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Agir au lieu d’élire

La rixe

dimanche 13 avril 2003

En cette période électorale, clowns, mystificateurs, fumistes et arnaqueurs se partagent l’arène médiatique. Ce spectacle fort divertissant, vu l’ampleur des propos simplistes met en scène des politiciens dans un décor variant de la chambre de commerces aux soupes populaires. Faire du capital politique sur le dos des enfants, des personnes âgées et plus généralement des personnes moins bien nanties de notre société demeure toutefois très peu crédible. Malgré le fait que ce manège soit plutôt bien connu des citoyens et citoyennes, l’enthousiasme semble actuellement renaître, comme à tous les quatre ans, lorsque le cirque revient en ville. Au moment où la plupart retourneront aux urnes le 14 avril 2003, nous croyons que le meilleur moyen de refuser cette politique spectacle qui vient avec la démocratie représentative reste l’abstention.

Élections, piège à cons !!!

L’inventaire des partis politiques que s’offrira à nous le jour des élections est ridicule et reflète bien le caractère factice de notre démocratie. Dans de ce contexte, certains iront jusqu’à proposer de voter "stratégiquement" afin d’éviter l’élection du plus nuisible et non celle du plus crédible. Selon cette idée véhiculée, voyons donc les possibilités qui s’offrent à nous ! — Tentant de sauver les apparences à l’aide de politiques sociales insuffisantes, le Parti Québécois défend clairement le libéralisme économique jusqu’à souhaiter l’adhésion d’un Québec souverain à la zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA). Bref, il s’agit d’un parti qui défend quelques positions de gauche, mais qui semble le faire un peu plus par tradition que par conviction.

— Le Parti Libéral est pour sa part très proche des élites économiques, ce qui le rend plus sensible aux réductions d’impôts qu’aux problèmes sociaux.

— Pour ce qui est de l’Action Démocratique du Québec, son programme néolibéral prouve clairement que son application avantagerait principalement les compagnies et les plus gras contribuables, laissant tomber la majorité de la population.

Et l’alternative de gauche ?

Puisque les programmes des grands partis politiques glissent vers la droite ou, dans le cas des anciens partis sociaux-démocrates comme le PQ, vers une sorte de social-démocratie de pacotilles qui nous propose "d’humaniser le capitalisme", plusieurs personnes au Québec et ailleurs dans le monde en sont venues à la conclusion que les mouvements contestataires de gauche doivent eux aussi se doter d’un parti politique.

Au Québec, les gens qui partagent cette conviction se sont regroupés pour fonder l’Union des Forces Progressistes (UFP). Sans vouloir dénigrer les gens qui sont impliqués dans ce parti, pour la plupart des femmes et des hommes de conviction qui se battent pour la justice sociale, nous estimons que cette stratégie est vouée à l’échec. Voilà pourquoi.

Comme nous le savons, il est arrivé dans plusieurs pays que la gauche prenne le pouvoir en remportant les élections. Nous n’avons qu’à penser au Brésil avec Lula, à la Grande-Bretagne avec le parti travailliste et son chef, Tony Blair ou à la France avec les années du parti socialiste de Mitterrand. Or, ce qu’il faut bien reconnaître, c’est que ces gens, dès qu’ils ont été élus, se sont empressés de faire des compromis afin de conserver le Pouvoir. Si au départ, ces derniers étaient sans doute de vaillants militants pour la justice sociale, ils sont très vite devenus d’habiles politiciens passés maîtres dans l’art de la langue de bois.

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en général l’évolution normale d’un parti de gauche électoraliste suit la trajectoire suivante. Au début, les Partis, issus de coalition de mouvements progressistes ou contestataires, souhaitent donner une voix politique aux mouvements sociaux. À ce moment-ci, le Parti décide s’il opte pour une ligne politique modérée ou radicale. La plupart du temps, il opte pour la ligne politique modérée pour ne pas provoquer le départ des plus "mous" et parce qu’il sait qu’on ne gagne à peu près pas d’élections en tenant des positions jugées trop radicales.

Ensuite, s’il parvient à rallier à sa cause une partie de la population, il réussit à faire élire quelques députés et peut même devenir l’opposition officielle. S’il a le vent dans les voiles, peut-être réussira-t-il à se faire élire quelques années plus tard. Toutefois, pour ce faire, il lui faudra créer des vedettes, c’est-à-dire des leaders charismatiques envers lesquels la population développera des sentiments d’affection et de confiance. Par le fait même, il renforcera donc le caractère spectaculaire de la politique partisane. Un coup qu’il sera aux commandes de l’appareil d’État, il se rendra vite compte que les classes possédantes et les grandes entreprises qui contrôlent une bonne partie de l’économie lui sont hostiles de même qu’une bonne partie des forces armées, des services secrets et de la police, traditionnellement à droite.

Dans le contexte actuel, il faut ajouter l’hostilité des grandes institutions supranationales néolibérales telles que le Fonds Monétaire International (F.M.I.), Banque Mondiale (BM) et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui ne se gêneront pas pour lui appliquer des sanctions économiques dans le but de l’isoler s’il commence à tenir ses promesses électorales. Il se retrouve donc devant un dilemme de taille : diluer ses réformes et ne pas remplir ses promesses de changements sociaux ou aller de l’avant avec ces réformes et risquer de plonger le pays dans une crise majeure. S’il opte pour ce dernier choix, il fournira aux acteurs du monde économique la chance de le faire tomber. Mais la plupart du temps, les partis de gauche au pouvoir ne prennent pas le risque de se faire renverser.

