Dans notre démocratie de représentation, le mode de scrutin est un mécanisme servant à transformer les votes exprimés lors des élections en sièges au Parlement. Or, pour respecter la souveraineté populaire, qui est le fondement de toute légitimité démocratique, cette technique doit être subordonnée à la volonté exprimée par les électeurs. Dans l’opération d’attribution des sièges parlementaires, elle doit traduire cette dernière avec le plus de fidélité possible et non la déformer comme c’est le cas au Québec avec le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour.
Le premier principe qui doit régir le processus de réforme du mode de scrutin annoncé par le gouvernement Charest doit donc être de consacrer cette volonté populaire. Chaque vote doit compter et doit compter également comme c’est le cas lors d’un référendum qui est le prototype d’un scrutin proportionnel.
Au Québec, les distorsions causées par le mode scrutin actuel, non seulement déforment la volonté populaire à chaque élection, mais sont même allées jusqu’à la renverser carrément en portant au pouvoir le parti qui s’est classé second dans les suffrages tandis que le véritable vainqueur était relégué dans l’opposition, comme c’est arrivé en 1944, 1966 et 1998. Elles ont aussi réduit l’opposition à des proportions faméliques (6 à 8 députés) même si les partis qui la composaient avaient obtenu près de la moitié des suffrages, comme ça s’est produit en 1948 et 1973. Qui est plus, le gouvernement est presque toujours majoritaire même s’il n’obtient presque jamais la majorité des suffrages. Ce fut le cas de trois élections sur quatre au Québec depuis 1970. La norme avec ce mode de scrutin est une sur-représentation du parti vainqueur de l’ordre de 20% qui fait pendant à une sous-représentation équivalente de l’opposition. Mais au Québec le système a dérapé près de 75% du temps lors des 20 élections tenues depuis le début de la décennie 1930 et on s’est souvent retrouvé avec des distorsions bien plus prononcées atteignant même 38%.
En corollaire, cette situation fait en sorte que le vote d’une majorité d’électeurs ne compte aucunement dans le choix des députés et que les autres sont loin d’avoir un poids égal dépendant du parti ou du candidat appuyé.
Où se trouve l’équité dans ce système électoral ? L’objectif central de la réforme doit donc être de corriger ces distorsions et de faire en sorte que le vote de tous les électeurs compte et aient le poids le plus égal possible dans le choix de leurs représentants au Parlement.
Un deuxième objectif, qui découle du premier, vise à reconnaître le pluralisme politique et social qui caractérise le Québec d’aujourd’hui en permettant aux formations qui représentent les nouvelles tendances et les secteurs minoritaires de la société d’être représentées au Parlement pour peu qu’elles obtiennent un appui significatif aux urnes. Un troisième veut que soit reconnue l’importance du rôle joué par les régions au Québec. Un quatrième vise à favoriser une représentation paritaire hommes-femmes à l’Assemblée nationale. La loi doit-elle prévoir des mesures coercitives, comme l’imposition de quotas, pour obliger les partis à se rapprocher de la parité ? Cette question constituera certes un enjeu important dans le débat. De plus, un objectif qui revient souvent, surtout parmi les défenseurs du mode de scrutin actuel, est le maintien du lien électeur-député. Enfin, il faudrait éviter le plus possible de dépasser le nombre de 125 sièges que compte actuellement l’Assemblée nationale.
Quatre possibilités à considérer
Seule la représentation proportionnelle peut permettre d’atteindre ces objectifs. Contrairement au monolithisme du mode de scrutin majoritaire actuel, cette dernière comporte plusieurs éléments constitutifs qui la complexifient mais, en contrepartie, la rendent éminemment souple et adaptable. Pour rendre plus intelligible la présentation qui suit, énumérons-les :
– L’amplitude (nombre de sièges attribués aux circonscriptions) ;
– La formule de répartition des sièges (celle des plus fortes moyennes ou celle des plus grands restes) ;
– Le palier où se fait la répartition des sièges (régional ou national) ;
– L’imposition ou non d’un seuil minimum pour que les partis puissent participer à la répartition des sièges et, si oui, lequel ;
– La façon de voter (à partir de listes fermées ou ouvertes ou encore de façon panachée).
