Tiré du site du CADTM
13 juin 2009
Le CADTM condamne la répression menée par le gouvernement haïtien contre sa population, et en particulier contre les étudiants qui mènent depuis début mai un mouvement de protestation. Depuis un mois et demi, les étudiants en médecine et pharmacie sont en grève pour protester contre les conditions de travail, rejoints ensuite par les étudiants dans d’autres disciplines pour exiger l’augmentation du salaire minimum. Actuellement de 70 gourdes par jour (environ 1,7 dollar), il ne permet pas la satisfaction des nécessités les plus fondamentales. La revendication de base est donc qu’il soit porté à 200 gourdes (5 dollars). Les étudiants ont été rejoints par de nombreux autres secteurs de la société sur cette revendication fondamentale et l’agitation a commencé début juin dans les rues de Port-au-Prince. Les étudiants revendiquent également la libération de leurs camarades emprisonnés suite aux manifestations.
Si le parlement haïtien a voté une loi concrétisant cette revendication le 5 mai dernier, le président René Préval, influencé par le patronat (l’Association des Industries d’Haïti) qui agite le spectre de licenciements massifs dans le secteur du textile, se refuse à la promulguer.
La répression menée par la police haïtienne et la Minustah (Mission des Nations unies en Haïti | [1]), qui s’étendant jusqu’à l’intérieur de l’Hôpital universitaire de Port au Prince, a fait plusieurs blessés. Le CADTM demande à l’ONU de rappeler fermement à l’ordre la Minustah qui n’a pas pour mandat de réprimer violemment une population en lutte pour ses droits les plus légitimes.
Haïti, l’Etat le plus pauvre des Amériques, est classé à la 146e place (sur 179) du classement pour l’Indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le développement. Environ 90% de la population vivant sous le seuil de pauvreté.
Haïti, l’histoire d’une domination incessante
Colonie française sous le nom de Saint Domingue elle faisait faire d’énormes profits à l’industrie sucrière du fait de l’exploitation esclavagiste. Un soulèvement victorieux des esclaves en 1791 a abouti à l’abolition de l’esclavage et à la nomination de Toussaint Louverture comme premier gouverneur noir. Par la suite, Napoléon a envoyé des troupes pour tenter de rétablir l’esclavage mais le peuple haïtien a remporté la double bataille pour la liberté et pour l’indépendance qui a été promulguée le 1er janvier 1804, Haïti devenant alors le premier pays débarrassé de l’esclavage et la première république noire.
La France n’a jamais pardonné cette indépendance à Haïti et Charles X l’a obligée à signer un traité inique la condamnant à verser d’énormes dédommagements aux anciens propriétaires d’esclaves. « Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la caisse fédérale des dépôts et consignations de France, en cinq termes égaux, d’année en année, le premier échéant au 31 décembre 1825, la somme de cent cinquante millions de francs, destinée à dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnité. Nous concédons, à ces conditions, par la présente ordonnance, aux habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue, l’indépendance pleine et entière de leur gouvernement. » [2]
Les richesses (comme celles provenant de la vente du café) ont donc dès le début servi à rembourser une dette illégitime, dite « dette de l’indépendance », équivalant au budget annuel de la France de l’époque. Toutes les richesses du pays ont été hypothéquées annihilant dès le départ les possibilités de développement. Au moment de la première guerre mondiale, la domination française établie grâce à la dette a été remplacée par une domination états-unienne tout aussi dramatique pour les populations.
Le long règne des Duvalier père et fils (1957-1986) a apporté encore davantage de misère et de violations des droits humains fondamentaux. La dette a explosé, du fait des détournements massifs réalisés par la famille Duvalier.
L’élection en 1990 du prêtre Jean-Bertrand Aristide apporte une lueur d’espoir qui ne se concrétisera pas. Renversé peu de temps après son investiture en 1991 par un coup d’Etat militaire, il revient au pouvoir en 1994. Contrôlé par les Etats-Unis, il avalisera toutes les mesures néolibérales impulsées sous la houlette des institutions financières internationales. Réélu en 2000, il est sommé de quitter le pays en février 2004 par la France et les Etats-Unis, suite à quoi la Minustah s’installe en Haïti.
Aujourd’hui, l’Union européenne cherche à imposer à Haïti la signature d’un Accord de partenariat économique (APE), visant à libéraliser les échanges et à imposer sur le marché haïtien des produits agricoles européens hautement subventionnés sapant encore un peu plus les bases de l’économie haïtienne.
Après d’intenses mobilisations organisées par le mouvement social haïtien depuis deux ans, la Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (PAPDA), membre du réseau CADTM, peut écrire : « La Coalition Nationale « Bare APE », composée d’une dizaine d’organisations haïtiennes, réalise depuis début 2007 jusqu’à aujourd’hui encore, de façon très intense, des activités d’information, de sensibilisation, de mobilisation auprès de divers secteurs de la population haïtienne contre la signature des APE. Notre travail de plaidoyer direct auprès du gouvernement haïtien, des structures de l’Union Européenne et de la CARICOM a en quelque sorte joué son rôle dans ce refus du gouvernement de signer les APE.[...] D’autres activités de plaidoyer et de sensibilisation sont prévues dans les semaines à venir afin de porter les autorités haïtiennes à confirmer leur refus de signer de tels accords qui n’ont rien à voir avec la nécessité de développer le pays ni à court, moyen et long terme [3].
La longue résistance du peuple de Guadeloupe contre l’élite béké locale (descendants de colons), qui domine toute l’économie de l’île, a abouti à la concrétisation de la revendication du collectif LKP : une augmentation de salaire de 200 euros [4]. Le peuple haïtien doit suivre cet exemple prometteur pour toute la région des Caraïbes.
Le CADTM exige la récupération par le peuple haïtien des biens mal acquis par la famille Duvalier [5], l’annulation totale de la dette d’Haïti et le versement de réparations de la part des anciennes puissances dominantes. De telles revendications sont réalistes puisqu’une petite avancée avait eu lieu en février dernier avec la décision du gouvernement suisse de restituer 7,6 millions de francs suisses (5,1 millions d’euros) à Haïti. Le peuple haïtien doit lutter de toutes ses forces pour défendre ses droits.
ROMANET (de) Virginie
Notes
[1] Composée de 9 000 hommes dont plus de 7 000 Brésiliens
[2] Voir CADTM, Haïti : 200 ans après, à quand l’indépendance ?
[3] Voir Coalition haïtienne, Haïti : Pourquoi et comment lutter contre les Accords de Partenariat Economique (APE) ?
[4] Voir Pauline Imbach, http://www.cadtm.org/spip.php?artic...
[5] Il est estimé qu’à la chute de Jean-Claude Duvalier « Baby Doc » en 1986, la famille Duvalier aurait détourné la somme faramineuse de 900 millions de dollars.