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Intégration des communautés culturelles dans la fonction publique : un lamentable échec

Alexandre Boulerice, conseiller syndical au SCFP-FTQ

mercredi 17 mai 2006

La pluralité et la diversité culturelle du Québec constituent une richesse étonnante qui ne demande qu’à être mise en valeur dans toutes les sphères d’activités de notre société. Hélas, ce potentiel est toujours négligé par le gouvernement québécois qui semble, depuis des années, incapable de faire, au sein de la fonction publique, la place qu’il convient aux citoyens issus de l’immigration, aux anglo-québécois ou aux autochtones. S’il est judicieux de s’ouvrir sur le monde, il faudrait peut-être commencer par s’ouvrir à notre monde...

Afin que les citoyens membres des communautés culturelles soient pleinement intégrés au sein de la société québécoise, ils doivent être présents dans l’appareil gouvernemental dans une proportion comparable à leur place sur le marché du travail. C’est une question de justice fondamentale et d’efficacité : la fonction publique doit refléter la composition de la population qu’elle dessert. De plus, il sera plus facile pour nos compatriotes issus de l’immigration, ou aux anglo-québécois, de se sentir inclus et représentés, lorsque le visage de l’État québécois correspondra véritablement à la réalité culturelle et linguistique du Québec d’aujourd’hui.

À ce chapitre, les vœux pieux sont légions et les bonnes intentions sont nombreuses, mais les résultats sont pitoyables. Malgré plus de 20 années de programmes d’accès à l’égalité, de mesures diverses et de plans d’action, nous assistons à une quasi-stagnation de la place des communautés culturelles, des anglophones et des autochtones au sein de l’appareil gouvernemental québécois. Alors que les membres des communautés culturelles représentent environ 9% de la population globale, ils n’étaient que de 1,7% des salariés de la fonction publique en 1988, 2,11% en 1993, 2,09% en 1999, 2,3% en 2002 et 2,6% en 2005. Pour les anglophones, malgré un poids démographique équivalent, ils ne représentaient que 0,4% des employés en 2002 et 0,69% en 2005. Enfin, pour les autochtones, ils étaient 0,7% de la fonction publique en 2002, une proportion qui chute à 0,33% en 2005. Au bilan, on atteint une proportion de 3,62% pour des groupes qui représentent plus de 20% de la population active au Québec.

Malgré une infime amélioration en ce qui concerne les communautés culturelles, force est de constater l’échec des politiques en place depuis le début des années 1990. À ce rythme, nous atteindrons l’objectif de 9% de la fonction publique quelque part entre 2081 et 2082. Pour ce qui est des anglo-québécois, une proportion juste et équitable serait obtenue juste avant le tournant du XXIIe siècle...

À la lecture des documents officiels, nous constatons que les promesses répétées d’embauche à hauteur de 25% des groupes ciblés ne sont jamais atteintes, le gouvernement semblant incapable de répondre à ses propres objectifs. En 2005, chez les employés réguliers, le pourcentage d’embauche chez les communautés culturelles n’a été que de 10,11%, de 2,66% chez les anglophones et de 0,13% pour les autochtones. Pour les employés occasionnels, la situation est encore pire, avec des pourcentages d’embauche de 5,3%, 0,68% et 0,27% pour les mêmes groupes. Et selon les rapports gouvernementaux, il s’agissait d’une bonne année ! En effet, entre 1999 et 2002, le taux d’embauche pour ces communautés ne dépassait pas, en moyenne, 8% des postes comblés.

Pour Marie-Thérèse Chicha, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et spécialiste des programmes d’accès à l’égalité, cette situation s’explique simplement par une absence flagrante de volonté politique. « C’est déplorable et décevant, avance-t-elle, Ce sont de beaux instruments qui auraient pu servir à l’inclusion des groupes sous-représentés, mais ils ont été très mal appliqués et ont reçu bien peu d’appui politique ».

Les chemins déjà empruntés
Pourtant, il y a 20 ans, nous avions toutes les raisons de démontrer de l’optimisme en ce qui concerne l’intégration de l’ensemble des groupes de la société dans la fonction publique. En 1985, on incluait dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec la volonté d’explicite d’agir en ce sens dans tous nos organismes publics (Partie III, art. 86 et 92). En 1990, le gouvernement libéral lançait le Programme d’accès à l’égalité de la fonction publique du Québec pour les membres des communautés culturelles. Le programme souhaitait parvenir à un taux d’embauche de 12% pendant quatre ans pour ce groupe cible, afin de s’approcher de la proportion visée de 9% pour les communautés culturelles. Le programme visait à éliminer les obstacles qui pouvaient contribuer à exclure les membres du groupe cible et instaurait une préférence à l’embauche dans les situations de compétences égales avec une autre candidature. En tout, 44 mesures étaient mises sur pied pour atteindre les objectifs visés.