Ces divers éléments, combinés ensemble de façon différente, permettent de mettre au point le mode de scrutin qui tienne le mieux compte des facteurs d’ordre socio-économique, aussi bien qu’historique et géographique, de la société auquel il s’adresse tout en permettant d’atteindre le mieux possible l’ensemble des objectifs visés.
Pour les fins de la présente présentation, réduisons les possibilités aux quatre formules qui sont le plus souvent mentionnées et parmi lesquelles le choix a le plus de chances de s’effectuer :
1) La proportionnelle régionale avec distribution à un seul palier ;
2) La proportionnelle régionale avec correction au niveau national ;
3) Le scrutin mixte avec correction complète ;
4) Le scrutin mixte avec correction incomplète.
Le premier est d’origine québécoise, le deuxième s’inspire du modèle dont on se sert au Danemark depuis 1855 et dans les autres pays scandinaves depuis la fin du XIXe siècle, la troisième du modèle allemand qui existe depuis la fin de la dernière guerre mondiale et qui a été adoptée par la Nouvelle-Zélande en 1993 tandis que la quatrième découle du modèle implanté par le gouvernement Blair en 1997 en Écosse et au Pays de Galles.
La proportionnelle régionale à un seul palier versus celle comportant une correction nationale
Au Québec, un pays dont la vitalité socio-économique repose de façon primordiale sur le dynamisme de ses régions, c’est la formule de la proportionnelle régionale qui a reçu le plus d’appuis jusqu’ici. Cette dernière, qui pourrait servir d’assise à une éventuelle politique de décentralisation régionale, est dans le paysage politique québécois depuis plus de 35 ans.
La première proposition concrète pour instaurer un scrutin proportionnel au Québec a été présentée par le politicologue Vincent Lemieux. Le Devoir a publié de larges extraits de cette proposition dans son numéro du 9 mars 1971. La formule de "proportionnelle régionale modérée" du professeur de l’Université Laval a été l’une des trois hypothèses étudiées dans le livre vert du ministre Robert Burns en 1979. Elle a été reprise par le Secrétariat à la réforme électorale après l’élection de 1981 pour relancer le débat suspendu lors de la période référendaire. Cette dernière porte le qualificatif de "modérée" parce qu’aucune circonscription n’aurait compté plus de 5 députés pour une moyenne de 4,3 sièges. Cette faible amplitude en aurait limité singulièrement la proportionnalité.
La proportionnelle régionale a été, au début des années quatre-vingt, le choix d’une forte majorité des citoyens qui se sont faits entendre par la Commission de la représentation électorale vers laquelle l’Assemblée nationale s’était tournée pour l’éclairer. La recommandation faite par cette commission, en 1984, a mis de l’avant une formule voisine de celle de Lemieux sous le nom de "proportionnelle territoriale". Cette dernière prévoyait une moyenne de 5,7 ou 6,3 sièges par circonscription selon le choix de l’hypothèse. Elle était plus favorable aux petits partis parce que l’île de Montréal aurait pu ne compter que deux circonscriptions et Québec en aurait compté une seule ; ce qui aurait rendu les résultats nettement plus proportionnels dans ces deux agglomérations. Par la suite, le premier ministre Lévesque a fait préparer un projet de loi dans ce sens, mais ce dernier n’a jamais pu être présenté parce qu’il a été bloqué par le caucus des députés péquistes.
