Le monde du travail s’est remobilisé. Dans presque chaque pays, les classes travailleuses ont été engagées dans des manifestations et des grèves sectorielles, interprofessionnelles, et générales. Après l’Italie, l’Espagne, La Grèce, la France..., qui ont été à la pointe, des pays comme l’Allemagne et l’Autriche ont montré une combativité exemplaire et ont secoué les bureaucraties syndicales les plus puissantes et monolithiques. L’Agenda 2010 se heurte à une résistance opiniâtre et Schröder, discrédité, a dû abandonner la présidence du SPD pour sauver le Parti aux élections futures. L’onde de choc du mouvement anti-guerre n’est pas prête à s’épuiser. Les manifestation de rue, un an après le déclenchement de la guerre de Bush, ont été, une fois de plus, très nombreuses, surtout en Espagne, en Italie et en Grande-Bretagne. Elles continuent à peser sur la " politique officielle ". Contre toute attente, Aznar, l’ami de Bush, fut renversé dans les élections parlementaires, par une intervention spectaculaire du peuple : celui-ci prenait sa revanche pour le viol flagrant de l’opposition anti-guerre massive et son méprisable mensonge d’État. La conclusion est claire : la politique de " guerre permanente " et la politique néolibérale sont impopulaires et rejetées.
A des gouvernements de droite qui sont chassés par le vote populaire, succèdent des gouvernements de centre-gauche mais qui ne rompent pas avec la politique néolibérale et impérialiste. La force sociale des mouvements anti-guerre et du Forum Social Européen devrait se prolonger sur le terrain politique, dans les élections et par la formation d’un mouvement politique anticapitaliste, large et pluraliste.
Les élections européennes de juin 2004 seront l’occasion pour se battre en faveur des revendications et propositions pour lesquelles le mouvement altermondialiste européen s’est mobilisé sans relâche : contre la Constitution de l’UE - réactionnaire, antidémocratique et antisociale ; contre la guerre impérialiste et le militarisme européen, pour la paix et le désarmement général, à commencer dans nos propres pays ; contre la politique néolibérale et pour un programme social anticapitaliste.
1 .Une vie décente pour tous et toutes, en Europe et dans le monde
La question sociale conditionne la vie de millions de personnes ; c’est leur priorité. Chaque homme, chaque femme a droit à : un emploi plein et stable, un salaire décent, un revenu de remplacement viable (en cas de chômage, de maladie ou invalidité, de retraite), un logement, une éducation et une formation professionnelle, des soins de santé de qualité.
Cela implique aussi une augmentation et une récupération des reculs imposés ces vingt dernières années sur ces différents aspects. Cela implique également un redressement radical de la position toujours inférieure des femmes dans la société du point de vue social, politique, légal, institutionnel. Les conditions environnementales font partie de notre bien-être. On ne peut dissocier la politique économique des critères indispensables du développement soutenable, l’aménagement du territoire, la mobilité et les systèmes de transport, l’exploitation rationnelle des ressources naturelles, l’agriculture et la sécurité alimentaire.
En quête du profit maximum, les patrons et les gouvernements prétendent que tout cela est " impayable " et " impraticable ". Mais depuis 1970, la richesse produite dans l’UE (avant l’élargissement) a doublé, avec une population démographiquement stationnaire. L’énorme bond en avant de la productivité du travail (progrès technique, intensité du travail, réorganisation du processus productif) a profité à la classe propriétaire. Il faut s’attaquer à l’énorme inégalité sociale par une redistribution radicale des richesses en faveur du monde du travail et du re-développement du secteur public. Il faut arrêter la privatisation rampante de notre biosphère qui subordonne nos vies au profit capitaliste.
Dans ces conditions on peut dire : oui, notre société est en état de générer le bien-être pour tous, en Europe et dans le monde.
2. Rompre avec la politique néolibérale : nos vies valent plus que leurs profits
L’UE a mis en place, à travers le traité de Maastricht, un système institutionnel qui impose une contrainte budgétaire de fer. La Banque Centrale Européenne s’est érigée en garde-chiourme de cette orthodoxie monétariste-néolibérale. Cela permet de réduire radicalement les allocations sociales et empêche une politique économique alternative. En appauvrissant la masse de la population et le secteur social et public de l’État, la privatisation devient inévitable. Le Capital y trouve un vaste terrain très lucratif. Son objectif n’est pas la relance de l’économie, mais le rétablissement du taux de profit des capitaux.
