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Massacre au Proche-Orient

dimanche 18 août 2002, par Michel Warscharski

Dos à dos ?

Ariel Sharon poursuit sa campagne de pacification des territoires occupés avec la même détermination et la même brutalité qu’il y a un an. La vie des civils palestiniens ou israéliens importe peu face à sa stratégie impitoyable de colonisation dans un Grand Israël définitivement unifié.

Le fait qu’il n’y ait plus grand-chose à détruire, que les institutions civiles et militaires de l’Autorité palestinienne ont été réduites a néant, que la population palestinienne toute entière soit enfermée dans plus d’une cinquantaine de zones complètement isolées les unes des autres, et que dans certains endroits la faim commence à s’ajouter à l’absence de soins médicaux et à de réels dangers d’épidémies, rien de cela n’est satisfaisant pour Ariel Sharon, pour qui il faut continuer à tuer et à détruire jusqu’à ce que les Palestiniens capitulent et acceptent de renoncer à leur volonté d’indépendance dans les territoires occupés en juin 1967.

Un timing très approprié

Le dernier massacre a eu lieu la semaine dernière à Gaza lorsqu’ un avion de chasse a lancé, en pleine ville, une bombe de 1 000 kilos dans le but d’assassiner le leader islamiste Salah Chéhadé : treize civils morts dont de nombreux enfants. Erreur de jugement, faille dans les renseignements militaires, timing inapproprié, affirment les ministres travaillistes qui montrent par là enfin ce qu’est leur rôle dans ce gouvernement entièrement dominé par l’extrême droite.

Mais le timing, précisément, n’était pas inapproprié du tout : par l’intermédiaire de la Grande-Bretagne et de l’Arabie Saoudite, un accord de cessez-le-feu était sur le point d’être signé par l’ensemble des groupes armés palestiniens, Hamas compris. Le journaliste israélien Alex Shifman en a donné les grandes lignes et le chef de la diplomatie européenne au Proche-Orient en a confirmé l’existence. Pour Sharon et son entourage, il fallait coûte que coûte empêcher l’éventualité d’un cessez-le-feu palestinien qui aurait rendu difficile la poursuite des opérations de répression dans les territoires occupés. Comme il l’avait déjà fait avec le meurtre de Raed Carmi il y a six mois, Sharon a pris la décision d’assassiner un leader central de la résistance pour provoquer de nouveaux attentats et de pouvoir ainsi justifier aux yeux de George W. Bush et de sa propre opinion publique de nouvelles mesures militaro-répressives dans les territoires occupés.

C’est dire à quel point la vie des civils importe peu pour le boucher de Kibya comme de Sabra et Chatila, qu’ils soient palestiniens ou israéliens, face à sa stratégie impitoyable de colonisation dans un Grand Israël définitivement unifié. C’est dire aussi combien hypocrite est la politique européenne qui dénonce "la violence des deux côtés" et renvoie dos à dos Sharon et Arafat : chaque fois que les organisations palestiniennes décident de renoncer à l’usage, légitime s’il en est, de la résistance armée contre une occupation barbare, la violence de l’occupant qui, elle, ne s’est jamais arrêtée, les provoque à reprendre les armes.

Délégitimation

Quant à Yasser Arafat, il est totalement marginalisé dans un combat où l’arme du désespoir que sont les opérations suicides contre des civils semble être la seule réponse disponible au terrorisme d’Etat d’une des plus grandes puissances militaires du monde. Il y a dans le personnage, que les Palestiniens continuent à percevoir comme leur leader national, à la fois du tragique et du pathétique : après avoir, il y a quatre décennies, remis le peuple palestinien sur ses pieds et unifié sa lutte de libération nationale dans un mouvement unifié et internationalement reconnu, Yasser Arafat a fait, quasiment seul, le choix de la réconciliation, ce qui lui a d’ailleurs valu le prix Nobel de la Paix. Le processus de paix, lui-même extrêmement problématique et semé d’embûches, est liquidé par la droite israélienne revenue au pouvoir après l’assassinat de Rabin, mais le dirigeant palestinien s’obstine à rechercher la réconciliation. Malgré les déclarations répétées des dirigeants israéliens sur la caducité du processus de paix, malgré la destruction de l’autorité palestinienne, malgré une politique de répression et de terreur qui a provoqué la mort de près de 2 000 civils palestiniens, Yasser Arafat continue à voir dans la paix avec Israël un objectif stratégique et dans le processus d’Oslo un mécanisme qu’il faut ressusciter.

Ce n’est pas le prix Nobel de la Paix qu’il mérite, mais celui de Juste des nations, cette consécration que donne l’Etat d’Israël aux hommes et aux femmes qui, au risque de leur vie, ont sauvé des Juifs pendant la terreur nazie.

En guise de récompense, Yasser Arafat a été inclu dans la liste des "wanted" de Bush, aux côtés de Ben Laden et de Sadam Hussein. Architerroriste qui n’a eu la vie épargnée que parce que les dirigeants arabes, effrayés par les conséquences éventuelles d’un assassinat du leader palestinien, se sont engagés à le neutraliser. Sharon est prêt à leur donner une chance ...

La délégitimation du leader palestinien fait des ravages, y compris dans le mouvement de solidarité avec la Palestine, au sein duquel les critiques légitimes d’une gestion autoritaire, corrompue et inefficace, font parfois oublier que cette délégitimation vise en fait à absoudre les crimes de guerre de Sharon ou, pour le moins, à modérer sa responsabilité. Dire aujourd’hui "Sharon et Arafat sont responsables", ou "il faut des réformes structurelles dans la gestion palestinienne pour pouvoir reprendre le processus de paix" c’est tomber dans le piège de l’équidistance et renforcer l’opacité sciemment entretenue sur les causes de la crise en Palestine.

Ne s’y trompent pas les Palestiniens qui unanimement font front avec leur leader, et ne cessent de répéter à qui veut bien encore les entendre : "Certes, nous voulons mettre fin à la corruption et à l’autoritarisme, certes, nous voulons une réforme des institutions, oui, nous voulons des élections et un nouveau leadership, mais nous le ferons démocratiquement et sans l’intervention des maîtres en démocratie Bush et Sharon."

Fausses symétries

Certains intellectuels français nous disent qu’il faut modérer les critiques contre le criminel de guerre Sharon parce qu’il a été élu démocratiquement par le peuple israélien. Yasser Arafat, lui, a été plébiscité par son peuple, dans des élections dont le caractère démocratique a été salué par l’ensemble de la communauté internationale. La différence est que Yasser Arafat a été élu par son peuple sur un programme de paix, alors que Sharon n’avait jamais caché ses objectifs guerriers et colonisateurs. Et cela aussi il faut le prendre en considération quand on tente de créer des fausses symétries entre occupants et occupés pour faire partager à ces derniers une part de la responsabilité de la violence inouïe qu’ils subissent depuis plus de vingt mois.

(tiré de Rouge, hebdomadaire de la Ligue Communiste Révolutionnaire, section française de la Quatrième Internationale)