Mercier : trois ans après...
La campagne de Paul Cliche dans Mercier, en 2001, n’a pas été un accident de parcours. Elle préfigurait l’UFP. En effet, Mercier a été le coup d’envoi de l’Union des forces progressistes et sa première manifestation. Ce qui a fait sa force, c’est l’audace de la plate-forme électorale de la coalition qui l’appuyait. En rejetant la ZLEA et sa logique néolibérale, cette coalition nouvelle se situait sur le terrain du mouvement altermondialiste qui s’est manifesté d’une manière spectaculaire lors du Sommet des Peuples à Québec. Cet événement a marqué un renouveau, non seulement de la recomposition de la gauche, mais de la scène politique elle-même.
La campagne de Mercier a montré qu’il était possible d’unir les forces de la gauche et de les faire travailler ensemble, et elle offrait aux souverainistes progressistes une autre façon de penser l’indépendance du Québec, une fois déliée de l’emprise du Parti québécois. Elle a forcé bien des gens à envisager l’avenir avec espoir, ce que l’absence d’un parti de gauche, comme l’UFP, cachait avant sa soudaine apparition. Le parti qui en est résulté, en juin 2002, est un parti-processus qui veut unir la gauche politique, la gauche sociale et la gauche syndicale, dans le but d’en faire un parti de masse capable de défendre les positions de gauche sur la scène politique.
Certains croient que ce projet est trop ambitieux pour la gauche, qui ne récolte encore qu’un faible pourcentage du vote populaire ; d’autres invoquent les tares du passé. Mais les partis initiateurs de l’UFP pensent plutôt que l’oubli de ses valeurs a davantage érodé la gauche que le poids de ses échecs. Le projet est réalisable, à condition que la gauche sorte de son isolement et surmonte les obstacles qui nuisent à son unité.
L’UFP est le résultat de sept ans de travail, à travers des obstacles divers, si on fixe les commencements à 1997, quand l’aut’journal a publié le texte initiateur de Paul Cliche qui appelait à la création d’une alternative politique. Les débats qui s’ensuivirent se retrouvent aujourd’hui dans les courants représentés par D’abord solidaires, Option citoyenne, le SPQ libre et l’UFP. Une partie de la gauche est toujours ambivalente sur une question de fond : soit entrer au PQ ou créer un parti de gauche.
La discussion sur l’unité de la gauche a pris un essor nouveau, depuis les élections de 2003. À peine 10 mois après sa naissance, l’UFP s’est engagée comme parti alternatif sur la scène québécoise, dans des conditions difficiles et avec des moyens modestes. Malgré son score de 1%, le jeune parti a marqué des points en s’inscrivant dans le système électoral comme un pôle de référence.
Le fait que l’UFP rejette, sans compromis, l’idéologie néolibérale lui confère une force d’attraction considérable chez celles et ceux qui croient qu’un autre Québec est possible. Depuis sa naissance, l’UFP a connu une croissance soutenue, en recrutant surtout dans les rangs des militants altermondialistes et dans le milieu étudiant. Notre parti commence aussi à attirer l’attention de plusieurs militantes et militants issus des milieux syndicaux et des groupes populaires.
Le dynamisme de l’UFP provient en bonne partie du fait qu’il se définit aussi bien comme un parti de la rue participant aux luttes de ses alliés sociaux qu’un parti des urnes voué à l’action électorale. La campagne qu’il mène sans relâche en faveur d’un scrutin proportionnel lui assure une visibilité et une crédibilité appréciables dans plusieurs régions. Contrairement aux autres partis qui se sont prononcés en faveur d’une telle réforme, l’UFP préconise un mode de scrutin faisant en sorte que la composition de l’Assemblée nationale respecte fidèlement la volonté populaire.
Les élections fédérales
Le régime fédéral est là pour longtemps. Alors, que faire ? L’UFP encourage ses membres à s’impliquer sur la scène fédérale, compte tenu du caractère déterminant des actions et des décisions de l’État central. Des deux côtés de la question nationale, la gauche est toujours à la recherche de sa cohérence, car la structure de l’État canadien empêche encore l’expression directe des revendications des travailleurs et des travailleuses, aussi bien au Canada anglais qu’au Québec. Les prochaines élections fédérales seront celles d’un réalignement des forces politiques à l’échelle du Canada. Elles seront l’occasion pour nous de faire connaître notre plateforme et de nouer des liens avec les progressistes qui portent leur action politique à ce niveau.
Le 20 mars dernier, la coalition pacifiste Échec à la guerre rappelait le premier anniversaire de l’invasion de l’Irak par les troupes américaino-britanniques. Cette guerre d’agression a suscité des mobilisations pour la paix sans précédent, qui forcèrent le gouvernement Chrétien à se démarquer de la politique de George W. Bush. Face aux résultats de cette guerre, l’UFP, comme toutes les composantes du courant altermondialiste, a une lourde responsabilité dans le travail d’éducation politique pour dénoncer le ralliement que vient d’amorcer le gouvernement Martin au projet américain d’un bouclier antimissile dans le cadre de NORAD.
Ces élections concernent au plus haut point les composantes de la gauche sociale et syndicale, puisque la lutte contre la " réingénierie " du PLQ a son pendant au niveau fédéral. Les opinions restent divisées sur l’efficacité des propositions politiques à mettre de l’avant. Comment les mouvements de résistance au néolibéralisme se comporteront-ils dans cette campagne ? Nous savons que les syndicats et les mouvements sociaux vont prendre part au débat, faire pression sur les candidats et candidates des divers partis, et proposer des alternatives concrètes sur toutes les questions qui confrontent la société. Que dirons-nous aux progressistes sans parti, nombreux dans la gauche sociale et syndicale, qui nous observent et attendent de nous une orientation ? Vont-ils continuer à agir comme des groupes de pression, comme cela est de pratique courante depuis des années ou vont-ils faire un pas en direction de la construction d’une alternative politique ?
Le Bloc québécois
Comme il le fait depuis les années 1990, le PQ appuie le Bloc québécois qui est son prolongement au niveau fédéral. Une partie de la gauche sociale et syndicale sera tentée de voter Bloc pour contrer le PLC dans sa lutte anti-Québec. L’UFP doit développer des liens avec les progressistes du Canada anglais et chercher au niveau fédéral un répondant crédible, ouvert aux revendications du Québec, car le Bloc québécois demeure une voie sans issue pour la gauche. D’élection en élection, le Bloc procède toujours de la même manière : au nom de la " défense des intérêts du Québec ", il s’appuie sur la pression indépendantiste pour se faire élire, mais une fois à Ottawa, il élude la question de fond : quelle stratégie doit-on mettre de l’avant pour gagner l’indépendance du Québec ? Le Bloc, comme le PQ, illustre le repli des élites québécoises sur l’argumentaire stérile du nationalisme traditionnel.
