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Entrevue avec Sergio Antonio Gorgen, un des fondateurs du Mouvement des Sans Terre du Brésil

Avec Lula, « nous ne nous faisons pas d’illusions »

Jesus Ramirez Cuevas, Masiosare

dimanche 25 mai 2003

Le MST est aujourd’hui le mouvement social le plus important du Brésil. Durant plus de 20 ans, il a mobilisé des milliers de paysans sans terre pour combattre l’injustice dans le domaine agraire dans une nation où 1% des propriétaires accaparent 43% du territoire. Jusqu’à maintenant, il a récupéré la terre pour plus de 350 000 familles. Le MST, organisé démocratiquement à la base et de façon autonome des partis, a aussi gagné des espaces institutionnels. Face à la victoire de Luis Inacio Lula da Silva, qui a été son allié historique, le MST affronte le défi d’appuyer son gouvernement sans renoncer à la mobilisation et à la lutte. Pour cela, un des ses dirigeants , Sergio Gorgen affirme « Nous avons gagné le gouvernement, mais pas le pouvoir. »

La vie de Sergio Antonio Gorgen, un religieux franciscain qui a opté pour les pauvres, est liée à l’histoire du Mouvement des Sans Terre du Brésil (MST) dont il est un des fondateurs. Il fut nommé par le mouvement pour participer comme directeur de la réforme agraire du gouvernement de Olivio Dutra dans le Rio Grande do Sul. Actuellement, il est député du Parti des Travailleurs dans cet État. Il y a quelques jours, il a visité le Mexique et il a donné une entrevue à Masiosare, dans laquelle il aborde la trajectoire de ce mouvement social, une des plus importants du continent.

Le Brésil connaît une des concentrations de la terre les plus importantes du monde : si bien qu’un pour cent des propriétaires possèdent 43% du territoire du pays. Pour cette raison, les luttes pour la terre ont marqué le vingtième siècle. Les paysans ont cherché à se réapproprier des terres de l’État, mains quand ces dernières se sont épuisées, ils ont commencé à envahir les grands propriétés terriennes (latifundios).

Sergio Gorgen explique qu’en 1964, la dictature militaire a étouffé le mouvement paysans ; nombre de ses dirigeants ont été assassinés ou sont partis en exil. Mais en 1975, sous un régime militaire, un groupe d’évêques et de prêtres de l’Église catholique ont créé une Commission pastorale de la terre. Cette instance a appuyé les luttes de la paysannerie sans terre et des petits agriculteurs.

En 1979 un groupe de paysans ont réalisé la première occupation des terres dans le Rio Grande do Sul. « Malgré la persécution des militaires, l’Église catholique a protégé les sans terre, qui ont fini par gagner leur lutte, se rappelle le moine franciscain.

De ce campement -Encrucijada Natalino- a surgi le MST il y a 24 ans. « D’abord à l’intérieur de la Commission pastoral ; ensuite, il a déclaré son autonomie, mais il a maintenu de bons rapports avec les religieux » .

Depuis lors, le MST s’est développé dans tout le pays. « Les luttes urbaines, importantes au début des années 80, ont pratiquement disparu à cause de la crise économique, du chômage et des pressions exercées contre les syndicats. Cela a permis au MST d’avoir une grande visibilité dans les médias et dans la société brésilienne. Et aussi quand les grands propriétaires terriens nous ont réprimé » affirme Gorgen..

En 1996, le massacre de 19 paysans sans terre s’est produit à Dorado de Carajas, dans l’État de Para. « Ceci a provoqué une révolte nationale. Le MST a réalisé une longue marche de Sao Paulo à Brasilia (2 500 kilomètres). En entrant dans la capitale, nous étions plus de 100 000 personnes ; ceci a eu un grand impact national. Le mouvement s’est consolidé et a élargi sans présence à 22 des 27 États de la fédération.

Durant ces années, le MST est parvenu à réaliser l’établissement et la relocation de plus de 350 000 familles paysannes des 5 millions qui n’ont pas de terre dans le pays.

