Que dans le plus court délai possible, le peuple choisisse des délégués, suivant la présente division du pays en comtés, villes et bourgs, lesquels formeront une convention ou corps législatif pour formuler une constitution suivant les besoins du pays, conforme aux dispositions de cette déclaration, sujette à être modifiée suivant la volonté du peuple1.
Robert Nelson, 28 février 1838
INTRODUCTION
Dès sa fondation en juin 2002, l’Union des forces progressistes (UFP) a fait sien le projet de l’indépendance du Québec. Comme formation politique de gauche, nous associons toutefois la question nationale aux questions sociales. Selon nous, la souveraineté est indispensable pour faire reconnaître le peuple québécois, mais aussi pour pouvoir réaliser pleinement une société de justice, d’égalité et de solidarité.
La naissance d’un pays ne saurait être le projet d’un seul parti politique, ni même d’un gouvernement. Pour que ce futur pays puisse combler les besoins, les espoirs et les rêves des gens d’ici, il doit émaner d’eux. Dans cette perspective, l’UFP lance aujourd’hui le débat sur une nouvelle stratégie pour tracer les contours d’un Québec indépendant. Nous proposons d’organiser à cette fin un vaste processus de démocratie participative. Il s’agit d’élire une Assemblée constituante pour rédiger un projet de Constitution, qui serait plus tard soumis à l’approbation de la population par référendum. De cette façon, l’avenir du Québec cesserait d’être l’apanage des partis politiques et des experts pour devenir, enfin, l’affaire de tout le monde.
Notre document présente notre proposition afin de contribuer aux débats sur les moyens de réaliser la souveraineté. Nous décrivons ce qu’est l’Assemblée constituante, quel sera son rôle, ce que pourrait contenir la Constitution d’un Québec indépendant et les raisons pour lesquelles nous mettons de l’avant cette démarche. Pour mieux situer notre proposition dans le contexte actuel, nous retraçons les principales étapes de l’impossible réforme du fédéralisme. Nous rappelons brièvement quelques expériences où le peuple du Québec a pu s’exprimer sur son avenir afin d’en tirer des leçons utiles pour la démarche d’Assemblée constituante. Nous signalerons enfin certains atouts stratégiques de la démarche profondément démocratique proposée pour réaliser un autre Québec.
1 « Déclaration d’indépendance de la République du Bas-Canada », Caldwell’s Manor (NOYAN), 28 février 1838, publié dans Histoire du Canada par les textes, tome 1, textes réunis par Michel Brunet, Ottawa, Fides, 1963, p. 159-160.
I. L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE
Le succès même du projet de souveraineté du Québec dépend de la volonté du peuple. Pour assurer à ce projet toute la légitimité et toute la force nécessaires à sa réalisation, l’UFP propose la convocation d’une Assemblée constituante. En effet, la démarche qui sera suivie pour réaliser l’indépendance doit être profondément démocratique. Elle doit cesser d’être une opération de marketing visant à trouver le meilleur slogan pour convaincre la population.
Même si des tactiques plus ou moins déloyales sont à prévoir de la part des fédéralistes, la démarche adoptée ne doit pas se borner à tenter de les déjouer. Selon l’UFP, il faut miser plutôt sur le formidable exercice de participation collective que permettra une Assemblée constituante. Au terme de cet exercice, la population du Québec devrait se sentir capable de faire un choix éclairé et ferme.
A. Qu’est-ce que l’Assemblée constituante ?
Une assemblée constituante est tout simplement la rencontre de personnes élues par le peuple qui ont reçu le mandat de rédiger une constitution ou un projet de constitution. Dans l’histoire, de telles assemblées apparaissent lors de grands bouleversements au terme duquel le peuple formalise le cadre institutionnel dans lequel il entend vivre.
Si la stratégie de l’Assemblée constituante est nouvelle pour le Québec, elle s’inspire en fait de la tradition républicaine issue des révolutions française et américaine. Au cœur de cette tradition réside l’idée que le pouvoir émane du peuple et non d’un roi ou d’un gouvernement.
Sans présumer de tous les détails du fonctionnement de l’Assemblée constituante, l’UFP propose qu’elle se compose de citoyennes et de citoyens élus dans toutes les régions du Québec. Ses membres - les constituants - seront donc issus de la société civile et non du gouvernement en place. Le pouvoir de l’Assemblée émanera ainsi de la souveraineté populaire.
La légitimité de l’Assemblée constituante reposera aussi sur le respect de certaines règles de fonctionnement démocratique, par exemple : faire élire ses membres au suffrage universel, direct et proportionnel ; refléter la parité hommes/femmes et la diversité ethnoculturelle ; disposer des fonds et du temps nécessaires pour élaborer un projet de Constitution.
B. Quel sera le rôle de l’Assemblée constituante ?
Comme le suggère son nom, l’Assemblée constituante a pour mandat d’élaborer un projet de constitution. Vaste tâche, puisque cela signifie rédiger la loi des lois d’un pays. Il s’agirait ainsi : de définir la structure et les composantes de l’État souverain du Québec ; de préciser les institutions nécessaires et les compétences qui leur sont déléguées ; d’énoncer les valeurs, les droits et les principes sur lesquels repose la vie commune.
Le travail de l’Assemblée constituante sera de trouver des propositions pour mettre en place des institutions politiques capables de représenter pleinement la réalité du pays. Elle devra donc s’interroger sur les mécanismes actuels qui limitent ou empêchent l’action citoyenne.
À titre d’exemple, les États reposent actuellement sur la domination de l’organe exécutif (conseil des ministres). Le pouvoir se concentre ainsi entre les mains d’un premier ministre ou d’un président. La plupart du temps, les projets de loi sont présentés à l’initiative de l’organe exécutif ou même du bureau du premier ministre. Une telle concentration va évidemment à l’encontre des intérêts collectifs puisqu’elle limite les opinions sur lesquelles se fonde la prise de décisions.
Les débats organisés durant l’Assemblée constituante pourraient mener à la mise en place des institutions politiques nécessaires pour éviter la concentration du pouvoir et donner une place centrale aux personnes élues par le peuple. Cela pourrait signifier : l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel de liste, la parité des sexes dans les candidatures, le plafonnement strict des dépenses lors des campagnes électorales et l’accès équitable aux médias pour tous les partis politiques.
Aucun domaine, à commencer par l’économie, ne devrait échapper aux délibérations publiques de l’Assemblée constituante. Définir une démocratie véritable ne peut en effet se limiter aux institutions politiques. C’est également dans les relations économiques qu’il faut intégrer les principes de liberté, d’égalité, de justice. C’est donc non seulement la scène politique, mais aussi le milieu de travail, le mode de production et la propriété qu’une Assemblée constituante pourrait organiser sur le modèle républicain.
L’Assemblée constituante aura le pouvoir et le devoir d’explorer diverses questions, par exemple : Quels mécanismes de démocratie participative faut-il mettre en place ? Quels types d’assemblées élues au niveau régional faut-il pour favoriser l’implication citoyenne dans différents dossiers publics ? Quelle collaboration faut-il instaurer entre ces assemblées et les divers acteurs sociaux - syndicats, groupes de femmes ou de jeunes engagés dans leurs milieux ? Quels mécanismes sont nécessaires pour assurer le contrôle des populations sur leurs mandataires et sur l’utilisation des fonds publics ? Comment redistribuer des pouvoirs aux régions et permettre des expériences locales ou régionales de budget participatif ?
Pour trouver réponses à ces questions, l’Assemblée constituante pourra recourir à divers moyens qui donneront la parole aux gens du Québec : forums, États généraux, tribunes par téléphone ou Internet, etc. Ses travaux seront donc un exercice exemplaire de démocratie participative qui permettra une prise de conscience sans précédent. En fait, cette extraordinaire période de réflexion et de prise de parole citoyenne sera un vaste chantier d’émancipation collective.
C. À quoi pourrait ressembler la Constitution d’un Québec indépendant ?
Sans préjuger des travaux de l’Assemblée constituante, on peut penser que cette large démarche de démocratie participative donnerait des résultats adaptés aux besoins du peuple du Québec. La Constitution pourrait ainsi s’ouvrir par une Charte sociale prévoyant non seulement des droits politiques, mais aussi des droits économiques et sociaux. Y seraient définis des droits collectifs qui élargissent la démocratie et dépassent une logique purement libérale des droits individuels. Pourquoi des droits collectifs ? Parce que les individus placés en position subalterne dans la société peuvent exercer leurs droits individuels seulement par une action collective.
Pièce maîtresse d’une nouvelle Constitution, la Charte sociale pourrait ainsi baliser les droits d’organisation collective des travailleuses et des travailleurs, l’égalité entre hommes et femmes en matière de droits économiques et de représentation politique. Elle pourrait maintenir, voire élargir le droit de syndicalisation, de grève et de manifestation. Elle devrait consacrer les meilleurs acquis en matière de salaires, de temps de travail, de protection de l’environnement. Et ce ne sont là que quelques exemples.
En fait, la Charte sociale devrait préciser les divers droits nécessaires pour assurer concrètement une redistribution égalitaire des richesses, un développement viable et respectueux de l’environnement ainsi qu’une société égalitaire, ouverte et pluraliste. Parce que les services publics sont une condition indispensable à l’exercice de la citoyenneté, donc de la vie démocratique, la Charte sociale devrait réaffirmer leur importance. Cela impliquerait d’interdire les privatisations et de retourner sous contrôle public les domaines répondant aux besoins vitaux des populations : éducation, santé, énergie, eau, transports en commun, équipements collectifs, moyens de communication. Comme la Charte sociale affirmerait les valeurs de justice et de solidarité, elle devrait garantir le maintien et le développement de services publics de qualité dans ces domaines.
Outre des institutions politiques, des droits sociaux et économiques, la Constitution pourrait prévoir d’autres principes, par exemple une citoyenneté transnationale inclusive2, le refus de participer à toute guerre ou occupation impériale, un revenu minimum garanti. Elle affirmerait sans doute les principes de la laïcité, de la liberté de culte et de la séparation de l’Église et de l’État. Bref, elle définirait un Québec vraiment républicain. Enfin, la Constitution d’un Québec indépendant reconnaîtrait évidemment les droits de la minorité anglophone et des peuples autochtones.
D. Pourquoi proposer une Assemblée constituante ?
Pour l’UFP, mettre de l’avant la stratégie de l’Assemblée constituante, ce n’est pas seulement entreprendre de définir un projet de société. C’est convier toutes les forces vives du Québec à participer à l’élaboration du projet. Voilà pourquoi notre proposition s’éloigne des autres démarches proposées jusqu’ici pour réaliser l’indépendance.
Il ne s’agit plus de compter sur le résultat électoral du parti politique qui se considère comme l’unique porteur du projet collectif de souveraineté. Il ne s’agit pas d’un processus juridique où des experts sont chargés d’écrire une Constitution québécoise en renommant les institutions héritées de la tradition britannique. Il ne s’agit pas davantage d’organiser un référendum dont la victoire dépend d’une campagne publicitaire visant à faire approuver un projet élaboré en vase clos.
Parler d’Assemblée constituante, pour l’UFP, ce n’est pas poser abstraitement un nouveau chemin vers la souveraineté du Québec. C’est proposer de discuter, de la manière la plus démocratique et la plus large possible, des mécanismes essentiels pour assurer la défense du bien commun, pour articuler les luttes politiques et les revendications sociales.
2 Reconnaître, par exemple, la réalité nationale des Autochtones du Québec tout en ouvrant la possibilité de leur adhésion à la nation québécoise.
Pour que le Québec réalise la rupture avec l’État fédéral et choisisse l’indépendance, les gens d’ici doivent penser et rêver le pays qu’ils veulent construire. Ils doivent définir eux-mêmes les institutions démocratiques et les instruments politiques nécessaires pour actualiser la souveraineté populaire. À notre avis, ce vaste travail donnera l’occasion aux citoyennes et aux citoyens de découvrir des raisons individuelles et collectives de faire l’indépendance. Ayant ainsi exprimé leurs visions du pays, ils seront mieux en mesure de résister ensuite aux représailles prévisibles du gouvernement canadien. Les convictions formées au cours du long processus de l’Assemblée constituante seront en effet plus solides que celles provoquées à la suite d’une campagne publicitaire.
En fait, la mise en branle d’une Assemblée constituante, élue et démocratique, sera elle-même un acte de souveraineté populaire. Elle marquera une rupture avec les institutions imposées autrefois par l’Empire britannique. Elle signalera la fin de l’acceptation d’un État fédéral centralisateur et de sa domination sur le territoire du Québec. Bref, une Assemblée constituante affirmera ce que cet État fédéral s’emploie à nier : l’existence de la nation québécoise. Son travail permettra aux gens du Québec d’en finir avec le statu quo constitutionnel qui les réduit à l’état de peuple minoritaire. Voilà pourquoi nous proposons que le projet de constitution vienne couronner la démarche d’Assemblée constituante au lieu de servir de point de départ.
E. Conclusion
Devant la double menace du fédéralisme centralisateur et de la mondialisation néolibérale, le projet de l’indépendance du Québec s’impose plus que jamais. Son succès et sa légitimité dépendent toutefois du caractère profondément démocratique de la démarche suivie pour la réaliser. C’est pourquoi l’UFP propose la convocation d’une Assemblée constituante.
