La « prudence » a cédé le pas à la « perplexité »... jusqu’à se heurter, aujourd’hui, à une donnée incontestable. L’orientation du gouvernement Lula ne relève pas d’un « faux pas social-libéral », mais d’une option irréversible.
Feuille de route néolibérale
Le sociologue et économiste André Gunder Frank[1] a été, en la matière, encore plus loin : il a comparé Lula à l’ancien dirigeant de Solidarnosc, Lech Walesa, qui, après avoir conquis la présidence de la Pologne, a mis en oeuvre une politique économique plus conservatrice que celle de ses prédécesseurs. A. Gunder Frank exagère-t-il ?
En prenant ses fonctions, le 1er janvier 2003, le président Luiz Inacio da Silva, dit Lula, promit la récupération de l’« endettement social séculaire de ce pays », et de commencer à surmonter l’« héritage maudit » laissé par Fernando Henrique Cardoso et les gouvernements néolibéraux qui l’ont précédé. Mais rien de cela ne se profile à l’horizon. Au contraire, le changement a fait place à la continuité la plus stricte.
Le gouvernement Lula a finalement accepté les règles du jeu du capital transnational. Il a donné son accord à une surveillance de la part du FMI, des banquiers et des principaux actionnaires de l’Etat brésilien privatisé. Il a imposé « la réforme » de la prévoyance vieillesse au bénéfice des fonds de pension privés. Il est en train de mettre un point final à la « réforme fiscale », ordonnée par Washington.
En poursuivant sa feuille de route néolibérale, le gouvernement Lula prépare la flexibilisation de la législation du travail (exigée par les organisations patronales et le FMI). Sa politique aboutit à l’accroissement de la dette publique par rapport avec le PIB. Il a assuré « l’autonomie » de la banque centrale qui, en réalité, représente le bras local de la Fed (Réserve fédérale) nord-américaine.
Tout continue comme avant..., ou même empire. Le chômage se situe à hauteur de 20% de la population active dans les grandes villes. Le revenu moyen des familles a chuté de 16% entre juillet 2002 et juillet 2003 ; la consommation a baissé de 1% au cours du premier trimestre 2003. Plus de 50% de ceux et celles qui travaillent ne disposent d’aucune sécurité sociale. Entre-temps, le plan « Faim Zéro » ne touche qu’à peine 350’000 personnes. Autrement dit, il est paralysé. Et, en ce qui concerne son financement, il dépend, plus que jamais, de l’inclusion, lors des prochaines négociations avec le FMI, d’une « clause sociale » et d’un abaissement de « l’excédent budgétaire primaire » [excédent budgétaire avant paiement des intérêts de la dette] ; et, en plus, de la « compréhension » que manifestera la Banque mondiale, ainsi que des « donations » de transnationales telles que Coca-Cola ou Nestlé.
La réforme agraire que les sans-terre exigent est dévoyée par les exigences d’un modèle d’agriculture exportatrice et répond de la sorte aux intérêts des transnationales du secteur agroalimentaire. La récente destitution du président de l’INCRA, Institut national de la colonisation et de la réforme agraire, Marcelo Resende (lié à la Commission pastorale de la terre), représente un coup mortel porté aux espoirs de millions de paysans. Et l’annonce que seules 7000 familles seront installées sur des terres cette année - alors que le chiffre de 60’000 avait été promis - indique que le gouvernement a choisi de céder aux pressions des grands propriétaires fonciers représentés par le ministre de l’Agriculture, Roberto Rogrigues.
Dans ce contexte, le rôle du ministre du Développement agraire, Miguel Rossetto, est chaque jour plus subordonné. Entre-temps, la guerre dans les campagnes s’exacerbe : les hommes de main des grands propriétaires fonciers (latifundistes) ont assassiné plus de 30 sans-terre depuis le début de l’année... Ce qui n’empêche pas que les seules personnes faites prisonnières soient des dirigeants du MST parmi lesquels José Rainha et Felinto Procopio dos Santos.