Après la reprise du débat sur la réforme du mode de scrutin, qui a connu une éclipse de 15 ans, la proportionnelle régionale a de nouveau été ramenée devant les feux de l’actualité, il y a quelques mois, suite à la tenue des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques où 90% des participants ont tourné le dos au scrutin actuel en faveur de la représentation proportionnelle. Le Comité directeur des États généraux, présidé par Claude Béland, en a recommandé une nouvelle mouture. Cette dernière prévoit que les 125 sièges actuels seraient répartis entre des circonscriptions constituées de 15 des 17 régions administratives actuelles plus Montréal (divisée en 4) et Québec (divisée en 2). Cette formule établirait une moyenne de 6,2 sièges par circonscription avec un maximum de 8.
Encore là, la faible magnitude ne peut induire un niveau acceptable de proportionnalité. On calcule en effet que les partis recueillant moins de 15% des votes qui seraient répartis à la grandeur du territoire, sans concentration dans une ou quelques régions, ne pourraient pratiquement pas faire élire de députés ou, tout au moins, seraient fortement sous-représentés. Par contre, les partis obtenant plus de 15% de votes seraient probablement sur-représentés. D’un système bipartiste on passerait tout au plus à un système tripartiste. Les partis en émergence ou plus marginaux resteraient donc exclus de toute représentation. Minces résultats pour une réforme !
Sans doute, la faible densité démographique de la plupart des régions combinée avec leur grande étendue géographique et leur isolement relatif sont des facteurs empêchant l’atteinte d’une proportionnalité acceptable. Mais l’idée de fusionner artificiellement des petites régions pour augmenter cette dernière est à rejeter. On contrecarrerait ainsi la dynamique régionale et ferait perdre ses vertus à la formule. On voit mal d’ailleurs comment, par exemple, l’Outaouais et l’Abitibi ou encore la Côte Nord et le Saguenay-Lac-Saint-Jean pourraient former une seule circonscription régionale ; pas plus d’ailleurs que la Gaspésie et le Bas-St-Laurent ni les Laurentides et Lanaudière. À l’inverse, il n’est pas plus acceptable de morceler artificiellement les régions de Montréal et Québec pour réduire la proportionnalité.
Il existe toutefois une solution pour régler ce problème de faible proportionnalité. Il s’agit d’ajouter à la distribution de la plupart des sièges au palier régional une distribution supplémentaire de quelques-uns au niveau national. Cela amènerait une correction importante. C’est ainsi, par exemple, que procèdent la Suède, le Danemark, la Norvège et l’Afrique du Sud qui sont aux prises avec un problème semblable au nôtre. Ainsi, 20 des 125 sièges de l’Assemblée nationale, soit 16%, pourraient servir à cette distribution nationale. Il en resterait 105, soit 84%, pour le niveau régional. L’ajout de quelques sièges flottants pour corriger les distorsions persistantes, comme on le fait en Allemagne, permettrait d’avoir un système sans faille du point de vue de la proportionnalité.
Le choix de la formule de répartition des sièges est aussi importante. Par exemple, si l’on adopte la formule dite des plus fortes moyennes, il faut choisir la méthode de Sainte-Laguë originale dont la séquence de diviseurs (1, 3, 5, 7) favorise une plus grande proportionnalité que celle d’Hondt (1, 2, 3, 4).
La loi électorale de la plupart des pays ayant adopté la représentation proportionnelle prévoit des seuils minimums de votes pour que les partis puissent participer à la distribution des sièges parlementaires. Cela a pour but d’empêcher la multiplication des petits partis. Il est manifeste que la faible magnitude des circonscriptions rend ce seuil superflu pour la distribution au niveau régional. Quant à la distribution au niveau national, il nous apparaît que le seuil pourrait être fixé à 2%, comme au Danemark, sans qu’il soit dangereux que des partis marginaux et parfois farfelus prolifèrent. Ainsi, lors des dernières élections, un parti aurait dû obtenir 76 355 votes pour y participer. On se rappelle que l’UFP en a recueilli 40 422 et le Parti vert 16 976.