Inspirée de la tradition républicaine, l’Assemblée constituante confierait à des citoyennes et des citoyens élus la tâche d’élaborer un projet de constitution. À cette fin, l’Assemblée entreprendrait de vastes travaux de démocratie participative pour définir entre autres les institutions et les mécanismes politiques nécessaires au pays du Québec. Le projet de constitution qu’elle soumettrait à l’approbation de la population par voie de référendum pourrait s’accompagner d’une Charte sociale garantissant certains droits économiques et sociaux.
Le formidable exercice démocratique de l’Assemblée constituante serait en soi une démarche d’émancipation collective. Il se démarque donc des stratégies proposées jusqu’ici. Pas question de compter sur l’élection du parti politique qui se prétend le seul porteur du projet d’indépendance. Pas question de confier à des experts la rédaction d’une Constitution où l’on se contenterait de renommer les institutions britanniques. Pas question enfin d’organiser un référendum dont le succès dépendrait d’une campagne de marketing pour faire adopter un projet de pays élaboré en vase clos.
L’UFP propose plutôt d’inviter les gens d’ici à penser et à rêver le pays qu’ils désirent. C’est à toute la population qu’il revient de déterminer les institutions démocratiques et les instruments politiques nécessaires à une véritable souveraineté populaire. Grâce au vaste travail de l’Assemblée constituante, les citoyennes et les citoyens découvriront des raisons personnelles et collectives de faire l’indépendance.
II. L’IMPOSSIBLE RÉFORME DU FÉDÉRALISME
Durant plus de 40 ans, les gouvernements du Québec ont échoué dans leurs tentatives pour obtenir la simple reconnaissance, par l’État fédéral, de l’existence du peuple québécois. Voilà pourquoi il importe de revenir sur les grandes étapes de cette « mission impossible » de la réforme constitutionnelle. Ce rappel devrait montrer amplement la nécessité de la nouvelle stratégie de l’Assemblée constituante que propose l’UFP pour réaliser le pays du Québec.
L’État canadien n’a pas vu le jour à la suite d’un pacte signé entre deux peuples fondateurs ou d’un traité conclu entre des provinces libres et autonomes. Sa création, en 1867, résulte de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique. Dès le départ, cet Acte du gouvernement impérial concentre l’essentiel des pouvoirs au niveau fédéral. Les compétences accordées aux provinces sont des pouvoirs restreints qu’elles exercent sous le contrôle du gouvernement central.
La naissance de l’État canadien n’a laissé aucune place à une démarche de souveraineté populaire. Les pères de la Confédération n’avaient reçu aucun mandat du peuple. Ils ont même qualifié d’absurde l’idée de faire approuver leur entente par la population des colonies britanniques d’Amérique du Nord.
L’Acte de l’Amérique du Nord Britannique n’a toutefois pas réussi à effacer la réalité multinationale dans l’État canadien. Pour se construire, la nation canadienne a dû nier la réalité des nations québécoise, acadienne, autochtones et inuites, qui ont malgré tout su résister à l’oppression et préserver leurs identités. Le caractère antidémocratique de la formation de l’État canadien fait en sorte qu’il est marqué par une crise structurelle dont les effets se font sentir encore aujourd’hui.
A. 1960-1981 : L’objectif d’une fédération centralisée
Les années 1960 et 1970 ont connu une forte montée du mouvement national au Québec, car la majorité de la population aspirait à maîtriser ses affaires. Cela se traduisait par une volonté de conférer davantage de pouvoirs au gouvernement du Québec, qu’elle percevait comme son gouvernement. Une minorité substantielle voulait même lui conférer tous les pouvoirs, c’est-à-dire faire l’indépendance. La bourgeoisie canadienne s’est donc retrouvée sur la défensive pendant plusieurs années, puisque l’intégrité de l’État fédéral était menacée.
Avec la Révolution tranquille, de 1960 à 1966, la volonté d’autonomie politique du Québec change de contenu par rapport à la période du duplessisme. La nécessité de protéger le caractère traditionnel du Canada français cède en effet la place à la perspective d’un rapatriement, au Québec, de pouvoirs particuliers jugés indispensables à une modernisation de la société.
Sous la pression du mouvement indépendantiste extraparlementaire, les gouvernements de Jean Lesage, de Daniel Johnson et de Jean-Jacques Bertrand ont soulevé la nécessité de revoir le partage des compétences. Ils ont proposé d’examiner les rapports entre les différentes composantes nationales du Canada. L’objectif des partis au pouvoir à Québec était d’obtenir un statut particulier pour la province. La montée des aspirations autonomistes et indépendantistes n’a pas été sans inquiéter Ottawa. La Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission Laurendeau-Dunton) instituée par le gouvernement de Lester B. Pearson, le 19 juillet 1963, révèle la profondeur de la crise. Son rapport signale notamment l’assimilation inquiétante de la communauté canadienne-française dans l’ensemble du Canada et le recul de la langue française au Québec.
En 1968, le premier ministre Lester B. Pearson convoque une conférence fédérale-provinciale sur la Constitution. Sa priorité n’est pas de négocier un nouveau partage des compétences, mais plutôt d’élaborer une charte des droits de la personne. Cette charte devait reconnaître les droits individuels des citoyens dans un État fédéral et démocratique. Elle devait préciser également le rôle et les pouvoirs de certaines institutions comme le Sénat et la Cour suprême.
Le processus de révision constitutionnelle amorcé mena à l’adoption de la Charte de Victoria en 1971. Le Québec demandait, depuis les années 1960, un nouveau partage des pouvoirs pour obtenir plus d’autonomie et stopper la centralisation au niveau fédéral. L’État canadien cherchait, pour sa part, à étouffer les revendications en faveur de la décentralisation. Il a donc refusé toute asymétrie constitutionnelle dans la répartition et l’usage des compétences législatives.
La Charte de Victoria a ainsi évacué toute référence aux concepts de nation ou de peuple québécois. Elle ne comportait aucune mesure pour renforcer les compétences de la province de Québec. Bref, elle refusait la reconnaissance nationale du Québec et un réaménagement partiel des compétences. Devant une telle intransigeance, le premier ministre Robert Bourassa fut obligé, sous les pressions des nationalistes, de revenir sur son accord de principe à la Charte.
En 1975, le gouvernement fédéral dirigé par Pierre Elliott Trudeau relance le débat constitutionnel. Il ne veut toutefois discuter que du rapatriement de la Constitution et de la formule d’amendement. Le Parti libéral du Québec reprend alors les demandes traditionnelles du gouvernement québécois pour la réforme de la Constitution : 1) obtention du droit de veto ; 2) participation au processus de nomination des juges à la Cour suprême ; 3) préséance du Québec en matière de culture et d’éducation ; 4) droit de retrait des programmes fédéraux avec compensation financière ; 5) pouvoirs accrus en matière d’immigration et limitation du pouvoir de dépenser d’Ottawa.
Comme chaque fois que les gouvernements du Québec ont formulé de telles demandes, l’État fédéral refuse tout changement. Il commence même à défendre, à la Chambre des communes, la légalité d’une action unilatérale de sa part. En mars 1976, il y plaide la constitutionnalité de cette action. Il soutient alors que les provinces n’ont nullement le droit d’être consultées sur les propositions de modification à la Constitution adressées au Parlement de Westminster.
B. 1976-1982 : De la prise du pouvoir du Parti québécois à la nouvelle Constitution canadienne sans le Québec
L’opposition des provinces et la prise du pouvoir du Parti québécois (PQ), en 1976, bloquent temporairement la route à la volonté fédérale de procéder unilatéralement. Avant même que le PQ n’annonce son projet de référendum, le gouvernement fédéral de P. Trudeau publie, en juin1978, Le temps d’agir.
Les thèses de la réforme constitutionnelle qu’il propose peuvent se résumer ainsi :
· Le Canada est l’une des fédérations les plus décentralisées au monde.
· Pour faire face aux problèmes actuels, on ne peut surtout pas envisager un transfert de pouvoirs du gouvernement fédéral aux provinces.
· Au besoin, le gouvernement fédéral fera adopter par les Communes les modifications constitutionnelles qui, juge-t-il, sont de sa compétence.
La prise du pouvoir du PQ ouvre la perspective d’un référendum sur le statut du Québec. En 1979, le gouvernement péquiste dépose un livre blanc : La nouvelle entente Québec-Canada - Propositions du gouvernement du Québec pour une entente d’égal à égal.
Pour rassembler au maximum les forces nationalistes et tenter d’arracher une victoire, le gouvernement péquiste pose une question référendaire large. Il demande aux Québécois et aux Québécoises de lui donner le mandat de négocier avec le Canada une nouvelle entente fondée sur la reconnaissance de l’égalité des deux nations. Il remet à plus tard, lors d’un second référendum, l’approbation du nouveau statut qui serait négocié.
Compte tenu de la propagande fédéraliste, le référendum de mai 1980 porta sur l’indépendance plutôt que sur une nouvelle entente. Pour élargir le front fédéraliste, les politiciens d’Ottawa ont fait miroiter à la population qu’un NON au référendum péquiste signifierait un OUI à un renouvellement du fédéralisme qui accorderait plus de pouvoirs au Québec.
Profitant de la défaite référendaire (par une marge de 60/40), le gouvernement fédéral renie sa promesse. Il propose une Constitution qui centralise encore davantage les pouvoirs entre ses mains. Malgré l’opposition du Québec, il entreprend, dès septembre 1980, des négociations avec les provinces suivant l’orientation exposée dans Le temps d’agir en 1978.
Les thèses fédérales sont encore une fois claires :
· La fédération canadienne a un besoin impératif d’une direction économique et politique assurée par le gouvernement fédéral.
• Il n’existe qu’un seul peuple au Canada, le peuple canadien, une seule nation, la nation canadienne, marquée par une dualité linguistique. Le fait français s’étend d’ailleurs dans la totalité du Canada.
Le projet fédéral de modification de la Constitution était aux antipodes des discours tenus par les leaders fédéralistes durant la campagne référendaire. En fait, ils avaient eu recours à une manipulation antidémocratique éhontée !
La Charte canadienne des droits et libertés vise à encadrer la capacité d’intervention des gouvernements provinciaux et à limiter leur pouvoir d’agir sur divers terrains. Malgré son titre, elle a surtout pour but d’interdire toute restriction à la libre circulation des biens, des services et des capitaux. Elle étend les compétences fédérales à toutes les matières essentielles pour assurer l’union économique des provinces. Elle vise à mettre un terme aux nombreuses initiatives provinciales qui pourraient entraver la libre circulation des marchandises et de la main-d’oeuvre. Enfin, elle ne reconnaît pas le droit des peuples à l’autodétermination.
La Charte canadienne écarte également tous les autres droits collectifs : droit d’association syndicale, droit de grève, droit de manifestation. Elle ne reconnaît aucune des protections garanties dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec : le droit à l’instruction publique, à des mesures d’assistance financière et sociale, à des conditions de travail justes et raisonnables. Elle ne reprend aucun des droits reconnus dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Elle confirme le rôle du gouvernement fédéral comme seul dépositaire des intérêts collectifs du peuple canadien. L’unique moment où une communauté nationale est reconnue, c’est pour désigner les peuples autochtones. Enfin, la formule d’amendement consacre l’égalité juridique des provinces. La Charte canadienne impose l’accord des deux chambres de l’État central et de sept provinces regroupant au moins la moitié de la population. Elle ne reconnaît pas le droit des peuples à l’autodétermination. « Il faut donc en conclure qu’en regard du droit constitutionnel canadien, la seule façon pour un peuple autochtone ou pour le Québec d’atteindre l’indépendance serait d’obtenir un amendement à la Constitution canadienne qui recueillerait l’unanimité des voix des provinces et du fédéral3. »
La Loi constitutionnelle de 1982 marque le point culminant de l’offensive d’Ottawa pour contrer les aspirations nationales du Québec à l’autonomie et à la souveraineté. Elle vise à étouffer toutes les pressions en faveur de la décentralisation de l’État canadien.
C. 1982-1992 : Du « beau risque » au deuxième référendum
Après la défaite référendaire en 1980 et le rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne en 1982, le mouvement national du Québec est démoralisé. Le gouvernement fédéral dirigé par le Parti conservateur cherche à réintégrer le Québec dans la Constitution. Il veut le faire au meilleur prix possible en lui offrant un rôle de partenaire mineur et subordonné. Le temps presse, car il faut restaurer la légitimité des institutions fédérales plutôt ébranlée par le coup de force de 1981, soit l’adoption de la Constitution contre la volonté du Québec. Le gouvernement péquiste se prête d’ailleurs à cette manœuvre en y voyant « un beau risque ». En 1985, à la suite de politiques antipopulaires particulièrement féroces, le PQ est chassé du pouvoir.
Pour le gouvernement libéral de Robert Bourassa, c’est l’occasion de rétablir à bon marché sa légitimité en montrant sa capacité d’obtenir des gains par la négociation. Il tente de prouver que l’approche de confrontation reprochée (à tort) au gouvernement péquiste a débouché sur un recul. Il pose cinq conditions pour que le Québec adhère de plein droit à la Constitution de 1982 : 1) reconnaissance du caractère particulier du Québec ; 2) obtention du droit de veto sur les futurs changements constitutionnels ; 3) contrôle du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral ; 4) pouvoirs en matière d’immigration ; 5) participation au processus de nomination à la Cour suprême de juges en provenance du Québec. En juillet 1987, les négociations débouchent sur l’Accord du lac Meech.
