Vendredi 25 février au soir, un attentat est perpétré à Tel Aviv, qui fait quatre morts et plusieurs dizaines de blessés du côté israélien. Il fait la une de tous les journaux et de toutes les chaînes de radios et de télévisions, puis fait rapidement l’objet de reportages très détaillés sur les jeunes Israéliens assassinés devant une discothèque branchée. " Coup de tonnerre dans un ciel serein ", annoncent les uns, " Fin de la trêve ", insistent les autres. Quel ciel serein ? Alors que la colonisation continue à un rythme sans précédent, que le mur avance comme un monstre vivant, que le bouclage et ses centaines de barrages n’ont pas été levés... Quelle trêve ? Alors que l’armée israélienne a poursuivi au cours des trois dernières semaines ses incursions dans les villes et les villages palestiniens, faisant au moins six morts, pour la plupart des " victimes collatérales " non ciblées... Mais ces morts-là font, apparemment, partie de la norme, pas de l’état de guerre, et ils ne comptent donc pas ; ils n’auront pas droit à des reportages sur leur vie paisible interrompue par des terroristes, qu’ils soient en civil ou en uniforme, kamikazes ou protégés par des blindés. Répétons-le une fois de plus : il n’y a pas de trêve dans les territoires occupés, car " trêve unilatérale " ne veut rien dire, même quand on s’obstine à lui donner un nom en arabe, comme si le mot " trêve " n’existait pas dans la langue hébraïque. Est-ce dire qu’au-delà du drame humain pour les familles et les proches des victimes, l’attentat de vendredi soir n’a pas de grande signification politique ? En aucun cas : il met la politique de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, dans une situation extrêmement délicate, et risque de le faire tomber de la corde raide sur laquelle il tente de manœuvrer. En effet, le successeur de Yasser Arafat s’est engagé à faire cesser les attaques armées contre Israël et, à plus forte raison, les attentats terroristes contre des cibles civiles. Ce choix, longtemps défendu par celui qui était à l’époque le numéro deux de l’OLP, répond à plusieurs considérations. D’abord, à la certitude que la lutte armée, même dans ses dimensions légitimes, n’est pas à l’avantage des Palestiniens et donne, au contraire, à Israël le prétexte de présenter sa sanglante campagne de pacification comme une guerre d’autodéfense contre le terrorisme ; ce faisant, Abou Mazen sait qu’il exprime un sentiment largement partagé par une population épuisée par près de cinq ans de répression et de destructions, et qui aspire à un minimum de normalisation. La décision de mettre fin à l’" Intifada armée " est aussi le résultat d’une exigence de plus en plus forte de la communauté internationale ainsi que des États arabes, qui conditionnent leur aide financière et diplomatique à " un arrêt du terrorisme ". Sous les auspices de l’administration étasunienne et du président égyptien Hosni Moubarak, Abou Mazen et Ariel Sharon sont arrivés le mois dernier à Charm-el-Cheikh, à un accord sur un arrêt des opérations armées en échange d’un assouplissement des mesures répressives dans les territoires palestiniens occupés. Certes, le gouvernement Sharon n’a pris, jusqu’à présent, que des mesures symboliques, libérant des prisonniers en fin de peine, retirant quelques barrages sur les centaines existant, et donnant quelques centaines de permis de travail aux dizaines de milliers de Palestiniens expulsés du marché israélien au cours des quatre dernières années. Surtout, la construction des colonies à travers toute la Cisjordanie (et le plateau du Golan qu’on a trop tendance à oublier) se poursuit sans interruption. Pourtant, même si la trêve est unilatérale, elle a permis une relégitimation de l’Autorité palestinienne et réduit, dans une certaine mesure, les marges de manœuvre d’Ariel Sharon et de son armée, permettant ainsi aux Palestiniens de reprendre l’initiative au niveau de la reconstruction de leurs infrastructures et de leurs perspectives à moyen terme. L’attentat de Tel Aviv risque de donner aux Israéliens le prétexte pour revenir à l’unilatéralisme ou, pire, de pousser Abou Mazen à prendre les mesures répressives qu’Ariel Sharon exige de lui depuis longtemps, mais qu’il s’était bien gardé de prendre, sachant qu’elles allaient nécessairement délégitimiser son pouvoir et déstabiliser la société palestinienne en quête de normalisation.
De Jérusalem, Michel Warschawski
(tiré du site de Rouge)