Alors que l’Union des forces progressistes (UFP) amorce sa troisième année d’existence et continue de construire l’unité de la gauche, le groupe Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre) poursuit sa démarche afin de devenir, en juin 2005, un club politique du Parti québécois. C’est dans cette perspective que Monique Richard signe le texte du 19 octobre où le groupe fait à l’UFP une invitation saugrenue : abandonner son statut de parti et le rejoindre au sein du PQ. Invitation sans doute généreuse, mais assombrie par l’alternative à laquelle on condamne l’UFP : " se faire broyer par le mode de scrutin lors du prochain rendez-vous électoral ".
Les principaux acteurs de SPQ Libre connaissent la plate-forme de l’UFP et savent que sa naissance, en juin 2002, s’est faite en rupture avec les trois partis néolibéraux - PQ, PLQ et ADQ. Leur appel s’adresse donc moins à nos militantes et militants qu’aux gens de gauche qui sont tentés de rallier nos rangs pour poursuivre la construction d’un parti dynamique et crédible alliant l’objectif d’indépendance et de justice sociale. Surtout que la perspective d’unité avec Option citoyenne galvanise l’espoir suscité par l’UFP.
SPQ Libre vante les mérites des clubs politiques qui ont le potentiel de " mettre un terme à la culture du consensus " et d’assurer le respect des " courants minoritaires " au sein du PQ. Il prétend que l’éventuelle reconnaissance des clubs politiques au sein du PQ ouvrirait des perspectives d’avenir sans précédent. Mais est-ce vraiment le cas ? La démonstration de " la portée et l’ampleur de l’ouverture " reste à faire. Malgré la bonne foi des membres de SPQ Libre, il y a lieu de douter qu’un club politique puisse régénérer la démocratie au PQ. Outre la course au leadership larvée, un exemple récent illustre l’ampleur de la tâche : la volte-face de Bernard Landry à peine 48 heures après le Conseil national du PQ où il prétendait accepter que les membres de son parti fixent un échéancier référendaire précis. Le PQ parle maintenant de la tenue d’un référendum " lorsque ce sera possible ".
Pour sa part, l’UFP a adopté, dès sa fondation, des statuts et règlements qui prévoient le respect du droit de tendance. Durant les années de travail acharné pour forger notre unité à travers l’élaboration d’une plate-forme commune, nos débats nous ont convaincus de la nécessité de reconnaître explicitement les divers courants à l’intérieur de notre structure. Nous avons aussi opté pour une direction collégiale où les fonctions et le pouvoir sont partagés entre les membres du Comité exécutif national, selon une représentation égalitaire des femmes et des hommes. L’expérience confirme que nous avons eu raison de miser sur de tels mécanismes de démocratie interne.
Notre engagement envers la démocratie s’étend à l’extérieur de notre parti. Nous continuons à militer en faveur de l’adoption du mode de scrutin proportionnel pour une réforme en profondeur des institutions démocratiques. Quand SPQ Libre salue le combat de Paul Cliche, un des membres fondateurs du Rassemblement pour une alternative politique (RAP), nous ne pouvons donc que renchérir. L’UFP est fière de compter dans ses rangs cet homme d’une intégrité exceptionnelle dont l’action tenace dément l’idée qu’il faut baisser les bras devant les obstacles.
Nous sommes bien placés pour constater le caractère infect du mode de scrutin qui pervertit la volonté populaire et décourage la mobilisation citoyenne. Nous savons, comme SPQ Libre le sait aussi, que " le Parti québécois n’a pas procédé aux réformes " quand il en avait l’occasion. Nous ne partageons toutefois pas la conclusion qu’il tire de ce double constat. Nous voyons mal comment le refus du Parti québécois de réaliser une réforme réclamée par la majorité - 60 % de la population, selon un récent sondage - pourrait inspirer le désir de joindre ses rangs. Pour nous, c’est tout le contraire. L’UFP a vu le jour pour proposer aux Québécoises et aux Québécois un parti qui fait de l’indépendance le moyen de bâtir un pays d’égalité, de justice et de solidarité.
Nous n’avons pas attendu un mode de scrutin favorable pour amorcer notre patient travail de construction. Et la réforme que nous souhaitons ne tient pas à un simple calcul électoraliste, elle répond à un idéal de véritable partage du pouvoir avec l’ensemble des citoyennes et des citoyens du Québec. Nos gains en termes de votes sont modestes, c’est vrai, mais ils sont là. Le politologue Jean-Herman Guay estime que l’UFP obtiendrait déjà la faveur de 5 % de l’électorat. Et l’unité avec Option citoyenne pourrait avoir un effet d’entraînement.
