Les représentants de l’UFP sont heureux de vous rencontrer aujourd’hui. Nos membres attendaient ce moment depuis fort longtemps. Nous sommes aussi heureux de la mise sur pied d’un comité citoyen qui marque un précédent en matière de consultation parlementaire. L’UFP avait réclamé que la consultation en cours soit confiée à une commission paritaire composée également de parlementaires, d’une part, et de citoyens et citoyennes, d’autre part. Nous espérons toutefois que la création de ce comité consultatif constituera un premier pas vers une forme de démocratie participative à la québécoise qui permettrait aux citoyens et citoyennes de travailler de plus en plus de concert avec les élu.e.s, sur une base décisionnelle et non seulement consultative, notamment en matière de réforme des institutions démocratiques, un sujet qui les concerne au premier chef.
Nous aborderons d’abord la question de la réforme du mode de scrutin avant de faire quelques propositions concernant d’autres parties de la loi électorale.
Du scrutin majoritaire à la proportionnelle
On sait que le mode de scrutin est un mécanisme qui permet de transformer les suffrages populaires en sièges parlementaires. Toutefois, le rôle joué par ce dernier n’est pas qu’instrumental. En fait, il est loin d’être neutre. Il est au coeur de notre régime politique car il détermine le sens que l’on donne à la démocratie représentative dans une société donnée en favorisant ou défavorisant tel ou tel groupe social ou catégorie de la population ; tel ou tel courant de pensée ; tel ou tel système de gouvernement.
Les deux principales familles de scrutin, le majoritaire et la représentation proportionnelle, correspondent à deux conceptions fort différentes de la fonction électorale et de la démocratie représentative. Les tenants de la proportionnelle font primer les exigences de la représentation sur celles de la gouvernance. Ils considèrent que le but premier de toute consultation électorale est de reproduire fidèlement la volonté populaire sous peine d’enlever au parlement et au gouvernement qui en émane une part plus ou moins grande de sa légitimité démocratique. Aujourd’hui, plus de 75% des démocraties dans le monde ont opté pour cette conception en se dotant de modes de scrutin complètement ou en partie proportionnels.
Au contraire, les tenants du scrutin majoritaire, que l’Angleterre a légué à sa colonie canadienne en 1791, estiment que les élections existent avant tout pour élire un gouvernement majoritaire, synonyme de stabilité politique dans leur optique. Faisant primer le découpage territorial sur la volonté populaire telle qu’exprimée dans les urnes, ce dernier crée des majorités artificielles en faveur du parti vainqueur, au détriment des partis d’opposition qui sont loin d’être traités de façon équitable surtout les tiers partis qui doivent souvent rester à la porte du Parlement malgré des proportions d’appuis significatives.
Ce mécanisme électoral accorde normalement une prime de 20% au parti vainqueur. Au Québec il a dérapé 65% des fois lors des 37 élections générales provinciales tenues depuis 1867 : prime au vainqueur de près de 40%, renversement de la volonté populaire en 1944. 1966 et 1998, etc. Le ministre Pelletier a même affirmé que nous nous classons bons derniers d’une liste de 37 pays occidentaux quant au niveau de distorsion produit par ce système électoral. Le premier ministre Lévesque, lui, avec son franc parler ne s’est pas gêné pour qualifier le mode de scrutin actuel de « démocratiquement infect ».
Ce déficit démocratique provient en bonne partie du fait que le mode de scrutin actuel ne tient aucunement compte des changements structurels qui ont transformé le Québec depuis le 19e siècle à cause de phénomènes comme l’industrialisation, l’urbanisation, l’immigration, ainsi que de la montée de divers courants de pensée novateurs comme le féminisme, l’écologisme, l’altermondialisme. Les modifications apportées périodiquement à la carte électorale n’ont fait qu’atténuer de façon dérisoire les symptômes de ce déficit démocratique sans agir sur ses causes.
Des objectifs dont l’atteinte nécessite une vraie proportionnelle
C’est donc pour rendre la composition de l’Assemblée nationale davantage représentative de la société québécoise que l’UFP réclame l’instauration d’un scrutin proportionnel. Mais les objectifs que poursuit notre formation ne consistent pas seulement à établir l’équité entre les partis déjà représentés à l’Assemblée nationale, comme se bornerait à le faire l’avant-projet actuellement soumis à la consultation. En voulant faire respecter fidèlement la volonté populaire et faire en sorte que chaque vote compte l’UFP désire aussi que se reflète le pluralisme politique au Parlement, qu’on atteigne l’égalité entre les femmes et les hommes dans la représentation politique, que la diversité ethnoculturelle s’incarne dans nos institutions démocratiques, que les régions voient reconnaître l’importance qu’elles ont dans la réalité québécoise et, enfin, que les liens entre les électeurs et leurs députés soient maintenus afin que ces derniers, en plus d’agir comme législateurs, puissent continuer à jouer leur rôle d’ombudsman.
Il faut réaliser que l’atteinte de tous ces objectifs est une tâche nécessitant une réforme en profondeur que seule l’instauration d’une vraie proportionnelle permettrait de mener à bien.