L’Accord reconnaît le Québec comme « société distincte », ce qui ne veut rien dire dans la pratique ni même sur le plan juridique. Le droit international reconnaît des peuples et des nations, mais pas des sociétés distinctes. D’ailleurs, c’est la Cour suprême du Canada qui pourrait trancher quant à l’interprétation à donner à ce concept. L’Accord consacre le principe d’un Québec bilingue et entérine le droit du gouvernement fédéral d’intervenir dans des secteurs de compétence strictement provinciale. Quant au droit de retrait avec compensation financière, qui inquiète tellement les centralisateurs
3 Pierre MACKAY, « La Charte canadienne des droits et libertés de 1982 : une phare aveuglant contre la grande noirceur », dans L’ère des libéraux, le pouvoir fédéral de 1963 à 1984, Sillery, Québec, Presses de l’Université du Québec, 1988, p. 119. 11
canadiens-anglais, il ne s’appliquerait qu’aux nouveaux programmes provinciaux ayant des objectifs similaires à ceux des programmes canadiens. Bref, le gouvernement fédéral pourrait utiliser son pouvoir de dépenser pour dicter au Québec les objectifs à poursuivre dans les secteurs de compétence provinciale.
Les concessions purement symboliques accordées au gouvernement Bourassa pour l’aider à « vendre la marchandise » à la population québécoise provoquent néanmoins une levée de bouclier au Canada anglais et parmi les leaders anglophones du Québec. Le gouvernement fédéral accorde alors trois ans aux parlements provinciaux pour entériner l’Accord du lac Meech. Ce délai n’a nullement pour objectif de permettre une consultation populaire. En fait, cela va permettre des manœuvres de la part des éléments les plus centralisateurs et antifrancophones du Canada anglais. Cette opposition chauvine sera renforcée par l’intervention des Pierre Trudeau, Jean Chrétien et Clyde Wells, qui attisent les sentiments anti-Québec avec un discours sur l’affaiblissement du Canada au profit du Québec. Le consensus de 1987 sur l’Accord du lac Meech s’effondra donc au cours des trois années suivantes. Le caractère même de l’Accord, qui ne reconnaît pas vraiment les droits des Autochtones, incite ces derniers à s’y opposer.
L’échec de l’Accord du lac Meech révèle les limites de l’aménagement constitutionnel. Il signifie le refus du gouvernement fédéral de faire la moindre concession qui permettrait de renforcer l’affirmation des autres nations dans l’État canadien. Il manifeste un refus clair et net des demandes du Québec. L’État canadien confirme sa stratégie de centralisation. Il affirme que sa conception de la nation canadienne comme une seule nation est la vision largement dominante au Canada anglais. Il affirme que l’adhésion du Québec à l’Accord du lac Meech ne pourrait qu’être l’adhésion au statu quo constitutionnel sans reconnaissance réelle de sa réalité nationale québécoise.
La poussée indépendantiste et son détournement
Devant l’échec de l’Accord du Lac Meech, le Parti libéral du Québec (PLQ) tente de surfer sur la vague souverainiste qui se développe. À son congrès de mars 1991, il adopte les principales orientations du rapport Allaire intitulé Un Québec libre de ses choix. Le rapport prévoit une forte autonomie pour la province : pas moins de 23 secteurs relèveraient des compétences exclusives du Québec. Il propose de consulter la population par référendum avant la fin de l’automne 1992 afin de ratifier un éventuel accord Québec-Canada sur la base de ses propositions.
Pour freiner les aspirations souverainistes de plus en plus puissantes, le PLQ cherche à réduire au minimum les mécanismes d’expression démocratique. Il rejette la possibilité de tenir des États généraux et d’élire une Assemblée constituante. Le 29 juin 1990, le premier ministre Bourassa et le chef de l’Opposition, Jacques Parizeau, tiennent une conférence de presse conjointe. Ils annoncent qu’ils ont conclu une entente de principes pour établir une commission élargie et non partisane sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec.
Le 4 septembre 1990, le gouvernement québécois met sur pied la Commission Bélanger-Campeau sur l’avenir constitutionnel de la province. Elle comprend 16 députés libéraux, 6 péquistes et 1 de l’Equality Party. Elle compte aussi des personnes issues des milieux d’affaires et des syndicats (4 représentants chacun), de l’enseignement et de la culture (1 représentant chacun), et des municipalités (2 représentants). Trois députés de la Chambre des communes y siègent également. Durant ses travaux, la Commission a reçu plus de 600 mémoires, entendu 235 groupes ou individus et consulté 55 spécialistes. Malgré cette vaste participation, elle n’a pas été un véritable exercice de souveraineté populaire. Elle a plutôt servi d’instrument de manipulation aux mains du premier ministre Bourassa.
La Commission Bélanger-Campeau dépose son rapport le 27 mars 1991 où elle formule deux grandes recommandations : 1) tenir un référendum sur la souveraineté du Québec en juin ou en octobre 1992 ; 2) demander au reste du Canada de faire une offre en vue d’un nouveau partenariat constitutionnel. Elle propose d’instituer une commission parlementaire chargée de donner suite à ses travaux. Le projet de loi 150, adopté le 20 juin 1991, formalise les recommandations. Une mobilisation massive en faveur de la tenue du référendum aurait pu empêcher Bourassa et ses alliés à Ottawa de manœuvrer à leur guise. Au lieu de cela, la population devra se contenter de la stratégie de la main tendue et de l’unité de tous les Québécois et Québécoises prônée par la Commission. Dans les rangs souverainistes, les mythes font florès. On soutient que Robert Bourassa pourrait tenir un référendum sur la souveraineté ; que le gouvernement fédéral est incapable de se mobiliser contre la montée des sentiments indépendantistes ; que les gens d’affaires québécois soutiennent le combat souverainiste ; que le gouvernement américain a un préjugé favorable à la souveraineté du Québec... En fait, les événements feront voler en éclat toutes ces illusions4.
Ghislain Dufour, alors président du Conseil du patronat, résume ainsi les conclusions de la Commission Bélanger-Campeau : « On voulait donner une dernière chance au fédéralisme, c’est fait. » Ce sera la voie privilégiée, car la Commission a remis au gouvernement Bourassa le contrôle du processus de redéfinition constitutionnelle. Robert Bourassa l’a bien compris, puisqu’il déclare à propos du rapport de la Commission : « à moins d’utiliser une logique d’extra-terrestre, il faut bien interpréter le consensus auquel le PQ s’est rallié comme un appui au renouvellement du fédéralisme ».
Les péquistes et les élites nationalistes du Québec ont accepté de faire consensus avec les fédéralistes de la Commission Bélanger-Campeau. Ils ont renoncé à faire reconnaître les aspirations à la souveraineté qui étaient largement dominantes au Québec. Ils ont abandonné l’objectif d’obtenir un référendum sur la souveraineté en 1991 en échange de la promesse traîtresse de Bourassa. La Commission Bélanger-Campeau était un exercice pensé par le premier ministre. Elle s’est faite aux dépens d’une mobilisation qui aurait obligé son gouvernement à tenir un référendum et à élire une Assemblée constituante pour élaborer une constitution puis la soumettre au peuple par référendum.
Le seul mandat que Bourassa a tiré des travaux de la Commission Bélanger-Campeau était d’attendre une nouvelle proposition de l’État fédéral. En mars 1992, un processus de négociation se met en route. Le gouvernement fédéral, les neuf provinces anglophones et les représentants autochtones parviennent à une entente le 7 juillet. Le premier ministre Bourassa accepte de se joindre à eux, du 18 au 22 août. Il veut arriver à une entente à n’importe quel prix.
Lors d’un congrès spécial tenu le 29 août 1992, le Parti libéral du Québec appuya cette orientation du compromis et liquida le rapport Allaire. Ses instances ont entériné l’accord conclu par le premier ministre. Ce nouveau réalisme du PLQ signifiait que le Québec acceptait l’inéluctable centralisation des pouvoirs politiques entre les mains d’un État fédéral fort.
4 Pierre FOURNIER, Autopsie du Lac Meech, Outremont, VLB Éditeur, 1990 (Coll. Études québécoises).
Le référendum de 1992 sur l’entente
Le 26 octobre 1992, un référendum a lieu sur l’offre fédérale. Qu’une forte majorité de Québécois et de Québécoises aient manifesté leur volonté de s’exprimer sur la souveraineté n’a guère dérangé le premier ministre Bourassa et son gouvernement. Encore une fois, les politiciens fédéralistes ont montré que, pour défendre l’intégrité de l’État canadien, ils n’hésitaient pas à piétiner les aspirations démocratiques du peuple québécois.
L’entente proposée ne reconnaissait pas la réalité nationale du peuple québécois ni son droit à l’autodétermination. Elle ne faisait même pas de concessions aux fédéralistes québécois qui aspiraient à un certain renforcement de l’autonomie de la province. Elle était le produit du fédéralisme dominateur : pas question d’assurer un statut particulier au Québec ; pas question de lui transférer un certain nombre de pouvoirs ; pas question de reconnaître l’existence de la nation québécoise ; et, surtout, pas question de lui permettre d’exprimer sa volonté d’accéder ou non à la souveraineté. L’État canadien voulait poursuivre le processus de centralisation et de construction de la nation canadienne en niant les autres réalités nationales, en particulier celle du Québec.
Le Non a gagné, comme prévu
Le référendum était piégé, car voter oui à l’offre fédérale aurait été interprété comme un non à la souveraineté. Les gens du Québec ont donc dit non au rapetissement du Québec, non au gouvernement des juges, non à la manipulation et à la confusion. En fait, 56 % ont refusé de voir leur avenir bloqué. Ils ont opposé une fin de non-recevoir à la classe politique fédéraliste au pouvoir à Ottawa et à Québec. Le Canada anglais a également rejeté l’entente, mais pour la raison opposée : il la considérait encore trop généreuse. Il refusait ainsi de reconnaître la réalité nationale du Québec. Après plus de 40 ans de revendications, le blocage est total. Malgré la mobilisation de centaines de milliers de personnes après l’échec de l’Accord du lac Meech et malgré la forte majorité favorable à un référendum sur la souveraineté, l’offre fédérale n’a pas reconnu les aspirations du Québec.
D. 1995-2005 : L’épanouissement du fédéralisme centralisateur
Le pourcentage important (49,5 %) de la population québécoise qui a dit OUI au référendum de 1995 n’a provoqué aucune ouverture pour une réforme du fédéralisme. Malgré les promesses et la faible marge de la victoire (50 000 voix), il n’y a eu aucun pas vers une autonomie renforcée du Québec ou vers un fédéralisme asymétrique. La négation des droits du Québec et la centralisation de l’État canadien ont continué à dominer l’agenda fédéral. Les politiques du gouvernement de Jean Chrétien ont concentré le pouvoir à Ottawa et elles ont réduit l’autonomie des provinces.
En 1997, les premiers ministres des neuf provinces anglophones du Canada ont adopté la Déclaration de Calgary. Ils y proclamaient le « caractère unique » de la société québécoise, mais ils affirmaient le caractère constitutionnel identique de toutes les provinces. La Déclaration soutient en effet qu’un pouvoir attribué à une province doit être accordé à toutes les autres. Cela réduisit à néant les espoirs des personnes qui rêvaient encore du fédéralisme asymétrique.
En 1999, le gouvernement canadien signe une Entente-cadre sur l’union sociale, mais seulement avec les provinces anglophones. L’entente légitime les empiétements fédéraux dans les compétences provinciales comme la santé, l’éducation et les programmes sociaux. Le gouvernement canadien voulait en effet se donner un rôle stratégique dans tous ces domaines sans ouvrir la porte à des réformes constitutionnelles. Il a donc pratiqué la politique du fait accompli. Durant la campagne électorale de juin 2004, Paul Martin a d’ailleurs annoncé la poursuite de cette orientation.
L’Entente-cadre sur l’union sociale n’était qu’un pas de plus dans la politique de centralisation de l’État fédéral et dans l’ingérence fédérale des compétences provinciales reconnues dans la Constitution canadienne. Avec une vaste offensive de réduction du financement des programmes, en particulier l’assurance-chômage, le gouvernement fédéral a accumulé des surplus budgétaires astronomiques.
En effet, ce que l’on a nommé le « déficit fiscal » n’a pas été le fruit du hasard. De 1993 à 1997, Ottawa s’est employé à éliminer son déficit de 42 milliards de dollars. Il l’a fait en profitant de la reprise économique et en réduisant ses dépenses, notamment les transferts aux provinces. En fait, 79 % de la réduction des dépenses fédérales proviennent de ces transferts. L’État canadien a donc coupé cinq fois plus dans les fonds versés aux provinces que dans ses propres dépenses.
Fort de ces surplus budgétaires qu’il a refusé de redistribuer aux provinces, le gouvernement fédéral a eu beau jeu d’imposer ses politiques publiques et de poursuivre sa marche vers un État plus centralisateur que jamais. Pourtant, les provinces, et surtout le Québec, ont des responsabilités qu’elles ne peuvent plus assumer à cause de la réduction des transferts fédéraux.
