Le Forum social européen (FSE) de Florence a été un succès considérable et a marqué une nouvelle étape dans la construction d’un vaste mouvement contre la mondialisation capitaliste. Mais il a aussi suscité et suscite de nombreux débats et polémiques sur lesquels nous voulons revenir ici.
Laurence Caramel, journaliste au Monde, est la première à avoir déclenché les hostilités dans un article intitulé îForum de Florence : offensive de la gauche radicaleî. La journaliste accuse la gauche radicale de vouloir faire une OPA sur le mouvement et d’oublier que le forum est un espace de rencontre ouvert. Elle met en cause les organisateurs pour avoir voulu îmarginaliser les organisations non gouvernementales au profit des syndicats et des mouvements sociaux, rompant ainsi l’équilibre délicat que les précédents forums de Porto Alegre avaient su trouver entre les divers acteurs de la société civileî. Et, comble de la trahison de l’esprit de Porto Alegre, les organisateurs îont, en invitant pour la première fois les partis politiques à s’exprimer du haut des tribunes officielles, paradoxalement donné le signal d’un repli sur soi du mouvement sur sa base la plus radicale, plut™t que de son ouvertureî.
Critiques injustifiées
Jean-François Troglic, qui conduisait la délégation de la CFDT et qui a participé, comme représentant de la Confédération européenne des syndicats (CES), à l’une des dix-huit conférences du matin, lui embo"te le pas dans une interview publiée dans Syndicalisme Hebdo : Nous sommes déçus à la fois sur la forme et le fond. Alors que le professionnalisme des Brésiliens à Porto Alegre avait fait merveille, l’improvisation et, dans une certaine mesure, les choix très orientés des organisateurs, ont enlevé au forum sa capacité d’échanges et de dialogues. La première contre-vérité porte sur l’absence des ONG. Que certaines d’entre elles, qui ne conçoivent leurs activités que dans le cadre des institutions existantes, aient été logiquement absentes, ne doit pas faire oublier que celles qui sont réellement investies dans les forums sociaux n’ont pris aucune distance par rapport à l’organisation et au déroulement du FSE et ont participé au noyau central de coordination. C’est le cas d’Arci, par exemple, qui anime des Maisons du peuple dans toute l’Italie et qui compte plus d’un million d’adhérents. Quant à la tentative de vouloir opposer Porto Alegre la sage à Florence la vindicative, elle relève de la manipulation. Les détracteurs du FSE ont dé oublier l’article 1 de la charte des principes du Forum social mondial de Porto Alegre qui affirme qu’il est un îespace ouvert de rencontres pour l’approfondissement de la réflexion, le débat démocratique d’idées, la formulation de propositions, le libre-échange d’expériences et l’articulation d’actions efficaces, d’entités et de mouvements de la société civile qui s’opposent au néolibéralisme et à la domination du monde par le capital et par n’importe quelle forme d’impérialismeî. De même, le forum de Florence a été, de par la volonté de ses organisateurs, un lieu de débats et de confrontations sans exclusive, auxquels l’ensemble du mouvement syndical a pu participer, y compris la CES. Mais débats et confrontations ne sont synonymes ni d’unanimisme, ni de plus petit dénominateur commun, ni de remise en cause des bases mêmes de la constitution des forums sociaux qui visent à dégager des alternatives qui îs’opposent à un processus de globalisation capitaliste commandé par les grandes entreprises multinationales et par les gouvernements et institutions internationales au service des intérêts de celles-ci. Oui, c’est bien l’esprit de Porto Alegre qui était présent à Florence n’en déplaise à Laurence Caramel et à Jean-François Troglic.
La place des partis
Reste la délicate question de la présence des partis politiques. Il faut la traiter avec sérénité en tenant compte du fait que les traditions, en ce qui concerne les rapports entre mouvement social et partis politiques, sont différentes d’un pays à l’autre et que nombre de syndicats, d’associations et de mouvements ont été, par le passé, échaudés par les diverses tentatives d’instrumentalisation et de récupération dont ils ont été l’objet de la part de partis, dont la principale préoccupation était la défense de leurs intérêts de boutique. Il faut trouver une solution acceptable, permettant la présence des partis politiques dans la préparation et le déroulement des forums sociaux, pour plusieurs raisons. D’abord, toutes les forces qui veulent aujourd’hui participer au développement de la mobilisation contre la mondialisation capitaliste et ses effets désastreux sont les bienvenues et toute mise à l’écart ne peut être vécue que comme un élément de division du mouvement. Ensuite, il faut remettre en question cette funeste division du travail entre mouvements sociaux et partis politiques, les premiers intervenant et mobilisant sur les questions sociales mais faisant l’impasse sur les questions politiques, les seconds s’occupant pour l’essentiel des élections. Enfin, en refusant la participation des partis politiques, il y a toutes les chances que ceux-ci réapparaissent sous des formes déguisées comme représentants d’organisations ou d’associations paravents, ce qui ne fait qu’ajouter à la confusion. Mais il s’agit également de garantir l’autonomie du mouvement social et d’empêcher toute forme d’accaparement de ce mouvement par les partis politiques. Et il est tout à fait possible de trouver des formes d’organisation qui permettent de concilier ces deux exigences, formes qui peuvent d’ailleurs varier d’une initiative à l’autre. Ainsi, en France, pour la préparation du Forum social de Florence, le choix communément fait a été que les organisations syndicales, associatives soient considérées comme les organisateurs et que les partis politiques soient présents comme soutien à cette initiative. A Porto Alegre, les partis politiques sont tout aussi présents qu’à Florence, au travers de leur participation au forum des parlementaires, mais aussi par la présence de nombre de leurs dirigeants dont la principale activité est souvent de se retrouver devant les caméras. Mieux vaut prévoir un cadre organisé, accepté par tout le monde, dans lequel les partis politiques peuvent être présents et visibles comme ce fut le cas à Florence, étant entendu qu’il est possible d’améliorer ce cadre. En retour, cela implique que les partis politiques s’engagent à le respecter. C’est pourquoi, par exemple, nous ne sommes pas d’accord avec l’attitude du SWP de Grande-Bretagne lors de l’assemblée générale de mouvement sociaux qui a suivi la tenue du forum social de Florence, où nombre de ses militants n’ont cessé de brandir des drapeaux avec le sigle de leur organisation et de scander des slogans. Les partis de la gauche anticapitalistes ne pourront lever les méfiances et gagner un crédit auprès des mouvements sociaux qu’en respectant l’indépendance de ces derniers et en se comportant de manière loyale.
Léonce Aguirre
(tiré de Rouge, hebdomadaire de la LCR, France)