Famille, travail, école, etc. : l’homophobie est une gangrène qui affecte chaque secteur de la société. Lutter contre ce fléau : une urgence.
Actuellement, dans diverses régions de France (et au Québec, en Belgique, en Suisse), des actions de sensibilisation à l’homophobie sont menées. Il ne s’agit plus de présenter l’homosexualité (la lutte contre le racisme ne présente pas les autres "races" : elle nierait plutôt le concept de race) mais de dévoiler, faire parler et mettre en débat ce rejet "viscéral, phobique, "donc" légitime et qui ne se discute pas" partagé par la grande masse de notre société. L’Université euroméditerranéenne des homosexualités a entamé dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur un programme de formation-sensibilisation auprès des personnels de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports, de l’éducation populaire, du scoutisme, des associations comme le planning familial, les lieux d’accueil des jeunes, etc., avec des soutiens publics importants. Des associations comme HomoEdu, Couleur gaie (Metz, au sein du Snes) ont aussi un travail dans ce sens, un travail militant de terrain qui se heurte à l’ignorance, aux préjugés, à l’homophobie quotidienne.
Homophobie ordinaire
"L’exercice de l’émancipation fait mesurer l’ampleur de l’oppression", cette affirmation féministe met exactement le doigt sur ce qui a présidé à la création du mot "homophobie", un mot tout jeune, qui a dix ans. Si "homosexualité" a été créé au début du xixe siècle par les médecins aliénistes pour réprimer ou guérir, "homophobie" a été créé par les lesbiennes et les gays pour comprendre et agir.
Partis de l’idée d’une libération sexuelle puis de revendications démocratiques et sociales, la lutte homosexuelle s’est heurtée au mur de l’oppression. Il ne suffit pas de quelques bonnes lois, d’un peu de patience de la part des homosexuels et de bonne volonté collective pour que les choses changent. Ni même d’un changement radical de structure sociopolitique (il en va de même pour le sexisme ou pour l’intériorisation de l’exploitation et du salariat).
Ce n’est pas comme ça qu’on se délivre de la honte, qu’on devient sourd au mépris lancinant de la culture courante, à l’insulte récurrente, à l’obligation d’avoir sempiternellement à mettre les points sur les i, ni même qu’on s’invente une façon d’être dans un univers où tout est minutieusement hétéronormé.
On découvre aujourd’hui l’ampleur des suicides chez les jeunes, causé par le questionnement homo et l’incapacité "viscérale" d’y faire face dans la solitude, l’impréparation et l’homophobie inculquée (environ 30 % des suicides des 15-25 ans). Car un jeune homo a mal de l’être, à honte de l’être, ne sait pas d’emblée qu’il ou elle l’est. Une fille, un garçon, un noir, un blanc, une blonde, un roux le sont "évidemment", en se regardant dans la glace, dans un monde qui porte (à outrance) ces genres et ces couleurs et qui éventuellement vous les fera sentir. Mais ils, elles ne sont pas dans l’obligation ni de se le dire un jour, ni de… "le dire à leur mère".
Une lesbienne doit d’abord se le dire dans la solitude après s’être dit que quelque chose ne collait pas, souvent sans savoir quoi. Quelque chose relevant des mille et un comportements qui, chez les autres, sont appris et devenus évidents, mais qui chez elles ne sont pas elle, la mutilent. Il faut donc parvenir à se le dire.
Et c’est endosser quelque chose dont on vous a toujours fait savoir (directement ou implicitement) le pire, dont on ne vous a jamais dit (et pas positivement) que cela pourrait vous concerner, dont enfin il vous a été dit pis que pendre de celles et ceux qui "en étaient". Alors, évidemment, vous avez toutes les difficultés (les résistances) à vous identifier.
Enfin, on vous a enseigné l’hétérosexualité, tout le monde est présupposé hétéro, mais que sera une vie homo
? Et comment agir, réagir ?
Coming out
Puis, le dire aux parents reste une épreuve. Le dire aux amis un jeu de hasard. Le harcèlement moral, voire brutal peut s’ensuivre. Famille virant le ou la malpropre, l’excluant du cercle familial, plus d’assiette à table, silence radio, ignorance, "ambiance père au silence obstinément réprobateur, mère en larmes". La panoplie est riche mais heureusement il y a de plus en plus des coming out chaleureux.
Adulte ce sera la cérémonie des aveux, devoir sempiternellement le dire. (Sinon, comment parler le lundi à la cafét’ lorsque tout le monde raconte son week-end ? Se taire et laisser place au soupçon, aux sourires entendus, au silence soudain. S’inventer une vie ?) Ensuite… incarner l’homo de la boîte, de l’atelier, du service quasiment en perpétuelle gay pride sous le regard des autres.
Les préjugés patronaux. S’il arrive (ironie de l’oppression) que certaines entreprises prétendent voir dans les gays et les lesbiennes des célibataires (sic) disponibles, mobiles, en besoin de valorisation, créatifs (si !) et donc potentiellement corvéables à merci, la plupart pratiquent l’homophobie au quotidien et la discrimination active : en gros, un homosexuel masculin n’est pas fiable, une lesbienne peu maniable. Les variations sont infinies. Sans compter les préjugés des camarades de travail à quoi le peu ou l’absence totale de prise en charge des organisations (syndicales, politiques, électives dans l’entreprise) laissent libre cours.
Car l’homophobie ne relève pas seulement de l’ignorance, elle est aussi ancrée dans les réactions viscérale des uns et des autres. Le dégoût, la défiance, la gêne ne sont pas de simples dispositions intellectuelles qu’un peu de réflexion corrigera. Ils font partie de la fabrication des personnes, des genres, en particulier de la "fabrication des mâles" chez qui il est, depuis la toute petite enfance, si crucial de "ne pas être une fille", donc pas un pédé. (Est-il génétique d’aimer jouer au foot ou de se maquiller ? De porter son corps de façon masculine ou de façon féminine ?)
Etre un homme ou une femme, c’est se conformer, avoir été conformé à une somme de comportements, de désirs, d’appétences, de rejets, de façons d’être, de dominations, de soumissions, de valorisations et dévalorisations, bref être sorti d’un modelage et d’une imprégnation dans le dispositif desquels l’homophobie est intégrée.
Croire qu’il suffit d’un peu de bonne volonté (de conscience politique ?) et de quelques lois (abrogées ou votées), c’est refuser de prendre en compte l’homophobie, ce harcèlement quotidien et involontaire, c’est la posture ultime de l’homophobie.
Jacques Fortin.
(tiré de Rouge, hebdo de la LCR)