Le Nouveau parti démocratique
Nous partageons avec le NPD la revendication, absolument essentielle, d’inscrire la proportionnelle dans le système électoral à tous les niveaux. Depuis toujours, la gauche québécoise est placée devant le même dilemme : vote tactique ou vote stratégique ? Tant que le mode de scrutin demeure le même, ces comportements électoraux vont se répéter à l’infini. Ne devrait-on pas remettre en question ce réflexe conditionné par le mode de scrutin et opter pour la clarté dans les orientations politiques ? L’autre difficulté qu’éprouvent les composantes de la gauche, face au NPD, c’est son inconsistance sur la question québécoise, fardeau qu’il traîne derrière lui depuis sa naissance. Bien des syndicats, dont la FTQ, ont fini par abandonner leur soutien traditionnel au NPD pour le donner au Bloc québécois.
Cependant, depuis le Sommet des peuples de 2001, le mouvement altermondialiste a commencé à redéfinir les rapports entre mouvements citoyens et partis sociaux-démocrates comme le NPD. Les retombées de ce Sommet ont ébranlé ce parti et l’ont forcé à se démarquer de la troisième voie, inspirée de Tony Blair. Le renouveau du NPD, sous la direction de Jack Layton, mérite que nous examinions cette option avec beaucoup d’attention et, sans oublier le passé, reconnaître la sincérité de son leader, quand il affirme qu’il est contre la loi sur la clarté (C-20), loi que la majorité de l’aile parlementaire de son parti a appuyée en 1999. Beaucoup de souverainistes de gauche attendent du NPD le rejet de cette loi qui nie le droit à l’autodétermination du Québec.
L’ADQ
La nature d’auberge espagnole de l’ADQ ne permet pas à cette formation politique d’appuyer l’un ou l’autre des partis en lice. Son programme est semblable à celui de l’ex-Alliance canadienne et son option constitutionnelle flotte dans les limbes, entre le PQ et le PLQ.
PLC-PLQ, le tandem Martin-Charest
Le gouvernement sortant a été marqué par des luttes intestines qui illustrent bien la hâte des néolibéraux d’appliquer leurs politiques à la grandeur du Canada. Le rêve d’augmenter le nombre de ses sièges au Québec semble compromis par les révélations du scandale des commandites, avatar de la politique anti-Québec des fédéralistes canadiens. En nommant Jean Lapierre, un ex-bloquiste, à la tête de ses troupes au Québec, Paul Martin espère compenser l’impopularité du PLQ, dont la victoire en 2003 redonnait l’espoir aux Libéraux fédéraux de marquer un pas de plus vers la normalisation du Québec au sein du Canada. Cependant, la crise de la fédération canadienne ne cessera pas pour autant, et le gouvernement Charest fait déjà face à l’intransigeance de Paul Martin, l’artisan du déséquilibre fiscal dénoncé par Yves Séguin quand il présidait, sous la gouverne de Bernard Landry, la Commission qui porte encore son nom.
Le Parti conservateur du Canada
Depuis les élections de 2000, guidés par la main de Brian Mulroney, les Conservateurs et les Alliancistes ont fusionné leurs partis pour former le nouveau Parti Conservateur du Canada, qui se présente comme l’alternative de droite pan-canadienne au Parti Libéral du Canada. Dans certaines régions du Canada où la gauche est faible, le choix se fera entre le moindre de deux maux.
Les élections de 2003 : un an après
Pour la première fois depuis des lustres, disait le sociologue Jean-Herman Guay, au lendemain des élections, une campagne électorale s’est déroulée autour des enjeux reliés à la polarisation droite-gauche. L’opposition souveraineté-fédéralisme n’y a pas joué un rôle significatif. Le PLQ et le PQ ont été forcés de se démarquer, l’un face à l’UFP, l’autre face à l’ADQ. La remise en question du rôle et de l’action de l’État était au cœur des débats. D’où l’émergence de l’UFP à gauche du PQ, et celle du populisme adéquiste à droite du PLQ. À la fin, quand Bernard Landry a lancé le mot d’ordre : Sauvons la souveraineté !, il était déjà trop tard pour son parti : les électeurs qui avaient appuyé le PQ en 1998 n’étaient pas au rendez-vous. La désaffection de l’électorat péquiste a une signification nouvelle, comparée à la désaffection qui s’est manifestée en 1985. À cette époque, la lutte entre souverainistes et fédéralistes battait son plein, et les alliés du PQ ne s’étaient pas mobilisés pour le sauver ; ils se rappelaient des lois-décrets et des politiques de la fin du régime de Lévesque et Johnson.
Incapable de critiquer des politiques qu’il a lui-même amorçées pendant neuf années de pouvoir, le PQ est tout absorbé par sa crise interne consécutive à la déconfiture électorale et sa lutte larvée pour le leadership. Rappelons-nous que le PQ a pavé la voie au gouvernement Charest : le plan Clair a préparé la privatisation dans le domaine de la santé ; le comité de six députés dirigé par Joseph Facal, lui, a anticipé la réduction des fonctions de l’État, appelée " réingénierie " par Jean Charest. En effet, le rapport Facal cherchait à répondre aux exigences du néolibéralisme mondialisé, en proposant un style de gouvernance plus catégorique que celui qu’avait adopté le PQ jusque là. Sans parler des lois anti-syndicales et de l’article 45 du code du travail que le PQ avait déjà vidé de sa substance. Ou encore de la scission d’Hydro-Québec en trois entreprises afin de justifier des augmentations de tarifs, opération qui a mis la table pour les récentes décisions du gouvernement Charest sur ce plan et sur la question de la centrale au gaz du Suroît.
Contrairement à son prédécesseur, qui pliait un peu sous les pressions populaires, la manière Charest laisse entrevoir ce qu’il y a de vraiment dur dans la recette néolibérale appliquée au Québec. Face à ces constats, on a une impression d’urgence, surtout depuis que le PLQ est au pouvoir, et qu’il annonce des virages accentués vers le néolibéralisme " pur et dur ", comme le fait son parti frère au niveau canadien. Pour Jean Charest, le Québec ne fait pas exception à côté de l’Ontario, de l’Alberta, du Nouveau-Brunswick et de la Colombie-Britannique, et son gouvernement a bien l’intention de modeler sa gouvernance sur celle de ces provinces.
Les perspectives souverainistes et la lutte de libération nationale
La défaite du PQ était peut-être inévitable, compte tenu des politiques impopulaires de son gouvernement. Cette défaite est également celle de la stratégie péquiste en matière de question nationale et sociale. Elle est aussi le signe de l’effritement et de la lente recomposition du " mouvement souverainiste " qu’il ne faudrait pas voir ici comme un bloc monolithique. L’échec du PQ à résoudre la question nationale québécoise accentue cette sorte d’hébétude qui a suivi l’échec référendaire de 1995, une lassitude sur laquelle misent les Libéraux, qui occupent les deux paliers de l’État canadien, pour nous chanter leur chanson de résignation devant la constitution de 1982 et la loi de la clarté (C-20) qui la verrouille.
Le résultat électoral du 14 avril 2003 place la conscience de gauche devant la même interrogation qui tiraille la conscience nationaliste. C’est une interrogation globale et plus fondamentale que la question de l’abstention ou du nombre de députés. Dans ce contexte, la gauche elle aussi opère une lente recomposition, comme c’est d’ailleurs le cas à l’échelle de l’histoire et partout dans le monde. Et il ne faudrait pas croire que la faiblesse politique de la gauche sur le plan électoral soit un indicateur fidèle de l’étendue des idées progressistes au Québec.
