S’il ne met pas en place une réforme du mode de scrutin instaurant la représentation proportionnelle à temps pour les prochaines élections générales, tel que l’a annoncé hier le ministre Jacques Dupuis, le gouvernement Charest nagera dans une mer de contradictions où il risque de se noyer, ont réagi aujourd’hui les porte-parole de l’Union des forces progressistes Molly Alexander et Pierre Dostie de même que Paul Cliche, responsable du dossier de la vie démocratique au sein de ce parti.
D’une part, ont souligné ces derniers, l’annonce faite mercredi par le ministre délégué à la Réforme des institutions démocratiques lors du colloque de l’Institut de recherche en politiques publiques contredit l’engagement pris par le Conseil général du Parti libéral, en septembre 2002 de "procéder dans les deux ans (après la prise du pouvoir) à une réforme du mode de scrutin afin d’introduire des modalités de représentation proportionnelle". Or, le respect de cet engagement a été non seulement confirmé par le chef Jean Charest lors de la campagne électorale, mais il a été officialisé par le nouveau premier ministre lors du discours inaugural de la session au début de juin.
D’autre part, ont noté les porte-parole de l’UFP, le gouvernement libéral refuse de reporter de deux ans l’application du projet de loi 9 ouvrant la porte aux défusions comme lui ont demandé les principaux dirigeants municipaux. Il justifie sa précipitation dans ce dossier par l’engagement de consulter les citoyens même si les résultats de cette opération, faite au nom de la démocratie, risque de semer la pagaille un peu partout au Québec. Mais lorsqu’il s’agit de respecter l’engagement encore plus fondamental d’instaurer une mesure positive, désirée par une grande partie de la population, ayant pour but de réduire l’immense déficit démocratique affligeant nos institutions démocratiques, comme la représentation proportionnelle, le ministre responsable du dossier se réfugie derrière "le réalisme politique".
La peur que dit ressentir le ministre Dupuis "d’adopter à toute vapeur des changements aussi profonds", est un prétexte lorsqu’on sait que la réforme du mode de scrutin est à l’ordre du jour de l’agenda politique depuis plus de 30 ans au Québec, qu’il a fait l’objet de multiples études, articles, commissions parlementaires, consultations publiques et plus récemment d’une recommandation prioritaire des États généraux sur la réforme des institutions démocratiques. En fait, c’est probablement le dossier le mieux documenté et qui a été le plus discuté sur la place publique parmi tous ceux sur lesquels doit se pencher le gouvernement à l’heure actuelle, soutiennent les porte-parole de l’UFP.
Par ailleurs, notent-ils, le ministre Dupuis s’est engagé à déposer, le printemps prochain, un projet de loi qui sera immédiatement référé à une commission parlementaire servant de tribune devant laquelle les groupes et les citoyens pourront témoigner. Ce processus laisse prévoir que l’adoption de la loi réformant le mode de scrutin devrait normalement survenir vers la fin de 2004. Un tel scénario laisse amplement de temps pour mettre au point une nouvelle carte électorale avant les élections générales prévues pour 2007.
Pourquoi le ministre déclare-t-il aujourd’hui, avant même que le processus de révision n’ait débuté, qu’il "lui apparaît plus probable qu’on ne pourra pas tenir la prochaine élection avec un nouveau mode de scrutin mais que ce soit le cas pour l’élection suivante" ? Aussi bien dire qu’en reportant l’entrée en vigueur de la réforme à des élections qui n’auront pas lieu avant 2011 il la reporte aux calendes grecques. Cela n’est pas sérieux et démontre de la part de M. Dupuis une absence de volonté politique inquiétante qui devrait inciter le premier ministre Charest à lui enlever la responsabilité de ce dossier névralgique.
Depuis trois décennies, les partis traditionnels se sont livrés à de cyniques volte-face dans ce domaine. Ainsi, après ses victoires de 1976 et de 1994, le Parti québécois a mis de côté l’engagement contenu dans sa plate-forme électorale de réformer le mode de scrutin "dans l’année suivant la prise du pouvoir". L’ex-premier ministre Lévesque a été menotté par le caucus des députés péquistes lorsqu’il a voulu l’honorer au cours de son deuxième mandat.. En bout de route après 213 mois de pouvoir, les péquistes n’ont même pas enclenché la réalisation de cet engagement important qui est dans le programme de leur parti depuis 1970.
L’histoire se répètera-t-elle avec les libéraux ? Ils feraient alors preuve d’un manque de réalisme politique flagrant, car il ne faudrait pas qu’ils oublient que leur parti a compté parmi les principales victimes du mode de scrutin actuel qui l’a privé du pouvoir à trois reprises (en 1944, 1966 et 1998) même s’il s’était classé premier dans les suffrages. Exclure la répétition d’un tel scénario serait bien présomptueux de leur part, ont conclu les porte-parole de l’UFP.
Pour information : Paul Cliche : (514) 256-8949
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