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Venezuela : L’alliance avec le patronat freine la marche au socialisme.

mercredi 23 juillet 2008

INTERVIEW de Stalin Pérez Borges le vendredi, 11 juillet 2008
Entretien recueilli par la revue « Marea Socialista »

Entretien recueilli par la revue « Marea Socialista » (http://www.mareasocialista.com/) et publiée sur le site www.aporrea.org le 30 juin 2008.

Venezuela : L’alliance avec le patronat freine la marche au socialisme.

INTERVIEW
Par Stalin Pérez Borges le vendredi, 11 juillet 2008

Le 11 juin dernier, le président Chavez, entouré par plusieurs de ses principaux ministres, s’est réuni à l’hôtel ALBA de Caracas avec les 500 patrons les plus importants du Venezuela. Il y avait parmi eux les responsables des groupe Polar, Mendoza et les grands banquiers du pays. Au cours de cette rencontre, intitulée « Relance productive » (« Reimpulso Productivo »), le président Chavez a annoncé une série de mesures qui favorisent le secteur financier et le grand patronat lié aux multinationales. Il y a appelé à « l’unité nationale », à une « alliance avec les secteurs productifs nationaux » et a tenté de convaincre les entrepreneurs que le socialisme ne leur causerait aucun préjudice…

Entretien avec Stalin Pérez Borges, coordinateur national du syndicat UNT et éditeur du journal « Marea Socialista ».

Comment évaluez-vous la rencontre du président Chavez avec le patronat ?
Stalin Pérez Borges : Il y a à peine quelques mois, le président avait réaffirmé que son gouvernement était un gouvernement « ouvrier ». Il a également nationalisé l’entreprise sidérurgique SIDOR [avril 2008, NdT], bien qu’il l’ait fait en la rachetant alors que, selon nous, c’est cette multinationale qui aurait dû payer l’Etat vénézuélien pour non respect des lois et pour avoir commis des actes délictueux contre le pays. Malgré tout, on ne peut nier qu’il s’agissait d’une mesure très progressiste, demandée, exigée et conquise par la lutte des travailleurs.
Cette réaffirmation de la définition de « gouvernement ouvrier » ainsi que le limogeage d’un des ministres du Travail les plus anti-ouvriers qui soient allaient dans le bon sens : celui des mesures que nous réclamions depuis le 2 décembre (date de l’échec du référendum sur la réforme constitutionnelle, NdT). A l’époque, nous avions affirmé que la révision, la rectification et la relance du processus révolutionnaire devaient se centrer sur la résolution des problèmes des secteurs populaires. Mais, ce 11 juin, cette rencontre avec le patronat, les mesures économiques annoncées et surtout la proposition politique que le président Chavez leur a faite constituent un retour en arrière par rapport à l’orientation conquise par les travailleurs de SIDOR et le peuple pour la Révolution bolivarienne.

La proposition du président, son appel à une « alliance » avec un patronat qualifié par lui comme « national », avec la bourgeoisie « nationale », tout cela a lieu en même temps que la mise en avant d’une alliance avec les ouvriers et le peuple. La veille même de la rencontre avec le patronat, Chavez avait signé l’incorporation des 900 premiers travailleurs sous-traitants dans l’effectif nominal de SIDOR. Or, ces mesures sont contradictoires, elles ne sont nullement complémentaires ; l’une exclue l’autre.
Toutes les expériences historiques d’alliances avec ladite « bourgeoisie nationale » démontrent que cette voie conduit à l’échec des processus populaires, d’indépendance nationale et socialistes. Elles ne mènent qu’au renforcement de la bourgeoisie, de l’impérialisme et à la victoire des secteurs contre-révolutionnaires. A l’heure où l’on commémore le centenaire de la naissance de Salvador Allende, il serait bon de se rappeler pourquoi la voie chilienne au socialisme a été brisée. Selon nous, c’est parce que l’on n’a pas voulu affronter de manière conséquente la bourgeoisie chilienne, alliée aux « yankees », et que celle-ci a pu organiser la déstabilisation, le boycott économique et l’affaiblissement du gouvernement de l’ « Unité populaire », ce qui a ouvert la voie et facilité le coup d’Etat [11 septembre 1973, NdT]. Nous avons déjà vécu une telle situation ici mais, grâce à l’action révolutionnaire des masses, le coup d’État a été mis en échec le 13 avril [2002, NdT].

Beaucoup de camarades pensent qu’il s’agit d’une tactique du président en vue des prochaines élections [régionales et municipales de novembre, NdT], afin d’éviter justement la déstabilisation économique et de freiner l’inflation…
S. P. B. : Je veux d’abord et avant tout insister sur le problème politique, stratégique, de la Révolution bolivarienne. C’est à ce niveau-là que l’on peut expliquer pourquoi les mesures annoncées n’obtiendront par les résultats que l’on affirme rechercher. Les mesures nécessaires pour parvenir à ces résultats sont toutes autres, elles doivent réellement traduire le terme « ouvrier » avec lequel le gouvernement se définit lui-même.