Après 35 ans de tergiversations entourant l’accession du Québec à la souveraineté, la défaite du PQ est à la fois symptôme et réalité partielle d’un enlisement national auquel, depuis 40 ans, notre société tente désespérément d’échapper. Cet enlisement mesure précisément l’insuffisance politique de la gauche sociale et syndicale qui continue d’appuyer le PQ, en liant son avenir au score électoral de ce parti dans l’espoir qu’il revienne au pouvoir, plutôt que de fonder un parti de gauche qui lui assurerait un meilleur rapport de force sur le terrain de la lutte nationale. S’il y a urgence, c’est de ce côté-là que la gauche doit s’orienter pour se ressaisir, et non en direction d’un retour au PQ.
La nouvelle conjoncture offre à la gauche un espace politique dont elle peut se saisir. Pour l’essentiel, il faut reposer autrement la question nationale et proposer au peuple un projet de Constitution pour un Québec libre, et prendre le temps nécessaire pour en débattre. Pour nous, l’Assemblée constituante est un enjeu stratégique qui ouvre une perspective plus prometteuse que celle que propose le PQ aux indépendantistes depuis 1968. En regard de la question nationale, la gauche doit oser parler par elle-même sous son propre chapiteau, et non sous le pavillon du PQ qui cherche à imposer un moratoire sur le social, en attendant le verdict référendaire qu’un cinquième mandat pourrait lui offrir à partir de 2008.
Rompre avec le PQ est nécessaire pour que le mouvement contestataire prenne l’initiative de former un parti de gauche, large et permanent, pour offrir aux travailleurs et aux travailleuses une alternative politique. Toute forme de passivité ou de complaisance à l’égard du problème national ne pourrait que nuire au développement de la gauche. Une telle insouciance relèverait de l’imprudence politique et constituerait une erreur très grave dont la gauche se relèverait difficilement. Or, loin de se réjouir du recul des forces souverainistes, elle doit offrir une voie, une solution viable au problème national québécois.
Les revendications populaires dans une société bloquée
Depuis avril 2003, de nouvelles coalitions comme le Réseau de vigilance et la Coalition Québec-Vert-Kyoto se sont formées. On a vu le mouvement étudiant relancer le programme de l’équipe Lesage, en réclamant la gratuité scolaire. Le rythme des luttes sociales s’est donc accéléré, en entraînant des centaines de milliers de travailleurs, tant du secteur privé que du secteur public, dans un mouvement de protestation sans précédent. Toutes ces manifestations ont culminé dans la grande manifestation du Premier mai.
L’UFP est solidaire de la lutte actuelle du mouvement syndical qui cherche à assurer sa défense. Lors des journées de protestation tenues depuis l’automne dernier, on a entendu des voix s’élever pour réclamer des états généraux du mouvement syndical, pendant que dans plusieurs milieux de travail, les syndiquéEs accordaient à leurs représentantEs - ou même réclamaient de ceux-ci - des mandats de grève générale de 24 heures. La menace est réelle, et la conscience du danger que représente ce gouvernement pour les acquis sociaux est très élevée. Ce mouvement social repose sur des assises suffisamment solides pour déclencher, le moment venu, une grève politique de 24 heures. Il y a des initiatives en ce sens qui fusent de partout et on sent bien que le mouvement ouvrier cherche à se doter d’une stratégie sociale et politique suffisamment musclée pour faire reculer l’actuel gouvernement.
Entretemps, les lois antisyndicales ont été adoptées. Les conditions de travail des employées du secteur public vont se détériorant. Avec la réingénérie, des milliers de fonctionnaires ne seront pas remplacéEs. La privatisation marque des points avec les projets de partenariat avec le privé.
La question stratégique qui est devant le mouvement syndical et populaire, concerne l’unité de ses luttes, le développement d’une autonomie suffisante pour pouvoir opposer aux politiques libérales son propre projet de société et mobiliser la majorité de la société civile d’en bas contre les projets néolibéraux. Il y a un obstacle à cette éventuelle offensive populaire : c’est qu’une partie de la gauche syndicale et de la gauche sociale compte encore sur le PQ pour constituer une protection contre l’offensive néolibérale alors que ce parti en a été partie prenante.
La lutte contre le régime Charest ne fait que commencer. Elle sera âpre, car ce gouvernement est décidé à appliquer sa médecine, coûte que coûte, et à remettre en question ce qui reste des acquis de la Révolution tranquille. Il faudra s’armer de patience et se préparer à affonter la répression.
Le mouvement syndical trouve dans cette conjoncture un espace pour réfléchir à son avenir. L’occasion est belle aussi pour le mouvement revendicatif dans son ensemble. Si les pressions syndicales sont encore très vives, elles peuvent se tarir, si aucune perspective d’autonomie ouvrière n’est proposée pour la période qui s’ouvre si favorablement à l’émergence d’une alternative crédible sur la scène électorale.
Pour le mouvement syndical, comme pour les mouvements sociaux et communautaires, la question de fond se pose comme à l’époque de la grève générale du Front commun de 1972, à savoir si la défense des salaires et de l’emploi recouvre un refus plus profond de la condition des travailleurs dans la société capitaliste, comme les manifestes des centrales le clamaient à cette époque. Ce refus se transformera en action politique manifeste, seulement si des perspectives plus avancées sont proposées aux luttes sociales et syndicales. La question se pose maintenant avec plus d’acuité qu’en 1972, après évaluation des dégâts laissés par 10 années de libre-échange dans le cadre de l’ALENA.
Pour une partie du mouvement social, l’approche traditionnelle a été d’infléchir l’orientation des partis social-démocrates, comme le PQ et le NPD. Ce pragmatisme politique s’appuie sur un constat : mieux vaut appuyer des partis institutionnalisés, qui se disent sympathiques aux revendications du mouvement social, et qui sont des prétendants au pouvoir. Si ce constat paraît simple, la situation, elle, est plus complexe. D’une part, l’expérience de la social-démocratie au pouvoir a laissé un goût amer, non seulement aux militants et militantes du mouvement social, mais aussi aux membres qui restent attachés à ces partis parce qu’ils y voient, malgré tout, une alternative au scénario du pire. D’autre part, pour ceux et celles qui luttent pour unir les progressistes et créer un parti de gauche, la marge de manœuvre est limitée par le système électoral. Parce qu’ils craignent de perdre des acquis importants, au moment où le PLQ amorce la " contre-révolution tranquille ", certains estiment qu’il n’y a d’autre choix que d’appuyer le PQ, au sein duquel certains courants cherchent à se redéfinir comme social-démocrates et indépendantistes.
Une nouvelle gauche
Les mouvements sociaux sont en train de changer en raison de leur masse critique plus importante, et qui les force à dépasser les revendications sectorielles. Au Québec comme ailleurs, le mouvement social est confronté à un même débat, et les constats pointent tous dans la même direction : Il faut un débouché politique à nos actions, un interlocuteur politique pour que nos actions puissent donner des résultats. Le mépris de l’action électorale n’a jamais servi que la droite.
