Le chapitre de Bien commun recherché, une option citoyenne, portant sur la question nationale a suscité une certaine surprise puisque l’auteure ne tranchait pas sur la question nationale. Elle affirmait cependant que le Québec est une nation, formée à partir d’une histoire et d’une culture particulière,- y compris une langue commune, le français-, qui doit disposer de tous les moyens nécessaires à son développement politique, économique, culturel et social ; que cette nation possède un droit inaliénable à l’autodétermination sans ingérence de l’extérieur ; que onze nations autochtones habitent aussi le territoire du Québec et doivent avoir droit à l’autodétermination.
Plongeant ensuite dans le débat du statut politique et constitutionnel du Québec, le livre posait les questions suivantes : la réalisation d’un Québec fondé sur la valeur centrale du bien commun peut-elle se passer de la souveraineté ? Ou bien, une redéfinition radicale du fédéralisme (asymétrique, décentralisé, se fondant sur la reconnaissance des nations canadienne, québécoise et autochtones), peut-elle fournir au Québec les pouvoirs nécessaires à la réalisation du projet social souhaité par Option citoyenne ? Cette deuxième option est-elle réalisable dans le contexte où le Canada hors Québec ne se montre pas disposé à revoir le fédéralisme canadien de fond en comble ?
Ce chapitre, où chaque mot fut soupesé par le comité de rédaction, voulait ouvrir un débat sur la question nationale québécoise. Et débat il y eut, dans les pages du Devoir, durant toute la tournée estivale, au sein du comité sur la question nationale et du comité de coordination.
Quels qu’aient été les points de vue exprimés dans ces débats, un large consensus s’est dégagé parmi nos membres et sympathisants-es pour affirmer que l’article 1 du programme de notre futur parti ne devrait pas porter sur la question nationale mais sur notre projet social. Un autre constat s’est imposé : la nécessité de lier question nationale et projet social même si la question nationale existe aussi par elle-même, compte tenu de l’histoire et de la culture du peuple québécois.
En d’autres mots, nous devons nous demander de quels outils le Québec a besoin pour atteindre une plus grande justice sociale, redistribuer la richesse et éradiquer la pauvreté. Quels moyens additionnels lui faut-il pour protéger plus adéquatement l’environnement, favoriser l’égalité dans les faits entre les hommes et les femmes et développer des relations égalitaires et harmonieuses avec les autres peuples du monde ?
Poser la question nationale de cette façon, c’est réaffirmer un profond sentiment d’identification et d’appartenance - très largement partagé dans la population -, au Québec comme lieu d’intervention, comme théâtre des changements souhaités. Ce sentiment est propre au Québec où l’État québécois représente pour une immense partie de la population une sorte d’État national, même si nous appartenons à un régime fédéral.
Alors, quelle position adopter ?
À la suite de la tournée et des commentaires reçus par courrier ou internet et au rapport du comité sur la question nationale, le Comité de coordination a dû se poser les questions suivantes :
Est-ce ce que les membres d’Option citoyenne devraient se prononcer sur la question nationale lors de la rencontre de la mi-novembre ? Si oui, quelle position est la plus souhaitable ? Si non, quand prendrons-nous position ?
Le Comité de coordination a débattu plusieurs heures de ces questions et surtout de la première : est-il opportun de trancher maintenant ? Deux arguments militaient en faveur d’un report de la décision : la tournée nous a surtout amenés à l’extérieur de Montréal et ne nous a pas permis de rencontrer beaucoup de personnes appartenant à des milieux progressistes, mais réticents à la souveraineté. D’autres se demandaient pourquoi trancher maintenant alors que nous sommes loin d’une étape référendaire. Il aurait pu être sage de reporter la décision de quelques mois, nous permettant ainsi d’approfondir les débats sur la question nationale.
