Le dernier front commun du secteur public rassemblait un plus grand nombre de travailleurs et de travailleuses que les fronts communs précédents. On est parvenu à une entente signée. Mais le gouvernement a maintenu l’essentiel de sa politique salariale et il l’a imposée. Il a accepté quelques aménagements, mais ce qui a été maintenu envers et contre ce front commun, c’est sa volonté de réduire les dépenses sociales, ses politiques de privatisation des services publics en éducation et en santé, sa volonté de généraliser et de multiplier les tarifs en tout genre. Ils ont maintenu pour l’essentiel leur programme néolibéral. Et le prochain budget Bachand se promet d’en être qu’une nouvelle mouture.
Les grands patrons de l’information au Québec, Gesca et Quebecor ont imposé leur volonté. Ils ont licencié du personnel. Ils ont imposé leur plan d’affaires. Ils ont utilisé des lock-out pour casser les organisations syndicales. Ils ont joué la carte du chantage en menaçant de fermer les journaux. Ils ont gagné leur bataille. Ces luttes, toujours courageuses, sont demeurées isolées et n’ont pas réussi à gagner l’appui de la population.
Depuis quelque mois, une nouvelle bataille s’est engagée contre les intentions du ministre Bachand. Une Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics regroupant plus de 100 organisations communautaires, syndicales, féministes et étudiantes a dessiné des plans de riposte, organisé des formations et multiplié les actions. Les centrales syndicales et des fédérations étudiantes ont formé l’Alliance sociale pour dire non aux politiques du gouvernement Charest. Le 12 mars , une manifestation unitaire s’est tenue à Montréal pour montrer la détermination à s’opposer au budget Bachand. Le gouvernement Charest voudra sans doute faire preuve du même mépris et de la même intransigeance qu’il a démontrés face à la volonté populaire d’avoir un moratoire sur les gaz des schiste ou une enquête publique sur la construction et le financement des partis politiques.
Qu’est-ce qui est au fondement de cette intransigeance patronale et gouvernementale dans la période actuelle ?
L’intransigeance patronale (qui est l’intransigeance de l’État patron dans le secteur public) que ce soit celle manifestée envers les travailleuses et les travailleurs du front commun ou devant la grève des procureurs, a été souvent au rendez-vous dans le passé. Mais, elle a été galvanisée par la crise économique internationale de 2008. « De 1999 à 2008, les budgets ont été à peu près équilibrés. En 2009, la combinaison des baisses d’impôts annoncées en 2008 et les incidences de la récession économique ont creusé un déficit de 4,3 milliards (1,4% du PIB). [1]. Les gouvernements ont soutenu les banques et les entreprises. Ils ont ainsi transformé les dettes privées en dettes publiques. Ils se sont rendus complices de la concentration des richesses au sommet de la société en offrant des baisses d’impôt et autres allègements fiscaux aux détenteurs de capitaux. » La politique d’austérité et la volonté d’effectuer un retour rapide à l’équilibre budgétaire pour limiter les déficits, c’est la volonté de faire payer les frais de la crise à la majorité et de conserver la répartition actuelle des richesses.
C’est pourquoi affirmer que tout ce que l’on veut est un budget équitable, c’est bien beau. Mais ce qui est laissé dans l’ombre, c’est que le budget Bachand représente un choix de classe. C’est le choix des profiteurs qui veulent protéger leur statut de profiteurs. Il faut en finir avec l’illusion selon laquelle un gouvernement élu ne pourrait pas gouverner contre la rue et conduire une politique massivement rejetée par les citoyens et les citoyennes. Nous en faisons tous les jours la douloureuse expérience. Et nous devons en subir les conséquences.
Il en est de même dans le secteur privé. Le patronat au Québec est en demande. Il demande de travailler plus dans des conditions plus précaires. Il demande des baisses de salaire. Il demande l’allongement de la semaine de travail sans hausse de salaire. Il demande des délais pour payer sa part aux régimes de retraite des employé-e-s. Il n’hésite pas à utiliser le lock-out, les licenciements et les poursuites judiciaires. Quand la concentration du capital dans un secteur atteint celle que l’on retrouve dans le domaine de l’information, l’intransigeance se transforme en arrogance. Et c’est bien ce qu’ont vécu les travailleuses et travailleurs du Journal de Québec, du Journal de Montréal, de La Presse et du Soleil. Quebecor et Gesca voulaient réorganiser le secteur de l’information, imposer leurs plans d’affaires, affaiblir les syndicats pour répondre à la crise des médias traditionnels pour favoriser la relance de leurs profits.
Où en sont les rapports de force ?