Les pauvres font de la politique

Darcy Ribeiro, un des anthropologues brésiliens les plus connus, a écrit que le MST est la « la première irruption des exclus dans la politique nationale, un volcan soudainement apparu. »

A ce sujet, Sergio Gorge affirme que « dans le MST la politique est faite par des personnes pauvres, par une citoyenneté populaire ». À la différence des partis politiques, y compris ceux de gauche « où les intellectuels de la classe moyenne détiennent le pouvoir interne, le MST est construit et dirigé par les sans-terre eux-mêmes. »

En peu d’années, des centaines de paysans ont acquis une formation politique notable » soutient Gorgen. « La société est impressionnée quand elle voit de simples paysans discuter avec le président, les fonctionnaires, les députés ou des intellectuels. C’est ainsi que les classes populaires vont entrer sur la scène politique ».

Tout cela a été possible, déclare son dirigeant, parce que le MST est une organisation décentralisée. Chaque campement décide de sa forme d’organisation politique, économique et communautaire. C’est un réseau cimenté par la démocratie à la base qui s’articule dans une structure au niveau de l’État et au niveau national.

Mais la croissance du mouvement, dit Gorgen, l’a obligé « à comprendre que la mobilisation ne suffisait pas, qu’il était nécessaire de combiner la lutte sociale directe avec la recherche d’espaces institutionnels plus importants pour augmenter sa capacité d’influer sur les centres de décision. »

Pour cela, le MST le MST fournit des responsables, des maires, des députés et des sénateurs « pour défendre ses positions sur la scène nationale » souligne-t-il. Le MST fournit aussi des fonctinnaires aux gouvernements de gauche quand ils vont appliquer des programmes qui sont « d’intérêt stratégique pour le mouvement, comme la réforme agraire. »

Conscient des risques que cela implique, Sergio Gorgen souligne « que c’est une nouvelle façon de faire de la politique, qui s’oppose au schéma classique. Pour le MST, les mouvements ne doivent pas être la courroie de transmission d’aucun parti, encore moins de l’État. Ils doivent maintenir leur autonomie, et de là, négocier leurs revendications. Qu’il existe des membres du MST qui participent aux partis ou qui sont députés ou fonctionnaires ne signifie pas une cooptation du mouvement. Ces derniers ne sont pas traités comme des camarades, mais comme des cadres de l’État. Et cela est complètement nouveau, souligne le dirigeant brésilien.

« Construire un contrôle populaire sur le pouvoir national »

Depuis le triomphe de Luis Inacio Lula da Silva, allié historique du MST, celui-ci fait face à plusieurs dilemmes. « Lula a gagné le gouvernement en s’alliant à des secteurs libéraux et entrepreneuriaux ». Ce ne fut pas une simple victoire de la gauche. Quoique le MST l’ait accompagné dans ses quatre campagnes, il ne va pas abandonner les mobilisations » avertit Gorgen.

« La lutte du MST n’est pas contre le gouvernement, mais contre la structure sociale, économique et culturelle du Brésil : le grande propriété terrienne. Et nous allons continuer à prendre des terres et à faire des marches. La pression populaire est aussi une partie de la démocratie. »

Parmi les contradictions qu’affronte le MST, Gorgen signale que « la gauche a connu une énorme avancée avec Lula, mais il ne pourra faire les grandes transformations promises au départ, sa marge de manœuvre est petite. C’est un paradoxe : Nous sommes au gouvernement, mais nous ne sommes pas au pouvoir. Nous ne nous faisons pas d’illusions ».

« La démocratie dans le cadre du néolibéralisme est une farce » assure Gorgen. « Quoique nous élisions un président, ceux qui décident c’est la Banque mondiale et les grande transnationales . C’est pourquoi, le MST cherche à construire un contrôle populaire sur le pouvoir national. Il ne s’agit pas de siéger au gouvernement pour faire les mêmes choses que les autres ont toujours faites. Notre proposition est de construire des espaces de décisions contrôlées démocratiquement par la population.

Dans ce cadre, dit Sergio Gorgen, la réforme n’est pas seulement une question économique ; elle implique la défense d’un mode de vie, l’agriculture paysanne. En même temps, c’est une autre forme de pouvoir, parce que les multitudes paysannes s’approprient la terre qui était entre les mains des grands propriétaires terriens.

En bref, conclut-il, « c’est que défendent les mouvements comme le MST et les indigènes du Chiapas : nous proposons des alternatives démocratiques et une résistance organisée contre un modèle économique qui exclut les pauvres. C’est le défi auquel nous faisons face maintenant ».

(Traduit par La Gauche)
(Tiré de Rebelion)
20 mai 2003