Le chantage à l’indépendance
Selon SPQ Libre, si la difficile bataille électorale à venir ne suffit pas à nous convaincre, la possibilité de nuire à l’indépendance du Québec devrait y arriver. Il invite donc l’UFP à se saborder parce qu’il est peu probable de voir renaître une " grande coalition souverainiste " comme celle de la fin des années 1960 et du référendum de 1995. Pour l’UFP, cet argument rate la cible. Il est bien difficile de regretter une coalition virtuelle quand celle, tangible, du Conseil de la souveraineté manifeste jusqu’ici peu d’ouverture aux indépendantistes à l’extérieur de la grande famille péquiste et bloquiste.
SPQ Libre évoque la désertion du PQ par une partie de la gauche syndicale qui " n’a pas encore digéré les compressions budgétaires du Déficit zéro et certaines des politiques des deux mandats péquistes ". Est-ce à dire que les membres de SPQ Libre les ont digérées ? Si oui, voilà où nos chemins se séparent. Nous ne digérons pas la pauvreté, le pillage des ressources naturelles, la mise aux enchères des régions. La sanction populaire qui l’a chassé du pouvoir, le PQ l’a lui-même récoltée. Ses politiques de collusion avec le patronat ont pavé la voie à Jean Charest et à son équipe de démolition de l’État. Si le PQ tente, par SPQ Libre interposé, de réduire la gauche au silence ne serait-ce d’ailleurs pas pour éviter de faire le bilan de ses désastreuses politiques économiques et sociales ?
Devant le refus du PQ de prendre acte de l’échec de sa stratégie souverainiste et d’admettre que la moitié des souverainistes choisissent d’appuyer d’autres formations politiques, et, en conséquence, devant le refus du PQ de participer à une vaste coalition multipartite pour l’indépendance, SPQ Libre conclut qu’il faut " investir " ce parti pour y " reconstituer la coalition des forces souverainistes ". Quoi de mieux pour justifier cet appel que le spectre des manœuvres des fédéralistes pour empêcher l’élection d’un gouvernement à la recherche d’un mandat de référendum sur la souveraineté ! Avec tout le respect des gens d’opinion contraire, l’UFP soutient que le PQ n’a pas le monopole du projet de pays. Voilà pourquoi nous proposons non pas une élection référendaire qui confierait encore une fois à ce parti une éventuelle démarche d’indépendance. Nous proposons plutôt l’élection d’une assemblée constituante chargée de rédiger un projet de constitution à partir de vastes consultations avec l’ensemble des citoyennes et citoyens. Le document serait par la suite soumis à un référendum et un vote majoritaire marquerait l’acte de naissance du pays.
Que penser de la seconde raison avancée pour reconstituer la coalition des forces souverainistes dans le PQ ? SPQ Libre veut " restaurer le rôle des partis politiques dans notre vie démocratique en accordant aux différents courants la possibilité de défendre leurs idées à visage découvert... " En attendant la rénovation politique promise, il faut admettre que la démocratie se porte mieux à l’extérieur qu’à l’intérieur du PQ ! Qu’il suffise d’évoquer la course au leadership qui n’aura pas lieu, les débats étouffés, les tournées de mousquetaires dont on tablette les résultats, un ministre pilotant une réforme démocratique pour se retrouver, de son aveu même, mis à l’écart de son caucus, etc.
Notre action se porte ailleurs
En conclusion, l’Union des forces progressistes répond " non, merci " aux personnes qui, de bonne foi sans doute, font le pari de tirer le PQ à gauche en s’y intégrant comme club politique. Nous ne partageons ni leur analyse, ni leur choix des moyens.
La bataille sur le terrain électoral sera difficile, mais elle ne peut être évitée. Nous ne nous sommes pas trompés de conviction en nous battant pour la mise sur pied de l’UFP. Cette conviction a été nourrie par celle des militantes et des militantes des mouvements sociaux qui ont rejeté les politiques néolibérales du PQ.
Contre les visions à courte vue, contre les stratégies pseudo-réalistes qui perpétuent la désorganisation et l’impuissance, nous avons fait le choix de construire l’UFP et de continuer le processus d’unité de la gauche avec Option citoyenne. Toutes les énergies consacrées à ce travail et le processus amorcé ne méritent pas d’être mis de côté pour la croyance, encore démentie récemment, que le PQ offrirait un cadre où peut s’exprimer la gauche syndicale, populaire, féministe, jeune, écologiste et internationaliste.
L’unité et l’organisation politique de cette gauche sont essentielles pour combattre les forces qui tirent la société québécoise vers la droite. Un parti politique indépendantiste sachant lier les luttes sociales et les luttes nationales n’est pas un luxe. C’est non seulement une nécessité stratégique pour les classes qui aspirent à une société plus juste, à un véritable Québec libre et égalitaire, c’est aussi le chemin le plus court pour y parvenir. Et nos portes restent ouvertes aux membres de SPQ Libre qui pourraient, un jour, souhaiter s’unir à nous pour mettre au monde ce pays.