Enfin, le projet de budget 2004 présenté au Congrès [Chambre des députés et Sénat fédéral] réduit toutes les sommes ayant trait aux rubriques budgétaires d’ordre social ; et cela bien que le paiement des intérêts de la dette extérieure ne soit en aucune mesure remis en question.
Des engagements inconciliables
Tentons d’expliquer cette trajectoire. Avant d’arriver au gouvernement, Lula et la fraction dirigeante du PT (Parti des travailleurs) ont passé une alliance avec des secteurs décisifs de la classe dominante brésilienne pour « développer le marché interne », le « capitalisme productif » et pour procéder à une « redistribution équitable du produit national », promesse faite avec force publicité. Lula et la fraction dirigeante du PT ont passé un accord avec les marchés financiers.
Cela impliquait de prendre des engagements inconciliables. Le changement (revendiqué par la population pauvre et laborieuse), d’une part, et, d’autre part, le respect des contrats et accords avec le FMI, les banquiers et, en définitive, avec les grands capitalistes.
Evidemment, presque personne ne s’attendait à l’ouverture d’un scénario de « transition au socialisme » dans la mesure où la fraction dirigeante du PT - Lula et le courant « articulation » - allait soumettre tout programme de changement au respect du système institutionnel capitaliste. En s’adaptant politiquement et matériellement à l’appareil d’Etat, la fraction dirigeante du PT s’est coupée de manière irréversible de la lutte révolutionnaire. De la même manière étaient peu nombreux ceux qui croyaient en la possibilité d’initier un processus de « rupture démocratique », voire même à une extension de l’expérience du « budget participatif », dont le centre de gravité reste toujours circonscrit à Porto Alegre.
La fraction dirigeante du PT s’est transformée en un élément de soutien de l’ordre bourgeois... même si elle s’est comportée comme opposition face aux divers gouvernements néolibéraux, en adaptant la tonalité de son discours à l’intensité des luttes sociales. L’assimilation idéologique et l’intégration de la thèse sur « la neutralité » des institutions démocratiques bourgeoises ont non seulement fait s’éclipser toute perspective classiste [de classe] et anticapitaliste, mais aussi une timide option anti-néolibérale. La couche de bureaucrates ayant des aspirations « d’hommes d’Etat », qui a été raffermie par de nombreuses années d’électoralisme, de prébendes parlementaires et de pratiques entrepreneuriales et gestionnaires (dans les Etats de la République fédérale et dans les municipalités), a abouti à réaffirmer, de manière définitive, la stratégie d’accession au Planalto [Palais gouvernemental à Brasilia] comme « une alternance de changement sans rupture » pour assurer une « gouvernabilité démocratique »[2] . Pour cela, il faut éviter à tout prix le « chaos social » et une situation d’« ingouvernabilité » engendrés par un « excès de revendications » et « l’incapacité de les satisfaire ». Que cela implique d’user de troupes de choc, de faire appel aux opportunistes prêts à « défendre le gouvernement » en lieu et place des intérêts des travailleurs ou d’expulser du PT les « radicaux » qui ne renoncent pas à la tradition de lutte et à l’engagement du parti auprès de ceux d’en-bas, tout cela ne fera pas vibrer le pouls du gouvernement et du lulisme.
Huit mois après l’accession du PT au gouvernement, deux rubriques figurent dans la « colonne positive » du bilan.
D’une part, une politique extérieure dépeinte comme « indépendante » et « progressiste » où se mêlent : des exhortations critiques face à la mondialisation à l’occasion de forums internationaux et la condamnation du « terrorisme » ; des initiatives afin de renforcer le Mercosur [zone de libre-échange créée en 1991 dont les pays membres sont le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay et les pays associés la Bolivie, le Chili et le Pérou] et « l’alliance stratégique » avec l’Argentine ; des accords commerciaux avec le Venezuela et la Communauté andine et le pari d’une ZLEA [Zone de libre-échange des Amériques - ALCA] light, dans l’illusion futile que négocier avec Bush (et tout ce qu’il représente) pourrait conduire à obtenir quelque concession.
