C’est un des maillons faibles de la chaîne des politiques d’austérité qui peut craquer.
La Grèce a été un des pays où les attaques capitalistes néo-libérales se sont appliquées avec le plus de brutalité : le revenu moyen disponible a chuté de 35% entre 2009 et 2013, le chômage dépasse les 28 % – et plus de 50% parmi les jeunes de 15 à 24 ans –, les services publics sont détruits, les salariés mais aussi des secteurs de la petite bourgeoisie ont été terriblement appauvris. Voilà les conséquences des « mémorendums » imposés par la troïka (FMI, BCE, UE) qui ont conduit à une véritable régression des conditions de vie de millions de Grecs. Le pays a été saigné, avec la complicité active des classes dominantes – et de leurs représentants politiques, de la Nouvelle Démocratie (ND) au PASOK – qui se sont appropriés non seulement la richesse produite par les masses laborieuses de Grèce (autochtones et immigré.e.s), mais aussi les milliards d’euros recyclés durant des années par l’UE sous forme « d’aide structurelle » aux propriétaires de cette Grèce. Dans tout ce déchaînement réactionnaire, la place géostratégique de la Grèce dans le dispositif de l’OTAN y est pour beaucoup.
• C’est le rejet, par la société grecque, de cette politique barbare qui a débouché sur la crise politique actuelle. C’est un des facteurs clés qui a empêché le gouvernement de Samaras de rallier une majorité de 180 membres au parlement pour élire un nouveau président de la République, ex-commissaire de l’UE (Stavros Dimas). Mais la spécificité de la crise grecque, c’est le rôle central qu’occupe Syriza, face à la droite, l’extrême droite et la social-démocratie représentée par le vice-président Evangélos Vénizélos. Alors que dans une série de pays d’Europe, c’est la droite ultra et l’extrême droite qui profitent de la crise, ce n’est pas le cas, en Grèce, avec Syriza et dans l’État espagnol avec Podemos, où ces forces polarisent à une échelle de masse la volonté de résister aux politiques d’austérité,
En fait, on ne peut comprendre la « dynamique » Syriza sans prendre en compte, la profondeur destructrice de la crise économique accompagnée de l’effondrement d’un des piliers du système politique grec traditionnel : le Pasok – mouvement socialiste grec –, la crise historique de la droite, le recul du KKE (PC) qui est passé de 13,1 % des voix en 1989 à 4,5% en juin 2012. Un KKE ultra-sectaire, qui officiellement, n’hésita pas à affirmer en juin 2014 : « ces dernières années, Syriza a fait un effort systématique pour sauver le capitalisme devant les yeux des travailleurs ». Cette mutation de l’échiquier politique est surtout la résultante de la résistance sociale aux attaques des classes dominantes et de l’Union européenne. Près de 30 journées de grève nationale sans compter les luttes partielles dans un grand nombre de secteurs ont scandé les rythmes de la situation sociale et politique du pays, ces dernières années et ces derniers mois. Les différentes composantes de Syriza, leurs membres dans les syndicats – en relation, souvent, avec des militants de la coalition Antarsya –, le mouvement étudiant, etc. sont les vecteurs de ces mobilisations. En outre, les initiatives contre les néonazis (Aube dorée qui s’est affirmée avec force) ainsi qu’en défense des droits des immigré.e.s et réfugié.e.s ont sans cesse été liées à la bataille contre les implacables mesures d’austérité et la répression.
La gauche radicale grecque est le produit de l’accumulation de toute cette expérience sociale et politique. Sa victoire est possible, mais rien n’est joué.
