Le 19 octobre, 50 000 salariés d’Opel criaient leur colère et leur désarroi dans les rues de Bochum et de Rüsselsheim, en Allemagne. Dans les boîtes de General Motors Europe, des milliers de collègues étaient solidaires de leur lutte. Dans le pays, cette journée d’action a constitué le point culminant d’un mouvement de lutte d’une semaine, qui s’est terminé le 20 octobre. À Bochum, un arrêt de travail spontané a été suivi par la grande majorité des employés. Officiellement, il ne s’agissait pas d’un mouvement de grève - les uns parlaient de " grève sauvage ", les autres de satisfaction du " besoin d’information " des travailleuses et des travailleurs. La direction de General Motors avait brandi la menace de fermer la boîte à Bochum, de liquider 10 000 emplois pour cause de " productivité trop basse ". Et, comme l’a fait remarqué Theo Stegmann, dirigeant de la lutte à Krupp Rheinhausen en 1988, à force de démantèlement du système de sécurité sociale, à force de " réformes " conduites à coups de " Hartz ", perdre son emploi signifie aujourd’hui glisser rapidement dans la pauvreté. C’est pourquoi, lors des manifestations de celles et ceux d’Opel, il était possible de lire, sur de nombreuses banderoles, " À bas Hartz IV ". À l’époque, Theo Stegmann, en appelant à la solidarité avec les salariés de Krupp Rheinhausen, s’était écrié : " Aujourd’hui nous, demain vous ! " Cela s’est douloureusement confirmé. Les luttes contre les destructions d’emplois se sont toutes soldées par des défaites. Le rôle du syndicat des métallurgistes, l’IG Metall, aurait dû être l’organisation d’un large mouvement de toutes et de tous, des victimes actuelles comme des victimes de demain. Au lieu de cela, l’IG Metall a pacifié et canalisé les mouvements dans un esprit de partenariat social. Et le patronat ne respecte même plus ce cadre-là. Dans le cas d’Opel, c’est la direction de la firme qui avait fait appel à l’IG Metall pour s’occuper de l’affaire. Des dirigeants de l’IG Metall ont donc participé à l’arrêt du mouvement, aidés par la tendance majoritaire (sociale-démocrate et collaborationniste) dans les conseils d’entreprise (Betriebsrat).
À Bochum, mercredi 20 octobre, 6 404 travailleurs et travailleuses d’Opel se sont réunis en assemblée générale. Seuls le président du conseil d’entreprise, Hahn, le vice-président, Einenkel, et le secrétaire local de l’IG Metall avaient le droit de prendre la parole. Ils ont promis une négociation avec la direction d’entreprise qui " sauver[ait] le lieu de production Bochum ". La formule soumise au vote était manipulatrice : " Entamer des négociations et reprendre le travail. " Or, une forte majorité était favorable à des négociations, mais très probablement la simple proposition de " reprendre le travail " n’aurait certainement pas recueilli une large majorité après un débat un tant soit peu démocratique. Pourtant, dans un vote à bulletin secret, 4 647 participants ont accepté de reprendre le travail sans avoir rien obtenu de concret. Le fond de l’affaire, c’est le niveau de conscience de la majorité des travailleurs dans un contexte de chômage massif, d’offensive patronale brutale, de politique néolibérale et de crise de crédibilité persistante de l’alternative socialiste. Sans vision au-delà de l’économie de marché capitaliste, il est très difficile de s’opposer à l’" argument " de la concurrence et de développer une logique de solidarité, non seulement dans l’action, mais aussi dans les revendications et les solutions proposées. Les moyens de faire dériver la radicalisation des salariés sont nombreux : on a dirigé le feu contre les patrons étatsuniens de General Motors pour sous-entendre que les patrons allemands d’Opel étaient les victimes de ces " Yankees " arrogants et ignorants. Il est vrai que l’indignation est croissante face aux " managers " qui organisent la misère et gagnent tellement d’argent. Mais il y a un danger : si des managers acceptaient une baisse de leur revenu de 10 % (cela se discute), leur vie ne changerait bien entendu aucunement ; en revanche, cela serait un argument pour faire passer une baisse des revenus des salariés. Et pour ces derniers, une baisse de 10 % des salaires serait catastrophique. Oui, l’élan de lutte était important et pourrait encourager d’autres secteurs à se mettre en mouvement. Mais les négociations vont, comme chez Daimler, comme chez Volkswagen, pousser les salariés à accepter de travailler plus pour gagner moins, en échange de la conservation de leur site de travail, de la casse des emplois par d’autres biais que les licenciements. La " soif de vampire du capital " (Karl Marx) est redevenue très perceptible de nos temps.
Manuel Kellner,
collaborateur au Sozialistische Zeitung 2004-10-28 08:04:53
Rouge 28.10.2004