D’autre part, les enquêtes « d’opinion publique », ce mécanisme de manipulation des « citoyens » qui a déplacé l’axe de fonctionnement du parti et prend le pas sur toute autre instance de démocratie participative. Le 23 août, l’action du président Lula était considérée « très satisfaisante [en espagnol : optima] par 45 % des sondés », trois points de plus qu’en juillet ; 42 % la considéraient « assez satisfaisante » [regular] et 10 % seulement « non satisfaisante » [mala][3] . Applaudissements à la tribune. Dans cette logique de pur marketing politique, le fait que, dès le mois d’avril, 38 % des sondés considéraient le président Lula comme étant du « centre » ou du « centre droit » devient anecdotique. Cela tend à confirmer les paroles mêmes du président qui, lors de sa récente visite au Venezuela, déclara : « De toute ma vie, je n’ai jamais aimé être considéré de gauche. »
Début d’une rupture
Selon les propos de la sénatrice Heloísa Helena[4] , ceux qui ont voté la contre-réforme [sur le thème de la prévoyance vieillesse] ne peuvent être qualifiés que de « pusillanimes et couards ». Quant au Congrès, elle l’a défini comme « une honteuse foire commerciale »[5] . Heloísa Helena est une opposante intransigeante au cours néolibéral du gouvernement Lula et l’une des principales figures de la gauche révolutionnaire et des mouvements sociaux qui résistent, entre autres raisons parce qu’elle s’est refusée à approuver la désignation de Henrique Meirelles [ancien président international de Bank of Boston de 1996 à août 2002] comme président de la Banque centrale. Elle est actuellement suspendue du groupe parlementaire du PT.
Le vote sur la prévoyance sociale marque un tournant. Avec ce vote favorable[6] , le gouvernement Lula obtient une double victoire politique : il émet un signal tout à fait rassurant en direction du FMI et des investisseurs étrangers des fonds de pension et de placement, en réaffirmant sa conversion au marché. Simultanément, il obtient la capitulation d’un secteur de députés fédéraux dudit « camp de gauche ».
Avec cette reddition, le « camp de gauche », qui a voté les contre-réformes, se neutralise lui-même en tant que pôle de résistance à la politique du gouvernement et de la fraction dirigeante du PT... à moins qu’il ne change radicalement de stratégie et rompe avec son confort institutionnalisé. Conjointement, le gouvernement utilise ce reniement pour mettre un terme à la préoccupation de secteurs de la bourgeoisie - et des médias nationaux et internationaux - portant sur la configuration des courants politiques internes au PT : les « radicaux » étaient censés disposer de 30 % des mandats au sein du parti comme de représentation parlementaire.
Cependant, cette première victoire du gouvernement Lula (il manque encore le vote au Sénat, même si la seule parmi les élus à avoir annoncé qu’elle voterait contre la réforme de la prévoyance vieillesse est Heloísa Helena) n’a pas été obtenue sans frais. Les 60’000 manifestants à Brasilia, la grève massive des salarié/es de la fonction publique, la croissance d’une opposition de classe à la bureaucratie de la CUT, tout comme la condamnation de la fraction dirigeante du PT par de larges secteurs d’activistes du mouvement social et de militants politique, marquent le début d’un processus de rupture politique. Processus qui s’accélère dans la mesure où un large secteur de la résistance politique active et des mouvements sociaux « font l’expérience » de la pratique du gouvernement Lula. Comme l’illustrent les milliers d’étudiants qui se rebellent à Salvador [ville de quelque 2,5 millions d’habitants], en protestant contre l’augmentation du prix des transports. Il s’agit donc de l’achèvement de la trajectoire politico-stratégique du PT. Un processus de décantation est en cours, qui - le souligner est quasiment superflu - sera marqué par des attentes, des rythmes et des expériences différenciés.
