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Deux appels de solidarité contre la répression politique en Russie

mercredi 28 novembre 2012, par Action autonome (Russie), Front de gauche (Russie), Mouvement socialiste de Russie

Depuis la manifestation du 6 mai 2012, où le nouveau mouvement de protestation a démontré toute sa puissance, une vague de répression sans précédent s’abat sur les forces de gauche de Russie. Sans aucune preuves, des dizaines de militants sont menacés, arrêtés et certains torturés dans le cadre de la préparation de nouveaux « procès de Moscou ». Les organisations de gauche appellent à la solidarité internationale.

APPEL À DES JOURNÉES INTERNATIONALES DE SOLIDARITÉ CONTRE LA RÉPRESSION POLITIQUE

Depuis la manifestation du 6 mai 2012, où le nouveau mouvement de protestation a démontré toute sa puissance, une vague de répression sans précédent s’abat sur les forces de gauche de Russie. Sans aucune preuves, des dizaines de militants sont menacés, arrêtés et certains torturés dans le cadre de la préparation de nouveaux « procès de Moscou ». Les organisations de gauche appellent à la solidarité internationale.

Aujourd’hui, nous, représentants des organisations de gauche de Russie, adressons un appel à la solidarité internationale à nos compagnons de lutte du monde entier. Cette demande et votre réponse sont très importantes à nos yeux. Il ne s’agit pas d’un énième cas de condamnation d’innocents par la « justice » punitive de la Fédération de Russie ou d’une nouvelle vie humaine brisée par l’État.

Aujourd’hui nous faisons face à une campagne de répression sans précédent dans l’histoire récente de la Russie, dont l’objectif est de saper la gauche russe en tant que force organisée. La stratégie du pouvoir allie arrestations, menaces, passages à tabac, usage agressif des médias ainsi que l’interdiction imminente de groupes politiques entiers. Cette stratégie est désormais beaucoup plus ferme et beaucoup moins prévisible que tout ce que nous avons vu auparavant.

Le mouvement de contestation de masse qui s’est lancé en décembre 2011 a radicalement bousculé la tradition de passivité politique et sociale qui prévalait pendant les années Poutine. Des dizaines de milliers de jeunes et de moins jeunes, des employés de bureau et des salariés de l’État, ont commencé à descendre dans les rues et à exiger des changements. Le 10 et le 24 décembre 2011, puis le 4 février 2012, Moscou, Petersburg et d’autres grandes villes sont devenus des lieux de rassemblements massifs, démontrant un nouveau niveau de politisation d’une importante partie de la société. Le modèle de « démocratie dirigée » conçu par l’élite dirigeant le pays depuis de nombreuses années a fait faillite en quelques jours. Les manipulations politiques ont cessé de fonctionner face à la politique réelle, née d’en bas. Le mouvement, dont les premières demandes étaient limitées à l’exigence « d’élections honnêtes » est rapidement devenu une protestation contre le système politique dans son ensemble.

Après l’élection présidentielle du 4 mars 2012 lor de laquelle Vladimir Poutine — utilisant une combinaison de pression administrative massive sur les électeurs, de falsification de votes et de rhétorique populiste mensongère — s’est assuré un nouveau mandat, nombreux étaient ceux qui pensaient que le potentiel des mobilisations était épuisé. Les espoirs naïfs de milliers d’opposants, observateurs volontaires du scrutin voulant ainsi empêcher la fraude électorale, ont été piétinés.

La manifestation suivante, dans le succès de laquelle peu croyaient, était prévue dans le centre de Moscou le 6 mai, à la veille de l’inauguration du troisième mandat présidentiel de Poutine. Malgré les prédictions des sceptiques, plus de 60.000 personnes y ont pris part. Lorsque la marche approchait de la place où le rassemblement devait avoir lieu, la police a organisé une provocation, bloquant l’accès. Tous ceux qui avaient tenté de contourner le cordon policier ont été frappés et arrêtés. La violence policière sans précédent a provoqué la résistance de certains manifestants, qui ont refusé de quitter la place avant la libération des emprisonnés. La confrontation du 6 mai a duré quelques heures. 650 personnes furent arrêtées, dont certaines ont passé la nuit en prison.