En même temps, le mouvement social ne veut pas être manipulé par un parti politique ou en devenir la courroie de transmission. Il veut conserver son autonomie et garder une distance critique face aux partis politiques. Même si les multiples objectifs qu’il poursuit sont aussi les nôtres : une société fondée sur le concept de bien commun, une société inclusive qui s’oppose à la marchandisation de la société et de la vie ; l’action positive en faveur des plus faibles, une citoyenneté active et une démocratie à la fois représentative et participative, un développement durable, écologique, une altermondialisation qui unit les peuples. Une alternative politique ne surgira pas spontanément du mouvement social, ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut intervenir sur le terrain politique.
Ce large mouvement citoyen propose des alternatives concrètes sur toutes les questions qui concernent la société. Depuis un an, il se politise comme jamais ; il prend part aux débats et exerce une pression énorme sur les gouvernements. L’UFP et tous les progressistes doivent articuler un programme plus détaillé et plus complet sur ces questions, en mettant de l’avant la démocratie participative (budget participatif) et en investissant le champ local, une des conditions pour déployer une plus grande capacité de mobilisation, comme le font beaucoup de partis de gauche ailleurs dans le monde. Cette orientation citoyenne répondrait à une demande croissante d’occuper le terrain et permettrait de faire débloquer le débat et de repolitiser les pratiques et les analyses.
Constituer une alternative progressiste
Une autre partie du mouvement social a conclu qu’il ne sert à rien de miser du côté du PQ et de sa social-démocratie, qu’il faut au contraire mettre en œuvre une alternative politique de gauche. Reste cependant l’angoisse du résultat : que faire pour pénétrer plus profondément dans le système politique ? Certains se demandent si la gauche politique n’est pas condamnée à la marginalité, en voyant l’UFP récolter seulement 1% des suffrages en 2003. L’argument du système électoral est souvent invoqué comme un obstacle insurmontable. Personne ne niera que c’est une enfarge importante qui conditionne les gens à voter " utile " ou " stratégique ". Cependant, cet argument ne suffit pas : l’ADQ a obtenu plus de 17% des suffrages dans le même système qui favorise le bipartisme. Ce débat exprime les tâtonnements du mouvement ouvrier et populaire qui cherche depuis quatre décennies à fixer sa stratégie et ses tactiques, tout en s’engageant dans les méandres inévitables de la politique.
Le parti-processus
C’est parce que la gauche est composée de groupes variés, que s’impose un parti-processus capable de garder dans une organisation souple une grande diversité de formes et d’approches et de concilier les exigences du parti de la rue avec celles du parti des urnes. L’expérience entamée, il y a deux ans, est loin d’être terminée. Le rassemblement de la gauche et son unification est un long processus. Tout comme le sont le développement d’une alternative politique et la construction d’un solide et crédible véhicule politique. Dans ce processus, le parti se perçoit en interaction avec les mouvements sociaux et s’inscrit dans une dynamique de complémentarité, de reconnaissance et d’influence mutuelle, dans une dynamique d’alliance ou la force et l’indépendance des mouvements sociaux est un phare et même un garde-fou pour la pertinence du parti. La prise en charge par les membres à la base, la recherche d’une place au moins égale aux femmes dans les instances et la direction collégiale du parti sont des efforts pour actualiser nos valeurs et principes progressistes. Il reste à apprendre à organiser des élections et à les gagner ! En proposant ce type de parti qui est aussi un laboratoire d’expériences nouvelles, l’UFP a enrichi la discussion sur la capacité de la gauche de faire bouger les choses. C’est parce que l’UFP existe que le PQ cherche à se renouveler à gauche et que le SPQ libre tente de convaincre les militants syndicaux de l’investir. C’est parce que l’UFP est une référence incontournable que les convergences se dessinent avec Option citoyenne.
Ceux et celles qui s’investissent dans le projet de l’UFP s’interrogent : est-ce une question de patience ? Oui, une patience active. Il faut du temps pour gagner ce pari. La persévérance est essentielle dans les calculs que nous faisons pour réaliser l’objectif d’unir dans un parti la majorité des forces progressistes du Québec. L’UFP ne pourra pas établir cette force historique en modelant son sens politique sur le court terme. Ni la chance ni les vœux pieux ne suffiront pour que la gauche réussisse à prendre sa place sur l’échiquier politique.
La lutte pour l’unité de la gauche
La gauche cherche depuis longtemps à passer de la dispersion à l’unité de ses forces. Au lieu d’une flotille de canots-périssoirs, elle veut un navire dont la carène sera assez forte pour affronter la droite sur le terrain des élections, et passer ainsi à l’action politique et ne plus se contenter de critiquer les partis, en proposant des remèdes qu’aucun d’entre eux n’appliquera. Le projet structuré autour de l’UFP a un impact certain dans le mouvement social. Il soulève le débat longtemps tabou sur l’action politique, et beaucoup de militants et militantes voient déjà dans l’UFP l’embryon d’un parti de gauche enraciné.
L’irruption dans le décor du projet du groupe Option citoyenne peut changer la donne et confondre les sceptiques. En mars dernier, Option citoyenne se prononçait publiquement contre le projet du SPQ libre d’investir le PQ et optait pour l’élargissement du camp des forces de gauche. Le débat est maintenant bien circonscrit et met, face à face, d’un côté le SPQ libre et de l’autre l’UFP et Option citoyenne, comme deux stratégies opposées. Tout en évitant de nous tromper de cible et par exemble d’attaquer nos camarades de ce collectif, plus que jamais nous devons continuer de construire et de représenter l’alternative. Une alternative qui nous rapprochera peut-être le moment venu. C’est la responsabilité de l’UFP, d’Option citoyenne, du PVQ et qui sait d’autres collectifs qui suivront, en rupture avec le néolibéralisme, de bâtir cette alternative capable d’annuler l’effet des mirages péquistes.
Le prochain tournant du processus d’unité approche donc à grands pas. Dans quelques mois s’ammorceront des négociations avec Option citoyenne, et peut-être aussi avec le Parti Vert. Nous comptons y participer dans un esprit de dialogue, premier pas vers une entente entre groupes et mouvements progressistes. Mais, pour que ces foyers se combinent et finissent par se fondre en un seul parti, il faudra clarifier plusieurs positions, notamment celle sur la question nationale et sur la structure du parti.
La création de l’UFP est déjà le fruit d’une démarche unitaire et nous disposons d’une petite expérience - qui n’est pas négligeable ! - en matière d’unification. Voilà pourquoi nous nous hâterons lentement dans ce processus en prenant le plus grand soin de mettre tous nos membres dans le coup. Dans ce genre de démarche la pédagogie du processus est aussi importante, pour la suite des choses, que l’efficacité du résultat. Ainsi avant d’entreprendre des négociations formelles, une période de pourparler exploratoire s’impose : question de convenir d’un calendrier véritablement commun sans oublier d’inviter à la table nos amis du Parti Vert. Le reste, en dernière analyse, reposera sur la volonté politique commune d’oser risquer cette belle aventure politique à bord d’un même navire qui met véritablement le cap a babord. La conjoncture le commande. Impérieusement. Face à l’offensive néolibérale, les progressistes doivent parler d’une seule voix, mais ça ne sera peut-être pas toujours sur le même ton.