Des dizaines de milliers d’activistes du mouvement social et de militants « pétistes » se refusent à se faire complices. Ils manifestent leur indignation et s’insurgent face à ce qu’ils considèrent comme une capitulation inconditionnelle du gouvernement Lula et du PT. Des tracts, des affiches placardées dans les rues, des manifestations de masse, des assemblées syndicales et des congrès étudiants, ainsi que des séminaires et des débats publics dans différentes villes accusent déjà de « trahison » le gouvernement... et les députés fédéraux qui ont voté la contre-réforme des retraites.
Les sans-terre et les sans-toit sont las des promesses ministérielles et sont passés à l’action directe en occupant des latifundia et des bâtiments publics et privés. De nombreux intellectuels et économistes du parti critiquent sans pitié l’orientation économique néolibérale qui s’inscrit dans le droit fil des F.H.C. La « lune de miel » entre les secteurs les plus conscients et politisés du mouvement populaire et le gouvernement commence à prendre fin. S’ouvre une phase d’instabilité, d’expériences et d’affrontements accélérés avec le présent régime politique de domination. Dans ce cadre, une nouvelle avant-garde sociale détachée ou se détachant du passé pétiste se réorganise en vue de trouver un nouveau pôle politique de référence.
Cependant, « si une telle référence ne se construit pas dans la prochaine période, nous connaîtrons un processus de dispersion et la déception envers le gouvernement débouchera sur une désorganisation et un recul. L’espace ouvert à gauche ne le restera pas comme tel très longtemps. »[7]
Pendant ce temps, les mouvements sociaux s’ordonnent autour de l’élaboration d’un programme alternatif visant à « organiser l’espoir » et à « répondre à la nécessité d’unifier les activités des mouvements sociaux dans le nouveau contexte que connaît le pays après la victoire de Lula, en cherchant à définir une plate-forme commune de propositions et à organiser des actions communes, dans l’objectif de renforcer le camp des changements, du développement et de la valorisation du travail »[8] .
L’idée que le cours du gouvernement est encore « en discussion » [n’est pas fixé, est l’objet de batailles] soit s’estompe, soit perdure comme alibi tactique afin d’« éviter l’isolement ».
Le rapport de forces entre les conservateurs et les « niches progressistes » a été et est écrasant en faveur des premiers. Il n’y a pas affrontement entre deux projets antagoniques. La fraction dirigeante du PT et ses nouveaux alliés (banquiers, entrepreneurs, grands propriétaires terriens, politiciens corrompus du PMDB - Parti du mouvement démocratique du Brésil - tels que Sarney et d’autres transfuges) tiennent la barre du navire... depuis le début de la traversée.
Pour la gauche révolutionnaire, il n’y a aucun doute quant au programme économique dans ses aspects fondamentaux. Luciana Genro le précise : « La voie qui a été choisie est extrêmement claire dans le sens de l’approfondissement du modèle néolibéral. Il n’y a aucun signe de forces internes au gouvernement qui prétendraient exécuter un virage. D’un autre côté, les alliances imposent des limites à la volonté de certains secteurs du gouvernement (...). Vous ne pouvez pas dire ’j’ai gagné la confiance des marchés et maintenant je fais ce que je veux’, parce que cette confiance, il faut la gagner tous les jours. Le PT a clairement choisi de continuer à payer la dette extérieure, et il est impossible de réaliser des changements sans opérer des ruptures. »[9]
Il pourra y avoir des louvoiements plus ou moins au centre, ou plus ou moins à gauche, et y compris des grimaces voulant exprimer un retour à une sensibilité sociale. Mais le cercle se ferme. Dans ce sens, tant la participation au gouvernement que la tactique de cohabitation critique avec la fraction dirigeante du parti sont incompatibles avec une politique d’accumulation révolutionnaire et socialiste.