Le lendemain, le défilé inaugural motorisé de Poutine a parcouru une ville vide. La police avait nettoyé Moscou des manifestants et de tous les piétons. Le nouveau mouvement de protestation avait démontré sa puissance et un nouveau degré de radicalisation. Les événements du 6 mai ont impulsé le mouvement « Occupy » à Moscou. Celui-ci a occupé le centre-ville pendant tout le mois de mai et des milliers de jeunes gens y ont pris part. A ce moment, les organisations de gauche, qui se trouvaient plutôt en périphérie des intervenants libéraux reconnus jusqu’alors, ont commencé à jouer un rôle de plus en plus central dans le mouvement.

Les événements de mai ont donné un signal fort aux autorités : le mouvement a définitivement dépassé les limites de l’acceptable, les élections sont derrière nous et le moment est venu de montrer les dents. Presqu’instantanément l’affaire des « troubles massifs de l’ordre public » a été lancée et la première arrestation a eu lieu le 27 mai. Aleksandra Doukhanina, une anarchiste de 18 ans, a été accusée d’avoir participé aux désordres et d’avoir recouru à la force contre des policiers. Les jours suivants les arrestations se sont succédées. Cette fois les personnes arrêtées étaient aussi bien des militants politiques (principalement de gauche) que des citoyens ordinaires pour lesquels la manifestation du 6 mai était la première expérience politique de leur vie.

À l’heure actuelle, 19 personnes sont inculpées, 12 parmi elles sont en détention préventive. Voici les histoires de certaines d’entre elles :

 Vladimir Akimenkov, 25 ans, communiste, activiste du Front de gauche, a été arrêté le 10 juin et restera en prison jusqu’au 6 mars de l’année prochaine, quand la cour décidera de son sort. Vladimir a une mauvaise vue depuis sa naissance et cette situation a drastiquement empiré depuis qu’il est en prison. À l’heure actuelle, l’un de ses yeux ne voit plus qu’à 10 % et l’autre à 20 %. Cependant, pour la cour cela ne constitue pas une base suffisante pour changer sa peine de prison contre un engagement à ne pas quitter le territoire de la ville. Lors de leur dernière séance, les juges ont cyniquement estimé qu’une telle condescendance n’aurait été imaginable qu’en cas de cécité totale.
 Mikhail Kosenko, 36 ans, non membre d’un parti, a été arrêté le 8 juin. Souffrant de désordres psychiques, il a demandé à changer sa peine de prison contre une assignation à résidence. Cependant, l’enquête l’a reconnu comme « dangereux pour la société » et s’apprête à l’envoyer en traitement forcé.
 Stepan Zimin, 20 ans, anarchiste et antifasciste, a été arrêté le 8 juin et restera en prison jusqu’au 6 mars, après quoi sa détention peut être reconduite. Stepan subvient aux besoins de sa mère célibataire mais cela n’a pas constitué une raison suffisante pour le libérer sous ordre de ne pas quitter le territoire de la ville.
 Nikolaï Kavkazskii, 26 ans, socialiste, défenseur des droits de l’homme et activiste LGBT, a été arrêté le 25 juillet.

Les enquêteurs ne disposent d’aucune preuve crédible pour établir la culpabilité des accusés. Cependant ils restent en prison et le nombre de nouveaux suspects ne cesse de croître. Le dernier figurant dans les « événements du 6 mai » est le chercheur et activiste libéral Sergueï Krivov, 51 ans, arrêté le 18 octobre. Et il y a des raisons de penser qu’il ne sera pas le dernier…

L’arrestation de près d’une vingtaine de participants aux manifestations devait semer la peur dans le mouvement. L’enquête dirigée contre « les organisateurs des troubles massifs de l’ordre public », elle, vise à frapper un grand coup dans ses leaders reconnus. Selon les termes de l’enquête, ces « troubles » sont le résultat d’un « complot » et toutes les personnes arrêtées avaient reçu des tâches bien précises. Ainsi, ce n’est pas seulement d’arrestations en série dont il s’agit, mais bien de la préparation d’un procès politique de grande ampleur contre l’opposition.