Cette politique économique et son support institutionnel doivent être démantelés. Il faut supprimer les critères de Maastricht et le Pacte de Stabilité. Nous militons, comme le mouvement social international, pour une Taxe Tobin qui mette en question le capitalisme néolibéral et ses institutions internationales (FMI, BM,...) ainsi que la spéculation financière, et soutienne une autre politique sociale.
Nous lutterons dans nos pays, et au niveau européen, pour l’égalité sociale par le plein emploi, le développement des services publics, les investissements sociaux, le salaire minimum garanti.
3. Une Europe pacifique contre l’Europe-Puissance
Le Sommet de Lisbonne (mars 2000) a fixé comme objectif à l’UE : devenir l’économie la plus performante au monde ! Cela ne peut reposer que sur la force - économique, monétaire, technologique, politique, culturelle, médiatique et militaire - face aux deux autres grandes puissances, les États-Unis et le Japon, face aux pays de la périphérie, face aussi au monde du travail dans l’UE. L’UE s’est présentée comme un impérialisme pacifique, civilisé, légal, humanitaire, multilatéraliste, onusien. Et pour la première fois, elle a gagné, dans les populations européennes, une certaine légitimité, en s’opposant à la classe dominante américaine et a été " aidée " par la politique de Bush du " ni foi, ni loi ".
Nous n’avons aucune illusion sur les plans que l’UE prépare. Nous disons :
– Non à la guerre ! L’UE doit rejeter la guerre comme moyen pour trancher des conflits internationaux
– Rupture avec les USA et leur politique de guerre permanente et préventive " contre le terrorisme " ; sortie de l’OTAN !
– Non à l’euro-militarisme en voie de constitution ! Retrait de toutes les troupes euro-impérialistes (de l’UE et des ses pays-membres) ! Pas d’interventions " militaires rapides " au nom de l’humanitaire ! Dissolution de l’Eurocorps et des brigades spéciales !
– Liquidation de toutes les armes de destruction massive (nucléaires, chimiques) !
– Non à l’industrie d’armements européenne, non à l’exportation des armes ; fermeture des entreprises existantes et leur transformation en production civile.
4. Défendre nos libertés démocratiques
La stratégie de " la guerre infinie " a été un levier puissant pour attaquer les libertés démocratiques et restreindre l’espace d’activité des masses populaires. Créant une atmosphère permanente d’incertitude et de peur, les classes dominantes veulent nous imposer ce choix : " pour assurer votre sécurité, il faut réduire vos libertés ". C’est au nom de la lutte contre le terrorisme que Bush a légalisé le terrorisme d’État. Et Sharon lui emboîte le pas.
Dès septembre 2001, l’UE avait utilisé " la lutte contre le terrorisme ", non pas pour attaquer les groupes terroristes inexistants alors en Europe, mais pour mettre hors-la-loi, le moment opportun, les mouvements syndicaux, sociaux, féministes, écologistes, antiracistes, politiques... et leurs activités démocratiques et publiques, qu’elle pourra qualifier d’ " infractions (...) commises intentionnellement par un individu ou un groupe contre plusieurs pays, leurs institutions ou leurs populations et visant à porter gravement atteinte ou à détruire les structures politiques, économiques et sociales d’un pays ". Depuis lors, l’UE renforce, sur le plan européen, la panoplie répressive : le mandat d’arrêt européen, Europol, les échanges plus rapides et plus complets de renseignements, des interventions répressives coordonnées, rapprochement avec la CIA, répression des immigrés, création d’espaces de " non-droit ", etc., même si les rivalités entre les appareils d’État des pays-membres freinent une telle opération.
Le capitalisme est en difficulté. Par en bas, il est discrédité et, de nouveau, ouvertement et massivement, contesté. Alors il restreint, voire réprime les mouvements et les mobilisations. Défendre et élargir les libertés démocratiques menacées, redevient une nécessité importante.