La Loi sur la clarté, une négation du droit à l’autodétermination
Après avoir tenté de faire rentrer le Québec dans le rang en 19XX, aux conditions imposées par le reste du Canada, le gouvernement Chrétien a tout mis en œuvre pour lui enlever la possibilité d’assurer sa souveraineté. Il s’est même efforcé de l’empêcher de négocier une nouvelle entente avec le Canada.
Dans l’avis du 20 août 1998 où elle répond à la demande du gouvernement Chrétien, la Cour suprême a statué que ni le droit canadien ni le droit international ne donnent au Québec le droit de procéder unilatéralement à la sécession. Elle a toutefois aussi déclaré que le Canada devrait négocier avec le Québec si la population québécoise se prononçait clairement en faveur de la souveraineté.
Pour restreindre le droit du Québec à l’autodétermination, le Parlement fédéral adopte, en juin 2000, la Loi sur la clarté. Il se donne le pouvoir d’examiner la question à soumettre au référendum et de déterminer si cette question est claire, c’est-à-dire conforme aux définitions qu’il a lui-même établies dans la Loi. Si le Parlement jugeait la question ambiguë, il pourrait, en principe, refuser d’engager des négociations sur les conditions de la sécession. La Loi exige également une majorité claire, mais sans préciser le sens de ce qualificatif. Elle rappelle qu’il n’existe aucun droit de sécession unilatérale en vertu de la Constitution canadienne. Enfin, elle stipule qu’une telle sécession ne pourrait se faire sans une modification de la Constitution après des négociations avec tous les gouvernements du Canada.
Pour envoyer au peuple québécois un message « clair », la Loi sur la clarté déclare que l’intégrité du territoire québécois est négociable. Le Parlement canadien sait fort bien que cette clause ne profitera pas aux nations autochtones qui ne reconnaissent pas, à juste titre, l’intégrité territoriale du Canada ni celle du Québec. Il sait que cela profitera plutôt aux groupes partitionnistes fédéralistes surtout composés d’anglophones nostalgiques qui veulent continuer à dominer le peuple québécois en passant par Ottawa.
À l’offensive antidémocratique du gouvernement fédéral contre le peuple québécois, le gouvernement péquiste s’est contenté d’opposer le vote d’une loi par l’Assemblée nationale. Ce geste nécessaire était nettement insuffisant pour dénoncer le caractère illégitime et répressif de la Loi sur la clarté.
La Loi sur la clarté a porté un dur coup aux droits nationaux du Québec. Elle est clairement antinationale et antisociale. Les conditions de la « clarté » posées pour ouvrir d’éventuelles négociations dressent une impossible course à obstacles sur le chemin de la souveraineté. Il s’agit, par le fait même, d’une négation du droit à l’autodétermination du peuple québécois. Par cette Loi, le gouvernement fédéral vise à casser le courant de libération nationale et sociale né dans les années 1960.
E. Conclusion
Comme hier, l’État canadien est aujourd’hui porteur d’une Constitution construite sur la négation de la souveraineté populaire. Elle est le produit de tractations secrètes qui lui ont conféré des particularités antidémocratiques : la négation des droits collectifs des nations minoritaires ; la concentration des pouvoirs au sommet de l’État fédéral, soit l’organe exécutif et, en particulier, le bureau du premier ministre ; l’existence d’un Sénat non élu ; une Charte des droits et libertés rédigée de manière à pouvoir s’attaquer aux droits collectifs du Québec.
Au cours des 40 dernières années, l’État canadien s’est donné une Constitution sur mesure pour construire la nation canadienne et pour centraliser entre ses mains les pouvoirs nécessaires afin de nier l’existence des nations québécoise et autochtones. Le bilan est clair. Le projet d’un fédéralisme asymétrique a été rejeté à de multiples reprises. La souveraineté de la nation québécoise a été bafouée durant les référendums de 1980 et de 1995. Le gouvernement fédéral n’a pas hésité à utiliser des sommes colossales pour manipuler l’opinion en faisant fi du cadre législatif établi par l’Assemblée nationale du Québec.
Les vaines tentatives de réforme du fédéralisme, le droit de regard que s’est donné l’État canadien avec sa Loi sur la clarté sans compter les actes illégaux des fédéralistes, canadiens et québécois, révélés par la Commission Gomery, tout confirme la nécessité d’une nouvelle approche pour réaliser l’indépendance du Québec.
Dans un tel contexte, la démarche de l’Assemblée constituante que propose l’UFP prend tout son sens. Fait intéressant, le Québec ne manque pas d’exemples pour inspirer cette démarche hautement démocratique. Les résolutions mises de l’avant par les Patriotes, les consultations des États généraux du Canada français de 1967 à 1969, les campagnes des référendums de 1980 et de 1995 sont des moments forts de la démocratie participative. Ils peuvent être une source d’inspiration pour une Assemblée constituante qui permettra à la population québécoise de tracer elle-même les contours d’un Québec indépendant.
III. DES EXPÉRIENCES DE SOUVERAINETÉ POPULAIRE
L’histoire du Québec moderne a été marquée par des moments d’émergence de la souveraineté populaire : la « volonté constituante » a en effet montré le bout du nez à plusieurs reprises. Elle s’est cependant toujours heurtée au pouvoir en place et elle a pris les formes que les dirigeants ont bien voulu lui donner.
Nous évoquerons d’abord l’expérience pionnière des Patriotes du Bas-Canada et des démocrates du Haut-Canada. Nous ferons ensuite un retour sur quelques expériences de démocratie participative des 40 dernières années. Nous décrirons ainsi brièvement les États généraux du Canada-français tenus à la fin des années 1960 ainsi que les référendums de 1980 et de 1995. Nous en dégagerons des leçons utiles pour montrer le patient travail de rassemblement des forces politiques qui devra s’opérer afin de convoquer une Assemblée constituante.
A. Les Patriotes, des précurseurs à ne pas oublier
Durant tout le 19e siècle, les institutions émanent du Parlement de Londres, qui réagit à l’évolution de la situation sur le continent américain et aux aspirations démocratiques du Haut-Canada et du BasCanada. En 1791, le Parlement établit ainsi l’Assemblée législative élective que réclamaient, depuis la Conquête, les populations, notamment les marchands britanniques et les colons. Les deux Assemblées sont toutefois purement consultatives. Le pouvoir est entièrement concentré entre les mains du Gouverneur, nommé par Londres, et les membres des Conseils législatif et exécutif qu’il nomme à son tour.
Ces structures politiques sont assujetties à la prérogative Royale, c’est-à-dire au pouvoir de Londres d’accepter, de refuser ou d’imposer toute loi qu’il juge conforme à ses intérêts. Les deux Conseils sont aux mains des autorités de l’Empire britannique et de ses représentants locaux - marchands et propriétaires terriens. Cependant, les populations du Haut-Canada et du Bas-Canada élisent leurs Assemblées législatives. Elles y envoient donc leurs représentants, qui développent en toute liberté leurs revendications contre le régime colonial. Cette double structure va bientôt refléter les intérêts opposés des classes sociales en présence.
Le choc prévisible se produit. De 1822 à 1836, dans le Bas-Canada, le Conseil législatif rejette 234 projets de loi adoptés par l’Assemblée. En 10 ans, 300 projets de loi connaîtront le même sort dans le Haut-Canada.
Malgré leurs limites, les Assemblées législatives élues servent de lieux d’expression des revendications populaires. C’est pourquoi le mouvement démocratique réclamera d’abord une réforme de la structure politique qui bloque les aspirations de la majorité. Les politiciens favorables à un gouvernement représentatif et responsable veulent en finir avec une structure qui refuse de reconnaître la suprématie des représentants élus par le peuple ; ils rejettent la domination d’administrateurs nommés.
Dans le Haut-Canada, le leader du mouvement réformiste, William Lyon Mackenzie, dénonçait la clique qui s’était faite l’ennemie des écoles publiques, des droits civiques et religieux, et de toute mesure législative ou autre qui aurait pu faire obstacle à ses volontés. Parmi les revendications mises de l’avant, la principale concernait une administration et un gouvernement responsables devant la population de la province. Londres va s’empresser de les rejeter toutes.
Dans le Bas-Canada, en 1834, l’Assemblée législative adopte 92 résolutions qui constituent une plateforme politique de l’opposition démocratique et font pendant aux rapports du Comité des griefs du Haut-Canada. Les autorités impériales les rejettent toutes, comme elles l’avaient fait en 1836 pour les revendications du Haut-Canada5. L’Assemblée du Bas-Canada statue qu’en cas de refus, elle sera justifiée de ne plus se soumettre à l’autorité de Londres. Le lieutenant-gouverneur dissout alors l’Assemblée, déclenche des élections et obtient une majorité d’élus favorables au régime. Ce blocage antidémocratique explique en grande partie la Rébellion de 1836-1837.
Dans le Bas-Canada comme dans le Haut-Canada, les réformistes s’inspiraient de la doctrine de l’Indépendance américaine (1776) et de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de la Révolution française (1789). Certains courants parmi les Patriotes de 1837-1838 inscriront ainsi dans leur programme un appel à former une Assemblée constituante. Le 28 février 1838, à l’article 15 de sa déclaration d’indépendance du Bas-Canada, Robert Nelson écrit :
Que dans le plus court délai possible, le peuple choisisse des délégués, suivant la présente division du pays en comtés, villes et bourgs, lesquels formeront une convention ou corps législatif pour formuler une constitution suivant les besoins du pays, conforme aux dispositions de cette déclaration, sujette à être modifiée suivant la volonté du peuple6.
Exacerbé par les refus répétés des autorités britanniques, le mécontentement se développe dans l’ensemble du Canada. Les réformistes ont échoué dans leur tentative d’utiliser une structure politique entièrement vouée aux intérêts de l’Empire britannique. Ils vont dorénavant mettre en place un corps d’institutions autonomes, véritables organes embryonnaires d’un nouveau pouvoir populaire qui se dresse contre le pouvoir impérial.
Dès 1834, les 92 résolutions de l’Assemblée du Bas-Canada prévoient la création de comités de liaison avec les mouvements révolutionnaires des autres provinces. Dans leur déclaration du 31 juillet 1837, à Toronto, les révolutionnaires du Haut-Canada adressent un vibrant salut aux démocrates du BasCanada et appellent à faire cause commune avec la population du Bas-Canada. Leur perspective se fonde alors sur le triomphe de la Révolution et de l’Indépendance américaines, soit l’union d’États souverains. Il s’agissait d’une union venant d’en bas plutôt que d’en haut.
En mai 1837, dans le Bas-Canada, les Patriotes forment un comité central permanent qui coiffe l’ensemble des comités d’appareils judiciaire, militaire et administratif. On nie au Parlement anglais le droit de légiférer dans les affaires intérieures du Bas-Canada. Dans le Haut-Canada, le mouvement se structure en sociétés de quartiers, comités de comtés et comité exécutif général. En mai 1837, les assemblées se multiplient contre la politique impériale. Le 31 juillet 1837, le Haut-Canada propose une convention du peuple qui serait dotée des pouvoirs nécessaires pour trouver un remède efficace aux griefs des habitants des colonies.
5 « Dès le début de 1937, la commission Gosford, dans son rapport, rejeta les principes du conseil législatif électif et du gouvernement responsable, considérant que ce dernier était l’équivalent d’une " véritable indépendance " », StanleyBréhaut RYERSON, Capitalisme et confédération, Montréal, Parti pris, 1978, p. 49.
6 « Déclaration d’indépendance de la République du Bas-Canada », Caldwell’s Manor (NOYAN), 28 février 1838, publié dans Histoire du Canada par les textes, tome 1, textes réunis par Michel Brunet, Ottawa, Fides, 1963, p. 159-160.
Les organes de pouvoir autonome formés proclament l’indépendance politique du Haut-Canada et du Bas-Canada. Voilà le niveau qu’avait atteint la lutte contre les autorités britanniques au début de 1837. Ces autorités vont prendre l’initiative de l’affrontement en interdisant, à la mi-juin 1837, toute assemblée populaire dans le Bas-Canada. Les assemblées se tiennent malgré tout. Les troupes impériales fortement supérieures en nombre et en équipement attaquent les Patriotes, qui ne pourront offrir qu’une faible résistance. La volonté des autorités est claire : briser militairement le mouvement démocratique et en finir avec les remises en question politiques. Mal préparés militairement et stratégiquement, les mouvements démocratiques seront défaits dans le Haut-Canada comme dans le Bas-Canada. Les dirigeants seront pendus et nombre de combattants seront exilés. La défaite débouchera sur un renforcement du pouvoir des élites coloniales.
Pourtant, la défaite n’empêche pas les Patriotes d’entreprendre d’autres offensives en février 1838, puis à l’été 1838. Ils échouent chaque fois. En février, lors de l’expédition armée, le dirigeant Robert Nelson formule une dernière déclaration. Il résume ainsi l’ensemble des objectifs sociaux et politiques des Patriotes :
· Que de ce jour et à l’avenir, le peuple du Bas-Canada est libre de toute allégeance à la Grande-Bretagne, et que le lien politique entre ce pouvoir et le Bas-Canada est maintenant rompu.