Le problème politique est le plus important parce que le président se trompe d’interlocuteur lorsqu’il veut stopper l’inflation et relancer la production. Ce ne sont pas ces patrons, ce n’est pas, en général, les grands patrons, les Mendoza, qui veulent ou qui peuvent stopper l’inflation. Ceux qui étaient présents à cette rencontre travaillent de manière étroite avec les multinationales et leurs entreprises sont parfois elles-mêmes des multinationales. Le cas des banques privées est éclairant ; toutes celles du Venezuela sont des multinationales qui jouent uniquement avec les règles du néolibéralisme. En outre, elles reçoivent en dépôt une grande partie des ressources de l’Etat et font du business avec cet argent public sans aucun contrôle. Elles ne se préoccupent nullement de savoir si l’usage de ces fonds provoque ou non de l’inflation.
Il est erroné de penser, justement au moment où le système bancaire des Etats-Unis et international est en train de s’écrouler, où les grandes banques s’effondrent et où les Etats néolibéraux doivent se précipiter à leur secours avec l’argent du peuple, que ces patrons de la finance agiront de manière distincte au Venezuela. Ils ne font qu’obéir aux ordres de leurs maisons mères, ils ne sont nullement intéressés par une quelconque « alliance » avec l’Etat, à moins que cette alliance ne permette à leurs entreprises de réaliser plus de bénéfices qui seront de toute façon expédiés hors du pays. Telle est la réalité. On ne peut pas parler à ces patrons avec le cœur, avec un projet d’indépendance nationale et encore moins socialiste car leur existence même dépend du maintien d’un système de relations néocoloniales avec l’impérialisme. Ces gens auraient agi à l’époque comme l’oligarchie s’est comportée avec Bolivar. On ne peut faire admettre à ces banquiers et aux grands groupes économiques la nécessité de l’unité nationale, ils représentant au contraire une véritable menace pour la révolution.

Le président a également invité les patrons du secteur de la construction à collaborer avec les multinationales brésiliennes et argentines. Il a invité les importateurs, producteurs et conditionneurs d’aliments à collaborer avec des multinationales brésiliennes et argentines. Il a ouvert un fonds d’un milliard de dollars à répartir entre les patrons locaux et les multinationales. Mais lorsque l’on parle de multinationales brésiliennes et argentines, il serait plus exact de parler de multinationales nord-américaines, européennes et asiatiques car leur capital financier majoritaire est constitué d’entreprises et de banques de ces régions. A l’image de l’entreprise « Ternium » [qui contrôlait à 60% l’usine sidérurgique nationalisée SIDOR, NdT], la prétendue multinationale argentine dont les capitaux sont brésiliens, mexicains, italiens et états-uniens. Appeler ces entreprises à l’unité nationale, à suivre le chemin du socialisme bolivarien relève d’une grande confusion de la part du président. Aucun des 500 patrons présents à la rencontre ne répondra à cet appel. Ils ne veulent entendre qu’une seule chose : l’appel du profit à tout prix. Ce sont eux qui créent des emplois précaires, qui sous-traitent, qui licencient, qui harcèlent les organisations syndicales lorsqu’ils ne peuvent acheter ou corrompre ses dirigeants.
Mais revenons-en au problème politique. Mendoza et son groupe d’entreprises est un des principaux responsables de la pénurie et de la spéculation sur les aliments. Pourquoi changerait-il d’attitude aujourd’hui ? Le président nage en pleine illusion s’il pense qu’en accordant les privilèges réclamés par les patrons, ces derniers ne constitueront plus un facteur de déstabilisation. Peu importe l’agenda électoral, pour les patrons, le seul agenda est le profit et pour cela ils utiliseront la conjoncture électorale si nécessaire. Soit le président se trompe, soit il sait ce qu’il fait et alors il promeut un modèle capitaliste qui n’arrachera jamais l’indépendance parce que ces groupes économiques n’ont aucun sens de la patrie ni de l’indépendance. Ils ne sont que des partenaires secondaires de l’impérialisme et ils n’aspirent qu’à le rester.

Leur demander qu’ils rapatrient les milliards de dollars qu’ils ont planqués à l’étranger constitue une autre démonstration de naïveté. Ils pourraient effectivement le faire, mais seulement avec la garantie qu’ils vont gagner encore plus d’argent que ce qu’ils gagnent actuellement et avec l’assurance qu’ils ne seront jamais expropriés. Et la seule chose qui puisse leur donner une telle confiance c’est que le palais [présidentiel] de Miraflores soit occupé par un président qui, comme au temps de la IVe République [1948-1999, NdT], fasse exactement ce qu’ils veulent.
Le problème auquel nous sommes confrontés est donc politique, c’est une question de choix entre deux modèles. Il faut choisir entre le modèle proposé par le président le 11 juin dernier avec le patronat ou celui des ouvriers de SIDOR, de la lutte conséquente contre les multinationales.

