1. Des mobilisations sociales d’ampleur des différents mouvements sociaux
Face aux attaques du gouvernement Charest, les mobilisations se sont multipliées et ont eu un caractère massif et militant.
Dans le secteur de l’environnement, une coalition se met en place contre le projet du Suroît et la dimension sociale et militante de cette mobilisation a été suffisante pour faire reculer, du moins temporairement le gouvernement Charest.
De juin à décembre, les mobilisations syndicales se multiplient contre les projets de lois qui visent à restreindre les droits syndicaux et à réorganiser les syndicats dans la santé pour paver la voie au développement de la sous-traitance et de la privatisation. Mais les mobilisations se font en ordre dispersé et sans débouché politique réel. Le 11 décembre donne lieu à une journée plus ou moins coordonnée de perturbations sociales. Mais, le gouvernement procède et fait adopter ses lois anti-syndicales. Une grève générale (de nature sociale) contre la démolition de l’État social est envisagée... Mais, la logique de mobilisation demeure définie sur une base d’abord d’organisation d’appartenance et les nécessités de la riposte n’imposent pas spontanément une unification des stratégies. En avril 2004, 25 000 personnes descendent dans les rues de Montréal et de Québec pour protester contre la déclaration d’intention du gouvernement Charest. L’importante mobilisation du 1er mai 2004 qui attire 100 000 personnes à Montréal n’est pas le début d’une escalade véritable. A l’automne, la CSN, la CSQ et le SFPQ obtienne le mandat d’une grève sociale de 24 heures. Mais ce mandat n’est obtenu qu’à la condition qu’il se fasse en intersyndicale. La direction FTQ argumente que cette action risquerait de fermer les portes à négociation avec le gouvernement, même si une grande partie de sa base a votée pour une telle perspective. Le refus final de procéder avec ce moyen d’action d’envergure marque la fin d’une période qui pouvait déboucher sur une mobilisation sociale contre les projets du gouvernement Charest.
En mars 2004, le Collectif du 8 mars dans le Manifeste de la riposte des femmes dénonce les reculs subies par les femmes depuis la prise du pouvoir par le PLQ. Le mouvement des femme a aussi lancé au Québec la Charte mondiale des femmes et une vaste mobilisation au printemps pour accueillir la Charte à Québec.
La grève étudiante du printemps 2005 prend le relais. Près de 200 000 étudiantes et étudiants du Québec vont débrayer plus de 5 semaines dans certains cas et manifester une opposition militante, active au gouvernement en place. La jeunesse scolarisée a reçu le soutien de larges secteurs de la population. 73% de l’opinion publique québécoise appuyait la principale revendication étudiante, et non seulement les syndicats de professeurs ou d’enseignants, mais de manière générale l’ensemble du mouvement syndical (CSN, FTQ, CSQ) s’est solidarisé avec la cause étudiante. Mais cette solidarité syndicale est restée passive et n’a pas donné lieu à une véritable dynamique d’unification des luttes.
Le mouvement étudiant comme les autres mouvements sociaux étaient divisés sur les stratégies à mettre de l’avant et sur la plate-forme revendicative qu’il fallait défendre. Il n’en reste pas moins que le mouvement a obtenus certaines concessions même s’ils n’étaient pas à la mesure des espoirs suscités par l’ampleur de la mobilisation.
2. Logique sectorielle qui empêche toute fusion des luttes
Durant le printemps 2005, la coalition de la CSQ, du SPFQ et du SPGQ se sépare du front commun, fait de premières concessions espérant qu’un modérantisme certain va permettre d’obtenir un règlement dans l’éducation et dans la fonction publique. Le front commun FTQ-CSN ne peut pas encore procéder car toute la réorganisation syndicale dans le secteur de la santé n’est pas encore complétée.
Le gouvernement s’en tient à son plan de match, des négociations serrées au niveau du normatif pour faire reculer les syndiqué-e-s sur les conditions de travail, un refus total de négocier sur le salarial en s’appuyant sur le cadre financier qui va être la couverture du gouvernement qui avait d’emblée décider de décréter les salaires de ses employé-e-s. Tant et si bien qu’en juin, la CSQ et le syndicats indépendants doivent se rendre à l’évidence qu’il sera impossible de régler avant l’été. Avec la reprise des négociations sur le normatif à l’automne, les négociateurs de la CSQ se font reprochés d’avoir trop facilement cédé aux demandes gouvernementales sur les élèves en difficultés d’apprentissage. Et les négociations doivent reprendre à l’automne sur de nouvelles bases face à un gouvernement intransigeant qui refusent toujours de négocier le salarial. Si le SFPQ reçoit quelque assurance sur la sous-traitance, les négociations sur le salarial ne sont pas amorcées à ce niveau non plus.