· Qu’une forme républicaine de gouvernement est celle qui convient le mieux au Bas-Canada, qui est ce jour déclaré être une république.
· Que sous le gouvernement libre du Bas-Canada, tous les individus jouiront des mêmes droits : les sauvages ne seront plus soumis à aucune « disqualification » civile, mais jouiront des mêmes droits que tous les autres citoyens du Bas-Canada.
· Que toute union entre l’Église et l’État est par la présente déclarée être dissoute, et toute personne aura le droit d’exercer librement telle religion ou croyance qui lui sera dictée par sa conscience.
· La tenure féodale ou seigneuriale des terres est par la présente abolie, aussi complètement que si telle tenure n’eût jamais existée au Canada.
· Que la condamnation à mort ne sera plus prononcée ni exécutée, excepté dans les cas de meurtre.
· Que la liberté et l’indépendance de la presse existeront dans toutes les matières et affaires publiques.
· Que le procès par jury est assuré au peuple du Bas-Canada, dans son sens le plus étendu et le plus libéral.
· Que, comme une éducation générale et publique est nécessaire et est due au peuple par le gouvernement, un acte y pourvoyant sera passé aussitôt que les circonstances le permettront.
· Que les langues française et anglaise seront en usage dans toutes les affaires publiques7.
Écrasé par la répression, ce grand dessein de convoquer le peuple à formuler une Constitution ne s’est jamais réalisé. Jamais dans son histoire, le peuple du Québec n’a eu l’occasion de se prononcer sur sa loi fondamentale, librement et sans manœuvres antidémocratiques de l’État britannique ou canadien !
7 Stanley-Bréhaut RYERSON, Capitalisme et confédération, Montréal, Parti pris, 1978, p. 105-106.
B. Les États généraux du Canada français, 1967-1969
Tenus en 1966, en 1967 et en 1969, les États généraux du Canada français avaient pour mandat de « faire le bilan de notre situation collective et de définir les grandes lignes de notre avenir socioéconomique, politique et constitutionnel8 ». Plus d’un millier de personnes venues de partout au Canada ont alors discuté en petits groupes, exprimé leurs avis et voté sur les questions posées sur l’avenir du Canada français. Séances d’études, commissions de recherche et d’enquête, assises préliminaires, tel fut le vaste dispositif mis en place pour consulter la population d’expression française.
Les États généraux s’adressaient à l’ensemble de ce que nous appelons aujourd’hui la francophonie canadienne. Un changement était toutefois en train de se produire dans la définition de la nation. Comme on parlait encore de « Canada français », des déléguéEs des minorités de langue française à l’extérieur du Québec ont été invités et ont pris part aux débats. Déjà, toutefois, les déléguéEs du Québec parlaient en terme de « nation québécoise » et « d’indépendance du Québec ».
Les États généraux ont mené à une large consultation dans l’ensemble du Québec. Dès 1966, une tournée des 10 principales villes est organisée. En septembre, les États généraux tiennent des élections dans les 108 circonscriptions québécoises. Les 24 et 25 novembre, des Assises préliminaires ont lieu avec une large représentation géographique et sociale. En 1967, de nouvelles élections se déroulent dans toutes les circonscriptions ; 8920 organismes et associations du Québec y participent. L’assemblée du 6 décembre 1967 rassemble ainsi 1819 personnes déléguées (1545 territoriaux et 244 d’associations). Les groupes de l’extérieur du Québec y envoient 425 personnes. En 1968, une nouvelle tournée se fait dans 43 villes et des élections supplémentaires ont lieu dans 18 circonscriptions.
De façon générale, les travailleuses et les travailleurs ainsi que les membres des professions libérales ont participé en grand nombre aux diverses consultations. Les gens d’affaires ont montré le plus d’opposition à la remise en question du fédéralisme et à la perspective de l’élection d’une Assemblée constituante ; ils ont donc été très peu nombreux à y participer. Les fédéralistes, quant à eux, ont pratiquement boycotté les États généraux. Ils ont cependant utilisé leur contrôle sur la presse pour discréditer cet immense effort de prise de parole et de souveraineté populaire.
Toute l’animation des États généraux visait à recevoir des études, à dépouiller puis à analyser 25 000 questionnaires comportant 8 questions fondamentales sur notre avenir national. Enfin, 19 Cahiers d’animation ont été tirés à un million et demi d’exemplaires, puis distribués partout à l’intérieur et à l’extérieur du territoire québécois. Les années de 1966 à 1969 furent une période intense de recherche et de consultation à l’échelle de tout un peuple.
Les Assises nationales, tenues du 6 au 9 mars 1969, devaient adopter des résolutions sur l’avenir du peuple québécois. La direction des États généraux ne favorisait guère la possibilité de se prononcer sur les différentes options constitutionnelles globales. Les déléguéEs ont néanmoins voté, de façon presque unanime, de confier à l’État du Québec l’exclusivité de certains pouvoirs dans les champs de compétence suivants : la recherche, la culture, la radio et la télévision ; le syndicalisme et les relations de travail ; la politique de main-d’œuvre ; le recrutement et l’admission des immigrantEs ; le peuplement ; les mouvements de population ; la sécurité sociale et la santé ; la législation financière et commerciale ; la planification et le développement économiques ; la politique agricole ; les relations avec les
8 Jacques-Yvan MORIN, « L’Avenir du Canada français », L’Action nationale, vol. LVIII, nos 9-10, mai-juin 1969, p. 15.
étrangers dans tous les domaines ; la fixation des frontières territoriales. Les Assises n’ont toutefois pas expressément voté en faveur de la séparation, de l’indépendance ou de la souveraineté du Québec.
Les discussions ont débouché sur une conclusion : il fallait élire une Assemblée constituante pour déterminer collectivement le Québec que le peuple québécois voulait construire. L’accès à la souveraineté devait donc reposer sur une démarche de souveraineté populaire. L’idée de faire participer le peuple à l’élaboration des institutions de demain était d’ailleurs à l’origine des États généraux.
Les États généraux visaient à rompre avec le fait que le peuple québécois n’avait jamais pu déterminer lui-même ses institutions. Pour soutenir la perspective de l’élection d’une Assemblée constituante, ils affirmaient qu’on ne peut confier à l’Assemblée nationale du Québec le soin de régler les problèmes constitutionnels, à plus forte raison celui d’adopter une Constitution. Pourquoi ? Parce que les députéEs sont éluEs en fonction de leurs positions sur une diversité de problèmes et détiennent toujours leur pouvoir d’une partie seulement de la population. De plus, leur mandat leur prescrit d’administrer dans le cadre constitutionnel existant et non de modifier celui-ci. Enfin, les députéEs sont liéEs par diverses obligations à leur formation politique. Cela aboutit inévitablement à l’opposition systématique d’un parti aux propositions soumises par les autres partis. Or l’indépendance exige un ralliement démocratique qui sort de cette logique traditionnelle d’affrontement.
Un référendum ne devrait pas être utilisé, écrivait-on dès ce moment-là, pour rédiger une nouvelle Constitution. Les États généraux considéraient en effet que ce moyen favorise l’expression de la volonté populaire uniquement sur les questions posées. Il ne permet aucune participation citoyenne à l’élaboration des institutions, ce dont le Québec a justement besoin. Par conséquent, le référendum devrait se tenir pour soumettre à l’approbation du peuple les travaux d’une Assemblée constituante.
Les États généraux ont tracé les grandes lignes d’un projet de constitution : la Charte de la société nouvelle. Ils ont aussi proposé une Charte des droits des citoyens et une démocratie de participation. Ils affirmaient que le pouvoir constituant appartient au peuple québécois, qui l’exerce directement ou par la voix de ses représentants. On proposait au Québec d’opter pour un régime présidentiel où le chef de l’État serait élu au suffrage universel à la majorité des voix. Les membres de l’Assemblée nationale devaient être élus au suffrage universel suivant le principe de la représentation proportionnelle. L’esquisse de la Constitution proposée envisageait la formation d’un conseil économique et social de nature consultative.
En mars 1969, les Assises nationales des États généraux ont conclu leurs travaux en demandant au gouvernement de l’Union nationale, dirigé par Jean-Jacques Bertrand, de convoquer une Assemblée constituante. Tous les travaux débouchaient sur cette position, car la nouvelle Constitution devait être la manifestation de la volonté populaire des Québécois et Québécoises.
Si une telle Assemblée constituante n’était pas convoquée, on envisageait de convoquer une autre session des États généraux. Le gouvernement Bertrand n’a pas donné suite à la proposition. En 1970, Robert Bourassa prend le pouvoir avec le Parti libéral du Québec. Sa principale préoccupation sera alors d’obtenir certaines réformes à l’intérieur du cadre fédéraliste. L’État canadien avait toutefois d’autres buts et le recours à la répression n’était pas étranger à son intention d’en finir avec le mouvement indépendantiste. La Crise d’octobre allait bientôt lui en donner le prétexte.
Les leçons des États généraux du Canada français
Pour l’Union des forces progressistes, les États généraux sont un exemple inspirant d’une vaste démarche démocratique pouvant mener à l’indépendance. Nous appuyons d’ailleurs notre proposition d’Assemblée constituante sur les travaux menés. Nous pensons, comme les personnes participantes d’alors, que la Constitution doit émaner du peuple et non de l’Assemblée nationale. La rédaction d’un projet de Constitution doit être confiée à une Assemblée constituante composée de personnes élues parmi la population. Quant au référendum, il doit servir à ratifier ou à rejeter le projet de Constitution. Il est le point culminant de l’expérience de démocratie participative et non le point de départ.
Malgré la légitimité que lui conférait le large processus consultatif des États généraux dont elle était issue, l’idée de l’Assemblée constituante est restée lettre morte. Aucun parti politique n’a soutenu cette démarche d’affirmation populaire. Pour l’UFP, cela signifie qu’il faut repenser les moyens de réaliser le pays du Québec, par exemple envisager un front commun de partis indépendantistes qui s’engagent à mobiliser la société civile à cette fin.
Enfin, l’UFP constate que, lors des États généraux, l’appellation canadienne-française basée sur un critère ethnolinguistique a cédé la place à une nouvelle définition qui l’élargit, sans l’abolir. Les gens du Québec se diront désormais Québécois et Québécoises. À notre avis, pour faire l’indépendance, il faudra miser sur cette conception moderne de la nation : soit la communauté humaine vivant au Québec, ayant le français comme langue officielle de communication dans les institutions et au travail, partageant un ensemble de lois et de conventions sociales, et riche de sa diversité culturelle. Bref, pour l’UFP, le pays du Québec répond à une démarche non seulement identitaire mais aussi démocratique et inclusive.
C. Le référendum de 1980
Durant les années 1960, le mouvement indépendantiste s’identifiait comme un mouvement de libération nationale. Il voulait en finir avec la domination du Canada anglais et de ses institutions pour proclamer la République libre du Québec. Son projet s’inscrivait dans une logique de rupture avec les institutions monarchiques, le système parlementaire britannique et les alliances militaires impérialistes (OTAN et NORAD). Il voulait établir une politique neutraliste, rejeter le bilinguisme et instaurer l’unilinguisme français officiel. La domination du capital britannique et américain était remise en question par le secteur le plus militant du mouvement indépendantiste. Bref, la République du Québec devait apporter de grands changements en Amérique du Nord.
Avec l’arrivée du Parti québécois, un virage s’amorce. Le PQ s’étant formé à partir d’une rupture avec le Parti libéral du Québec, il dispose d’emblée d’un personnel politique connu et crédible. Dans un premier temps, il reprend bon nombre des revendications du mouvement social. Il déplace toutefois le centre de gravité de la résistance nationale : il ne parle plus d’indépendance, mais bien de souveraineté-association. Il ne s’agit plus de rompre avec le Canada, mais plutôt de réaliser une nouvelle entente.
Dans le mouvement syndical, la discussion sur la création d’un parti des travailleurs et des travailleuses tourne court. Le 26 octobre 1976, la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) donne officiellement son appui au Parti Québécois, conformément aux résolutions adoptées en 1975 par la centrale. En 1977, Norbert Rodrigue, alors président de la Centrale des syndicats nationaux (CSN), affirme que « l’action politique, c’est l’action revendicative sur tous les plans qui développe une ligne alternative embrayée sur les changements fondamentaux9 ». Avec cette orientation se confirme pleinement le recul des initiatives visant à déboucher sur la formation d’un parti des travailleurs et des travailleuses. L’union sacrée des indépendantistes autour du PQ naissant se fait, malgré le changement du paradigme de la résistance nationale. Le parti accapare ce mouvement de résistance. Le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) se dissout peu après la fondation du PQ. La gauche formule sa propre théorie des étapes : l’indépendance d’abord, le socialisme ne deviendra un objectif possible qu’une fois l’indépendance réalisée.
L’idée d’association évolue également. En 1970, elle n’est pas une condition sine qua non de l’indépendance. En 1978, on considère que la souveraineté et l’association devront se réaliser ensemble, sans rupture10. En 1979, dans son texte préparatoire au référendum, La Nouvelle Entente Québec-Canada, le PQ déclare que la souveraineté et l’association sont indissociables.