Par contre, nous observons que, jusqu’à présent, les personnes rencontrées qui seraient plutôt tenantes d’un fédéralisme radicalement renouvelé ne nous paraissent pas soutenir un projet articulé, et surtout, réalisable, dans un contexte où le reste du Canada n’en veut pas. La proposition de Mario Dumont d’un Québec autonomiste dans un Canada uni et ce, sans référendum ni rapport de force, est apparue généralement comme une sorte de chimère voulant ménager la chèvre et le chou. Poursuivre le débat sur un fédéralisme résolument décentralisé, asymétrique et donnant au Québec reconnu comme une nation, tous les moyens nécessaires à son développement, devient difficile et quelque peu artificiel en l’absence de personnes, ici-même au Québec, qui seraient en mesure de développer une position cohérente et un processus qui produirait de véritables résultats.
Voilà pourquoi, le Comité de coordination recommande finalement aux membres d’Option citoyenne de prendre position lors de la rencontre nationale de novembre. Cependant, les membres seront conviés-es à poursuivre les débats nécessaires pour que notre choix politique et constitutionnel s’arrime avec notre parti-pris social.
Le choix de la souveraineté
Le Comité de coordination porte son choix sur la souveraineté du Québec et ce, pour plusieurs raisons :
. Malgré des avancées indéniables, depuis la révolution tranquille, aux plans économique, social, linguistique et culturel, la population québécoise vit dans une situation de blocage politique étant donné le refus répété d’Ottawa et des provinces canadiennes de reconnaître au Québec le statut de nation et de négocier d’égal à égal un nouveau statut politique pour le Québec au sein de la Confédération canadienne.
. Cette situation a des conséquences concrètes.
La première est l’obligation pour le Québec de se battre inlassablement pour obtenir d’Ottawa des pouvoirs additionnels afin d’aller de l’avant en diverses matières. Combien aura-t-il fallu d’années pour obtenir enfin (et ce n’est pas terminé...) le rapatriement des congés parentaux ?
. La deuxième et ce, surtout depuis l’avènement de l’époque Trudeau, est la difficulté pour le Québec de faire respecter tout simplement ses champs de compétence. Pensons aux bourses du millénaire... Cette situation nous amène paradoxalement à considérer comme une victoire le simple fait que le gouvernement Charest arrive à faire respecter par le gouvernement Martin la compétence québécoise en matière de santé !
. La troisième est le refus d’Ottawa (et des provinces canadiennes) de souscrire à des politiques asymétriques, lorsque, pourtant, le peuple québécois le réclame unanimement. Pensons aux amendements visant à durcir la Loi sur les jeunes contrevenants. Elle fut adoptée par le Parlement canadien malgré l’opposition unanime de l’Assemblée nationale du Québec et de dizaines de groupes représentant la société civile.
La quatrième est l’existence d’un déséquilibre fiscal qui n’a plus besoin d’être démontré alors que les provinces crient famine pendant que le gouvernement fédéral engrange les surplus.
De plus, le projet social, économique, politique et culturel d’Option citoyenne nécessite des changements profonds difficiles à réaliser si la population québécoise et son gouvernement ne maîtrisent pas les pouvoirs nécessaires. Reprenons ici un passage de Bien commun recherché :
" Comment améliorer le réseau ferroviaire, pour soulager nos routes maltraitées par les poids lourds, alors qu’il s’agit d’une prérogative fédérale ? Comment développer une vision globale du développement économique et social, dans les municipalités et les régions, alors que Québec et Ottawa financent chacun " leurs " organismes et " leurs " projets, en se marchant souvent sur les pieds ? (...) Comme peuple québécois, quelle influence réelle avons-nous sur la politique étrangère canadienne qui appuie habituellement la politique américaine (la guerre contre l’Irak étant une exception) ? " (page 54)
. Enfin, " Développer un projet social, politique et culturel national, au Québec, ne serait-ce pas un rempart -même relatif- contre une mondialisation qui vise à homogénéiser les économies, les institutions politiques et les cultures ? La résistance ne serait-elle pas plus facile dans un petit ensemble dont le peuple aurait défini les valeurs communes ? " (Bien commun recherché, page 55).