Pour ce faire, le premier choix de l’UFP est un système proportionnel régional avec correction nationale (modèle scandinave), car c’est celui qui permettrait l’atteinte optimale des objectifs que je viens de mentionner. C’est le mieux adapté aux caractéristiques du Québec qui est avant tout un pays de régions. Il pourrait également servir d’assise à la politique de décentralisation régionale que préconise l’UFP. C’est aussi la formule qui est issue de la consultation faite par la Commission de la représentation électorale en 1983 ainsi que celle, retenue en 2003, par le comité directeur des États généraux.
L’UFP considère que le modèle allemand dont Claude Ryan a été le promoteur - soit le scrutin mixte avec compensation - pourrait aussi être acceptable. Il faudrait toutefois que la formule choisie ne soit pas dénaturée et permette surtout d’éliminer complètement les distorsions entre les votes et les sièges causées par le scrutin majoritaire.
Deux votes et une compensation nationale rendraient la proposition gouvernementale acceptable
Abordons maintenant la proposition contenue dans l’avant-projet de loi et voyons comment la proposition gouvernementale pourrait devenir acceptable aux yeux de l’UFP.
Même si le ministre Dupuis, qui a parrainé cette dernière, a prétendu qu’elle constitue une « proportionnelle mixte », il faut noter qu’elle se différencie substantiellement du modèle allemand - aussi bien que de ses applications écossaise et néo-zélandaise- qu’on a amputé de l’une de leurs principales caractéristiques : le deuxième vote au scrutin proportionnel de liste pour l’attribution des sièges de compensation. En ne gardant qu’un seul vote au scrutin majoritaire pour attribuer les deux types de sièges (les 77 de circonscriptions et les 50 de districts), la formule proposée enlève la possibilité aux électeurs et électrices d’exprimer les nuances de leurs opinions politiques. Elle maintient aussi les distorsions d’ordre psychologique causées par le syndrome du vote utile ou stratégique qui viennent s’ajouter aux distorsions d’ordre mécanique découlant de la nature du scrutin majoritaire.
Le projet gouvernemental empêcherait ainsi les tiers partis en émergence - comme la formation qui naîtra, en janvier, de la fusion de l’UFP et d’Option citoyenne - de faire le plein de leurs voix en les privant d’une proportion appréciable d’appuis. Un sondage publié par le journal Les Affaires, en 2004, a révélé que 30% des électeurs québécois se sont adonnés à cette pratique déplorable d’un point de vue démocratique. C’est pourquoi l’ UFP considère que cette élimination du 2e vote au scrutin proportionnel constitue le point de démarcation entre une vraie proportionnelle et une réforme cosmétique, car c’est ce 2e vote qui injecte à ce système une bonne partie de sa vertu.
La proposition gouvernementale ne permettrait pas non plus au principe compensatoire de corriger toutes les distorsions causées par le scrutin majoritaire, et ce de l’aveu même de son concepteur, le professeur Louis Massicotte. Cela tient à la faible magnitude provenant du grand nombre de districts (entre 24 et 27) et des deux seuls sièges de compensation dont la grande majorité d’entre eux seraient pourvus. M. Massicotte a même admis que « les partis les plus forts seraient ainsi surreprésentés et que les chances des petits partis de percer seraient minces ». Ainsi, dans la plupart des cas, le seuil de facto pour qu’un parti puisse faire élire un candidat dépasserait la plupart du temps 15 % et ne serait jamais en bas de 13%. Or avec un scrutin proportionnel le seuil dépasse rarement 5%. Cela aurait aussi pour effet de maintenir le statu quo en consolidant le tripartisme actuel à l’Assemblée nationale. Dans le cotexte actuel, l’ADQ aurait la baln ce du pouvoir et pourrait déterminer le vainqueur entre le parti libéral et le PQ.
L’UFP estime donc que les 50 député.e.s de compensation devraient être élu.e.s à partir de listes nationales présentées par chaque parti afin que le niveau de proportionnalité en résultant permette l’expression du pluralisme politique, l’égalité entre les femmes et les hommes dans la représentation politique, ainsi que l’expression de la diversité ethnoculturelle. L’UFP veut aussi que la loi oblige les partis à choisir leurs candidats et candidates par scrutin secret lors de réunions de leurs instances.
Bref, l’UFP considère que le projet gouvernemental n’est pas un scrutin mixte dans sa forme actuelle. En l’absence d’un deuxième vote au scrutin proportionnel, il n’est en effet qu’un scrutin majoritaire accompagné d’une timide compensation. Avec cette version tronquée d’un système mixte compensatoire, le Québec se distinguerait certes des autres pays ayant adopté cette formule, mais pas de la bonne manière, car il serait le seul à avoir le pas. Toutefois, l’ajout d’un deuxième vote au scrutin proportionnel et l’attribution des sièges de compensation au niveau national rendraient la proposition gouvernementale acceptable et même intéressante, car, tout en faisant alors primer la représentation sur la gouvernance, elle tiendrait compte des impératifs de cette dernière.