Respectabilité et crédibilité deviennent les maîtres mots. Et cela fonctionne, car le PQ se construit rapidement. De 1968 à 1976, le nombre de membres passe de 15 000 à 155 000. En 1980, il atteint 235 000. Aux élections de 1970, le parti récolte 24 % des suffrages exprimés et se classe au deuxième rang des partis. En 1973, il obtient 31 % des suffrages.
La progression ne semble toutefois pas assez rapide pour certains. Les premiers programmes du Parti québécois ne font pas état d’un référendum pour accéder à la souveraineté. L’élection du PQ permettrait au gouvernement du Québec d’enclencher le processus d’accession à la souveraineté et de négocier le partage des pouvoirs avec Ottawa. Il y est même écrit : « Si toute entente s’avérait impossible, le Québec devrait procéder unilatéralement11. » En 1974, les dirigeants péquistes font adopter la stratégie référendaire : l’option de la souveraineté-association doit être approuvée par référendum. En 1978, la stratégie étapiste est précisée : le référendum ne se fera plus sur cette option, mais bien sur le mandat de négocier.
La mainmise du PQ sur le mouvement de résistance nationale
En accaparant ainsi le mouvement de résistance nationale, le PQ a entraîné le passage d’une logique de rupture à une logique d’association et d’entente avec le gouvernement canadien. Les représentants fédéraux sont désormais présentés comme des démocrates et des amis. Le parti adopte aussi une attitude positive envers les alliances militaires (OTAN et NORAD), le Commonwealth et le parlementarisme britannique.
Dans cette logique, le PQ a secrètement concocté la question référendaire de 1980 et il a débouché sur la volonté de négocier avec l’État fédéral. Le référendum se fit dans la perspective d’une nouvelle entente avec « nos amis du reste du Canada ». Le Québec en est arrivé là parce que le PQ a monopolisé puis freiné le mouvement de résistance à l’oppression nationale.
Une campagne publicitaire contre une campagne de peur
Toute la campagne du camp du Oui visait à rassurer la population : le PQ ne demandait qu’un mandat de négocier ; il y aurait un deuxième référendum sur le fruit des revendications. À la limite, on laissait
9 Denis ROCH et Denis SERGE, Les syndicats face au pouvoir, Ottawa, Éditions du Vermillon, 1992, p. 62.
10 Déclaration de René Lévesque à l’Assemblée nationale, 10 octobre 1978.
11 La solution, le programme du Parti québécois, présenté par René Lévesque, Montréal, Éditions du jour, 1970, p. 100.
entendre que rien ne changerait dans la vie des Québécoises et des Québécois à la suite d’un Oui. Malgré ce discours, beaucoup de gens voyaient dans le référendum le moyen d’exprimer leur volonté d’indépendance pour en finir avec la domination et l’arrogance du gouvernement fédéral.
L’importance de la mobilisation pour le Oui l’illustre sans conteste. Environ 8 000 regroupements locaux ont été mis sur pied partout au Québec, soit en moyenne 75 par comté. À mesure que la campagne progressait, des regroupements régionaux et nationaux basés sur l’occupation se sont constitués : dans les usines, les chantiers maritimes, la construction, la fonction publique, etc. Ils furent toutefois laissés à eux-mêmes. Les grandes assemblées et manifestations ont été peu nombreuses. Le gouvernement péquiste préféra faire une opération publicitaire en mettant l’accent sur le mandat de négocier et sur l’égalité des deux nations. La souveraineté ne fut pas placée au centre de cette opération, et encore moins l’indépendance.
Pendant ce temps, le camp du Non essayait de faire appel aux couches les plus isolées de la population : personnes âgées, pauvres et au foyer. Des hommes d’affaires firent des déclarations publiques sur les difficultés économiques majeures que connaîtrait un Québec souverain. Et les fédéralistes terminèrent leur campagne par la promesse de faire d’un vote pour le Non un Oui pour une réforme constitutionnelle. Tout le monde, y compris de nombreux fédéralistes, interpréta cela comme la possibilité d’une dévolution de pouvoirs au Québec. L’État fédéral se préparait toutefois à faire exactement le contraire.
Les leçons du référendum de 1980
Pour l’Union des forces progressistes, le premier référendum sur la souveraineté recèle quelques erreurs dont il faudra tenir compte pour toute démarche future. D’abord, la direction du PQ a neutralisé l’élan des 8 000 regroupements pour le Oui mis sur pied dans tous les milieux. Elle ne les a pas orientés vers l’action et ne leur a donné aucun pouvoir véritable. Les éminences grises du PQ fixaient les mots d’ordre que les regroupements n’avaient plus qu’à répéter.
À notre avis, le PQ n’a également pas su profiter des acquis des États généraux qui préconisaient la convocation d’une Assemblée constituante pour donner la parole au peuple. Au lieu de s’appuyer sur la base, il a fait reposer sa campagne référendaire sur la performance des leaders. Au lieu de miser sur une démarche de souveraineté populaire, il a fait appel au marketing politique.
Dans sa campagne, le gouvernement péquiste essaya surtout de rassurer les gens face à la crainte du changement. Il évita de parler d’indépendance et insista sur la perspective d’association. Pour contrer les manœuvres fédéralistes visant à semer la peur, l’UFP considère qu’une meilleure stratégie consiste à faire appel aux espoirs de la population. Ceci permettrait de donner au projet d’indépendance un contenu social bâti à même les besoins et les rêves des Québécoises et des Québécois.
Enfin, la mainmise du PQ sur le mouvement indépendantiste a permis à une classe politique de devenir gestionnaire de l’appareil d’État provincial. La population du Québec a toutefois vécu le premier référendum comme une défaite cuisante. Pour l’UFP, le processus de l’Assemblée constituante pourrait faire en sorte que les retombées d’une victoire ou d’une défaite soient partagées entre toutes les couches de la société.
D. Le référendum de 1995
Avec la reprise en main par Jacques Parizeau en 1989 et la liquidation de la perspective d’affirmation nationale qu’avait défendue Pierre-Marc Johnson en 1985, le PQ s’est reconstruit. Il a pu, encore une fois, unir les souverainistes à l’intérieur du Parti avec le mot d’ordre de Parizeau : défendre la souveraineté avant, pendant et après les élections.
En 1994, le PQ reprend le pouvoir. L’année suivante, il organise un référendum sur la souverainetépartenariat. Le gouvernement Parizeau n’envisage pas de convoquer une Assemblée constituante. Il adopte un projet de loi qui définit déjà clairement les grandes lignes de la souveraineté recherchée. La direction péquiste est engagée jusqu’au cou dans le néolibéralisme et veut désarmer la méfiance du gouvernement de Washington. Elle propose donc une souveraineté limitée.
Son projet prévoit l’association avec le Canada, la monnaie commune, la double citoyenneté, le soutien à l’ALENA et aux alliances militaires (OTAN et NORAD). Le Québec deviendrait souverain, mais les Québécoises et les Québécois pourraient demeurer citoyens canadiens. Le Québec deviendrait souverain, mais il pourrait continuer à profiter de la monnaie canadienne. Le Québec deviendrait souverain, mais il continuerait à être partie à tous les traités et alliances signés par le gouvernement du Canada. Les fédéralistes auront beau jeu de tirer profit de ces contradictions évidentes.
En signe de bienveillance envers le gouvernement américain, Parizeau se présente comme l’avantgarde du libre-échange sur le continent. Son projet de souveraineté limitée propose une « rupture tranquille » qui pourrait respecter la domination américaine.
Contrairement au référendum de 1980, la direction péquiste prévoit une consultation limitée et bien contrôlée. La Commission sur l’avenir du Québec est un bien pâle reflet de ce qu’aurait pu être une véritable démarche d’Assemblée constituante. Les gens du Québec auront le droit de se prononcer sur la souveraineté, mais non celui de décider collectivement de la réalité du Québec dans lequel ils veulent vivre.
Cette simple consultation a néanmoins démontré la force des aspirations démocratiques du peuple. La Commission sur l’avenir du Québec a tenu près de 300 audiences, reçu plus de 3 000 mémoires et réuni près de 40 000 personnes. La Commission des jeunes a tenu 20 forums dans 25 villes auxquels ont participé 5 000 jeunes. Nombre de personnes et d’organisations qui ont pris la parole devant les deux Commissions tenaient à lier les revendications sociales et les revendications nationales.
La démarche limitée de consultation a malgré tout insufflé un élan au camp du OUI qui l’a conduit à l’orée d’une victoire. Le PQ avait toutefois commencé dès mars 1995 à glisser vers une troisième voie pour se rapprocher de l’Action démocratique du Québec (ADQ).
Une campagne trop faible contre les forces du statu quo
Jacques Parizeau a adressé un discours à saveur social-démocrate aux classes populaires. Ce fut un facteur très important pour rallier un fort courant au camp du OUI. Les discours et la publicité associaient ce camp à la paix, à une société écologique et féministe. On cherchait à l’identifier avec les aspirations à une société égalitaire, une société qui n’est pas seulement centrée sur les possédants. Ce fut la base de la remontée du OUI bien plus que les discours modérés et rassurants de Lucien Bouchard. Les discours n’ont cependant pas été accompagnés de véritables mobilisations populaires ni d’engagements réels en termes de projet de société. Ils se sont bornés à une reprise médiatique des aspirations populaires.
Le camp du OUI a par ailleurs sous-estimé les forces d’opposition au projet de souveraineté du Québec. Contrairement à ses attentes, tous les secteurs importants de la bourgeoisie québécoise se sont rangés dans le camp du NON. Même les entreprises dont le développement avait profité du soutien actif de l’État québécois ont emboîté le pas.
Quant aux dirigeants canadiens, ils n’ont guère fait preuve d’un comportement démocratique. Ils n’ont reculé devant aucun moyen légal ou illégal pour empêcher la population du Québec de se prononcer librement. Avant le référendum, Jean Chrétien a même déclaré qu’il ne reconnaîtrait pas une victoire du OUI et il a d’ailleurs répété son refus après le référendum.
Le gouvernement américain n’a pas fait preuve de neutralité ; les dirigeants de tous les partis sont intervenus pour défendre l’unité canadienne. Bref, pour les chefs politiques canadiens et américains, la perspective d’une souveraineté même très limitée s’inscrivant dans un cadre libéral ou néolibéral était inacceptable.
En fin de compte, le OUI a raté la cible de peu : le NON l’a emporté avec 50,6 % des voix, soit à peine 54 000 votes de plus. À la lumière des manœuvres déloyales sinon illégales des fédéralistes, bon nombre de gens considèrent que le référendum de 1995 a été volé12.
Les leçons du référendum de 1995
Pour l’Union des forces progressistes, le deuxième référendum sur la souveraineté montre la nécessité d’une démarche d’éducation populaire comme celle possible durant les travaux d’une Assemblée constituante. Pour s’opposer au camp de l’argent qui veut préserver le statu quo, il faut la plus large mobilisation possible. Les responsables du référendum de 1995 avaient compris l’importance d’une consultation, mais ils en ont limité l’envergure.
De plus, la direction péquiste n’a pas lié étroitement les revendications sociales et l’aspiration nationale à la souveraineté. Elle a préféré inscrire le projet social dans une démarche néolibérale et atlantiste. À notre avis, cela a empêché la population d’associer l’indépendance à des changements tangibles qui auraient pu consolider sa volonté d’aller de l’avant.
La direction péquiste a également négligé le caractère multinational et multiculturel du Québec pour miser davantage sur les francophones de souche. Selon l’UFP, cette erreur stratégique a permis aux fédéralistes de se présenter comme uniques défenseurs des communautés issues de l’immigration. Cette négligence niait la présence de membres de ces communautés dans le camp du OUI, mais elle réduisait aussi la portée du concept de la nation québécoise. La déclaration désastreuse de Parizeau sur les votes ethniques, le soir de la défaite, a confirmé cette incompréhension. À notre avis, le camp du OUI n’avait pas reconnu la force de sa démarche, soit l’ouverture aux aspirations démocratiques de toute la population.
12 Robin PHILPOT, Le référendum volé, Montréal, Éditions Les Intouchables, 2005.
E. Conclusion
Qu’il s’agisse des revendications démocratiques des Patriotes d’autrefois ou des consultations des 40 dernières années, le Québec ne manque pas d’exemples pour inspirer une démarche d’Assemblée constituante. En fait, cette idée remonte aux Patriotes du Bas-Canada. Insatisfaits des refus répétés des Britanniques de reconnaître les lois adoptées par les élus du peuple, les Patriotes déclarent la fin de leur allégeance à la Grande-Bretagne. Leurs revendications étaient tellement visionnaires que certaines attendent encore de se réaliser. En voici un aperçu : abolition du régime seigneurial et de la peine de mort, sauf pour les meurtres ; séparation de l’Église et de l’État ; liberté et indépendance de la presse ; droit au procès par jury ; garantie d’une éducation générale et publique ; usage du français et de l’anglais dans les affaires publiques ; droits égaux de citoyenneté pour tous les individus, y compris les Autochtones. On connaît toutefois la suite des événements. Les Patriotes seront écrasés par les armes, puis pendus ou exilés. La République du Bas-Canada ne verra pas le jour. Le peuple n’aura donc pas l’occasion de formuler la Constitution de son pays.