Pour toutes ces raisons, le comité de coordination d’Option citoyenne propose aux membres du mouvement d’opter pour la souveraineté du Québec. Cependant, notre mouvement est conscient que des progressistes québécois de divers milieux ressentent moins fortement une appartenance à la nation québécoise ou ne se reconnaissent pas dans l’option souverainiste tout en étant désireux de contribuer à un projet politique de gauche. Option citoyenne les invite à participer au processus qui nous conduira, nous l’espérons, à l’unité des forces de gauche, puisque nous partageons tous et toutes ce qui est au cœur de notre projet : la construction d’un Québec fondé sur la recherche du bien commun.
Un choix à approfondir
Cependant, un immense travail reste à faire pour préciser davantage notre option souverainiste et résoudre un certain nombre de questions :
. Comment articuler l’option souverainiste avec la valeur, qui est au cœur de la construction d’Option citoyenne, la recherche du bien commun ?
. Comment traduire ce choix en termes inclusifs, reconnaissant que la nation québécoise est plurielle et diversifiée, qu’elle comprend une minorité anglophone aux droits historiques reconnus et des communautés d’origines diverses, tout en affirmant qu’une langue et une culture communes nous unissent ?
. Que signifie dans les faits, concrètement, la reconnaissance du droit à l’autodétermination des peuples autochtones ?
. Que signifie la souveraineté des peuples et des États dans un contexte de mondialisation ?
. Voulons-nous conserver des liens avec l’ensemble canadien et si oui, lesquels et de quelle manière ?
. Quel processus voulons-nous proposer à la population québécoise pour décider de son avenir constitutionnel ?
. Quelle énergie le mouvement Option citoyenne veut-il accorder à la question nationale dans sa démarche visant à construire un nouveau projet politique, économique, culturel et social ?
Nous ne pourrons résoudre toutes ces questions lors de la rencontre nationale de novembre 2004. Nous proposons donc aux membres d’Option citoyenne d’y revenir, ¯ en déterminant des priorités ¯, au cours de la prochaine rencontre nationale du printemps 2005. Entre-temps, nous devrons poursuivre nos débats à l’interne mais aussi, ¯ et cela apparaît très important au comité de coordination ¯, développer nos liens avec des personnes et des groupes représentatifs de la diversité québécoise pour entendre leurs points de vue, leur permettre d’influencer nos positions sur les questions mentionnées plus haut et les inviter à être des nôtres dans la construction du Québec du bien commun.
En conséquence de ce qui précède, voici les propositions du comité de coordination :
Proposition 1 Ce qui est au centre des préoccupations et de l’action d’Option citoyenne, c’est son projet social : la construction d’un Québec centré sur la recherche du bien commun. Sans s’y restreindre, la question nationale doit être posée en lien avec ce projet social et politique.
Proposition 2 Pour Option citoyenne, le peuple québécois forme une nation qui doit être reconnue comme telle. Notre mouvement adhère cependant à une conception civique et pluraliste de cette nation qui, tout en reconnaissant la spécificité québécoise (identité culturelle, langue commune, -le français-, façon propre d’intervenir aux plans social, économique et politique), inclut les personnes de toutes origines qui veulent s’y identifier et contribuent à son développement. Option citoyenne reconnaît que la minorité anglophone du Québec possède des droits historiques reconnus et entend les préserver. De plus, l’élimination du racisme et de toute forme de discrimination est au cœur même du projet d’Option citoyenne.
Proposition 3 Option citoyenne reconnaît que comme peuple, à part entière, le peuple québécois a droit à l’autodétermination, ce qui inclut le droit de se constituer en État indépendant. À ce titre, Option citoyenne s’opposera à toute ingérence de l’extérieur ayant pour effet de brimer ou de limiter ce droit, comme l’a fait le gouvernement fédéral avec l’adoption de la Loi sur la clarté (loi C-20). Par ailleurs, l’avenir du Québec appartient à son peuple et doit donc être tranché de la façon la plus démocratique qui soit.
Proposition 4 Option citoyenne affirme que le Québec doit disposer de tous les pouvoirs nécessaires à son plein développement aux plans social, économique, culturel et politique. Le cadre fédéral actuel ne le permet pas et aucun parti politique pancanadien ne propose une redéfinition radicale du fédéralisme permettant au Québec d’avoir les moyens de ses choix.
