Alors que les stocks de céréales sont tombés à 16% de la consommation mondiale du fait des sécheresses de 2006, alors que le prix du maïs s’envole par suite de l’engouement des fermiers US pour la production d’éthanol, alors que le flux des réfugiés climatiques gonfle, au Bangladesh notamment, les dirigeants du G8 réunis sur les rives de la Baltique n’ont pu s’accorder que sur une vague promesse - une de plus : « Nous définirons un objectif mondial de réduction des émissions » et « nous examinerons attentivement les décisions prises par l’Union européenne, le Canada et le Japon qui prévoient de réduire au moins de moitié les émissions mondiales d’ici à 2050 » [1].
Merkel côté cour et côté jardin
Angela Merkel se faisait fort d’arracher un accord sur les lignes de forces d’un dispositif post-Kyoto. Grâce au « dialogue de Gleneagles » [2], elle entendait rallier à la fois les USA et les grands pays émergents au principe d’engagements climatiques contraignants. Adossée à l’UE, soutenue par le Japon, elle proposa au G8 de se prononcer pour une réduction de 50% des émissions mondiales en 2050 et de ne pas dépasser 2°C de hausse de la température moyenne par rapport à la période préindustrielle. En fin de compte, la chancelière dut déchanter. Ce qui ne l’empêcha pas de crier victoire à l’issue du sommet : le soutien des électeurs doit être alimenté en effets d’annonce...
Un examen détaillé donne la mesure des opérations de prestidigitation médiatiques de Mme Merkel. L’objectif de 50% de réduction signifie des choses fort différentes selon l’année de référence. Exemple : le « plan climat » californien semble fort radical, puisqu’il vise 25% de réduction en 2020. Mais ces 25% sont estimés par rapport au niveau hypothétique qui serait celui des émissions en 2020 en l’absence de mesures, tandis que les objectifs de Kyoto sont établis par rapport à 1990. En réalité, les émissions de la Californie seront ramenées à leur volume de 1990... en 2020. Soit huit ans après la première période d’engagement de Kyoto... au terme de laquelle elles auraient dû baisser de 7%. L’année de référence, on le voit, n’est pas un détail... Mme Merkel le sait. Ce n’est pas par hasard qu’elle n’a donné aucune précision à ce sujet, et que la déclaration finale n’en pipe mot. Ce n’est pas non plus par ignorance scientifique que la chancelière - elle est physicienne - a défendu conjointement deux objectifs incohérents : rester sous la barre des 2° nécessite une réduction d’au moins 80% des émissions d’ici 2050, et pas de 50%... Il est clair que, côté cour, la présidente du sommet a voulu jouer la championne climatique, comme Blair avant elle.
Un nouveau rôle pour Bush.
Voyons donc le côté jardin. A Heiligendamm, G(lobal) W(arming) Bush innova dans son rôle de voyou climatique. Sa politique d’obstruction est désormais jugée intenable par la majorité de la classe dominante aux USA. A cet égard, il est significatif que l’Edison Electric Institute, le groupement professionnel des producteurs américains d’électricité, ait basculé en faveur d’une « régulation » des émissions de CO2. D’autre part, les initiatives du gouvernement chinois mettent à mal l’idée que les pays émergents ne font rien pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Non seulement la Chine est le cinquième plus grand utilisateur d’énergie éolienne et le plus grand utilisateur de panneaux solaires thermiques, mais en plus , d’ici 2010, le gouvernement veut diminuer l’intensité énergétique de 20% et produire 10% de son électricité à partir de sources ‘renouvelables’ (en fait, surtout hydroélectriques). Les USA n’en font pas autant. Le locataire de la Maison Blanche ne pouvait donc plus se permettre d’apparaître dans son costume de « Mister No » climatique. Une semaine avant le sommet, il proposa aux 15 plus gros émetteurs de se rencontrer à l’automne. Objectif : à la fin de 2008, juxtaposer les plans nationaux de contrôle des émissions au cours de la période 2012-2030, et couronner le tout par un objectif non contraignant de réduction des émissions globales. Justification : une démarche « bottom-up » (de bas en haut) vaudrait mieux qu’une démarche « top-bottom » (à la Kyoto). Le dessous des cartes : puisque les Etats-Unis devront se résoudre à un calendrier de réduction, que ce soit sur le modèle californien... Pas question de leur imposer des objectifs proportionnels à leur situation de premiers responsables du gâchis climatique. Rappelons que les USA émettent 25% des gaz à effet de serre avec 5% de la population mondiale.