Les aspirations nationales du Québec n’étaient pas enterrées pour autant, elles referont surface 130 ans plus tard. Les États généraux sur l’avenir du Canada français organisés de 1967 à 1969 s’apparentent à la démarche d’une Assemblée constituante. Les personnes appelées à participer sont élues dans les 108 circonscriptions du Québec et les groupes de la société civile y envoient aussi des déléguéEs. Des milliers de personnes prennent part à cette vaste entreprise de réflexion collective. Elles mettront de l’avant des propositions comme l’octroi d’un pouvoir exclusif au Québec dans une dizaine de champs de compétence. Elles réclament la convocation d’une Assemblée constituante composée de personnes issues de la société civile et non de membres de l’Assemblée législative. L’Assemblée constituante aurait le mandat d’élaborer une Constitution qui serait soumise ensuite à l’approbation par référendum. Malheureusement, les recommandations des États généraux resteront des vœux pieux parce qu’aucun parti politique ne les a soutenues.
Les référendums de 1980 et de 1995 ont été deux autres moments où se sont exprimées les aspirations nationales. Chaque fois, la campagne préalable offrait une occasion de mobilisation large. Malheureusement, la direction péquiste du camp du OUI a compté davantage sur la popularité des leaders et sur une approche de type marketing. Il faut souligner qu’en 1995, les stratèges ont nettement sous-estimé la détermination des fédéralistes à stopper la vague souverainiste par tous les moyens. Parmi les manœuvres plus ou moins légales du camp du NON, mentionnons : la naturalisation accélérée de milliers de personnes immigrantes ; l’allocation de sommes astronomiques à Option Canada, un club du Conseil pour l’unité nationale ; une demande d’intervention aux États-Unis ; les dépenses illégales de la Marche pour l’Unité organisée à Montréal trois jours avant le référendum. Voilà seulement quelques-uns des actes commis au nom de l’unité canadienne contre la volonté populaire du Québec, actes qui viennent de faire surface dans l’enquête de la Commission Gomery et l’ouvrage de Robin Philpot, Le référendum volé.
À la lumière des machinations des fédéralistes et des obstacles jetés sur le chemin de la souveraineté, notamment la Loi sur la clarté, une nouvelle stratégie s’impose. Pourquoi ne pas tirer des leçons des États généraux et des campagnes menées pour les deux référendums ? Chacune de ces expériences a montré la volonté des gens du Québec de s’exprimer sur leur destin. Chaque fois, la forte participation a confirmé la puissance des aspirations démocratiques. Chaque fois, le peuple a prouvé sa capacité de donner un contenu social et économique à l’avenir politique du pays.
Voilà pourquoi l’Union des forces progressistes propose la convocation d’une Assemblée constituante. Contrairement aux consultations des États généraux et des campagnes préréférendaires, l’Assemblée constituante sera pensée comme une démarche d’affirmation nationale et comme une rupture en soi avec le cadre fédéral. Le processus d’éducation populaire mené ne visera donc pas à convaincre la population de voter pour confier un mandat de négocier à un parti ou à un gouvernement. Il servira plutôt à faire surgir les visions collectives pour un Québec indépendant. Les besoins, les espoirs et les rêves exprimés s’incarneront dans un projet de Constitution, ce qui rendra visible le contenu social de la souveraineté.
L’Assemblée constituante fera sortir la démarche de souveraineté des mains d’un seul parti politique, le Parti québécois, pour devenir enfin un projet citoyen. Elle cessera d’être une affaire d’experts pour devenir enfin l’affaire de tout le monde. Comme elle s’appuie sur une conception inclusive de la nation, elle permettra de travailler avec les communautés issues de l’immigration qui ont été auparavant négligées. Selon l’UFP, une Assemblée constituante serait en effet sérieusement compromise sans la participation de ces communautés. Elle le serait tout autant sans une reconnaissance concrète de la réalité nationale des peuples autochtones. Pour nous, cela signifie entre autres de leur offrir la possibilité de prendre part, d’égal à égal, à la démarche démocratique pour tracer les contours d’un Québec indépendant.
IV. LES ATOUTS STRATÉGIQUES DE L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE
Avec le dixième anniversaire du référendum de 1995, la question de la souveraineté du Québec revient à l’avant-scène. Elle le fait toutefois dans un contexte politique particulier. Sur le plan des idées, le fédéralisme traverse une crise de légitimité dans la foulée des révélations de la Commission Gomery. Sur le plan des structures, l’État canadien poursuit la centralisation et l’ingérence dans les champs de compétence des provinces grâce aux milliards de surplus accumulés. Au Québec, même un gouvernement fédéraliste majoritaire n’arrive pas à se faire respecter d’Ottawa, ce qui révèle encore plus clairement les limites du cadre fédéral. Tous ces facteurs ravivent la flamme souverainiste et relancent le débat sur les étapes nécessaires pour réaliser la souveraineté.
Cette polarisation des forces fédéralistes et souverainistes peut sembler familière. Il y a cependant un élément nouveau cette fois : sur l’échiquier politique québécois, une gauche organisée propose un autre projet politique et une autre démarche pour faire du Québec un pays. Depuis sa fondation en juin 2002, l’Union des forces progressistes (UFP) s’est inscrite dans l’espace électoral et celui des luttes sociales. Elle formera sous peu un nouveau parti avec Option citoyenne. En associant l’objectif de l’indépendance à l’objectif d’un Québec d’égalité, de justice sociale et de solidarité, la nouvelle gauche change la donne.
La proposition de l’UFP d’organiser une Assemblée constituante est un moyen inédit de réaliser l’indépendance du Québec en s’appuyant sur une démarche de souveraineté populaire. Cette démarche renoue non seulement avec les revendications démocratiques des Patriotes de 1837-1838, mais aussi avec les expériences de souveraineté populaire des 40 dernières années. Outre cette force symbolique, le large processus de démocratie participative que nous mettons de l’avant offre de nombreux atouts stratégiques.
A. Mettre fin à la crise de légitimité démocratique
Depuis quelques décennies, on assiste à un déficit démocratique généralisé, c’est-à-dire la perte de confiance dans la démocratie représentative. Cette crise de légitimité se manifeste de nombreuses façons : la baisse de la participation aux élections ; la composition de la députation (sans parler du conseil des ministres) où les femmes sont encore faiblement représentées et les travailleuses et travailleurs sont à peu près exclus ; la corruption de la classe politique au pouvoir sans parler de son cynisme ; le contrôle des médias par des monopoles qui limitent le débat public.
Malgré le climat de désaffection, les groupes écologistes, féministes, syndicaux et populaires n’ont pas baissé les bras. Ils ont lutté pied à pied afin de stopper la privatisation des services publics et la concentration de la richesse. Ils ont exigé le respect de droits sociaux comme le droit à un revenu décent et à un logement adéquat à prix abordable. Ils ont réclamé des changements politiques, notamment l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel. Une telle vitalité des mouvements sociaux est un gage de succès pour l’Assemblée constituante.
La démarche de démocratie participative qui sera menée dans l’ensemble de la société convaincra la population qu’elle a le droit et le devoir de définir les formes d’institutions nécessaires pour avancer vers l’indépendance du Québec. Cette stratégie de construction collective du pays s’appuie sur une démocratie sociale, c’est-à-dire une citoyenneté agissante et une souveraineté populaire.
Procéder de cette manière signifie prendre plus de temps, le temps nécessaire pour faire une réflexion collective. C’est du même coup se donner la possibilité de réaliser un autre Québec où la démocratie se vit non seulement au niveau électoral, mais aussi au plan économique et social. Bref, d’en finir avec la domination croissante de l’économie sur les médias, les institutions et les décisions politiques.
B. Lier les enjeux nationaux et les enjeux sociaux
Depuis longtemps, certains nationalistes présentent le projet d’indépendance du Québec comme une fin en soi. Dans cette perspective, la souveraineté est vue comme l’aboutissement du destin d’une collectivité francophone qui est majoritaire sur le territoire québécois, mais menacée d’extinction dans le continent nord-américain anglophone. Sans nier l’importance ni la légitimité de cette dimension identitaire, la démarche de l’Assemblée constituante permet d’élargir la vision afin de rallier aussi des appuis sur une base sociale et politique plutôt que sur une base exclusivement ethnique.
Parce qu’elle s’appuie sur une large démarche de démocratie participative, l’Assemblée constituante donnera la possibilité à toute la population d’établir des liens entre la question nationale et les questions sociales. Proposer une telle démarche c’est en effet vouloir prendre le temps de répondre aux personnes qui se demandent comment la souveraineté permettra de régler les nombreux problèmes vécus ici et ailleurs. C’est vouloir prendre le temps de définir ensemble le contenu du projet de pays pour l’inscrire dans une perspective de bien commun.
La population sera ainsi appelée à participer activement à redéfinir ce que serait le bien commun et à débattre d’un projet de Constitution. Ce faisant, elle pourrait associer la souveraineté du Québec à divers objectifs sociaux, par exemple : l’égalité entre les hommes et les femmes ; une citoyenneté inclusive fondée sur le français comme langue commune ; le partage de la richesse ; le respect de l’environnement ; le contrôle collectif des ressources naturelles ; l’élargissement des libertés syndicales.
Le monopole électoral que le Parti québécois a exercé sur la question nationale a empêché ou ralenti l’émergence de telles revendications sociales, qui auraient pourtant enrichi le projet de pays. La prise de parole citoyenne que favorise une démarche d’Assemblée constituante ouvre la porte à la remise en question des choix des gouvernements antérieurs. La population pourrait ainsi mettre fin à la privatisation des services publics, entre autres les partenariats public-privé. Elle pourrait réaffirmer le rôle essentiel de l’État d’un Québec indépendant pour le contrôle collectif de domaines vitaux comme l’éducation, l’énergie, l’eau, le transport en commun. Les valeurs, les principes et les objectifs que la population formulerait alors donneraient un caractère concret et mobilisateur à la souveraineté nationale.
C. Sortir de la logique partisane étroite
Depuis sa fondation, le Parti québécois monopolise la question nationale. En accaparant ainsi le projet de souveraineté, le PQ a réduit la portée du message. Dans la logique partisane, en effet, les partis s’opposent les uns aux autres pour se tailler une part de l’électorat. Un comportement que le mode de scrutin majoritaire vient amplifier puisqu’il favorise le vote dit utile. Or, pour faire du Québec un pays, il faudra rallier le maximum des forces vives de la société.
Avec la démarche de démocratie participative d’une Assemblée constituante, le sort du pays cesse d’être associé aux résultats de la « bonne gouvernance » d’une province. L’expérience a en effet montré que l’appui à la souveraineté atteint des sommets quand le PQ se retrouve dans l’opposition. La raison en est fort simple. Une fois élu, il gère, comme les autres partis, dans les limites du carcan fédéral où Ottawa réduit d’une main les transferts tout en versant, de l’autre, des fonds dans les champs de compétence provinciale. En acceptant d’être le relais des politiques néolibérales du gouvernement fédéral, le PQ porte alors l’odieux des réductions de services, ce qui le rend impopulaire et lui fait perdre le pouvoir à plus ou moins brève échéance. Il perd du même coup la possibilité de réaliser la souveraineté et doit préparer sa réélection. Or, pour recueillir un nombre suffisant de voix, le PQ est condamné à mettre l’objectif de la souveraineté à l’arrière-plan. La proposition de l’« élection référendaire » où un vote pour ce parti serait interprété comme un vote en faveur de l’indépendance est une tentative de résoudre le dilemme. Elle laisse toutefois entier le problème du monopole du PQ sur le projet de souveraineté et la réaction de rejet, prévisible, par les membres des autres partis.
L’Assemblée constituante offre donc un avantage stratégique important : sortir l’objectif de la souveraineté des mains du Parti québécois pour le confier à la population. En faisant de la question nationale l’affaire de tout le monde et non plus celle d’un seul parti politique ou d’une poignée d’experts, la démarche de démocratie participative proposée peut susciter un large appui, sans égard aux allégeances partisanes. Le projet de pays acquiert alors une légitimité inattaquable.
D. Donner une voix aux nations autochtones
Jusqu’à maintenant, Il n’y a pas eu d’alliance entre le mouvement souverainiste et les nations autochtones. Lors du référendum de 1995, les Cris ont même tenu un référendum autonome où 95 % de leurs membres ont demandé à rester sous la gouverne fédérale en cas de victoire des souverainistes. D’autres événements comme la crise d’Oka ou de Kanesatake révèlent périodiquement de profondes divisions dans la société québécoise sur les relations à entretenir avec les communautés autochtones. Voilà pourquoi toute démarche vers la souveraineté du Québec doit tenir compte des dix nations autochtones et de la nation inuite présentes sur le territoire.
La question de la place et du rôle des nations autochtones dans le processus pour réaliser la souveraineté du Québec est tellement complexe qu’elle mériterait une analyse en soi. Aux fins du présent document, nous esquissons quelques pistes de réflexion pour lancer le débat. Sans présumer de la décision des nations autochtones de participer ou non à la démarche d’Assemblée constituante, nous croyons nécessaire d’avancer la proposition.