Proposition 5 Option citoyenne opte pour la souveraineté du Québec. Sans être une garantie, la souveraineté représente le moyen incontournable de fournir au Québec tous les outils nécessaires à la réalisation d’un projet social progressiste, ainsi qu’à son plein épanouissement comme peuple partageant une langue et une culture commune. Cette souveraineté devra être inclusive et réalisée en partage avec les peuples autochtones.
Proposition 6 Une nouvelle rencontre nationale aura lieu au printemps 2005 et portera, entre autres, sur des questions découlant du choix de la souveraineté du Québec. D’ici là, le comité de coordination d’Option citoyenne doit fournir aux membres les outils nécessaires à la poursuite des débats ; il doit aussi approfondir les liens d’Option citoyenne avec des personnes ou groupes non encore représentés dans nos rangs en grand nombre, de façon à refléter davantage la diversité québécoise et à instaurer un véritable dialogue.
Proposition 7 D’ici à l’assemblée du printemps 2005, Option citoyenne adoptera une attitude de réserve dans la promotion de la souveraineté étant donné le besoin d’approfondir ses positions.
Document préparatoire de la rencontre nationale d’Option citoyenne page 15
L’autre souveraineté, celle des peuples autochtones
Onze nations autochtones habitent le territoire du Québec. Au fil des ans et des crises, le gouvernement québécois en est venu à les reconnaître comme des nations distinctes et a conclu avec elles des ententes comme la Paix des Braves ou l’Approche commune, cela dans le respect de " l’intégrité territoriale " du Québec.
Cela dit, le peuple québécois qui réclame pour lui-même un droit inaliénable à l’autodétermination, allant jusqu’à la sécession, veut bien reconnaître aux peuples autochtones un statut de nation mais sans aller jusqu’au bout de la logique du droit à l’autodétermination. Déjà, les contraintes de partage de territoires associées à l’Approche commune ont fait beaucoup réagir une grande partie des populations de la Côte-Nord et du Saguenay.
Mais comment refuser à d’autres ce que nous nous accordons à nous-mêmes ? Ne devient-il pas nécessaire de souscrire à l’idée d’une nécessaire cohabitation harmonieuse sur un même territoire de peuples souverains pouvant disposer librement de leur avenir ? Considérant la responsabilité collective qui est la nôtre, au plan des discriminations subies par les peuples autochtones depuis des centaines d’années, ne devons-nous pas adopter une attitude positive de négociation d’égal à égal, respectueuse des communautés concernées et transparente ?
En réalité, les nations autochtones vivant sur le territoire du Québec ne réclament pas l’indépendance au sens où nous l’entendons habituellement au Québec, mais bien la reconnaissance de leur droit à disposer librement d’elles-mêmes et la possibilité de se développer à tous les niveaux. Les femmes autochtones, quant à elles, insistent pour que les populations autochtones jouissent des droits reconnus par les chartes québécoise et canadienne.
Pour l’instant, et compte tenu qu’Option citoyenne commence à peine à ouvrir les discussions concernant les rapports entre la nation québécoise et les nations autochtones, le comité de coordination propose ce qui suit :
Proposition 8 Option citoyenne reconnaît que les peuples autochtones vivant sur le territoire québécois forment des nations à part entière. Notre mouvement croit en la nécessité de négocier avec les nations autochtones un partage harmonieux du territoire et des ressources leur permettant de se développer aux plans politique, économique, social et culturel. Option citoyenne appuie les luttes des femmes autochtones pour le respect de leurs droits. Notre mouvement s’engage aussi à lutter contre le racisme et les préjugés dont sont victimes les populations autochtones.
Proposition 9 Par ailleurs, Option citoyenne tout en affirmant son ouverture relativement à la reconnaissance du droit à l’autodétermination des nations autochtones, doit poursuivre ses discussions sur les implications concrètes d’une telle reconnaissance et ce, en dialogue avec les populations autochtones.