Manoeuvre malhabile ? Non. En effet, outre la pression interne aux Etats-Unis, deux autres éléments doivent être pris en compte. Un : les classes dominantes des grands pays en développement veulent conserver le maximum de possibilités de bâtir un développement -capitaliste- sur la combustion des combustibles fossiles. Elles ne sont pas pressées de voir l’UE, le Japon et les USA se mettre d’accord sur une politique climatique commune, car celle-ci risque de faire porter le gros de l’effort par les pays du Sud (voir l’encadré ci-dessous). Elles ont plutôt intérêt à exploiter les divisions entre les grands (c’est ainsi que l’Inde et la Chine, qui ont ratifié Kyoto, participent depuis 2005 au partenariat Asie-Pacifique... mis sur pied par Bush contre Kyoto). Secundo : l’UE, qui a beaucoup investi dans son leadership climatique, ne peut pas espérer maximiser cet avantage sans un accord global, incluant les USA. Grâce au système européen d’échange de droits (ETS), la City de Londres, par exemple, est bien placée pour devenir la plaque tournante du marché mondial du carbone. Mais pour cela, il faut que Kyoto trouve un prolongement impliquant toutes les parties. C’est « Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette »... Et cela se marque très clairement au niveau de la déclaration finale du sommet du G8.
Accords et compromis
Que dit, en effet, cette déclaration ? Les médias ont monté en épingle les deux petites phrases - dont nous avons montré l’ambiguïté - sur « un objectif mondial de réduction » et « un examen attentif de la réduction de moitié des émissions en 2050 ». Par ailleurs, ils se sont félicités du fait que les conférences climatiques de l’ONU sont confirmées comme « l’instance de dialogue appropriée pour les négociations ». Il est vrai que Bush a lâché du lest sur le principe d’un objectif de réduction, mais le texte ne précise pas s’il s’agira d’un objectif contraignant. De plus, la déclaration finale reprend purement et simplement la proposition d’une négociation séparée entre les 15 plus gros émetteurs sur base de leurs « plans nationaux » : « Pour relever de toute urgence le défi du changement climatique, il est essentiel que les grandes économies qui (...) produisent la majorité des émissions (...) se mettent d’accord d’ici la fin de 2008 sur une proposition détaillée en vue d’un nouveau cadre international ». Il est même stipulé que c’est « dans le cadre de ce processus impliquant tous les grands pays émetteurs » que « l’objectif mondial de réduction » sera défini et que les 50% seront « examinés attentivement ». Rien ne garantit donc que la méthode « bottom up » de Bush ait été abandonnée au profit d’une démarche plus conforme aux contraintes physiques du climat. Très confuse sur les lieux de décision, la déclaration semble plutôt annoncer qu’un compromis boiteux sera recherché à l’abri des regards indiscrets...
In fine, un accord global, à long terme, allant nettement au-delà de Kyoto, semble inévitable. D’une part, la situation l’impose objectivement. Les gouvernements capitalistes ne pourront pas continuer éternellement à ne (presque) rien faire : le prix social, économique et politique risque d’être beaucoup trop lourd. D’autre part, le monde des affaires est largement convaincu qu’il faut agir pour le climat... mais seulement dans la mesure où ça rapporte des profits, notamment grâce au développement du marché du carbone. Cela implique de « ne pas en faire trop, ni trop vite », comme dit le rapport Stern, ce que The Economist traduit en affirmant qu’une stabilisation entre + 2,8 et 3,2°C serait « raisonnablement sûre » (alors qu’elle impliquerait, notamment, une très sérieuse chute de la productivité agricole dans les pays du Sud). L’importance du thème climatique au sommet d’Heiligendamm est l’expression de cette double réalité.
L’absence de tout leadership impérialiste complique terriblement la solution. Mais deux choses semblent claires : Un : l’accord que les maîtres du monde sortiront un jour de leur chapeau ne permettra pas de sauver le climat au maximum de ce qui est encore possible, loin de là. Deux : des centaines de millions, voire des milliards de gens - travailleurs et pauvres pour la plupart - paieront les frais de cette politique cynique. Dans ces conditions, le lobbying des associations environnementales montre clairement ses limites. La construction d’une vaste mobilisation mondiale pour sauver le climat dans la justice sociale s’avère plus urgente que jamais.