Un plan d’action pour l’UFP
Les démarches avec les autres fractions de la gauche ne doivent pas drainer toutes nos énergies ou détourner nos membres de la tâche première de construire l’UFP. Au sortir de ce deuxième congrès statutaire, la nouvelle direction devra penser à la consolidation de nos instances locales et régionales et à la création de nouvelles instances (UFP Campus, UFP secteurs), et doter l’UFP d’un plan de développement pour les prochaines années. Les membres devront s’impliquer davantage en participant à des sessions de formation pratique et idéologique ; et à des colloques ou autres activités publiques pour faire connaître notre programme aux progressistes de la société civile.
Ces jours derniers, l’UFP a entrepris une campagne de renouvellement, d’adhésion et de financement. Avec l’appui de l’artiste et militant bien connu Richard Desjardins, nous espérons rallier de nombreuses personnes, déjà sympathisantes ou amiEs de l’UFP, ou qui n’ont encore jamais entendu parler d’elle. Toutes les instances du parti ont avantage à mieux se discipliner sur cette question du recrutement qui n’est pas secondaire et qui est tout aussi vitale que les débats politiques.
L’UFP consolidera son organisation, en choisissant de façon judicieuse les luttes dans lesquelles le parti doit s’engager dans la prochaine période. Nous devons laisser une grande place aux jeunes, comme cela s’est produit en 2002, tout en préservant le capital d’expériences et de pratiques héritées des générations précédentes. Mais nous ne sommes pas inhibés devant la nécessité de la relève, parce que notre parti se construit avec les jeunes et qu’il se tourne vers les autres composantes du mouvement citoyen. Il est important de prôner cette convergence au niveau politique, sans surestimer nos forces, pour éviter la trop grande polarisation entre parti et mouvements et accepter de travailler ensemble plutôt que séparément.
L’avenir de la gauche passe aussi par d’autres processus. La mouvance des forces progressistes, au sein de la société civile, ne cesse de croître en nombre ; elle a atteint un seuil de complexité inégalé jusqu’ici, où chaque initiative demande des négociations internes et externes souvent exténuantes. L’UFP devra persévérer dans ses efforts pour convaincre le mouvement social de le soutenir lors des élections à venir, car sans ce soutien la gauche restera marginale.
Plate-forme et programme
Ce qui tient lieu de programme de l’UFP, c’est la plateforme d’unité qui a permis aux quatre composantes, soit trois partis fondateurs (RAP, PDS, PCQ) et un bassin de militantEs jusque-là non partisan que l’UFP coalition avait fait surgir, d’unir leurs forces en 2002. Cette plateforme constitue le socle à partir duquel, petit à petit, les membres vont élaborer au fil des ans un programme de gouvernement. La plateforme est loin de contenir toutes les réponses ; cependant, elle trace les grandes lignes d’un projet de société qui s’inspire de l’acquis des projets passés, en les intégrant dans une perspective écologique, laïque et républicaine. Elle porte les valeurs de la gauche, sans se couper des traditions héritées du XIXème siècle européen et des expériences du XX ème siècle à travers le monde.
Elle est pacifiste : son contenu reflète la volonté de préparer la paix plutôt que la guerre. Elle est altermondialiste : elle cherche à définir une alternative qui redistribue vraiment la richesse et refuse catégoriquement l’horizon capitaliste. Comme pour la plateforme, l’élaboration du programme des forces progressistes sera le fruit des réflexions, des débats, des recherches et des enquêtes réalisés par les membres. Il se construira aussi par l’apport des groupements politiques reconnus au sein du parti. Comme leur contribution à la plateforme en témoigne, la création du programme dépendra aussi de leur dynamisme et de leurs analyses.
La question du système économique que nous voulons comme alternative au néo-libéralisme, est une lacune de notre plateforme-programme que nos membres et nos amis ont souvent relevée. Comme les autres composantes du courant altermondialiste, l’UFP ne cherche pas à développer une variante du capitalisme entretenu par un saupoudrage d’interventions marginales de l’État. Nous voulons définir un monde qui cherche une sortie du capitalisme, en s’appuyant sur des modèles de développement durable, respectueux de l’environnement, où l’État agit comme un rempart des valeurs nouvelles. L’État qui n’est pas seulement vu à travers le gouvernement et ses agences, mais aussi et surtout par la prise en charge collective de l’économie et de la vie sociale à travers une diversité d’organisations et d’entreprises favorisant la participation sociale et communautaire, l’auto-gestion ou la co-gestion avec les communautés locales, la redistribution des richesses collectives, etc.
Le capitalisme est à bout de souffle. Non seulement il exclut et appauvrit, mais il précipite dans une mort lente, par la famine et la misère, près de la moitié de l’humanité. Les nouvelles technologies et la financiarisation de l’économie accélèrent cette décomposition du monde, au lieu de l’atténuer. Le néolibéralisme, cette idéologie, cette quasi nouvelle religion intégriste , est le reflet du capitalisme sauvage au stade de l’empire unique à l’échelle planétaire. En prolongeant les dogmes de l’ancien libéralisme, le néolibéralisme le dépossède de ses quelques thèmes humanistes (Claude Ryan vs Jean Charest). Un de ces dogmes est celui qui veut qu’une politique soit bonne seulement si elle contribue à la croissance économique, et mauvaise si elle cherche des solutions alternatives et solidaires. En mettant l’accent essentiellement sur la quantité, le néolibéralisme donne un caractère simpliste à la dimension de l’efficacité économique et favorise la course sans freins à l’enrichissement de quelques-uns. Les recettes de la croissance tous azimuths sont appliquées à l’économie sans réfléchir à leurs conséquences sur la vie et la santé des travailleurs, et sans se soucier des retombées qu’elles peuvent avoir sur l’environnement.
La gauche doit se méfier des formulations parfois sympatiques ou encore poétiques, et soi-disant " moins rébarbatives ", qui font cohabiter trop facilement capitalisme et bien commun. Il faut oser penser à des changements en profondeur des structures économiques, du mode de production et de redistribution de la richesse ainsi créée. Il faut tirer les leçons qui s’imposent de l’histoire du socialisme plutôt que de tomber dans le syndrôme péquiste qui a tellement nui tant à la question nationale qu’à la création d’un véritable parti progressiste au Québec et qui a finalement contribué à désabuser la population.
Un programme pour toutes les générations
L’UFP, qui cherche à souder la gauche sur des bases rassembleuses, doit réfléchir sur son élargissement de façon à unir les progressistes de toutes les générations. Le plus grand malheur de la gauche québécoise serait son morcellement en générations politiques, l’une enfermée dans le social-libéralisme, une sorte de social-démocratie à la Tony Blair, qui rendrait acceptable la mondialisation actuelle ; l’autre, engagée dans la perspective altermondialiste, mais incapable de sortir de la marginalité. Le défi de l’UFP, comme celui d’autres groupements de gauche, c’est d’assurer la relève.
