruits de cette mobilisation a d’abord été le rejet de ce gouvernement par près de 70% de la population, selon les derniers sondages.

Pourtant la détermination de Charest n’a pas été ébranlée. Il a fait adopter une série de lois anti-syndicales et anti-populaires. L’horizon stratégique des directions syndicales n’a pas dépassé celui de la restauration de la concertation sociale. La présidente de la CSN au Conseil confédéral du 9 décembre affirmait : "Jean Charest, doit être littéralement inondé de cartes de souhaits l’enjoignant de choisir la paix sociale pour la nouvelle année. Nos vœux sont simples à quelques jours du long congé des fêtes : Que 2004 soit une année d’écoute, de partenariat, de partage, de solidarité sociale et de renouvellement continu, une année qui va dans le sens de nos traditions ! " Le tract de mobilisation de la CSN pour 11 décembre se concluait sur la nécessité du retour au dialogue et à la consultation. La FTQ concluait l’année en titrant son bilan par : un appel au gouvernement Charest à restaurer la paix sociale : "Le gouvernement Charest doit renouer un véritable dialogue avec les syndicats et les organisations représentatives de la société civile". Ce qu’on refuse de rendre claire, c’est que dans la logique néolibérale, qui est celle du PLQ, l’affaiblissement du mouvement syndical est essentiel à la relance de l’économie capitaliste et à la conquête des marchés internationaux.

Les directions syndicales ont cru qu’il était possible de faire reculer le gouvernement Charest, par des actions locales et des mobilisations nationales. Elles se sont refusées à envisager la grève générale. Quand, elles l’ont envisagé, il était déjà trop tard pour bloquer l’adoption des lois. La détermination du gouvernement Charest a été sousestimée. Le mouvement social a eu assez de force pour forcer une certaine unité autour du 11 décembre, mais aucune gauche syndicale organisée et enracinée n’a pu proposer une alternative à la politique des directions de tergiverser et de rester sur une position avant tout marqué par la nostalgie de la paix sociale et par une logique d’organisation. Mais cette unité est restée limitée. Des mots d’ordre unitaires en provenance de toutes les centrales ont été attendus en vain. Les actions unitaires réunissant les centrales syndicales, les syndicats indépendants et les différents mouvements sociaux pour bloquer l’offensive de démolition du gouvernement Charest n’ont pas été réellement au rendez-vous. Avons-nous vu en décembre, l’ensemble des dirigeant-E-s syndicaux sur une même tribune, autour des même mots d’ordre, dans les mêmes actions. Pas vraiment. Le mouvement n’a pas eu jusqu’ici la force d’imposer cette nécessaire unité. Ce refus d’une unité ouverte, assumée et agissante a nui à la mobilisation et sera encore plus dommageable dans les mois qui viennent.

Perspectives

Une bataille importante, celle d’empêcher l’adoption de ces lois, a été perdue. Et les batailles perdues ne mobilisent pas mais constituent des obstacles aux mobilisations à venir. Mais le mécontentement reste considérable. Le récent sondage montre que le gouvernement Charest dispose de moins 30% de soutien à ses politiques. La volonté d’en découdre avec ce gouvernement reste intact.

La mobilisation doit être reconstruite en tenant compte des conditions qui ont empêché de casser la détermination gouvernementale. Les débats du début de février (moment de rencontres des principales instances des centrales) devraient fournir un moment permettant de proposer des perspectives pour les mois à venir dans leurs instances démocratiques. Il faut exiger le retrait des lois anti-syndicales et antipopulaires adoptées en décembre. À la rencontre du Réseau régional du FSR à Québec, on a proposé la tenue d’un référendum national autogéré pour demander l’abrogation de ces lois. Les luttes locales et sectorielles, pour bloquer la dynamique de privatisation et de détérioration des conditions de travail que ces lois recèlent ne doivent pas rester isolées. Les luttes contre toute sous-traitance doivent devenir la lutte de tous et toutes contre la logique néolibérale.

L’unité dans les luttes en cours est la condition essentielle pour préparer une riposte d’ensemble. D’autant plus, que l’offensive du gouvernement Charest est loin d’être terminé contrairement aux espoirs exprimés par Monsieur Massé de la FTQ. Il dit encore envisager la grève générale si le gouvernement continue dans le même sens. Avec le dépôt des propositions sur la réingénérie de l’État au cours des mois de mars et d’avril, c’est à des attaques d’ampleur encore plus insidieuses auxquelels les classes ouvrière et populaires devront faire face. La nécessité d’un combat d’ensemble sera une nouvelle posée de façon impérieuse. C’est dans la mesure où on dépassera une logique étroitement organisationnelle et qu’on saura créer les conditions de la tenue de journées de grève générale reconductible pour centraliser les mobilisations et leur donner une expression unitaire et politique qui sera possible de briser cette fois la détermination du gouvernement Charest. Il s’agit essentiellement maintenant, de créer les conditions qui permettront à une action de cette envergure de voir le jour. C’est pourquoi, aucune lutte ne doit restée isolée. Chaque coup porté contre un secteur social doit devenir l’affaire de tous les mouvements sociaux.

Malgré qu’une manche importante ait été perdue, la bataille continue. Les mobilisations continuent de s’annoncer. Mais il faut que ces efforts de mobilisation puissent s’articuler autour d’un projet social mobilisateur . Ce dernier peut s’articuler autour des axes suivants :

 Un réinvestissement massif immédiat de 10 milliards $ afin de diminuer le déficit social dans le réseau public de la santé et des services sociaux…

 la fin de la privatisation des services publics et l’abandon des projets de partenariat public-privé

 la mise en place de l’équité salariale

 le maintien du gel des frais de scolarité

 le refus de l’abandon des mesures de protection de l’environnement tant en ce qui concerne l’agriculture, les forêts, que la production d’énergie )

 l’établissement d’une fiscalité véritablement progressive ; révision à la hausse de la taxation sur le capital, les profits et les biens de luxe ; abolition des paradis fiscaux ; révision complète des abris fiscaux ; augmentation des impôts sur les profits des entreprises ; imposition des grandes fortunes ; révision des droits de succession."

 La mise en place d’un plan d’action dans la lutte contre la pauvreté.

Un tel discours social porté par le mouvement syndical et l’ensemble des forces populaires, féministes et jeunes pourraient continuer d’enfoncer le coin dans le processus de délégitimation du gouvernement Charest que les mobilisations de l’automne ont fait avancer de façon très importante. L’effondrement de l’appui électoral à ce gouvernement montre que les mobilisations centrales portent des fruits et qu’il faut poursuivre dans cette voie.

Dans ce cadre, les négociations du secteur public doivent être abordées moins que jamais dans une optique étroitement syndicale. Le gouvernement a déjà osé prétendre qu’il n’avait aucun argent pour répondre aux revendications des organisations syndicales alors qu’il promet encore des baisses d’impôt à la hauteur du milliard chaque année. Articuler et expliquer la lutte du prochain front commun dans le cadre de ce discours social mobilisateur et créateur de solidarité sera le seul moyen de créer un front de résistance ferme pour empêcher le gouvernement envisager le décret pur et simple comme issue aux prochaines négociations.

La victoire est possible ! C’est tous et toutes ensemble que nous pouvons vaincre ce gouvernement !