Le 5 octobre, NTV — l’une des principales chaînes de télévision russe — a diffusé un film du genre « documentaire d’investigation » qui révélait des fantastiques charges contre l’opposition et, en particulier, contre le plus célèbre représentant de la gauche, Serguei Oudaltsov. Ce montage, dans la tradition de la propagande de Goebbels, informe des liens d’Oudaltsov avec les services de renseignement étrangers et les activités du Front de gauche qu’il dirige y sont présentées comme un complot organisé par les ennemis étrangers de l’État. En guise de preuve décisive le film mettait en scène dans un montage vulgaire les activistes de gauche Sergueï Oudaltsov, le militant du Front de gauche Léonid Razvojaev, Konstantin Lebedev, membre du Mouvement socialiste de Russie, et un des principaux conseillers du président de Géorgie, Givi Targamadze. En particulier ils parlent d’argent fourni par les Géorgiens pour « déstabiliser » la Russie.

Malgré le fait que les visages sur l’enregistrement vidéo soient pratiquement indiscernables et que le son a été à l’évidence édité séparément et rajouté à la vidéo, il a suffit de deux jours pour le Comité d’investigation du Procureur général (l’agence qui joue actuellement un rôle de premier plan dans la répression) pour entamer une procédure pénale. Le 17 octobre Konstantin Lebedev a été arrêté et Serguei Oudaltsov libéré après avoir été interrogé et après s’être engagé à ne pas quitter Moscou. Le 19 octobre, un troisième participant à cette nouvelle « affaire », le militant du Front de gauche Leonid Razvojaev, a tenté de demander le statut de réfugié politique à la délégation ukrainienne de l’ONU. Dès qu’il est sorti de l’immeuble de la délégation, des inconnus l’ont violemment jeté dans une voiture et l’ont illégalement transporté au-delà de la frontière ukrainienne, en territoire russe. Une fois détenu dans un lieu secret en Russie, il a été torturé et menacé (y compris des menaces concernant la sécurité de sa famille) et contraint de signer une « demande volontaire d’aveux » ainsi qu’une « déclaration des aveux ». Dans ces « déclarations », Razvojaev « avoue » avoir des liens avec l’espionnage étranger et préparer l’insurrection armée, avec la participation de Konstantin Lebedev et de Sergueï Oudaltsov. A l’issue de cela, il a été ramené à Moscou et emprisonné en tant que criminel. Depuis, Razvojaev, visité par des défenseurs de droits de l’Homme, a affirmé qu’il désavouait ce qu’il a été contraint de signer. Mais il ne peut en désavouer les conséquences : la « liste Razvojaev », qui lui a été extorquée par la torture, est devenue tristement célèbre. Elle contient des noms de personnes qui risquent d’être également persécutées d’ici peu.

La vague de répression ne cesse de s’étendre. Il y a peu le Comité d’investigation a annoncé une enquête concernant l’organisation de Sergueï Oudaltsov, le Front de gauche, après quoi il est fort probable qu’elle tombe sous le coup d’une interdiction pour « extrémisme ». La pression sur le mouvement antifasciste augmente elle aussi. Sous des accusations mensongères, les militants bien connus, Alekseï Soutouga, Alekseï Olesinov, Igor Khartchenko, Irina Lipskaïa et Alen Volikov ont été arrêtés sous des accusations inventées et se trouvent toujours en détention préventive à Moscou. À plusieurs reprises, le militant socialiste et antifasciste Filipp Dolbounov a été interrogé et menacé.

Le fait que cette vague de répression sans précédent touche les forces de gauche n’est pas un hasard. En préparant des mesures d’austérité, la remise en cause des droits des travailleurs et la réforme des retraites, qui seront bientôt mises en œuvre en Russie, le gouvernement Poutine-Medvedev craint plus que tout une alliance entre le mouvement démocratique actuel et les forces de la contestation sociale. Cette vague de répression est un test important pour le nouveau mouvement de protestation : soit nous pourrons y faire face, soit nous aurons à traverser une nouvelle période d’apathie et de peur. C’est pourquoi, face à cette pression policière sans précédent, nous avons tant besoin de la solidarité de nos compagnons de lutte d’Europe et du monde entier.