La crise mondiale a introduit une concurrence entre les travailleurs et les travailleuses à l’échelle mondiale. Les entreprises peuvent être délocalisées parce qu’elles trouveront ailleurs des salaires moins élevés et des gouvernements prêts à utiliser les fonds publics pour attirer les entreprises dans leur région. Les travailleurs d’Électrolux pourraient nous parler longuement de l’avidité des patrons.
Non seulement ce contexte est plus difficile, mais l’environnement légal qui durant toute une période a protégé des acquis (et qui les protège encore sur certains aspects) est maintenant défavorable. Que reste-t-il du droit de grève dans le secteur public quand des décrets succèdent aux lois spéciales. La loi anti-briseurs de grève ne s’applique pas dans certains environnements et les gouvernements ne veulent surtout pas intervenir pour restaurer les rapports de force en faveur des travailleuses et des travailleurs. Et les injonctions sont toujours à portée de téléphone pour réduire à l’impuissance les moyens d’action traditionnellement utilisés.
Rompre avec les stratégies d’hier
Il faut se rendre à l’évidence que les vieilles stratégies éprouvées ne sont plus à la hauteur des défis que nous pose le durcissement des attitudes patronales et gouvernementales. On ne peut continuer de croire qu’un processus de lobbying militant soit suffisant pour les faire reculer. Est-ce que l’on croit sérieusement que des rencontres systématiques avec les députés du Parti libéral pourront les convaincre de faire pression sur le gouvernement Charest pour qu’il adopte un budget équitable ? Est-ce qu’on peut se contenter de simples représentations en commissions parlementaires pour convaincre de renoncer au développement de la filière pétrolière et gazière ? Poser la question c’est y répondre.
Une nouvelle stratégie s’impose
Pour casser le mur de l’intransigeance patronale et gouvernementale, il faudra
a. dépasser notre dispersion et construire notre unité de façon démocratique et militante
b. se convaincre que le dialogue social n’est pas le seul horizon auquel peuvent prétendre le syndicalisme et les mouvements sociaux, car le patronat et les gouvernements ne laissent aucune marge de manœuvre sérieuse à ce niveau.
c. Utiliser des moyens d’action directe pour bloquer la production d’une entreprise, l’exploration d’une minière, la diffusion d’un journal scab, la pollution d’un cours d’eau, l’expropriation de locataires ou pour ouvrir les portes d’un-e représentant-e de l’oligarchie qui refuse d’entendre nos revendications. Tout cela exige d’aller au-delà des actions encarcanées par une légalité pointilleuse qui diminue le rapport de force de la résistance populaire qui peut être sans spontanéité et sans surprise.
d. définir un projet politique alternatif à la politique gouvernementale. Il faut en finir avec la tendance à établir une coupure entre le social et la politique. Cela veut dire qu’il faut revenir à la notion de projet de société. Et pour porter ce projet de société il est nécessaire de s’engager dans la construction d’un parti de gauche qui fait du combat politique contre la rhétorique de la classe dominante et de l’unification des luttes l’axe de sa construction. Au Québec, le refus de la politique partisane et de classe occupe le haut du pavé dans le mouvement syndical depuis des décennies maintenant. La construction d’un parti des travailleuses et des travailleurs a été au centre de nombreux débats et congrès. Il faut y revenir. C’est incontournable. Parce que ce n’est pas en se contentant d’exercer des pressions sur les partis socio ou néolibéraux que nous pourrons défendre une nouvelle répartition de la richesse et la fin des privilèges antidémocratiques de l’oligarchie régnante. Si on n’occupe pas ce terrain, c’est la droite qui l’occupe et qui réussit grâce au travail de ses partis à ce que son discours hégémonise la majorité de la société.
Déjà la lutte contre le budget Bachand porte des possibilités de dépassement de la situation actuelle
Dans la dernière année, les mouvements sociaux, le mouvement syndical, le mouvement des femmes et les mouvements citoyens ont fait des pas dans cette direction. Les coalitions et les alliances se sont multipliées sur nombre de terrains. Ces initiatives expriment la volonté d’unification et de résistance. Pour aller plus loin, les débats sur les conditions du caractère démocratique de cette unification doivent être faits.
Les plates-formes revendicatives de la Coalition ou de l’Alliance sociale posent objectivement un projet politique alternatif aux intentions gouvernementales. Ce projet ne peut se limiter à l’objectif d’infléchir la politique du gouvernement Charest campé dans une attitude intransigeante et bornée. Ces plates-formes doivent être élargies et unifiées, car elles portent la volonté populaire d’une démocratie citoyenne renouvelée et d’une autre répartition de la richesse. Elles indiquent en fait la nécessité de construire le parti de gauche pour les défendre et les appliquer.