• D’abord, parce que la droite n’a pas dit son dernier mot. La droite grecque reste forte avec une base sociale et politique. Nouvelle Démocratie est une formation ultra-réactionnaire. Elle intègre en son sein des éléments semi-fascistes provenant de Laos, force d’extrême droite. Elle a des liens coupables avec les néonazis d’Aube dorée et des secteurs de l’appareil d’État militaire et policier. Même si ce n’est pas une menace immédiate, le spectre du coup d’État militaire continue à hanter les arrière-cours de la vie politique grecque. Il faut aussi compter avec une presse qui se déchaîne contre la gauche, les travailleurs, les immigrés. Enfin, n’oublions pas que cette droite peut bénéficier de l’appui total de l’essentiel du patronat grec, des bourgeoisies européennes et de la troïka. Son choix c’est la confrontation directe contre Syriza et la gauche grecque.
• Le danger pour les classes dominantes européennes est, aujourd’hui, surtout politique. Leur objectif : infliger une nouvelle défaite au peuple grec. La crise grecque peut avoir des conséquences économiques sur la situation de l’Europe dans la tourmente financière, monétaire et bancaire, mais le « risque » le plus important, c’est la contagion sociale et politique. La Grèce a une place stratégique dans tout le dispositif militaire de l’OTAN, et une crise ouverte en Grèce aura des conséquences sur le plan des rapports de forces internationaux. Une défaite des politiques d’austérité peut redonner confiance aux millions de travailleurs qui ont été durement éprouvés ces dernières années. Il est donc décisif pour les dirigeants européens de tout faire pour que l’expérience échoue. Cette détermination populaire conduit certaines fractions bourgeoises et des élites européennes à indiquer la possibilité de négociation avec un nouveau gouvernement grec. C’est dans ce cadre que les dirigeants de l’UE pourront utiliser ce qui reste de la gauche traditionnelle libérale ou sociale libérale : les restes du Pasok, le mouvement des socialistes de Papandréou, ou les restes de Dimar (gauche démocratique), en particulier si la direction de Syriza s’engage dans la formation d’un gouvernement de coalition qui recherche un accord avec les dirigeants de l’UE. Les puissants d’Europe combineront confrontations et manœuvres, affrontements et pressions pour imposer une politique, en continuité avec le gouvernement actuel, en espérant faire capituler la direction de Syriza et donc conduire à la catastrophe. Ce que certains appellent déjà « la parenthèse de Syriza » !
• Beaucoup de choses se jouent aujourd’hui au sein d’une Syriza à la croisée des chemins. Le « bureau présidentiel » et Alexis Tsipras – la direction de Syriza – multiplient les déclarations contradictoires : rejeter les « mémorendums » de la troïka, arrêter de payer les intérêts de la dette, et suppression d’une grande partie de cette dette, mais en même temps rechercher un accord avec les dirigeants de l’Union européenne qui, pour continuer leurs prêts, exigent l’application des politiques budgétaires, la baisse du niveau de vie du peuple grec et la destruction des services publics.
À cette étape, ce qui domine la campagne de Syriza, ce sont les engagements du programme de Thessalonique : ramener les salaires et les retraites à leur niveau d’avant la crise ; retour aux conventions collectives d’avant crise ; retour à un seuil minimum de revenu imposable à 12 000 euros ; suppression des taxes sur le fioul de chauffage. Ces mesures, si elles sont appliquées, auront une signification pour le peuple grec et au-delà en Europe : l’austérité peut être bloquée.
C’est pourquoi ce double discours va vite se heurter à la politique des classes dominantes, en Grèce et en Europe : soit on accepte les diktats de l’UE, et l’expérience sera défaite, soit on reste fidèle au cap de la lutte contre l’austérité, en appelant à la mobilisation, et il y a la possibilité d’un rebond social. Il sera difficile d’échapper à cette alternative. « Pas un seul pas en arrière », c’est le mot d’ordre des camarades de la « plateforme de gauche » de Syriza. Et c’est ce qui est ressenti fortement par les couches actives de l’électorat de Syriza et des masses de jeunes, de chômeurs, de militants syndicaux d’Adedy (secteur public) ou du GSEE (secteur privé).