Depuis bientôt dix ans, la remontée de la gauche est en grande partie le fait de noyaux de personnes issues du mouvement social des années ’70 et ’80. Ces noyaux comprennent les initiatrices de la Marche mondiale des femmes, ceux et celles qui ont développé les ONG du Québec et les groupes politiques qui ont initié l’UFP. Il faut réconcilier les générations politiques, en luttant contre les préjugés que la Droite répand sur les " boomers " et sur la " génération de la Dette " par nos Mario Dumont et nos Jean Charest. Ce cynisme, et le défaitisme qui l’accompagne, constitue un terreau fertile à l’incubation des idées réactionnaires.
Au Québec, cette transition est possible. L’altermondialisme est un fait incontournable dans le mouvement social, et pas seulement chez les jeunes. Les organisations populaires et syndicales ont repris l’initiative depuis la Marche mondiale des femmes et le Sommet des peuples. Malgré cela, la Droite gagne des points et domine presque entièrement la scène politique, tant à Ottawa qu’à Québec. Les mouvements populaires et les syndicats réussissent, par d’énormes efforts de mobilisation, à freiner temporairement la réaction néolibérale, sans pouvoir imposer leurs vues.
Le mouvement social est l’héritier d’une culture politique qui a fait son temps, celle de la social-démocratie où l’État, sous la pression des syndicats et des groupes populaires, faisait des concessions et redistribuait une part de la richesse. Cette source d’action est tarie. Le système ne répond plus. Faire ce constat, ce n’est pas dénigrer les luttes et les perspectives du passé, tant celles de la social-démocratie que celles des mouvements de libération nationale, c’est prendre acte de la fin d’une époque.
Nous sommes dans une période transitoire entre les conceptions du passé et le projet d’une société nouvelle, tracée par les alternatives déjà présentes dans le processus en cours. Le mouvement social doit éviter le piège de l’étatisme, hérité d’une longue promiscuité avec la social-démocratie péquiste, elle-même tributaire des idéologies de la Révolution tranquille. Un autre piège, lié à la perspective étatiste, est constitué par le mythe du parti d’avant-garde. Certes, les idées et les projets avancés existent et servent souvent à stimuler la réflexion sur les formes d’action politique, mais le parti que nous voulons ne sera pas la reproduction du modèle qui a donné naissance aux partis marxistes-léninistes des années comprises entre 1972 et 1982.
La gauche dans la lutte de libération nationale
La gauche critique le PQ et ses pratiques de droite depuis plus de trente ans. On aura beau le dénoncer jusqu’à perdre le souffle, son emprise sur une partie des mouvements sociaux ne s’évanouira pas d’un coup, comme un mauvais rêve. C’est un fait politique qui mérite une analyse attentive et non sectaire. Il faut expliquer pourquoi cette influence se perpétue après tant d’années et pourquoi elle est acceptée par tant de militants et militantes dans le mouvement social et syndical. Le programme officiel, à saveur social-démocrate, ne suffit pas à expliquer pourquoi bien des gens continuent à soutenir le PQ, en dépit du fait que son orientation libre-échangiste et pro-américaine produise un effet dissolvant sur sa raison d’être. La gauche a raison de dire que les lois votées par le PQ révèlent l’exact opposé d’un véritable projet progressiste et indépendantiste. Mais ces arguments, bien que justes et éclairés, ne viendront pas à bout de l’emprise du PQ sur le mouvement national, tant et aussi longtemps que la gauche n’occupera pas le terrain national. Cependant, il ne faut pas se décourager et abandonner l’argumentaire de gauche ; il faut continuer de développer une force capable de porter ces arguments vers un public plus large, afin de peser sur la conjoncture.
Parmi les forces vives de la nation québécoise, l’UFP est le seul parti à relier sa conception de la lutte nationale à celle des Patriotes de 1838. Nous ne croyons pas que cacher la nature républicaine de l’option indépendantiste soit le meilleur moyen de la faire triompher. Dans cette perspective, l’indépendance du Québec est pensée en dehors des balises péquistes qui, en jouant le rôle de l’arbre qui cache la forêt, peuvent nuire au dialogue avec les souverainistes qui partagent nos idéaux républicains, notamment ceux qui défendent la proposition d’une Assemblée constituante. Pour nous, lutte sociale et lutte nationale sont intimement liées. Cette idée, nous devons l’inscrire dans le débat sur la souveraineté comme une option légitime. Quand nous nous démarquons du PQ, qui fait primer la question nationale au détriment de la question sociale, nous pensons les deux questions comme un tout et l’indépendance comme la totalisation de nos revendications.
Le discours péquiste repose sur la conception consensuelle de la lutte nationale. C’est cette conception qui lie une part importante des mouvements sociaux - et surtout de leurs directions - au PQ, et c’est elle qui inspire l’orientation du groupe SPQ libre. Même si ce groupe parle de lier libération sociale et libération nationale, les revendications ouvrières et populaires qu’il promeut, demeurent subordonnées à l’objectif d’investir le PQ pour le reporter au pouvoir. Au lieu de prendre en charge la question nationale sur leur propre base, les travailleurs et les travailleuses sont encouragéEs à reporter à plus tard leur projet de société et à hypothéquer leur avenir.
En cherchant à comprendre le point de vue des syndicalistes qui ont adhéré au SPQ libre, on peut être tenté de leur dire : " Vous faites fausse route, retournez vers le futur ! " Nous croyons que dans la lutte nationale, il peut exister des alliances entre forces organisées et autonomes. Le PQ n’a pas le monopole de l’indépendance, et le soutien électoral dont il jouit depuis longtemps ne lui est pas garanti. Si ce soutien électoral a été une étape dans l’évolution de la conscience politique des travailleurs et des travailleuses, il n’a jamais été le signe de la nécessité d’adhérer à un parti d’union nationale pour faire l’indépendance du Québec. Jusqu’à un certain point, ce soutien électoral avait sa raison d’être, dans la mesure où il n’y avait pas de parti ouvrier assez crédible pour s’inscrire dans la lutte nationale à côté du PQ.
L’UFP propose une conception de la lutte nationale où les travailleurs et travailleuses, en formant leur propre parti, prennent la place qui leur revient dans la lutte de libération nationale. Le projet de SPQ libre est tout l’opposé de notre orientation, et nous devons être conscients qu’à travers l’écran que constitue ce groupe, c’est la direction de la lutte nationale par le PQ, inconséquente et hasardeuse pour la nation, que nous remettons radicalement en cause.
Bernard Landry accueille ce courant à la condition que les syndicalistes et les progressistes acceptent la " discipline républicaine " que le chef exige de ses militants. Le SPQ libre se lie à l’ancien premier ministre, comme si Bernard Landry et Lucien Bouchard et n’avaient pas pavé la voie au régime que tous les syndicalistes et les progressistes combattent aujourd’hui. Nous sommes pourtant de ceux qui ont répondu à l’appel de Pierre Dubuc de l’Aut’journal en faveur de la création d’un parti de gauche. Celui-là même qui a récemment appelé à rejoindre le PQ sous SPQ libre. Certes, il a le droit de changer d’idée. Mais on ne le dira jamais assez : continuer de penser la question nationale au sein du PQ, c’est aussi penser les politiques sociales de façon inconséquentes, parce que la seule optique qu’entrevoit Bernard Landry est celle des promoteurs de la ZLÉA et de l’ALÉNA.