Certains prétendent qu’il s’agirait d’une sorte de « NEP », la politique économique menée par Lénine après la guerre civile. Afin de résoudre les problèmes de ravitaillement et la crise productive, il avait assoupli le contrôle du marché et donné certains avantages aux petits capitalistes. Qu’en penses-tu ?

S.P B. : La NEP léniniste était une politique destinée à résoudre la crise brutale dans laquelle s’était enfoncée la Russie après les désastres de la première guerre mondiale et de la guerre civile. Cette politique a provoqué de graves distorsions, les paysans aisés se sont rapidement enrichis. Au Venezuela, il ne peut y avoir de NEP, en premier lieu parce nous n’avons pas un Etat en transition vers le socialisme, l’Etat bourgeois n’a pas été démantelé. Nous avons toujours un Etat bourgeois avec toutes ses structures intactes et des éléments de capitalisme d’Etat. Mettre en avant une telle comparaison ne sert qu’à semer la confusion.

De plus, le lancement de la NEP en Russie s’est fait après l’expropriation de la grande majorité des usines et le « communisme de guerre » pendant la guerre civile. Il s’agissait d’une politique rendue nécessaire par l’état du pays après des années guerre et l’échec de la révolution en Allemagne, il s’agissait donc d’une politique défensive du léninisme et non offensive. Parler de NEP dans le processus vénézuélien constitue une falsification destinée à occulter le fait que ce que l’on appelle la « relance productive » n’est rien d’autre qu’une politique d’incitants, de subsides et de privilèges accordés aux grands patrons dont la plupart sont des putschistes, des déstabilisateurs et des saboteurs.

Quelles mesures proposez-vous pour atteindre les objectifs énoncés par le président ?

S.P.B. : En premier lieu, il y a un objectif politique. Nous rejetons cette « alliance de l’unité nationale » car elle est contre-productive si l’on veut réellement avancer vers le socialisme. Elle sera même réactionnaire si elle est menée à bien car elle affaiblira le processus révolutionnaire. Nous proposons au contraire une alliance du pouvoir populaire, des travailleurs et des secteurs exploités et opprimés de la société afin de résoudre la question du pouvoir d’Etat. En second lieu, il faut des mesures de politique économique cohérentes avec le discours sur la construction du socialisme et sur la nature ouvrière du gouvernement, des mesures qui doivent répondre aux problèmes réels du peuple travailleur et à ses besoins.
Prenons l’exemple du commerce extérieur. S’il y a bien un aspect dans lesquels l’Etat doit avoir un monopole des achats et des importations c’est bien celui des aliments. La nationalisation du commerce extérieur et tout particulièrement du secteur des aliments est un outil fondamental pour contrôler l’inflation.

Ensuite, il y a la question des salaires. On ne peut dépenser d’un côté des millions de dollars en fonds d’incitants et de subsides aux patrons, et ce sans aucun contrôle des travailleurs, tandis que de l’autre côté les salariés sont quotidiennement touchés par les hausses des prix. On doit instaurer une indexation périodique, mensuelle ou trimestrielle des salaires au regard de l’inflation. Les conventions collectives conclues tous les deux ans ne peuvent répondre à la situation.
Un des principaux problèmes dont il faut comprendre la gravité est celui du contrôle des finances, des banques et du crédit. La crise de l’économie internationale va continuer à s’approfondir, tout comme celle du secteur bancaire. Dans ce contexte, il n’est pas acceptable qu’il n’existe aucun contrôle sur les dépôts dans notre pays. Nous pensons que le système du crédit est un secteur stratégique tout comme les industries de base, le pétrole, les aliments, les communications, etc. Ce secteur ne peut rester dans les mains du privé et encore moins des multinationales. Il faudrait au minimum nationaliser les dépôts. Autrement, que la banque centrale contrôle et administre tout l’argent qui se trouve dans le système bancaire. Il faudrait également supprimer directement la TVA et augmenter de manière progressive les impôts sur les bénéfices des entreprises ; concrètement : que celui qui gagne plus paye plus.

Telles sont quelques-unes des idées et propositions que nous voulons mettre en débat parmi les travailleurs. Mais ce qui reste fondamental est la question de savoir si nous travaillons dans la perspective d’une alliance avec la bourgeoisie soi-disant nationale, ce qui représenterait un retour en arrière dans la voie au socialisme. Le président doit savoir que les choix sont excluant : ou bien on est avec les travailleurs et le peuple ou bien avec les grands groupes économiques et les multinationales. Un gouvernement authentiquement ouvrier ne peut opter pour l’alliance avec la bourgeoisie parce que cela signifierait le recul de la révolution et il ne s’agit ici en aucune manière de « gauchisme » en disant cela.

Entretien recueilli par la revue « Marea Socialista » (http://www.mareasocialista.com/) et publiée sur le site www.aporrea.org le 30 juin 2008.

Traduction : Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be