Pour obtenir que le mot d’ordre « Pas un pas en arrière » se concrétise avec plus de force, il doit prendre appui sur une politique unitaire, de l’ensemble de la gauche grecque, de Syriza mais aussi du KKE et d’Antarsya. Au sein même du KKE, les doutes se multiplient sur l’orientation ultra-sectaire de la direction. Quant à Antarsya, elle est divisée sur l’opportunité d’une alliance avec un courant « national communiste » – le plan B d’Alavanos. La gauche grecque, Syriza et Antarsya ont une responsabilité particulière dans la construction d’un projet unitaire, qui dépasse ces organisations, mais peut rassembler des syndicalistes, des associatifs, des écologistes.
Ces choix politiques seront d’autant plus décisifs que la situation sociale est contradictoire. Le déclin des mobilisations sociales, depuis 2013, traduit une fatigue, le manque de résultats concrets, les préoccupations propres aux nécessités pour faire face à une précarité envahissante. Il en découle, dès lors, non pas un recul de la politisation, mais un transfert des espoirs de changements, de blocage de l’avalanche quotidienne de contre-réformes, vers un changement de gouvernement qu’incarne Syriza.
• L’enjeu est clair, décisif : il faut battre la droite et l’extrême droite grecque et tout faire pour que la gauche grecque, dont Syriza est la principale composante, gagne ces élections, afin de créer une dynamique sociale et politique pour un gouvernement de gauche, qui doit s’efforcer de réunir toutes les forces prêtes à rompre avec la politique d’austérité et lutter contre les pièges du nationalisme chauvin. Ce gouvernement doit être un gouvernement des gauches et non un gouvernement d’union nationale qui prépare la conciliation avec les classes dominantes et l’UE. Le rejet des mémorendums, des diktats budgétaires de l’UE, du non-remboursement de la plus grande partie de la dette, premières mesures d’un gouvernement anti-austérité, sont les questions où va se jouer la confrontation avec l’UE, mais elles ne pourront se consolider sans une politique qui dès le départ casse toutes les attaques antisociales imposées au peuple grec depuis quatre ans dans le domaine des salaires, de la santé, du droit au travail et au logement, qui commence à prendre des mesures anticapitalistes, d’incursion dans la propriété capitaliste, nationalisation des banques, et de certains secteurs clés de l’économie, réorganisation de l’économie pour satisfaire les besoins sociaux élémentaires. Pour imposer ces solutions, la mobilisation sociale, le contrôle des travailleurs sur leurs propres affaires, l’auto-organisation et l’autogestion sociale sont indispensables. Enfin la conquête du gouvernement, dans un cadre parlementaire, dans des circonstances exceptionnelles peut être un premier pas dans la voie d’une rupture anticapitaliste mais, là aussi, celle-ci ne peut se confirmer que si un gouvernement anti-austérité crée les conditions pour un nouveau pouvoir s’appuyant sur des assemblées populaires, dans les entreprises, les quartiers et les villes.
Une bataille décisive s’engage en Grèce, mais tous les peuples d’Europe sont concernés. Le peuple grec ne doit pas rester isolé. La lutte pour mettre fin à l’austérité peut commencer en Grèce mais elle ne pourra se développer qu’avec les mobilisations de grandes forces du mouvement ouvrier dans toute l’Europe. Il faut empêcher les gouvernements de l’Union européenne de continuer à imposer leurs diktats, refuser toute ingérence, tout chantage. C’est au peuple de décider de ses propres affaires. Il faut, avec les associations, le mouvement syndical et toutes les organisations, dresser, dans tous les pays européens, un mur de solidarité avec le peuple grec, contre les politiques de la droite et de la troïka. C’est aussi la tâche des révolutionnaires de renforcer leurs liens avec la gauche révolutionnaire grecque pour favoriser les convergences et les avancées unitaires. C’est notre responsabilité.
Secrétariat du Bureau exécutif de la IVe Internationale