Après quatre jours de suspense, le candidat de droite, Felipe Calderón, du Parti d’action nationale (PAN), a été proclamé vainqueur de l’élection présidentielle mexicaine, face au candidat Andrés Manuel López Obrador du Parti de la révolution démocratique (PRD). Ce dernier a fait appel et demande un nouveau décompte des voix. Chacun des deux candidats se proclamant victorieux, le pays est dans l’impasse. Ce « résultat » électoral, fabriqué de toutes pièces depuis la présidence et suivi servilement par le prétendu indépendant Institut fédéral électoral (IFE), n’a fait que mettre en évidence la profonde crise de direction qui couve déjà depuis plusieurs années.
Les changements profonds qui ont commencé en 1988, lors du sixième mandat présidentiel de Salinas du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), avec la libéralisation des secteurs économiques nationalisés, ont littéralement explosé au cours de la dernière élection. Les partis politiques ont cessé de représenter des secteurs ou des classes sociales et font tout pour discréditer la politique - entendue comme la gestion de la chose publique. Ils ont accepté les nouveaux paradigmes de ce que, dans d’autres pays, on nomme la « gouvernance démocratique », en cherchant à dissoudre la confrontation sociale pour la détourner vers une série de querelles entre partis qui sont censées se résoudre dans le cadre des institutions « démocratiques ». Le problème est qu’à chaque fois que se dessine un tel scénario, on ne considère que ce qui se passe dans les hautes sphères du pouvoir. Le mépris est la caractéristique fondamentale avec lequel ils élaborent leurs « analyses ».
En 1988, le leader du Parti révolutionnaire démocratique, Cuauhtémoc Cárdenas avait déjà perdu la présidence suite à une gigantesque fraude électorale orchestrée par le Parti révolutionnaire institutionnel. Cependant, 2006 et 1988 présentent des différences. D’abord, parce que les institutions, qui ont été créées depuis cette fraude de 1988, connaissent une crise sans retour possible à la normale. Quelle que soit la façon dont la crise actuelle sera résolue, celui qui sera élu n’aura pas de légitimité. Ensuite, parce que quelque chose de profond et en train de se produire dans le Mexique d’en bas.
En bas, un processus d’insubordination se construit au plus profond de la société : dans les villages indiens, parmi les jeunes maltraités par le pouvoir, y compris au sein du PRD, parmi les travailleurs des « maquilas » (usines installées dans des zones franches et travaillant pour le marché américain), parmi les femmes insoumises qui vivent dans l’angoisse que leurs maris émigrent vers le nord, dans les organisations politiques de gauche qui sont convaincues qu’il existe quelque chose au-delà du capital et de la démocratie représentative, parmi tous ceux qui ont formé l’« Autre campagne » (« La Otra Campaña ») des zapatistes à travers le Mexique et qui existent dans tout le pays et sont en train de s’organiser.
Le Mexique d’en bas a fait également irruption à Oaxaca. Deux semaines avant l’élection présidentielle, une sanglante répression s’est abattue sur la ville, visant des enseignants qui demandaient de meilleures conditions de travail. Beaucoup d’entre eux ont voté pour le PRD, mais le plus important est la confiance acquise en leurs propres forces, qui va au-delà de leurs dirigeants et des conjonctures. Cette confiance leur a permis, jusqu’à aujourd’hui, de décider par eux-mêmes de leur tactique sans céder aux pressions externes et aux conseils des « bonnes consciences ». Après plusieurs heures de bataille rangée, ils ont réussi à repousser les forces de répression.
Il y a eu aussi, en mai 2006, une confrontation entre l’armée mexicaine et les communautés d’Atenco et de Texcoco, qui s’opposaient à la construction d’un supermarché Wall Mart à la place d’un marché indigène. Les faits concrets sont sur la table : crise de domination, début de l’insubordination. Que chacun choisisse ses priorités.
De Mexico, Sergio Rodriguez Lascano, traduit par Jack Radcliff