Nouvelle alternative
L’intoxication médiatique de la droite monte son cirque : « les radicaux du PT discutent de la création d’un nouveau parti de gauche »[10] , ou encore « les radicaux du PT annoncent un nouveau parti »[11] . La fraction dirigeante du parti et le président Lula lui-même déprécient, dénigrent ce phénomène politique : « j’ai appris qu’il y a un certain type de gens qu’il est préférable d’avoir contre soi qu’avec soi »[12] . Quant aux alliés opportunistes du lulisme, ils les ridiculisent en les réduisant à une petite minorité de nostalgiques d’un autre âge : « Je veux prévenir les plus mal informés que le choix fait par certains de développer les tensions jusqu’aux ultimes conséquences fait partie d’une stratégie politique. Ils veulent être expulsés du PT. Ils croient que l’heure est venue de construire un nouveau parti, qui celui-ci soit véritablement révolutionnaire. Dans le fond, ils sont prisonniers d’un vieux schéma : celui de la révolution russe de 1917. »[13]
D’autres agitent auprès de leurs militants déconcertés et mécontents le danger que le processus de rupture et de réorganisation finisse dans un regroupement « des trotskysmes » doctrinaires.
Les uns et les autres mènent une opération trompeuse destinée à réduire la signification de la rupture à une poignée de militants. Et à trois députés et une sénatrice. Ils se refusent à reconnaître qu’à la base du parti, dans les universités, les entreprises, les usines et les mouvements populaires, ils sont déjà des dizaines de milliers à prendre conscience et à tirer des conclusions politiques. Ils se refusent à digérer le fait que la colonne vertébrale du mouvement ouvrier, paysan et populaire n’a pas contracté un mariage indissoluble avec le lulisme.
La construction d’une nouvelle alternative de gauche est posée... Et elle est inévitable. Est-ce un gauchisme fébrile ? L’économiste et dirigeant reconnu du parti Plinio Arruda Sampaio Jr, qui impulse un document signé par plus de 2000 militants[14] , a également été catégorique quant au diagnostic : « Nous vivons une nouvelle vague néolibérale. Et l’ironie de l’histoire, c’est que c’est un ouvrier qui dirige cette nouvelle vague néolibérale. Nous faisons face à un moment très grave. Le parti que nous avons mis 25 ans à construire est en train de se déliter. »[15] De son côté, Waldemar Rossi, ancien dirigeant syndical métallurgiste et membre de la Pastorale ouvrière, affirme que « la fidélité au parti est donc relative. Elle n’est valable que si elle est au service de la justice sociale et si elle poursuit une voie juste pour sa mise en pratique. »[16]
C’est dans ces nouvelles conditions politiques qu’ont pris corps aussi bien le débat que le mouvement pour la construction d’une alternative de gauche disposant d’un profil programmatique défini. Un premier pas a été l’initiative lancée par les députés Luciana Genro, Joao Bautista Babá et Joao Fontes. « Il est de notre responsabilité d’organiser la résistance et la construction d’une nouvelle alternative avec ces milliers d’activistes qui disent Non au New PT. Tout d’abord, nous discuterons à fond de l’alternative dont nous avons besoin avec les militants pétistes, les dirigeants syndicaux combatifs et cekkes et ceux actifs dans les mouvements sociaux. Nous déciderons avec eux et avec la sénatrice Heloísa Helena des voies à emprunter. Il n’est pas superflu de souligner que l’opinion d’Heloísa Helena a pour nous une énorme importance. Nous la soutiendrons et l’accompagnerons si elle décide de disputer la mairie de Maceió [capitale de l’Etat d’Alagoas, dont elle est sénatrice] et serons à ses