Le succès du processus qui mènera au pays du Québec exige en effet de repenser les relations avec les nations autochtones. L’Assemblée constituante proposée est une occasion de leur donner enfin voix au chapitre. Elles pourront décider si elles veulent être parties prenantes du futur pays et quelles formes prendraient les nouvelles relations établies. L’invitation à participer à une démarche d’Assemblée constituante s’adressera donc non seulement au peuple québécois, mais aussi aux peuples autochtones. Cela implique de reconnaître les peuples autochtones comme des « constituants » de leur ordre de gouvernement. Il ne saurait être question de continuer à négocier uniquement avec les chefs des conseils de bande, car ces conseils émanent d’une loi coloniale, la Loi sur les indiens. S’il doit y avoir des négociations, elles devraient se faire d’Assemblée constituante à Assemblée constituante.
Les nations autochtones auront évidemment de la difficulté à oublier les longues poursuites juridiques engagées contre les gouvernements fédéral et provincial pour récupérer leurs droits ancestraux de chasse et de pêche sur certains territoires. Elles auront sans doute à l’esprit les promesses brisées du gouvernement fédéral de leur accorder une forme d’autonomie gouvernementale. Elles se rappelleront peut-être que les accords conclus avec les gouvernements québécois avaient moins comme objectif de reconnaître leurs droits que d’ouvrir le Nord à l’exploitation des ressources forestières, minières et hydroélectriques.
Les difficultés à prévoir sont nombreuses, mais il y a des signes encourageants. Les nations inuites ont en effet manifesté de l’intérêt pour une démarche démocratique lors de la consultation qui a servi à créer les territoires du Nunavut et du Nunavik. Elles ont d’ailleurs réussi à établir des institutions politiques qui, tout en restant soumises aux gouvernements blancs, sont capables d’intégrer toute la population, y compris les minorités blanches. Les citoyens et les citoyennes des deux territoires sont tous égaux en droit, même si les communautés inuites vivent encore des inégalités sociales considérables.
Un autre exercice démocratique a été organisé au Québec, en 2004, dans la réserve montagnaise de Mashteuiatsh située sur la Côte Nord. Avec l’aide de juristes, les Innus ont élaboré un projet de constitution et de gouvernements autochtones dotés de pouvoirs législatifs qui pourraient remplacer les conseils de bande. Les documents préliminaires parlent d’une Assemblée législative de 10 membres élus au suffrage universel et d’un chef de gouvernement élu. Il y aurait aussi d’autres instances comme le Conseil du peuple qui se réuniraient une fois par année. Le projet attend de recevoir l’approbation de la communauté de Mashteuiatsh.
Les nations autochtones du Québec pourraient donc accueillir favorablement l’idée d’une Assemblée constituante qu’elles mèneraient elles-mêmes et qui ne serait soumise ni à l’Assemblée nationale ni au Parlement canadien. Si elles décidaient d’y participer, elles soulèveraient sûrement des sujets difficiles, par exemple : la nature du nouvel ordre de gouvernement autochtone ; les rapports possibles avec le Canada sur des points déterminés ; la possibilité de réexaminer leurs revendications afin d’élargir les terres et les ressources accordées ; la reconnaissance, voire la réparation de la dette écologique et sociale ; la garantie de l’égalité des femmes autochtones ; le rôle des Autochtones vivant à l’extérieur des réserves ; le partage des responsabilités gouvernementales par rapport à la prestation des services. Toutes ces questions et bien d’autres comme la formation d’un Parlement autochtone, véritable chambre des Premiers peuples, pourraient être soumises aux débats.
Il est important que les nations autochtones entreprennent une démarche d’Assemblée constituante pour leur propre compte, de façon indépendante. Il est également nécessaire de les inviter à s’associer à la démarche d’Assemblée constituante qui servira à définir les nouvelles institutions politiques de la société québécoise. De cette manière, nous pourrons construire ensemble une société plurinationale et établir des rapports de respect mutuel dans un Québec souverain.
E. Sortir du piège fédéral
Le rapport de la Commission Gomery confirme que les adversaires de l’indépendance du Québec ne reculent devant rien. Les manœuvres illégales qu’ils ont employées pour étouffer les aspirations légitimes de la nation québécoise montrent la nécessité d’une nouvelle stratégie pour bâtir un pays. Quand des fédéralistes libéraux occupant des postes de premier plan disent qu’ils étaient « en guerre » durant la période référendaire de 1995, il faut les croire. Il faut surtout comprendre que les positions de l’État canadien n’auraient pas été plus conciliantes avec le Parti conservateur ou le Nouveau Parti démocratique. N’ont-ils pas appuyé la Loi sur la clarté ?
Le cadre établi par cette Loi constitue d’ailleurs un piège inextricable : c’est l’autorité fédérale qui déciderait de la clarté de la question et de celle du résultat. L’État canadien a donc tout intérêt à ce que le Québec s’engage sur la voie habituelle du référendum, car il conserve alors le pouvoir déterminant. Souligner le manque de légitimité d’un gouvernement fédéral qui n’a pas hésité à violer les lois pour empêcher le peuple du Québec de se prononcer librement sur son avenir politique ne servirait à rien. En fait, il faut refuser de s’engager dans une démarche piégée d’avance.
La stratégie politique pour réaliser l’indépendance du Québec doit donc s’affranchir des règles du jeu établies par l’adversaire fédéral. Parce que l’Assemblée constituante repose sur la plus vaste participation possible, elle est le meilleur outil pour y parvenir. Comme elle mise sur la mobilisation citoyenne et l’éducation populaire, elle permet de sortir de la logique d’affrontement entre deux États, l’un fédéral et l’autre, provincial. En donnant l’occasion au maximum de gens de formuler leurs rêves et leurs attentes pour un Québec souverain, elle raffermira leurs convictions. Après avoir dessiné ensemble les contours du pays dans une série d’initiatives de prise de parole, les Québécois et Québécoises de tous horizons auront défini les principes de leur vivre ensemble. Par la suite, le référendum tenu pour ratifier le projet de Constitution serait beaucoup plus susceptible de recueillir une forte majorité. L’État canadien et l’opinion publique internationale ne pourraient alors que s’incliner devant la légitimité du processus et du résultat.
F. Conclusion
À la lumière des révélations de la Commission Gomery, les stratégies politiques mises de l’avant pour réaliser l’indépendance du Québec doivent être repensées. Les actions illégales commises « au nom du fédéralisme » par d’éminents membres du Parti libéral du Canada prouvent qu’il faut revoir les moyens utilisés jusqu’à maintenant. Rien ne laisse présager en effet que l’État fédéral compte renoncer à la centralisation des pouvoirs ni à l’ingérence dans les champs de compétence des provinces, surtout qu’il continue d’accumuler les milliards de surplus.
La possibilité d’un échec cuisant des libéraux lors des élections fédérales et provinciales ouvre une perspective nouvelle. Le coup double d’une victoire du Bloc québécois suivie de celle du Parti québécois en fait déjà rêver bon nombre. Maintenant que l’objectif de la souveraineté paraît se rapprocher, le moment n’est-il pas venu de proposer une démarche profondément démocratique afin de dessiner les contours du pays ? Pour l’Union des forces progressistes (UFP), l’organisation d’une Assemblée constituante est ce moyen inédit qui peut asseoir la légitimité du projet d’un Québec d’égalité, de justice sociale et de solidarité.
L’Assemblée constituante s’inscrit dans la continuité des revendications des Patriotes, comme des expériences de souveraineté populaire vécues au Québec depuis 40 ans. Elle comporte également des avantages stratégiques indéniables. Par sa vaste démarche de démocratie participative, elle saura convaincre l’ensemble de la population de son droit absolu de déterminer son avenir. Elle créera des conditions favorables à une citoyenneté agissante qui servira d’antidote contre le cynisme envers les institutions politiques. En donnant la parole aux citoyens et citoyennes, l’Assemblée constituante leur permettra de lier l’enjeu de la souveraineté à des enjeux sociaux comme l’égalité entre les hommes et les femmes, le partage de la richesse, une citoyenneté inclusive fondée sur le français comme langue commune. La vaste entreprise de réflexion collective menée durant l’Assemblée constituante offre l’avantage supplémentaire de sortir le projet de la souveraineté des mains d’un seul parti politique. Ce projet deviendra enfin l’affaire de tout le monde, ce qui aura pour effet de rallier le maximum d’appui sans égard aux considérations partisanes étroites.
L’Assemblée constituante permettra aussi de donner la parole à la nation inuite et aux dix nations autochtones vivant sur le territoire québécois. Elles pourront décider si elles veulent être parties prenantes du futur pays et quelles formes prendraient les nouvelles relations établies avec la nation québécoise. Les nations autochtones seront aussi invitées à s’associer à la démarche d’Assemblée constituante qui servira à définir les nouvelles institutions politiques de la société québécoise. Il sera ainsi possible de construire, dans ce Québec souverain, une société plurinationale fondée sur des rapports de respect mutuel.
Grâce au processus d’Assemblée constituante, le piège de la Loi sur la clarté est contourné. Il n’est plus question de laisser l’État canadien déterminer la clarté de la question référendaire ni de son résultat. Le référendum viendra en effet couronner l’exercice collectif de démocratie participative où la population aura formulé ses propres rêves et attentes au cours de toute une série d’initiatives. Par cette démarche même, les Québécois et les Québécoises auront brisé le cadre provincial existant. Et leurs rêves sauront soutenir leur détermination devant les représailles prévisibles de l’État fédéral.
CONCLUSION
La volonté d’affirmation nationale du Québec ne date pas d’hier. En fait, la perspective d’une Assemblée constituante a ressurgi à plusieurs moments forts dans l’histoire. L’idée faisait partie des revendications démocratiques des Patriotes en 1837-1838. Elle a refait surface durant les années 1960 avec la montée du mouvement indépendantiste, entre autres lors de la convocation des États généraux du Canada français. Les campagnes référendaires de 1980 et de 1995 ont aussi révélé les puissantes aspirations démocratiques des Québécois et Québécoises.
Pour réaliser l’indépendance du Québec, l’Union des forces progressistes (UFP) propose de renouer avec ces expériences et d’élire une Assemblée constituante qui aura pour mandat de rédiger un projet de Constitution. Les membres de l’Assemblée seront des citoyennes et des citoyens élus par le peuple, dans toutes les régions du Québec. Les « constituants » seront issus de la société civile et non du gouvernement en place.
La légitimité de l’Assemblée constituante reposera également sur le respect de certaines règles de fonctionnement démocratique, par exemple : faire élire ses membres au suffrage universel, direct et proportionnel ; refléter la parité hommes/femmes et la diversité ethnoculturelle ; disposer des fonds et du temps nécessaires pour s’acquitter du mandat. Au terme de toute une série d’activités de prise de parole citoyenne, le projet de Constitution sera soumis à un référendum.
Devant l’impossible réforme du fédéralisme dont les échecs s’étalent sur plus de 40 ans, l’UFP pense qu’il faut organiser cette vaste démarche de démocratie participative pour tracer les contours du pays dont rêvent les gens du Québec. Pour ce faire, il convient de tirer les leçons des expériences passées de souveraineté populaire. Vu le piège tendu par la Loi sur la clarté et les actes répréhensibles révélés par la Commission Gomery, l’Assemblée constituante présente un intérêt stratégique indéniable.
Grâce à la mobilisation citoyenne et à l’éducation populaire qu’elle exige, l’Assemblée constituante pourra enrayer la crise de légitimité des institutions démocratiques en suscitant l’engagement. Par la prise de parole qu’elle favorise, elle ouvrira la porte à diverses revendications comme l’égalité entre hommes et femmes, le contrôle collectif des richesses naturelles et le respect de l’environnement. L’indépendance sera alors associée à d’autres enjeux qui donneront un contenu social, concret et motivant à la construction du pays.
L’Assemblée constituante offre un autre avantage appréciable, celui de sortir l’objectif de l’indépendance des mains du Parti québécois pour le confier plutôt à la population. En faisant de la question nationale l’affaire de tout le monde et non plus celle d’un seul parti politique ou d’une poignée d’experts, la démarche proposée saura rallier un large appui, sans égard aux allégeances partisanes. Le projet de pays aura ainsi une légitimité sans faille.
Pour l’UFP, il ne fait aucun doute que l’indépendance du Québec exige de repenser les relations avec les nations autochtones et inuite. L’Assemblée constituante permettra de les inviter à faire leur propre démarche de démocratie participative et à s’associer à celle menée pour l’ensemble de la société québécoise. Ces nations auront l’occasion de soulever elles-mêmes les questions qui les préoccupent ; elles pourront formuler leurs visions des relations qu’elles souhaitent entretenir avec la nation québécoise.
Enfin, la démarche de l’Assemblée constituante permet d’éviter le piège fédéral de la Loi sur la clarté. Au lieu de compter sur un marketing politique pour « vendre » l’indépendance, elle mise sur la mobilisation citoyenne. Il ne s’agit plus de faire approuver une question par l’État canadien, mais plutôt de donner la parole à l’ensemble des Québécoises et des Québécois. La démarche constituera, en soi, une rupture avec le cadre établi. Le projet de Constitution et le référendum de ratification viendront consacrer un état de fait : la prise en charge, par le peuple québécois, de son destin.
Grâce au processus d’affirmation nationale et de souveraineté populaire de l’Assemblée constituante, le peuple québécois la tâche exaltante de tracer les contours du pays qui peut répondre à ses rêves, à ses besoins et à ses attentes. Selon l’UFP, c’est le meilleur moyen de réaliser un Québec d’égalité, de justice sociale et de solidarité.