Par ailleurs, les électeurs pourraient voter à partir de listes de candidats constituées par chaque parti dans lesquelles un ordre de priorité serait indiqué pour chacun (1, 2, 3, etc.). Les électeurs pourraient voter pour une liste telle que constituée (vote fermé) ou choisir leur ordre de préférence parmi les candidats d’une même liste (vote ouvert). Ils ne pourraient toutefois pas choisir entre les candidats de plusieurs listes (vote panaché) étant donné le nombre élevé de sièges à combler dans certains cas. Comme en Allemagne, la loi électorale pourrait prévoir des mesures pour que ces listes soient constituées de façon démocratique et ne soit pas laissées à la seule discrétion des appareils partisans.
Le scrutin de listes comporte aussi l’avantage de pouvoir assurer une meilleure représentation des femmes et des minorités diverses contrairement aux circonscriptions uninominales actuelles qui favorisent le choix de membres des élites locales.
Quant au lien électeur-député, il subsisterait mais serait redéfini sur une base régionale plutôt que locale. D’ailleurs, ce lien n’a pas beaucoup de signification dans la plupart des circonscriptions urbaines actuelles qui sont des territoires artificiels ne servant qu’à voter une fois par quatre ans sans correspondance avec les activités quotidiennes de la population. De plus, les électeurs pourraient s’adresser aux députés d’au moins deux partis qui seraient en concurrence dans la circonscription régionale. Les services qu’ils recevraient seraient donc meilleurs qu’actuellement. Il est bizarre, par ailleurs, de voir des territoires comme ceux de villes comme Laval, Longueuil, Sherbrooke, Trois-Rivières, Gatineau et Saguenay être divisés en plusieurs circonscriptions locales. Ne serait-il pas plus logique qu’ils soient englobés dans une seule circonscription tout en continuant d’être représentés par plusieurs députés en fonction des impératifs démographiques ?
Le scrutin mixte à correction complète versus celui à correction incomplète
L’Allemagne a adopté le scrutin mixte avec correction complète à la fin de la dernière guerre mondiale. Après plus de 50 ans, l’expérience s’est avérée probante. Les Allemands, aussi bien que les observateurs étrangers, sont unanimes à dire que ce système fonctionne très bien. Il consiste essentiellement à faire élire la moitié des députés en vertu du scrutin majoritaire (niveau local) et l’autre moitié en vertu du scrutin proportionnel (niveau régional). Lors de l’attribution des sièges proportionnels, un vigoureux principe de compensation s’applique pour corriger les distorsions causées par le scrutin majoritaire ; de telle façon qu’à la fin de l’opération on arrive avec un résultat presque parfaitement proportionnel. C’est donc un scrutin mixte à finalité hautement proportionnelle. Mais il nécessiterait l’addition de plusieurs sièges parlementaires aux 125 existants qui devraient passer à au moins 150. Cela crée malheureusement un obstacle majeur dans l’optique où une réforme ne devrait pas augmenter substantiellement ces derniers.
Il existe aussi un scrutin mixte à finalité proportionnelle mais avec correction incomplète. Il consiste à faire élire une majorité de députés au scrutin majoritaire dans des circonscriptions locales et le reste au scrutin proportionnel, c’est-à-dire de listes, au niveau régional ou national en appliquant un principe de compensation pour corriger partiellement les distorsions causées par le scrutin majoritaire. La proportion peut-être de 80%-20%, 70%-30% ou encore de 60%-40%. C’est cette dernière que l’ADQ a retenue.
C’est une proportion semblable (57% des sièges comblés au majoritaire au niveau local et 43% à la proportionnelle au niveau régional) qui a été retenue pour l’Écosse lorsque le gouvernement travailliste de Tony Blair a appliqué sa politique de dévolution en 1997. Il s’agit encore là d’un scrutin mixte à finalité proportionnelle parce qu’un principe de compensation intervient dans la distribution des sièges proportionnels en fonction des distorsions causées par le majoritaire contrairement au scrutin mixte à finalité majoritaire où les deux opérations sont indépendantes l’une de l’autre.