côtés pour exiger la démocratie dans le parti, tant que nous serons en condition de défendre cette exigence. Sur ce point, notre expulsion est notre limite, comme c’est la limite des milliers de pétistes qui ont signé le ’Manifeste d’urgence contre la faim, la misère et le chômage’ (...). Nous allons maintenir et développer nos liens avec ces milliers de militants qui n’ont pas changé de camp. Nous allons appeler à la construction d’un nouvel outil politique, un parti anticapitaliste, anti-impérialiste, démocratique, de lutte et de classe, qui inclue la pluralité de la gauche socialiste en incorporant tous les secteurs du PT souhaitant y participer, de même que les camarades du PST-U qui ont déjà appelé à la construction du nouveau parti. »[17]
Le PST-U (Parti socialiste des travailleurs - unifié)[18] avait appelé à construire « un mouvement pour un nouveau parti qui unisse tous les militants, radicaux du PT, PST-U, activistes des mouvements sociaux, pour que nous puissions lutter en faveur d’une alternative militante et de masse pour les travailleurs brésiliens »[19] . Il a cependant mis le pied sur le frein et considère aujourd’hui que la création d’un nouveau parti est prématurée. Il propose de discuter un projet qui ne soit pas « un accord de sommets » et offre son statut de parti légalement enregistré pour permettre la participation de non-membres du PST-U aux élections municipales d’octobre 2004[20] .
Par-delà ce type de contorsions et les allées et venues tactiques (qui recouvrent des différences politiques légitimes, des myopies sectaires et/ou des prétentions hégémonistes), ce qui est certain, c’est que le temps pour une alternative de gauche est venu. Comme le dit Valerio Arcary, un premier défi se présente : « Construire un mouvement unitaire, à partir de ce moment dramatique que vit la gauche brésilienne. Un mouvement qui incorpore toutes les forces vives venant de la lutte de classes dans la construction d’une nouvelle alternative politique. »[21] Un mouvement qui, en définitive, « combine rénovation et radicalité »[22] .
Tous les courants internes de la gauche pétiste (où, indiscutablement, se concentre la plus forte accumulation politique, marxiste et révolutionnaire) sont traversés par ce dilemme stratégique. Il en va de même dans le PST-U, où des divergences existent. Des tensions, des réorientations, des ruptures avec la routine institutionnelle seront à l’ordre du jour.
Toutefois, ce qui est décisif réside dans le lien que peuvent établir ces courants avec la vivacité des mouvements sociaux et avec le processus d’extension ainsi que de radicalisation des luttes de résistance. C’est sur ce terrain que se joue l’issue de la bataille qui s’est ouverte.
Répercussions extérieures
Le « PT des origines » se (dé)construit comme parti de classe, comme option réelle de changement, comme expression de masse de la résistance anti-néolibérale et anti-impérialiste. Sa défaite est dans ce sens un fait d’une importance fondamentale. Si pour les forces populaires qui ont animé une résistance farouche au néolibéralisme et qui ont conduit d’innombrables protestations, rébellions et soulèvements révolutionnaires comme l’argentinazo, si pour le mouvement « altermondialiste » qui se bat contre l’offensive prédatrice et guerrière de l’impérialisme, si pour la gauche socialiste qui se construit dans la chaleur des luttes et de la radicalisation des masses, le PT et le gouvernement Lula étaient « un laboratoire social et politique d’expériences » de dimensions internationales, alors, ce « moment très grave » ne l’est pas seulement pour la gauche brésilienne.