Cette optique condamne les travailleurs et travailleuses à servir de classe-appui à une élite néo-bourgeoise qui cherche à améliorer sa situation de concurrente dans le réseau d’intérêts nord-américain. Elle veut réaliser ses intérêts dans le cadre de la souveraineté, mais pas nécessairement dans ce cadre, car elle craint que la souveraineté entraîne un virage à gauche. Comme le confirment les révélations de Jacques B. Gélinas, le PQ n’a-t-il pas commencé, dès 1981, à mettre en place les politiques d’adaptation de la société québécoise aux diktas des forces néolibérales du continent nord-américain ?
Le PQ est toujours un parti néolibéral
Le terme néolibéral que nous utilisons pour caractériser le PQ n’est pas seulement une étiquette ou une accusation en l’air. Depuis 1976, la PQ a été au pouvoir pendant 18 ans. À partir de son second mandat, il a adapté progressivement les lois du Québec et les pratiques du gouvernement aux critères qui définissent le néolibéralisme. D’abord les lois-décrets de 1982 contre le Front commun de la fonction publique, puis en 1984, le virage conservateur avec le " beau risque ", suivi en 1988 par l’appui au libre-échange. En adoptant, en 1997, de concert avec l’opposition libérale et adéquiste, la loi anti-déficit, le gouvernement du PQ s’est engagé de façon irrévocable dans la voie du néolibéralisme. Ce faisant, il a choisi délibérément de ne plus se comporter comme un gouvernement national, mais comme un gouvernement régional qui ne croit plus en sa capacité de jouer un rôle déterminant. Le vernis social-démocrate attaché aux premières années du PQ et le grelot de la question nationale, qu’il fait vibrer de temps en temps, agissent encore comme des facteurs qui le positionnent dans le rôle du " moindre mal " grâce à un mode de scrutin déficient qu’il a refusé de réformer malgré ses engagementss, croyant y voir son intérêt partisan.
Une des principales raisons pour refuser la voie consensuelle proposée par le SPQ libre, c’est qu’elle fait du PQ, encore une fois, l’acteur principal dans la lutte de libération nationale. Le PQ demeure un parti de l’alternance au pouvoir provincial, au lieu d’être un parti de l’alternative au régime fédéral. Il ne peut pas le devenir, tant qu’il reste attaché à l’utopie libre-échangiste, qui s’est substituée peu à peu à l’idéal de l’indépendance, depuis le tournant des années 1983-1984, alors que le PQ s’est allié au Parti Conservateur de Mulroney. Les libre-échangistes québécois (tant au PQ qu’au PLQ) ont secondarisé l’espace national québécois au profit de l’espace régional réservé au Québec par la " constitution économique " que nous ont imposée Mulroney et Reagan en 1987. Les traités de libre-échange (ALE, ALENA) que ces néolibéraux nous ont légués, continuent de définir, par des procédés anti-démocratiques, notre espace national dans l’étau de l’économie mondialisée.
Rallier le PQ, alors que ce parti n’a pas renié ses politiques néolibérales, ne favorisera pas l’émancipation du mouvement ouvrier et populaire, mais contribuera davantage à le mystifier. La voie consensuelle met entre parenthèses les problèmes sociaux que le PQ évite d’aborder de front pour ne pas compromettre l’union sacrée qui le reportera au pouvoir. Elle engourdit l’autonomie potentielle du mouvement ouvrier et populaire ; elle fait douter, même les syndicalistes progressistes, quant à la capacité des travailleurs de participer à la lutte nationale sur leur propre base.
Il faut reconnaître, cependant, que l’idée d’un parti de masse, indépendant du PQ, n’est pas encore accréditée dans toutes les composantes de la gauche sociale et syndicale. Il faut reconnaître aussi le fait que la régression, tant sociale que nationale, dans laquelle le régime Charest nous entraîne depuis un an, renforce chez les militants syndicaux, et particulièrement chez les représentants des travailleurs et travailleuses, ce sentiment d’urgence qui demande qu’on fasse tomber ce gouvernement, avant qu’il abîme davantage le seul instrument que nous avons pour nous protéger : l’État du Québec.
La hâte qui découle de la hantise du court terme empêche jusqu’à un certain point la masse des travailleurs et travailleuses à adhérer à une alternative progressiste au néolibéralisme, ce qui donne au PQ un nouveau sursis. En effet, plus la contestation prend de l’ampleur, plus le PQ apparaît à court terme comme la seule solution de remplacement. Les péquistes espèrent que les 450,000 électeurs qui ont boudé leur parti le 14 avril 2003 reviendront peut-être au bercail pour battre Charest. On avencerait à quoi ?
N’oublions pas que le Parti libéral du Québec a gagné 12,000 voix de plus qu’en 1998 et que c’est l’abstention de ses membres qui a fait perdre le PQ. L’abstention de 2003, c’est cette hémorragie muette de 450,000 électeurs et électrices qui l’avaient pourtant appuyé en 1998. C’est la forme qu’a pris le découragement de militants par milliers, qui sont rentrés dans leurs terres, déçus des politiques de Lucien Bouchard. L’absence de perspectives crédibles a favorisé la réorientation des énergies d’un grand nombre de ses partisans vers la quête du bonheur privé.
La constituante, un enjeu stratégique
Le patient travail de rassemblement des forces politiques, qui s’opère au Québec depuis 10 ans, lie étroitement la lutte nationale aux luttes sociales et comprend la convocation d’une Assemblée constituante comme un enjeu stratégique. L’UFP propose de reprendre le débat sur le statut politique du peuple québécois, en s’appuyant sur une vérité historique incontestable : jamais dans son histoire, le peuple québécois n’a choisi librement et démocratiquement sa constitution. Vivement une Assemblée constituante ! pour écrire et proposer le cadre politique d’un Québec libre, démocratique, républicain et progressiste !
La lutte pour une constituante pourrait même donner lieu à une coalition de partis et de mouvements. Mais le Parti québécois, quand il parle de la constituante, continue de placer ses intérêts propres au-dessus des intérêts du peuple québécois. L’élite péquiste prétend toujours détenir le monopole de la question nationale, et pose la question de l’assemblée constituante comme une simple démarche de consultation, réservant le dernier mot au prochain gouvernement péquiste. Au contraire, le processus que nous proposons place le peuple dans la position d’exercer sa souveraineté de fait.
Mais le thème de la constituante ne doit pas être séparé de celui de la république. La promotion d’une véritable constituante s’inscrit, pour l’UFP, dans la tradition républicaine des insurgés du Bas-Canada. Les Patriotes de 1838 posaient la nécessité de rompre toute allégeance avec la Grande-Bretagne, d’établir une forme républicaine de gouvernement, de respecter les droits des autochtones, d’assurer la séparation complète de l’Église et de l’État, de favoriser la liberté et l’indépendance de la presse et d’assurer le droit à l’éducation générale et publique pour le peuple.