Ils préfèrent faire des compromis et réformer leur propre projet de réforme. Leur discours passe donc d’un socialisme démocratique à une gestion plus humaine des problèmes sociaux engendrés par le capitalisme. Arrivés à ce point, la trahison est totale ou presque. C’est à ce point-là que le P.Q. est rendu et c’est à ce point-là que l’immense majorité des partis de gauche électoralistes qui prendront le pouvoir finiront.

Tout compte fait, il nous apparaît peu cohérent de vouloir consacrer du temps et de l’énergie à faire élire quelques députés de gauche, qui, mêmes élus, ne disposeront que du privilège de faire connaître leur dissidence au parlement. Ce que nous critiquons, c’est qu’une partie de la gauche, au lieu de participer à des mouvements de résistances et de créer des alternatives politiques, économiques, sociales qui pourraient s’insérer dans une économie parallèle et non-capitaliste, préfèrent se donner corps et âme pour créer un parti qui, même si un jour est capable de prendre le pouvoir, ne réussira même pas à faire accepter ses réformes et encore moins à transformer radicalement la société. À l’intérieur d’une démocratie représentative, tout parti, ne peut que participer pleinement à la reproduction de structures hiérarchiques qui perpétuent des inégalités que certaines réformes tentent d’amoindrir ou parfois de camoufler. Autrement dit, la première chose à être sacrifiée par un parti électoraliste de gauche, c’est la radicalité autant celle portée par le message que celle des méthodes développées. La deuxième chose à être sacrifiée, ce dont nous avons moins parlé ici mais qui reste primordial, c’est l’autonomie des mouvements sociaux. Lorsqu’un parti prend de plus en plus de place dans un mouvement, son "rayonnement" tend progressivement à réduire les mouvements sociaux à ses intérêts au point où certains iront jusqu’à les considérer d’une importance moindre.

Finalement, nous nous demandons pourquoi plusieurs militantEs mettent à contribution un temps précieux, de l’énergie, des ressources pour une démocratie minimale, qui reste avant tout représentative basée sur des structures organisationnelles hiérarchique et dont le passé est lourd de sens.

Pourquoi ne pas voter ?

Nous vivons dans une démocratie représentative dans laquelle nous sommes des représentéEs et des gouvernéEs. À chaque quatre ans, plusieurs réaffirment leur appartenance au troupeau et vont se choisir un berger qui les guidera pour quatre ans. Si vous croyez que c’est le "peuple" qui décide dans une telle démocratie eh bien détrompez-vous ! Ce sont plus souvent les classes dominantes (bureaucrates, technocrates, managers et bourgeois) qui imposent leurs choix et leurs priorités à la population qui souvent se laisse berner par des beaux discours sans issues promettant pêle-mêle prospérité, croissance économique et plein emploi.

Nous élisons des gens pour parler et diriger en notre nom et à notre place. Le fait de voter signifie, dans cette logique, déléguer son pouvoir et sa souveraineté à autrui, se choisir un maître qui débattra pour nous des sujets qui nous touchent. Bref, la démocratie représentative éloigne les citoyens et citoyennes des décisions. Elle use peu des consultations publiques, elle ne permet pas de participer à de réels débats tout comme elle ne passe pas par une implication des citoyens et citoyennes basée sur une véritable volonté d’autonomie pour tous et chacun. En plus, la ligne de parti que doivent respecter les députés élus les empêche d’affirmer leur dissension.

Par dessus tout, dans ce système, lorsque monsieur et madame tout-le-monde veut se faire entendre auprès des dirigeants, il faut constamment en appeler à la mobilisation. Par contre, une mobilisation populaire est loin de garantir l’écoute des dirigeants. En fait, il arrive fréquemment dans un système représentatif que le dirigeant prenne des décisions sur des enjeux fondamentaux avant même que la population ne soit tenue au courant ou que les opinions divergentes ne soient prises pour compte par l’Élite dirigeante. Il faut savoir que les dirigeants sont davantage influencés par les fortes pressions exercées par les lobbies et les groupes d’intérêts, tels que le Conseil du Patronat du Québec. Pour être écouté par les représentants de l’État, il faut très souvent sortir vainqueur d’un rapport de force qui avantage d’abord et avant tout ceux qui ont de l’argent, des capitaux et du pouvoir.

Dans ce contexte, quelle place reste-il aux citoyens et citoyennes ? Peut-on se tailler une place à l’extérieur de cette fausse démocratie qui depuis trop longtemps, donne l’illusion qu’à tous les quatre ans, un réel pouvoir nous est accordé ?

Abstentionnisme … mais pas apolitisme !

Imaginez si toutes les énergies consacrées à des campagnes électorales partisanes - monter son équipe, planifier et obtenir des sorties dans les médias, émettre des déclarations chocs et finalement faire élire ses députés- étaient canalisées en actions concrètes. Pensez aux possibilités qui s’ouvriraient alors, simplement si nous décidions ensemble d’agir au lieu d’élire, de prendre les espaces qui sont les nôtres, de redonner un sens à l’acte de voter qui sert actuellement ni plus ni moins qu’à faire rouler la bonne vieille machine électorale.

Pour la Rixe, il est clair qu’il faut arrêter de participer à un système qui nous confine à être citoyen et citoyenne une fois aux quatre ans. Nous refusons ce modèle démocratique bourgeois et nous nous battons pour l’implantation de la démocratie directe où des individus participent pleinement aux délibérations et décisions. Dans une démocratie directe, ce sont les assemblées populaires qui décident et non pas les élus, cela favorise le pouvoir de la base plutôt que celui des élites. Dans une perspective non-hiérarchique, les gens décident collectivement des règles et des modalités de la vie en société. Nous devons donc apprendre à s’organiser ensemble que ce soit dans nos communautés, nos lieux de travail, nos écoles et nos quartiers…

La Rixe
larixe@hushmail.com