Bien sûr, le jeu politique des acteurs individuels, leur passé, leur psychologie et leur profil de carrière expliquent un certain nombre de choses, les colorent surtout. Mais à ne braquer les projecteurs que sur l’aspect immédiat, observable, voire spectaculaire des choses, on en arrive vite à ressasser les mêmes clichés : M. Parizeau et ses pelures de banane ; M. Landry, dépositaire sinon propriétaire du destin de la patrie ; Mme Marois qui veut devenir Calife à la place du Calife, etc. Les rôles sont distribués, les personnages sont campés. Caricaturés. Il n’y a qu’à compter les coups. À applaudir ou à siffler. C’est selon.
Les causes immédiates
La crise est rampante. Dans l’immédiat, elle prend racine dans l’échec électoral d’avril 2003, dont le caractère assez cinglant (33,24 %) est sans conteste le pire score depuis 1973, époque où le jeune parti n’était pas un parti de gouvernement. Certes, pour faire passer la pilule, on invoque l’importance et la qualité de la députation. Mais encore faut-il qu’elle serve à quelque chose. Or, l’un des traits caractéristiques de la conjoncture révèle que pour l’essentiel, l’opposition à la charge néolibérale du gouvernement est venue de la rue, de la " société civile "pour parler à la mode. Cet autisme, tout le monde l’a observé. Il s’explique d’une part par les tensions internes aux effets de plus en plus inhibants, mais surtout, d’autre part, par un réflexe bien ordinaire : celui de ne pas se tirer dans le pied. Difficile de critiquer l’austérité budgétaire quand on a fait avaler le déficit zéro. Dur, dur de soutenir les syndicats dans leurs luttes contre les modifications à l’article 45 du Code du travail quand, trois ans auparavant, on a légiféré pour en affaiblir la portée. Impossible de contrer avec pertinence et à-propos les plans de réingénierie du Conseil du trésor quand son ancien titulaire, M. Facal, planchait déjà avec plaisir sur le sujet.
À l’échec électoral et à la complaisance parlementaire s’ajoute le relatif insuccès de la saison des idées. Annoncé comme un grand remue-méninges intellectuel et un grand big bang organisationnel, le débat d’idées est immédiatement polarisé en fonction des réseaux, voire des fractions publiques animées par les candidats à la direction de ce parti. Difficile de penser en paix à l’ombre d’une fraction, c’est pourquoi les deux seules idées renouvelées sont venues de cercles partiellement extérieurs au parti, du moins de son aile parlementaire. Celle de monsieur Laplante, fortement relayée par monsieur Parizeau, qui relève du simple constat : l’État fédéral est mauvais joueur. Il triche, comme en 1995. Il corrompt aussi. Dans l’essence de la conclusion, il est question d’Assemblée constituante. Belle idée, mais qui a vite glissé dans une vieille ornière : le débat sur l’élection référendaire. Certes, le document traitant des travaux sur le pays est plein de belles phrases et de bonnes intentions, mais tout cela tourne à vide puisque plusieurs militants et militantes ne carburent qu’à une seule idée. Qui sera le ou la chef ? Où est-il le sauveur suprême seconde version après monsieur Bouchard ?
L’autre idée soumise par le militant péquiste Pierre Dubuc, directeur de l’aut’journal, est de transformer l’organisation, ses statuts et sa culture, afin d’accueillir une fraction de syndicalistes réunis en club. Le document consacré à la réforme du parti porte un titre ambitieux : Pour un parti refondé, et renvoie au prochain Congrès le soin d’amender les statuts pour que " les souverainistes regroupés dans des formations extérieures au Parti et qui en font la demande soient reconnus sous forme de clubs politiques ". Gageons qu’après avoir négocié âprement et obtenu quelques circonscriptions sûres, nos syndicalistes apprendront vite les duretés de la rude discipline de parti dans un régime parlementaire de type britannique.
Les causes plus profondes
Comme beaucoup d’autres partis politiques du monde occidental, le Parti québécois subit les contrecoups permanents de ce que plusieurs évaluent comme une crise du politique, plus particulièrement des relais traditionnels des revendications sociales vers la société politique. Désertions des équipes militantes, cynisme ambiant, fort abstentionnisme électoral, recherche d’alternatives de type mouvementiste : les symptômes sont faciles à repérer. Cette crise du politique et cette recherche d’alternatives citoyennes sont rarement à l’ordre du jour au sein des grands partis. Pourtant, tous les voyants sont au rouge, comme en témoigne les baisses substantielles du taux de participation électorale aux deux derniers scrutins, fédéral et québécois. Honnêtement, à la lecture des documents issus des chantiers du PQ, on sent un peu partout, comme en filigrane, poindre une volonté de renouer avec les mouvements sociaux, de refondre les structures. Exercice classique d’un parti dans l’opposition ? Bien sûr. Opération cosmétique pour se rapprocher des mouvances altermondialistes très fortes au sein de la jeunesse ? Sans doute un peu. Mais au-delà de ces questions de bonnes intentions ou de froids calculs politiciens, il y a pour le PQ un très sérieux problème né de ce contexte de mondialisation néolibérale et sa réponse qu’est le mouvement altermondialiste. On ne peut pas très longtemps être de Davos et de Porto Alegre, du néolibéralisme et de sa critique. On ne peut comme M. Landry être le meilleur apôtre de l’intégration économique continentale et poursuivre le projet de construire la social-démocratie, à moins d’emprunter la voie de Tony Blair.
Peut-être, plus fondamentalement encore, y a-t-il autre chose. Autre chose de plus difficile à cerner, donc à assumer. L’usure. Pas l’âge, l’usure. Cette espèce d’érosion lente où le parti -gouvernement, le parti des intendants avec ses belles carrières et ses tensions de réseaux clientellaires, avait broyé, cannibalisé le parti-mouvement, le parti-idées. Né comme porteur de la solution indépendantiste à la question nationale et vecteur de fortes aspirations sociales, ce parti, du moins sa direction, est en peine et en panne d’idées. Sans doute parce qu’il a trop longtemps tourné le dos à sa raison d’être.
Soyons juste. Ce parti conserve de ses généreux élans fondateurs quelques éléments. Malgré l’autoritarisme de ses chefs successifs, il reste plus démocratique que beaucoup d’autres. Malgré les réseaux de ti-z-amis qui se font la courte échelle, ici ou là, le PQ a largement échappé à la corruption. Belle continuité avec l’éthique indiscutable du fondateur. On y retrouve sans doute moins d’arrivistes au kilomètre carré que dans beaucoup de partis de gouvernement de même ampleur. Des dizaines de milliers d’indépendantistes sincères y militent encore et veillent au grain.
La nature de la crise
Crise de renouvellement du personnel politique dirigeant ? Sans aucun doute. Mais plus, beaucoup plus. Jacques Parizeau a raison lorsqu’il affirme que la partie n’est plus jouable avec le fédéral. Tous les indépendantiste le savent ou le sentent. Certains depuis le coup de la Brinks et octobre 70. D’autres depuis l’affaire Morin. D’autres depuis le référendum de 1980 ou le rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne en 1982. D’autres, beaucoup plus, depuis le référendum de 1995 et le scandale des commandites.
Alors, crise de perspective ? Oui. Discutons des façons d’en sortir. Nous proposons une Assemblée constituante. Pourquoi pas ? Ce fut le choix de certains Patriotes en 1838, celui des États généraux de 1969. Pour cela, il faut laisser de côté les gadgets pour faire vite et les candidats et candidates au poste de sauveur suprême de la patrie.