Pour l’UFP, l’élection d’une constituante au Québec serait en soi un acte de souveraineté populaire et, en quelque sorte, un acte de sécession, la fin de la domination de l’État fédéral sur le territoire du Québec. Elle marquerait une rupture avec la souveraineté étatique telle que définie dans la tradition canadienne, inspirée des institutions victoriennes imposées par l’empire britannique.
La Constitution d’un Québec indépendant ferait une place centrale aux droits sociaux, à l’égalité des droits entre les sexes, reconnaissant les droits des peuples autochtones, respectant la laïcité, la liberté du culte et la séparation de l’Église et de l’État. Certes, une constitution n’est jamais neutre et, même au terme de longues délibérations, elle demeure une sorte de bilan, le résultat, précaire et temporaire, d’une lutte qui se poursuivra longtemps après sa rédaction.
Tout au long du processus de l’assemblée constituante, l’UFP ne manquerait pas de faire valoir que la constitution doit garantir certains droits. Par exemple, elle pourrait inclure une charte des droits civiques et sociaux qui protégerait le droit au logement, au travail, à la santé, à l’éducation, à des mesures de soutien à la famille. La Commission des droits de la personne et de la jeunesse propose déjà d’inscrire ces droits dans la Charte des droits et libertés. Elle pourrait comprendre d’autres principes, comme celui d’une citoyenneté transnationale inclusive, un revenu décent garanti, la protection de l’environnement, le refus de participer à une guerre impériale ou à l’occupation d’un autre pays.
Pour exprimer la souveraineté du peuple, l’Assemblée constituante doit être dotée d’un pouvoir constituant effectif. Elle doit émaner du peuple selon des procédures démocratiques précises :élue au suffrage universel, direct et proportionnel, et composée d’une part égale d’hommes et de femmes ; elle doit pouvoir siéger le temps nécessaire (de un à deux ans) pour délibérer et écrire le projet de constitution. Dans ce contexte, le référendum joue le rôle d’un mécanisme de ratification de la nouvelle constitution et non plus celui de déclencheur de la souveraineté. En devenant exécutoire, le référendum ne servirait plus, comme par le passé, de truchement pour amorcer un processus de négociations pour réformer le fédéralisme canadien.
La campagne d’éducation politique que nous envisageons, une campagne de longue haleine, doit impliquer toutes les forces indépendantistes, mouvements et partis. La brève expérience des commissions régionales de 1995 a révélé que les gens exigeaient un projet de société, ici et maintenant. Le camp du Oui n’était pas près à aller aussi loin. Les révélations du biographe de Jacques Parizeau, Pierre Duchesne, nous montrent combien peut être périlleux pour la nation l’abandon de la direction de la lutte nationale entre les mains de chefs charismatiques. L’éducation à la constituante obligera les souverainistes à parler vrai à propos du régime canadien.
Le Canada est un pays figé. Le mode d’amendement légué par Pierre Trudeau le coule dans le béton. Quant au Québec, à moins de devenir souverain, il aura toujours la Reine ou le Roi d’Angleterre comme chef d’État. Dans le cadre de la monarchie constitutionnelle, la démocratie québécoise demeure boiteuse et inconséquente. La constitution provinciale du Québec est un fatras, dont les pièces sont éparpillées dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique(AANB), dans des lois fédérales et provinciales et dans des traditions non écrites inhérentes à la monarchie et au parlementarisme de type britannique.
Le PQ a toujours fait du référendum sur la souveraineté la première étape avant les négociations avec le Canada. Ce choix stratégique, maintenu par le PQ depuis 1974, a toujours relégué l’Assemblée constituante à une étape ultérieure, contrôlée par le parti, pour éviter les débordements populaires. Ce long cycle historique a conduit à déformer la formulation des objectifs du mouvement indépendantiste. Après deux échecs référendaires, le sort politique de la nation doit désormais reposer sur les épaules d’une assemblée constituante, et non plus sur le PQ.
Que voulons-nous ?
Nous voulons contribuer à réhabiliter l’action politique, en redonnant aux gens le goût de la chose publique, et leur rappeler que les richesses du Nord peuvent être partagées avec le Sud.
Nous voulons remotiver l’espoir dans un monde nouveau, où les puissants ne pourront plus soumettre la terre à leurs folles ambitions. Un monde différent, où l’eau et les forêts sont protégées des effets néfastes d’une croissance débridée. Nous voulons un Québec vert !
À la pensée unique néolibérale, à ceux et celles qui réduisent les fonctions essentielles de l’État pour répondre aux besoins des multinationales, nous opposons la voie du partage et de la solidarité. L’État doit être le rempart des pauvres.
À ceux et celles qui imposent des lois répressives et liberticides pour fomenter des guerres d’agression, nous répondons : Non à la guerre ! Les relations extérieures sont de juridiction fédérale ? Pour nous, guerre et paix sont de juridiction humaine !
Nous avons opté, dès 2002, pour un parti fédéré, un parti qui se définit comme un " work in progress ", un processus. C’est une forme politique suffisamment souple pour que, d’une part, coexistent en son sein des tendances organisées, et d’autre part, assez forte etcohérentepour mener des luttes de longue haleine sur le terrain social. Un parti capable aussi de se mettre en mode électoral, le moment venu, et assez ambitieux pour prétendre gagner des élections et prendre le pouvoir, un jour.
Nous croyons que le mode de scrutin n’est pas le principal obstacle à l’émergence de la gauche sur la scène politique. C’est plutôt la dispersion de ses composantes et la faible unité de ses foyers. Aucun parti ne va modifier le mode de scrutin pour favoriser la gauche. Cet attentisme a toujours placé les forces progressistes dans une position d’appui au PQ, posture malaisée qui, à terme, se révèle ruineuse pour les causes qu’elles défendent. Il y a des conditions objectives que nous devons assumer, en dépit du mode de scrutin. Attendre une réforme à notre convenance, c’est attendre un miracle.
La gauche doit gagner le respect et démontrer sa légitimité historique. Elle doit pratiquer une politique de présence sur la scène politique et, pour y être efficace, elle doit conduire cette politique sans relâche pendant une longue période. Il n’y a pas de raccourci. Cette politique repose sur une patience active, qui représente en politique la persévérance et l’assiduité, non l’attente passive d’un miracle.
La gauche sort de plus en plus de sa marginalité et met un terme à son hibernation. Elle doit voir venir les choses, sans perdre de vue les leçons du passé. Les avancées de la gauche doivent se mesurer à l’échelle de l’histoire et non dans une perspective à court terme. Le potentiel que représentent ses forces doit s’incarner à l’intérieur du système politique et non plus dans sa marge avec comme seul horizon la fausse fenêtre du partenariat et de la concertation.
La gauche est bien présente sur le terrain des luttes sociales et syndicales ; mais sa présence est à peine filtrée par le PQ sur la scène politique. Nous débattons de cette question depuis plus de quarante ans. Cessons d’en parler, et agissons ! C’est en se montrant sur la scène que la gauche peut se faire ; sa responsabilité, c’est d’être tout ce qu’elle est, et en assumer toute la charge et toutes les suites.
Le Comité exécutif national
Union des forces progressistes
Le 22 mai 2004
(tiré du site de l’UFP)