Cette formule a aussi obtenu la faveur des politicologues Henry Milner, Vincent Lemieux, Louis Massicotte et André Blais lors de leur témoignage devant la Commission des institutions de l’Assemblée nationale le 14 novembre dernier. On souligne que le Québec et l’Écosse partagent plusieurs caractéristiques communes : des parlements d’une dimension similaire (125 et 129 députés), une importance démographique limitée par rapport à plusieurs autres pays, une carte électorale comportant à la fois de vastes et de petites circonscriptions d’un point de vue géographique, le partage des compétences avec un gouvernement central et la présence d’un régime parlementaire de type britannique.
Mais l’inégalité démographique entre les régions est beaucoup plus prononcée au Québec qu’en Écosse où il n’y a pas d’agglomération géante à ce point de vue comme Montréal comparativement à la faiblement peuplée Gaspésie et à plusieurs autres. On a divisé le territoire écossais en 8 régions, apparemment homogènes et assez égales démographiquement, qui disposent de 7 députés chacune. Cette amplitude suffit à assurer une certaine proportionnalité grâce à l’application du principe de la compensation. Il est évident qu’il est impossible de procéder ainsi au Québec pour combler les 50 sièges qu’on réserverait au niveau régional sans dénaturer complètement ce concept et créer de pseudo régions qui n’auraient aucune vraisemblance d’un point de vue socio-politique. Il vaudrait peut-être mieux alors procéder à une distribution des 50 sièges proportionnels au niveau national. On pourrait obvier à la sur-représentation des régions populeuses, comme Montréal et de Québec, en incluant dans la loi électorale une clause obligeant les partis à y inclure des représentants de toutes les régions.
Quoiqu’il en soit des difficultés que l’on rencontrerait pour mettre au point un tel système dans le cas du Québec, on peut parier, sans trop de risque de se tromper, que c’est une formule semblable qu’on envisage présentement dans les officines gouvernementales. Le Parti libéral s’est prononcé en faveur d’un mode de scrutin mixte dont il n’a pas défini les modalités. Mais il serait surprenant que le gouvernement Charest aille jusqu’à envisager une proportionnalité aussi parfaite que celle que permet le système allemand.
Dans la perspective où ce mode de scrutin serait adopté par le Québec, certains ont suggéré que les électeurs ne votent qu’une fois. On éliminerait ainsi le vote de listes sous prétexte de simplifier l’opération. Ainsi, le fait qu’un électeur accorde son vote au candidat d’un parti X au niveau local dans le cadre du scrutin majoritaire signifierait qu’il appuie le même parti pour la répartition des sièges régionaux dans le cadre du scrutin proportionnel. Cette façon de procéder aurait tout simplement pour effet de changer la nature de ce mode de scrutin mixte conçu pour offrir la possibilité aux électeurs d’appuyer un premier parti au niveau local et un second au niveau régional. Cela serait certes interprété comme une tactique, et même une manœuvre, pour favoriser les partis traditionnels et jetterait le doute sur l’intégrité de l’ensemble du processus de révision. Car même si plusieurs électeurs sont prêts à voter pour ces derniers au niveau local, ils préfèrent faire confiance à de nouveaux partis au niveau régional en sachant que leur vote ne sera pas perdu alors grâce aux règles du scrutin proportionnel. L’argument de la simplification ne tient pas. Au niveau municipal, les Québécois remplissent bien deux bulletins de votes (maire et conseiller) et personne ne s’est jamais plaint que c’était trop compliqué.
Ce sont des questions semblables qu’il faudra surveiller lorsque le gouvernement Charest présentera son projet de révision.
Par ailleurs, il faut rejeter d’emblée toute tentative de faire adopter un système mixte à finalité majoritaire où, comme au Japon et en Italie, les sièges pourvus au scrutin majoritaire et ceux pourvus au scrutin proportionnel ne feraient que s’additionner sans principe de compensation pour corriger les distorsions. Un tel système constituerait la pire alternative après le statu quo, tel qu’on le prouve ci-après.