Nous vous demandons d’organiser des journées de solidarité contre la répression politique, entre le 29 novembre et le 2 décembre 2012, devant les ambassades et toutes sortes de représentations de la Fédération de Russie dans vos pays. Il s’agit d’exiger la libération immédiate des personnes arrêtées de façon illégale ainsi que l’arrêt des persécutions judiciaires honteuses et la préparation de nouveaux « procès de Moscou », basés sur la torture et l’usage de faux. Nous vous demandons également de mettre en avant lors de vos actions les noms et les faits concrets que nous vous fournissons dans cet appel. Cela est important pour tous ceux qui sont aujourd’hui derrière les barreaux.

Envoyez le compte-rendu de vos actions ainsi que toutes les informations et vos questions à l’adresse : .

La solidarité est notre seule arme !

Unis, nous ne serons jamais vaincus ! 


APPEL À LA LIBÉRATION DES PRISONNIERS POLITIQUES RUSSES

Nous, les soussignés, appelons à la libération des prisonniers politiques russes, aussi bien ceux qui ont déjà été condamnés, et envoyés au nouveau Goulag, comme les deux militantes féministes du groupe Pussy Riot, que ceux qui sont en prison dans l’attente d’un procès – quelque 20 militants, socialistes et anti-fascistes, en rapport avec les manifestations contre Poutine du 6 mai dernier.

Tiré de la section Blogues de Mediapart.

Nous soutenons l’appel des organisations de la gauche russe – le Mouvement socialiste russe, l’Action autonome, le Front de gauche – à l’organisation de Journées de solidarité contre la répression politique en Russie, entre le 29 novembre et le 2 décembre, devant l’Ambassade de Russie ou toute autre institution représentative du gouvernement russe dans chaque pays, en exigeant la libération immédiate tous ceux qui ont été illégalement arrêtés ou condamnés, et l’arrêt immédiat des procédures fondées sur la torture et des falsifications.

Signataires

Gilbert Achcar, politologue ; Athena Athanassiou, philosophe ; Jean Batou, historien ; Etienne Balibar, philosophe ; Olivier Besancenot, ancien candidat présidentiel ; Alex Callinicos, politologue ; Noam Chomsky, linguiste ; Samuel Farber, historien ; Nancy Holmstrom, philosophe ; Rada Ivekovic, philosophe ; Isabelle Garo, philosophe ; Joanne Landy, historienne ; Michael Löwy, sociologue ; Stéphanie Prezioso, historienne ; Catherine Samary, économiste ; Jeanne Singer, sociologue ; Enzo Traverso, historien ; Eleni Varikas, politologue.


Le Mouvement socialiste de Russie (RSD) a été formé en mars 2011 par la fusion du Mouvement socialiste Vperiod (section russe de la IVe Internationale) et de l’organisation Résistance socialiste. Le RSD publie le journal Le Socialiste.

L’Action Autonome (AD) est la fédération anarchiste de Russie, Biélorussie et Ukraine, fondée en janvier 2002. L’AD, publie le magazine L’Autonome et le journal Situation.

Le Front de gauche (LF) a commencé à se structurer à l’initiative des militants qui préparaient le premier Forum social de Russie en 2005, en tant que front de diverses organisations de la gauche anticapitaliste. A la suite de divergences apparues lors des mobilisations en 2005, le Front s’est réduit. A son premier congrès, en octobre 2008, y ont pris part l’Avant-garde de la jeunesse rouge (AKM, de loin la plus grande organisation, dirigée par Sergueï Oudaltsov), la Ligue de la jeunesse communiste russe, l’Association des organisations marxistes et le Comité islamique de la jeunesse communiste. Le Front de gauche et le RSD ont décidé que leurs représentants réciproques vont participer en tant qu’observateurs à leurs réunions de direction respectives.