Une solution de compromis soumise à cette commission voudrait qu’on expérimente la formule d’un seul vote quitte à modifier la loi éventuellement pour en accorder un deuxième. Il faut se rappeler qu’en Allemagne il n’y avait qu’un seul vote à l’élection de 1949 mais dès celle de 1953 on est passé à deux. Dans tous les autres pays par la suite on a adopté les deux votes comme faisant partie intégrante du système et dans aucun pays on ne s’en est repenti. Recommencer au Québec l’expérience du vote unique, sous prétexte de pas brusquer les gens serait donc faire preuve d’un conservatisme de mauvais aloi, Il faut faire confiance en la capacité des Québécois et Québécoises de s’adapter à une réforme qui a pour but de maximiser leurs choix électoraux.
Par ailleurs, l’UFP est d’accord avec les incitations financières que l’avant-projet de loi propose pour atteindre une représentation égale des femmes et des hommes, ainsi qu’une meilleure représentation de la diversité québécoise. Il propose toutefois d’abaisser de 15 % à 5 % le seuil de remboursement de la moitié des dépenses électorales. L’UFP estime néanmoins que ces mesures sont insuffisantes. L’élection des 50 députés de compensation à partir de listes nationales constituerait encore le meilleur et le plus sûr moyen d’atteindre les objectifs démocratiques visés. L’UFP préconise aussi la création d’un Observatoire de l’égalité qui, sous l’égide du Directeur général des élections, proposerait des mesures de redressement à l’Assemblée nationale.
Après 40 ans, la saga a assez duré !
Dès 1849, le chef patriote Louis-Joseph Papineau, un précurseur, s’était fait le promoteur du scrutin proportionnel au Parlement du Canada-Uni. En 1921, ce mode de scrutin recueillait 38% des appuis lors d’un référendum tenu à Montréal. Le débat est revenu dans l’actualité à la fin des années soixante et donne lieu, depuis 40 ans, à une véritable saga. Ce dossier est le mieux documenté de l’administration provinciale : nombreuses études, livres colloques et forums ; plusieurs commissions parlementaires, une consultation populaire par la Commission de la représentation en 1983 et des États généraux en 2002-2003.
L’UFP croit que cette saga, qui paralyse le développement démocratique du Québec, a assez duré. Il est plus que temps pour les dirigeants politiques de passer à l’action, d’autant plus que les programmes de presque tous les partis appuient l’introduction de la proportionnelle dans notre système électoral, certains comme le Parti québécois depuis 1969 C’est pourquoi l’UFP déplore vivement le report de l’entrée en vigueur de la réforme aux élections de 2011-2012. Cela risque de reporter de nouveau cette réforme pressante aux calendes grecques.
Devant la tournure des événements, l’UFP juge nécessaire la tenue d’un référendum sur le principe du remplacement du mode de scrutin actuel par un scrutin proportionnel reflétant le plus fidèlement possible la volonté de l’électorat et le pluralisme politique. Ce dernier devrait avoir lieu en même temps que les prochaines élections provinciales. La formulation de la question soumise à la consultation populaire devrait prévoir que le prochain gouvernement sera tenu d’en respecter le résultat et d’instaurer, le cas échéant, un scrutin proportionnel qui entrerait en vigueur dès les élections suivantes, soit celles de 2011-2012. Pour que les citoyens et citoyennes puissent se prononcer alors en toute connaissance de cause, il faudra que l’État subventionne une importante campagne d’information qui pourrait être confiée aux organismes voués à la réforme du mode de scrutin.
Cinq autres propositions importantes
Par ailleurs, l’UFP profite de la consultation sur l’avant-projet de loi pour formuler cinq autres propositions :
Premièrement : Que les élections soient tenues à date fixe pour que le parti au pouvoir ne jouisse plus de l’avantage stratégique d’en choisir la date ; et ce dans un souci d’équité envers tous les partis ;
Deuxièmement : Qu’un scrutin proportionnel soit implanté dans les m unicipalités pour les élections de novembre 2009 ; du moins dans les grandes villes Cette réforme contribuerait notamment à augmenter la participation dont le taux a atteint des baisses inquiétants lors des élections du 6 novembre dernier.
Troisièmement : Que les lois électorales provinciale et municipale prévoient des mesures afin que tous les partis reconnus aient un accès équitable aux médias pendant les périodes électorales. La récente campagne électorale municipale a démontré encore une fois que les nouveaux partis - même s’ils ont un programme sérieux - sont ignorés des médias à moins que leurs leaders ne soient des vedettes.
Quatrièmement : Qu’une représentation distincte à l’Assemblée nationale soit accordée aux Inuïts et aux Amérindiens du Québec (une ou deux circonscriptions), sous réserve de l’assentiment des dirigeants des Premières Nations ;
Cinquièmement : Que des amendements soient apportés, d’ici les prochaines élections, aux dispositions des lois électorales provinciale et municipale en matière de financement des partis politiques afin de contrecarrer les manœuvres inventées pour les violer ; qu’une consultation publique ait lieu préalablement à leur adoption ; que les entreprises continuent à être exclues de la participation à ce financement et que le rapport du Groupe de réflexion mis sur le pied par le directeur général des élections, il y a quelques mois, soit publié dès qu’il sera prêt afin de permettre un débat public.