Dans le secteur de la santé, les propositions patronales visaient essentiellement à imposer des reculs importants et des restrictions des droits pour le personnel de la santé et des services. Refus d’améliorer la qualité d’emploi, de diminuer la surcharge de travail, refus d’en finir avec les menaces de privatisation. Le gouvernement était en demande et ne visait rien d’autres que de parvenir à obtenir des concessions des syndicats. Comme ces concessions n’étaient pas accordées, le décret les a imposées. Même les groupes syndicaux qui n’avaient pas commencer à négocier ont été inclus dans le décret à leur grande surprise.
Au niveau du secteur de l’éducation (commission scolaires comme collèges), les négociations sur le normatif se feront sous la menace de l’imminence de l’adoption de la loi 142 et les syndiqué-e-s se verront offrir le choix entre des ententes négociées à la dernière minute (qui entérine sur plusieurs points une détérioration des conditions de travail et la sécurité d’emploi) et le décret qui porte ses attaques encore plus loin.
La lutte du secteur public est restée enfermée dans une logique de plus en plus sectorielle où l’unité d’action a été épisodique et où la politisation de la lutte est restée marginale.
3. La sous-estimation de la volonté du gouvernement de ne pas négocier.
La possibilité de parvenir à un entente avec ce gouvernement a été sous-estimée. Le gouvernement Charest a refusé de se prêter au jeu de la négociation. Sur les questions normatives, il était en demande. Sur la question salariale, il ne s’est même pas donné la peine de faire croire qu’il avait la volonté de négocier. Si dans les derniers mois, on voyait venir la loi spéciale, on avait laissé échapper -à deux reprises -à l’automne 2004 au moment où une grève sociale avait été envisagée et même votée et à l’hiver 2005 en conjonction avec les luttes étudiantes-, les momentums qui auraient permis de dépasser un logique purement syndicaliste et sectorielle et pour engager une lutte véritablement politique contre ce gouvernement.
4. La volonté unitaire marginalisée par la logique sectorielle.
Dès l’automne 2003, la nécessité de l’unité des mouvements sociaux contre le gouvernement Charest est posé concrètement. Le Réseau de vigilance est mis sur pied. Il rassemble des organisations syndicales, populaires, féministes. Ce réseau se donne même des bases au niveau régional. Il reste que le Réseau pose davantage la nécessité de l’unité qu’il ne parvient réellement à sa réelle construction. Même s’il peut prendre des initiatives en l’automne 2003 et en mars 2004, la logique des divisions entre les centrales suite aux lois du gouvernement Charest va réduire de plus en plus la capacité d’initiative du Réseau. Le réseau, comme des coalitions diverses, dont celle "On n’a pas voté pour ça" dans la région de Montréal vont poser la nécessité de construire, au-delà des appels formels à la solidarité, une unité véritable. La gauche politique, et l’UFP en particulier, fera de cette nécessaire unité, le fil à plomb de son intervention dans cette conjoncture.
Il reste que la logique sectorielle particulièrement chez les centrales syndicales, la confiance qu’un éventuel gouvernement péquiste changera la donne en faveur des forces progressistes et la rupture incomplète avec une logique de concertation vont dominer et marginaliser les aspirations à l’unité et empêcher que les conditions soient créées pour faire face victorieusement à ce gouvernement néolibéral et aux forces qui le soutiennent..
S’en remettre à un changement de gouvernement aux prochaines élections provinciales pour protéger les droits syndicaux, c’était d’une part accorder beaucoup de temps au gouvernement Charest pour continuer à marquer des points contre le mouvement syndical. C’était d’autre part accorder sa confiance à un éventuel gouvernement péquiste qui n’a donné aucune assurance dans le passé (et actuellement) qu’il est prêt à défendre les organisations syndicales.
Ce qui peut renforcer les capacité de résistance des forces syndicales et populaires, c’est une véritable recomposition de l’unité des mouvements sociaux qui nécessitera toute une série d’expériences communes en rupture avec les carences indiquées ci-dessus. La déclaration de la Centrale des syndicats du Québec qui a affirmer songer à mettre de l’avant l’idée d’états généraux du syndicalisme, à un moment « où l’unité syndicale est capitale » est prometteuse à cet égard. Ce moment pourrait être l’occasion de discuter les conditions politico-organisationnelles qu’il faudra réunir pour réussir à bloquer l’offensive de démolition de ce gouvernement néolibéral et d’œuvrer collectivement à créer les conditions d’une résistance victorieuse.