Neuf années plus tard, les ministres du Parti québécois Jacques Léonard et Robert Perreault, annonçaient de nouvelles mesures pour accroître la présence au sein de la fonction publique des communautés culturelles et, c’était une nouveauté, des anglophones. C’est à ce moment que l’objectif d’embauche a été haussé à 25% et étendu aux postes pour étudiants et stagiaires. On déclarait alors que, cette fois-ci, le gouvernement était sérieux et démontrait une réelle volonté politique à cet égard.

En 2002, le ministre d’État à l’Administration et à la Fonction publique, Joseph Facal, lançait le Plan d’action pour la diversité dans la fonction publique québécoise et incluait les autochtones dans les groupes cibles de cette nouvelle politique. Nouvelle, vraiment ? En fait, il y avait beaucoup de réchauffé. On reprenait ici les objectifs établis en 1999 et plusieurs mesures annoncées cette même année, ou auparavant en 1990. Le plan était divisé en trois orientations : Augmenter l’embauche, Informer et sensibiliser et Faciliter l’intégration au milieu de travail, le tout accompagné d’une dizaine d’actions concrètes pour appuyer ces orientations.

Toutes ces mesures ont-elles été appliquées ? Il est permis d’en douter. En février dernier, un rapport de la Commission de la fonction publique soulignait certaines lacunes dans l’application de l’article 53.1 de la Loi sur la fonction publique, qui prévoit que les ministères et organismes publics doivent rendre compte des résultats obtenus par rapport aux objectifs des programmes d’accès à l’égalité. Ainsi, la Commission conclut que, contrairement aux exigences de la loi, « près du tiers des rapports annuels des organismes ne comprennent pas de rubrique particulière témoignant des résultats obtenus en matière d’accès à l’égalité ». De plus, « il est souvent ardu d’interpréter les données présentées par les ministères et organismes » qui « rendent des comptes de façon incomplète ».

Autre exemple, le Secrétariat au Conseil du trésor n’a toujours pas présenté de programme unifié couvrant l’ensemble des groupes sous-représentés, alors qu’il a reçu le mandat pour le faire il y a six ans...

Ainsi, selon Marie-Thérèse Chicha, les gestionnaires comprennent mal les motivations profondes à ces programmes et en font une application technocratique et tatillonne. De plus, les habitudes d’embauche par réseautage sont difficiles à briser. « Nous sommes encore dans le boys club network, et cela est particulièrement vrai pour les membres des communautés visibles, discriminés de façon plus systématique que tous les autres groupes », souligne la professeure.

Saisir la chance qui s’offre à nous

Tout en sauvegardant le principe de l’embauche de la personne la plus compétente, il serait peut-être temps de se pencher sur l’efficacité des mesures appliquées depuis 20 ans - lorsqu’elles l’ont été ! - et de réfléchir à de nouvelles méthodes ou à de nouveaux moyens. Est-ce que des cours d’appoint en français seraient appropriés dans certaines circonstances ? Est-ce qu’une présence accrue des ministères dans les écoles, cégeps et universités en vue de l’embauche de candidats des groupes cibles serait une avenue intéressante ? Devrait-on avoir une véritable politique de dédommagement pour les frais de déménagements vers la capitale nationale ? Est-ce que le gouvernement ne devrait pas lancer une campagne massive d’information sur les perspectives de carrières au sein de la fonction publique dans les grands médias anglophones et dans les médias allophones ? Devrait-on investir pour améliorer la formation des membres des groupes cibles ?

Rien ne doit être écarté ou négligé pour atteindre le but visé : une intégration équilibrée de tous les groupes culturels et linguistiques dans notre appareil d’État. D’autre part, nous devons nous assurer que les mesures déjà annoncées soient bel et bien appliquées et que des ressources suffisantes soient dégagées pour les mettre en œuvre, sinon la rhétorique demeurera mais la réalité ne changera pas. Marie-Thérèse Chicha nous rappelle que l’État a un rôle de leader à jouer dans ce domaine, « si le gouvernement ne donne pas l’exemple, les entreprises ne suivront pas et la situation perdurera ».

Alors que des milliers d’employés de l’État prendront leur retraite au cours des prochaines années, une occasion unique s’offre au gouvernement pour appliquer réellement les principes mis de l’avant depuis des années. La société québécoise est une mosaïque chaque jour plus riche de l’apport de tous ses citoyens. Nous ne pouvons nous permettre de nous en passer. Une chance exceptionnelle s’offre à nous pour renouveler et surtout diversifier la fonction publique québécoise afin de la rendre plus inclusive, actuelle et représentative. À nous de ne pas la manquer.