La transformation de la nature du PT et le cours irréversible du gouvernement Lula renforcent toutes les tendances « social-libérales » d’un secteur de la gauche latino-américaine imprégnée d’une « culture de gouvernement ». Ils confortent aussi l’idée conservatrice selon laquelle les rapports de forces défavorables et l’héritage tragique du néolibéralisme empêcheraient même de s’enganger sur la voie de « réformes structurelles » qui viseraient à la satisfaction des besoins sociaux élémentaires les plus urgents. Dans un contexte de recolonisation impérialiste accentuée (Plan Colombie, offensive déstabilisatrice contre Chávez, blocus et agression conte Cuba, Plan Puebla-Panama, ALCA, ajustements de type FMI, dette extérieure et règles draconiennes imposées par l’OMC), la capitulation inconditionnelle du gouvernement Lula et de la fraction dirigeante du PT se transforme en un lourd boulet difficile à tirer. Son évolution à droite et son échec introduisent une forte dose de confusion, de désorientation et de désespoir, précisément au moment où la crise de légitimité du « modèle » néolibéral fait face à un processus d’organisation, de mobilisation et de radicalisation d’une gauche sociale à l’échelle continentale.
ans ce cadre, le défi est double pour les forces marxistes révolutionnaires. D’un côté, recomposer une perspective politique transitoire à partir des luttes sociales ; une perspective rénovatrice et radicale. De l’autre, relancer dans la pratique - sans calcul mesquin ou « organique » [organisationnel] d’aucun type - une stratégie de regroupement de la gauche anticapitaliste et socialiste à l’échelle nationale, régionale et internationale, avec des campagnes, des initiatives et des tâches communes, qui aillent au-delà des congrès autoproclamatoires, des forums académiques et des séminaires type ONG aux discussions plus ou moins érudites.
Evidemment, il y a un premier point de rencontre incontournable : le soutien et la solidarité politique avec la lutte de la gauche et des mouvements sociaux du Brésil, qui engagent avec toutes les difficultés imaginables - et sans échéancier prédéterminé - la (re)construction d’une alternative révolutionnaire.
C’est la seule voie vers la récupération de ce « mandat populaire » que Pachakutik et le mouvement indigène équatorien revendiquent, en ayant romptu avec le gouvernement néolibéral de Lucio Gutiérrez. - 5 septembre 2003
* Membre de la direction nationale du Courant de Gauche (CI), regroupement radical au sein du Frente Amplio (Front Large) d’Uruguay. Il a été pendant de nombreuses années membre de la direction de la Quatrième Internationale - Secrétariat Unifié, et jusqu’en février 2003 coordinateur du travail latino-américain. Entre juillet 1999 et septembre 2003, il a été le responsable du Courrier de presse de la Quatrième Internationale (bulletin électronique pour l’Amérique latine et la Caraïbe). Il collabore régulièrement avec des revues telles que Desde los Cuatro Puntos (Mexico) et Inprecor (France). Récemment, il a participé au Brésil à diverses activités organisées par le MES (Mouvement de la gauche socialiste - tendance du PT) et par des mouvements sociaux.
[1] . Folha de Sao Paulo, 24/08/03. Gunder Frank a été l’un des principaux invités du séminaire « Hégémonie et contre-hégémonie : impasse de la globalisation et les processus de régionalisation » (Rio de Janeiro, août 2003).
[2] . Selon Marco Aurelio Garcia, l’un des promoteurs de la social-démocratisation du PT, conseiller de Lula pour la politique extérieure, colloque « Système de partis et rôle des partis politiques dans le système démocratique » (Montevideo, juin 2003).
[3] . Enquête Dadafolha, Folha de Sao Paulo, 31/08/03.
[4] . Sénatrice pour l’Etat d’Alagoas et militante de Démocratie socialiste (DS). Sa position politique est en totale contradiction avec l’orientation de la DS, qui participe au gouvernement de Lula, avec Miguel Rossetto comme ministre du développement agraire.
[5] . Courrier de presse de la Quatrième Internationale (bulletin électronique pour l’Amérique latine et la Caraïbe), n° 855 du 7 août 2003.
