Tiré de PTAG
mardi 7 avril 2009, par André Frappier
Les allégations de fraude envers Jocelyn Dupuis de la FTQ-Construction ont déclenché une vaste enquête concernant l’ensemble du secteur de la construction et les liens avec le crime organisé. De plus, les relations rapprochées entre le président de la FTQ Michel Arsenault et le promoteur industriel Antonio Accurso ainsi que le rôle joué par les investissements du Fonds de solidarité dans les entreprises dont il est propriétaire ont fait les manchettes de tous les journaux depuis un mois. En tant que militante ou militant syndical, il est primordial d’apporter une réflexion sur cette question.
Le président de la FTQ a déclaré qu’il ferait à l’avenir la distinction entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle. Il a demandé à Jocelyn Dupuis de démissionner et le congrès de la FTQ-Construction a été devancé afin de procéder à des élections pour le remplacer. Mais tout cela ne semble pas suffisant. A l’émission "Tout le monde en parle" les journalistes de l’émission Enquête ont reçu un « standing ovation » du public. Ils sont perçus comme des héros qui révèlent au grand jour une situation de collusion et d’intrigues. L’idée d’une commission d’enquête a été avancée et le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, a dit qu’il réfléchissait à la question. Jusqu’à maintenant, autant Pauline Marois que Jean Charest sont demeurés discrets dans leurs commentaires à ce sujet.
Cette situation est pour le moins dramatique. Dramatique parce qu’elle entache la crédibilité de la FTQ et du mouvement syndical en général et dangereuse parce qu’elle ouvre la voie à ceux qui voudraient faire reculer le mouvement syndical. Le Conseil du Patronat du Québec, par la voie de Norma Kozhaya, considère qu’il existe un déséquilibre manifeste entre le pouvoir des organisations syndicales et celui de leurs membres et qu’il faut modifier le code du travail de façon à revoir la formule Rand, imposer des votes secrets lors de demandes d’accréditations, donner plus de recours aux employés contre leur syndicat etc.
Comment peut-on en être arrivés là ? En pleine crise économique, le mouvement syndical devrait être celui qui dénonce les responsables, ceux qui s’emplissent les poches et qui ne voient de solutions que dans la baisse des conditions de travail et des salaires. Il devrait organiser la riposte, indiquer que nous n’avons pas les mêmes intérêts que les grands financiers. Mais voilà c’est la FTQ qui est pointée du doigt, et qui doit s’expliquer.
Depuis de nombreuses années, les différents gouvernements ont été bien servis par la participation, plus ou moins égale, des centrales syndicales à la politique de concertation et de leur apport en tant que partenaires financiers. Aujourd’hui, la FTQ se retrouve victime de cette politique. Elle a conduit les directions syndicales et en particulier la FTQ dans le cas présent, à agir de plus en plus ouvertement comme des partenaires financiers, surtout depuis la création des fonds de travailleurs, et non comme des militants qui remettent en question la logique du contrôle de la finance sur la vie des gens, laquelle est à la source de la crise financière actuelle.
Cette concertation a pour conséquence actuelle l’intégration à la gestion de la crise et non le combat contre ses causes. Elle empêche le mouvement ouvrier de développer une conscience et une politique autonome et surtout un parti politique autonome sur ses propres bases et par conséquent affaiblit le mouvement ouvrier en le reléguant continuellement sur la défensive. Mais elle a également pour conséquence l’intégration de la couche dirigeante syndicale qui y adhère au cercle de dirigeants gouvernementaux, politiciens et entrepreneurs financiers et à leur mode de gestion qui n’a rien à voir avec le nôtre. Lorsqu’en plus les centrales syndicales se dotent d’une institution financière d’investissement que sont devenus les fonds de travailleurs, ils risquent fort comme dans le cas présent, de devenir victimes des jeux de lobby politiques et de conflits d’intérêts.
Il y a vingt-six ans, au moment de la création du Fonds de solidarité, le ministre de l’industrie et du commerce du gouvernement du Parti Québécois, Rodrigue Biron, avait déclaré que l’idée maitresse n’était pas tant l’investissement global des syndiqués, important certes mais pas tellement dans le cadre d’une stratégie globale d’investissement industrielle, que sa contrepartie : faire participer les travailleurs à la gestion. « Maintenant que les travailleurs ont souvent 14 ou 15 ans, sinon plus, de scolarité, ils sont mûrs pour occuper des responsabilités accrues dans les entreprises, bien qu’il faille, bien sûr, leur apprendre dorénavant les rudiments de la gestion, ce qui supposera une transformation des stratégies syndicales » avait-il affirmé. La crise qui secoue la FTQ nous donne l’opportunité de repenser nos stratégies. Il ne s’agit pas simplement d’un dérapage ou de quelques dirigeants fautifs, il s’agit de la conséquence logique de la stratégie de concertation.
À nous de saisir l’occasion.