5. Défendre les immigré(e)s et le droit d’asile ! Contre l’Europe-forteresse, contre l’extrême-droite !
Des millions de travailleuses et de travailleurs de par le monde sont les victimes de la globalisation capitaliste ou de la répression des États. Ils/elles survivent dans des conditions qui ne cessent de se dégrader. Certains cherchent désespérément à entrer clandestinement dans les citadelles impérialistes. L’UE, par le traité de Schengen, avait dressé une véritable forteresse. Depuis, les patronats de l’UE ont demandé et obtenu une immigration légale sélectionnée selon leurs besoins d’une main-d’œuvre malléable. C’est un déni scandaleux de la citoyenneté. C’est un mécanisme d’exclusion d’accès aux droits et services.
Le résultat en est une situation humainement insupportable pour les travailleuses et les travailleurs qui entrent dans le pays. En même temps se développe une concurrence exacerbée entre travailleurs indigènes les plus pauvres et immigrés sans droits ni défense. C’est ce conflit latent qu’exploite l’extrême-droite (et à l’occasion les partis traditionnels de droite et de gauche), pour semer la xénophobie, le racisme, la haine.
– Nous sommes pour la libre circulation des personnes et pour l’annulation du traité de Schengen, pour donner les mêmes droits (syndicaux, électoraux et citoyens...) aux immigrés, en re-développant une infrastructure sociale et des services sociaux de qualité ;
– Nous nous opposons à toute forme de xénophobie et de racisme, qu’ils soient d’origine étatique ou populaire. Il faut se battre pour que les immigré(e)s - hommes et femmes - ne subissent pas la discrimination sur le plan des salaires, des conditions de vie et de travail. C’est une priorité sociale et politique, ainsi que morale du mouvement social et syndical ...
– Nous sommes solidaires des demandeurs d’asile, de tous ceux et celles qui sont réprimé(e)s et doivent fuir parce qu’ils luttent pour la liberté, leurs droits, leurs convictions idéologique et religieuses, leurs conditions de vie, la démocratie, leurs aspirations sociales et révolutionnaires.
6. Non à la Constitution antidémocratique du Capital multinational
La bataille pour la Constitution de l’UE vise à mettre fin aux incohérences de l’appareil étatique de l’UE. C’est la volonté de l’oligarchie financière-industrielle et de quelques grands États impérialistes.
Car, premièrement, ils ont urgemment besoin d’une " gouvernance " forte au service de l’Europe-puissance. Cet appareil d’État est fortement teinté d’une démocratie semi-autoritaire, le pouvoir exécutif européen non-élu (Conseil des ministres, Commission, BCE) domine totalement le Parlement, élu au suffrage universel, mais mis sous tutelle.
Deuxièmement, cette Constitution fixe, pour de longues années, les principes du capitalisme d’aujourd’hui : primauté absolue au marché, à la protection de la propriété privée des moyens de production et d’échange, ainsi que la politique monétariste-néolibérale. En revanche, il y a l’exclusion, au niveau européen, du droit du travail, de normes sociales contraignantes et des négociations collectives interprofessionnelles. Les politiques financières, monétaires et économiques seront puissamment centralisées et soutenues, en haut, au plan européen. Il s’ensuit une concurrence continuelle entre les classes travailleuses des pays-membres, qui pousse " spontanément " à la dégradation des conditions de vie et de travail.
Troisièmement, elle ouvre et organise l’euro-militarisme, volet indispensable pour l’impérialisme européen : augmentation systématique des dépenses militaires, industrie d’armement européenne, lien maintenu avec l’OTAN mais ouverture vers une autonomie militaire européenne ; insertion dans la lutte ininterrompue " contre le terrorisme ".
Quatrièmement, le renforcement de l’exécutif européen (le Commission européenne, le Conseil européen, la Conférence intergouvernementale, la BCE) aggrave le déficit démocratique et la hiérarchie institutionnelle. L’exécutif européen contrôlera plus fortement les appareils exécutifs nationaux, les grands États-membres imposeront leurs choix aux petits et moyens États-membres, et chaque État national aura toujours les mains libres pour traiter ses propres " petits " peuples.