[6] . Les seuls à avoir voté contre la « réforme » sont les députés Luciana Genro, Etat du Rio Grande do Sul, militante du Mouvement de la gauche socialiste (MES) ; Joao Bautista Babá, Etat de Pará, militant du Courant socialiste des travailleurs (CST) ; et Joao Fontes, Etat de Sergipe, qui n’est affilié à aucune des tendances internes du PT. La majorité des députés fédéraux du PT ont voté pour. De même que la majorité des députés de la DS et d’Articulation de Gauche qui l’ont fait, bien qu’avec diverses critiques, par « discipline de parti ». Huit députés, dont deux de la DS, se sont abstenus lors du vote en première lecture. Lors de la seconde lecture, le député Walter Pinheiro (DS, Etat de Bahía) a également voté contre.
[7] . Infor-MES, 12/08/03, Document MES sur la conjoncture nationale et l’orientation politique.
[8] . Coordination des Mouvements Sociaux. Y participent notamment le MST, la CUT, l’UNE (Union nationale des étudiants), la Pastorale ouvrière. Cinq rencontres régionales se sont tenues durant le mois d’août. Le document peut être lu sur Rebelión du 21 août 2003, http://www.rebelion.org.
[9] . « Lula est la continuité de Cardoso », interview dans l’hebdomadaire Brecha, Montevideo, 22/08/03.
[10] . Folha de Sao Paulo, 30/08/03.
[11] . Folha de Sao Paulo, 02/09/03.
[12] . Je joue mon histoire dans ce mandat. Entretien dans la revue Veja, Sao Paulo, 20/08/03.
[13] . Lindberg Farias, député fédéral, Rio de Janeiro. « Ce qu’il ne faut pas faire ? », Folha de Sao Paulo, 16/08/03.
[14] . « Récupérer le PT », document présenté publiquement à Sao Paulo, qui propose de reprendre des thèmes historiques du PT tels que la défense des retraites. Les promoteurs de ce document ne posent pas la question de la construction d’une nouvelle alternative de gauche.
[15] . Communication au séminaire international « Un autre monde est possible. La construction d’une gauche anticapitaliste » organisé par le MES, le 15 août 2003 à Porto Alegre.
[16] . Infor-MES, Porto Alegre, août 2003.
[17] . « Note publique aux militants du PT », divulguée lors d’un meeting tenu à Rio de Janeiro le 1er septembre 2003. Son texte intégral en castillan se trouve sur le site d’Espacio Alternativo (Etat espagnol), http://www.espacioalternativo.org/
[18] . Le PST-U est la principale force trotskyste au Brésil. Disposant d’une importante implantation syndicale, universitaire et jeune, il compte plus de 2000 militants fortement organisés. Il est en dehors du PT depuis 10 ans. Lors des élections présidentielles de 2002, son candidat et président national José María de Almeida (Zé María) a obtenu 400’000 voix. Il n’a pas de représentation parlementaire. Il considère le gouvernement Lula comme « un front populaire, de collaboration de classes, donc un gouvernement bourgeois anormal, dans le sens où la majorité de la bourgeoisie, si c’était possible, préférerait et aurait davantage confiance en un gouvernement qui soit directement le sien » (Marxismo Vivo n° 6, novembre 2002).
[19] . Opiñao Socialista n° 156, 08/08/03.
[20] . La légalité est une question importante, la loi électorale brésilienne ne permettant pas de présenter des candidatures à ces élections si l’on n’a pas été affilié à un parti avant le 2 octobre 2003. On peut prendre connaissance des 8 points de la nouvelle proposition du PST-U sur son site, http://www.pstu.org.br/
[21] . Dirigeant du PST-U et membre de l’Institut d’études socialistes, qui édite la revue Outubro (Octobre). Communication au séminaire « Un autre monde est possible. La construction d’une gauche anticapitaliste », 15 août 2003, Porto Alegre.
[22] . Ricardo Antunes, sociologue, spécialiste de l’organisation du travail, militant du PT, membre du conseil de rédaction de l’hebdomadaire du MSP Brasil do Fato, éditeur de la revue Margen Izquierdo. Ibidem.
(tiré du Site À l’encontre)