L’indice de disproportionnalité permet de comparer les modes de scrutin entre eux
Il existe des techniques pour mesurer le niveau des distorsions causées par un mode de scrutin. L’une d’entre elles, mise au point par le politicologue américain Michael Gallagher, s’appelle l’indice de disproportionnalité. Ce dernier permet de comparer l’effet des différents modes de scrutin à ce point de vue. C’est ainsi qu’un seul chiffre peut indiquer le degré global d’écart existant entre la proportion de votes recueillis par l’ensemble des partis en lice à une élection donnée et la proportion de sièges parlementaires qu’ils se sont vus attribuer. Plus cet indice est bas, c’est-à-dire qu’il se rapproche de zéro, moins le niveau de distorsions est élevé ; donc plus le degré de proportionnalité est élevé.
Cet indice est révélateur. Il permet de constater que le scrutin majoritaire uninominal à un tour en vigueur au Québec depuis 1791 se classe à au 6e rang sur 7 sous l’aspect de la proportionnalité parmi les principales familles de modes de scrutin. Par contre, le scrutin proportionnel régional avec correction au niveau national que nous proposons se classe au 1er rang. Le scrutin mixte avec correction complète (modèle allemand) se classe au 2e rang. Le scrutin mixte avec correction incomplète (modèle écossais) se classe au quatrième rang sur sept.
Voici la liste complète accompagnée d’exemples tirés d’élections ayant eu lieu ces dernières années :
– Au premier rang se trouve le scrutin de listes de type scandinave où tous les députés sont élus à la proportionnelle. Exemples : Suède avec l comme indice ; Belgique avec un indice de 4.
– Au deuxième, le système mixte de type allemand avec correction complète. Exemples : l’Allemagne avec un indice de 3 ; la Nouvelle-Zélande avec un indice de 8.
– Au troisième rang se trouve le vote unique transférable (VUT) qui est un scrutin à finalité proportionnelle où l’on n’utilise pas de listes. L’Irlande et Malte sont les seuls pays qui l’ont adopté. L’Alberta et le Manitoba l’ont utilisé au début du XXe siècle. En Irlande, les deux dernières élections ont donné des indices de 6 et 11,7.
– Au quatrième rang, on retrouve les Parlements dont les membres sont élus au moyen d’un système mixte à correction incomplète mais à finalité proportionnelle. Exemples : l’Écosse avec un indice de 8 (élection de 2003), le Pays de Galles avec 7,5%.
– Au cinquième rang se classent les pays dotés d’un système mixte à finalité majoritaire. Exemples : le Japon avec un indice de 10, l’Italie avec un indice de 14.
– Au sixième et avant dernier rang se retrouvent les pays qui, comme le Canada et le Québec, sont dotés d’un système majoritaire uninominal à un tour, ainsi que l’Australie qui utilise un scrutin préférentiel où l’on a enregistré un indice de 17. Aux élections québécoises de 2003, l’indice a été de 17,6 et aux élections canadiennes de 2000, il s’est établi à 18,2. Pour les neuf dernières élections, l’indice de disproportionnalité s’est établi en moyenne à 22,1 pour les élections à l’Assemblée nationale du Québec et à 14,7 pour les élections à la Chambre des Communes d’Ottawa. Si on fait une moyenne des élections ayant eu lieu depuis 30 ans, le Québec compte parmi les pays où cet indice est le plus élevé parmi ceux utilisant ce mode de scrutin.
– Au septième et dernier rang se classe le scrutin majoritaire à deux tours. L’exemple le plus connu est la France qui a enregistré un indice de 31 lors de l’élection de 1997. Le scrutin majoritaire à deux tours assure une bonne représentativité aux élus qui doivent obtenir la majorité absolue dans leur circonscription, mais il est nul au niveau de la proportionnalité.
Paul Cliche, auteur du livre "Pour réduire le déficit démocratique : le scrutin proportionnel" et David Litvak, étudiant de maîtrise à l’ENAP
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