Cette Constitution antidémocratique correspond parfaitement à la méthode de travail choisie pour l’élaborer : le huis-clos, un personnel fiable et trié sur le volet, dirigé par quelques " Éminences d’État ". C’est certain : cette Constitution n’émane nullement de la volonté des Peuples !
Pour toutes ces raisons, nous sommes contre cette Constitution de l’UE. Elle est illégitime, non démocratique, profondément antisociale ! Elle ne peut être réformée ; il faut la rejeter !
A cette fin, nous soutenons les pays qui organiseront des référendums populaires.
Nous oeuvrons pour une autre société et une autre Europe : sociale et démocratique, écologiste et féministe, pacifique et solidaire. C’est aux peuples et nations d’Europe de décider comment et selon quelles principes sociaux et institutionnels ils veulent vivre ensemble. Pour nous, tous les pouvoirs émanent du peuple souverain. Nous reconnaissons le droit démocratique des " nations sans État " à déterminer leur avenir et nous sommes solidaires des forces de la gauche qui luttent dans ce sens, sans porter un jugement politique.
Comme la campagne électorale coïncidera avec la préparation à huis-clos de la Conférence intergouvernementale " constituante ", nous aurons une opportunité pour dénoncer cette pseudo-constitution et présenter nos alternatives.
7. Rompre avec le social-libéralisme ! Une autre Europe est possible !
Oui, mais cela demandera une extraordinaire mobilisation de toutes les forces progressistes. Car, si les gouvernements sont affaiblis, l’UE est devenue, malgré ses multiples crises, une force impérialiste redoutable dans l’arène mondiale et qui détruit les conquêtes sociales et démocratiques - fruit de 150 ans de luttes des classes travailleuses. Cette UE est en premier lieu un projet de la bourgeoisie et de ses partis. Mais il n’aurait jamais triomphé sans la collaboration active des Blair, Schröder, Jospin, Gonzales..., c’est-à-dire de la social-démocratie européenne (des partis mais aussi des bureaucraties syndicales nationales et de la CES). Ils ont été de longues années au pouvoir. Ils ont dominé, ensemble et pendant plusieurs années, les gouvernements nationaux et les instances de l’UE (la Commission, le Conseil, et même la BCE). Mais au lieu de rompre avec le néolibéralisme, ils sont devenus eux-mêmes des sociaux-libéraux ! Rien n’indique qu’ils changeront de cap.
On ne sortira pas graduellement du système néolibéral et impérialiste. Il faudra une rupture politique radicale, une stratégie et un programme alternatifs, anticapitalistes.
Ce combat est entièrement dans les mains de " ceux et celles d’en bas ", de l’autre Europe.
Elle est en train de mûrir dans les manifestations anti-guerre, les initiatives citoyennes, sociales et écologistes, les marches des femmes. Elle progresse grâce aux multiples mouvements et militants : les syndicats, les organisations paysannes, les groupes écologistes, le mouvement des " sans " (-emploi, -abri, -papiers, -droits), les comités antiracistes, les mouvements de réfugiés, les groupes universitaires, les ONG tiers-mondistes... La naissance du Forum Social Européen offre un cadre européen, démocratique et unitaire, à un nouveau mouvement d’émancipation à l’échelle de l’Europe.
Il constitue déjà une force sociale, qui devra s’imposer sur le terrain politique.
Sous sa pression, les syndicats traditionnels (notamment la CES) qui, pendant vingt ans se sont alignés sur l’UE et la politique néolibérale, retrouvent la voie de l’action, sans développer une stratégie cohérente et convaincante pour renverser la vapeur et présenter une vraie alternative.
Oui, une autre Europe est possible, mais à la condition que toutes les forces radicales se mobilisent dans les rues et dans les urnes, dans les mobilisations et les élections. Car, une autre gauche européenne est nécessaire : anticapitaliste et écologiste, anti-impérialiste et anti-guerre, féministe et citoyenne, antiraciste et internationaliste. L’alternative au capitalisme relève la tête : une société socialiste et démocratique, autogérée par en bas, sans exploitation du travail et sans oppression des femmes, basée sur le développement durable et opposée au modèle de croissance qui menace la planète.