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Jean Ferrat – Au pays d’Aragon

jeudi 18 mars 2010


FERRAT Jean, Naoufel, VOLSON Joël F., FAVIERES Laure
* Paru dans Rouge n° 1921, 03/05/2001 .


Jean Ferrat est sans conteste l’un des grands de la chanson française. Né à Vaucresson en 1930, il travaille dans un laboratoire de chimie, avant de se mettre au théâtre et à la guitare, puis de chanter dans les cabarets parisiens. Il enchaînera vite les succès, parfois contestés, dans ces colonnes notamment, mais en demeurant fidèle à une certaine idée de l’humanité. Son dernier disque, « Ferrat 95 », réunit 16 poèmes d’Aragon, le poète qui l’inspira sa vie durant.


Que pensez-vous de la chanson française actuelle ?
Jean Ferrat - Je déplore qu’il faille être dans un certain moule, un « moule tendance », pour avoir accès à la diffusion. Aujourd’hui, la mode est au rap, ça plaît aux jeunes et ce sont les jeunes qui achètent les disques, alors... Mais de fortes personnalités, qui existent et chantent de beaux textes sont systématiquement exclues de la diffusion, des antennes, des plus grandes aux plus petites radios, et en particulier des radios de service public qui devraient pourtant avoir l’obligation de les faire connaître.

Ce n’est pas vraiment nouveau, vous aviez aussi rencontré des formes de censure médiatique ?

J. Ferrat - A mon époque, on pouvait connaître ce genre de problèmes, pour des raisons politiques ; Perret, lui, les a connus pour des raisons « de mœurs », du langage. Mais c’était tout à fait différent, et beaucoup plus rare. Aujourd’hui, il y a une concentration de la production, de la diffusion et de la vente, qui devient extrêmement coercitive et discriminatoire pour les gens qui ne sont pas dans le moule et n’ont pas accès au circuit. Et s’ils arrivent à trouver une production indépendante, ensuite ils ne vont pas être diffusés ni vendus. Plus de 90% de la vente des disques passent par les grandes surfaces, qui se ravitaillent auprès de grossistes et leur achètent les dix, vingt, trente titres qui marchent. Si tu es en dehors de ce classement de valeur -de valeur marchande- tu es cuit, tu n’as accès ni à la diffusion ni à la vente. Dans une ville de province, voire à Paris, on ne peut pas trouver ou même commander certains artistes.

Seulement 3% des disques sont vendus chez des disquaires de quartier. Les petits disquaires qui subsistent ne peuvent pas commander directement aux maisons de production, ils doivent passer par des circuits de diffusion qui ne s’embarrassent pas de disques qui se vendent peu. Comme dans tous les domaines, la création artistique et la chanson sont tributaires du marché. Il y a quelques exceptions, qui se glissent, des exceptions qui confirment la règle.

Quels chanteurs écoutez-vous ?

J. Ferrat - J’écoute souvent Allain Leprest, qui est un vrai auteur, un homme, un homme de caractère, qui a son style, son monde. J’écoute Juliette, qui est un homme elle aussi [rires] ! Ces gens-là sont complètement exclus des médias, je n’ai jamais vu Leprest à la télévision. Et il y en a plein d’autres. C’est insupportable.

Les grosses maisons de production, les gros diffuseurs, les télés qui ont aussi des filiales d’édition musicales, veulent tout. Si l’artiste, à un bout de la chaîne, signe avec le producteur, qui signe avec le diffuseur, qui signe pour vous faire tant d’émissions, on arrive à se faire entendre. Mais si tu n’es pas dans cette chaîne, on ne t’entend pas. Il y a encore des circuits parallèles, mais ça fait vivoter. Allez dans la rue ou dans la France profonde, demandez qui est Allain Leprest : personne ne va savoir qui c’est. Pour certains chanteurs, ça dure depuis 40 ans. On peut aimer ou non une fille comme Anne Sylvestre, mais il faut reconnaître ses qualités d’écriture formidables. Jamais, jamais, ses chansons n’ont été programmées à la télé. C’est honteux. Je pourrais en citer des copains, des gens qui sont morts, qui n’ont jamais eu l’accès aux médias !

Colette Magny, par exemple. C’était quelqu’un d’important pour vous ?

J. Ferrat - Colette Magny, c’était une grande. Mais elle avait un talent qui n’était peut-être pas très populaire. Sa façon d’envisager sa carrière et ses choix de textes, c’était une démarche difficile, pas très grand public. Elle aurait pu avoir une renommée plus importante, elle avait une grande aura, mais elle avait de grandes exigences, dans ses textes comme dans les musiques. Ce n’était pas de la chansonnette. Elle a choisi une voie originale, à elle, un peu en dehors de la chanson française. Francesca Solleville aussi , elle en a fait des disques, des concerts, mais jamais elle n’a été diffusée sur les radios, les télés. Cela tient, peut-être plus que Colette, à son engagement politique. Jamais on ne lui a donné la possibilité de se faire entendre et connaître d’un grand public.

Vous constituez une exception, en conjuguant succès populaire et engagement. Comment l’expliquez-vous ?

J. Ferrat - Vous savez, j’ai cheminé, par mes chansons et mes sujets, sur une voie particulièrement étroite. Et j’ai réussi à devenir un chanteur populaire en faisant des choses qui en principe ne l’étaient pas. On me disait « Ah non ça c’est pour les cabarets rive gauche, ça plaira jamais, vous n’aurez jamais de public. » J’ai peut-être bénéficié de ma voix, d’un côté charmeur. J’ai fait des chansons d’amour, parce que j’aime ça, et elles plaisaient plus facilement que des textes politiques. Si je suis content d’une chose, c’est d’avoir réussi à chanter de beaux textes.

J’ai été marqué, à la Libération, par les chansons de Prévert et Kosma, celles de Lemarque, le répertoire de Montand. Il y avait une équipe qui arrivait à faire de la chanson populaire avec de grands textes. Cela a constitué un exemple à suivre, et j’y suis parfois arrivé. Certains textes d’Aragon faisaient peur aux gens : il ne faut pas faire peur, il faut leur faire faire de la poésie comme monsieur Jourdain faisait de la prose, sans s’en apercevoir. Ensuite, ça leur plait ou pas, peu leur importe que ce soit de la poésie.

Le contexte politique, la force du Parti communiste, expliquent aussi ce succès...

J. Ferrat - Peut-être, mais les chansons qui sont devenues des succès populaires, ce sont des chansons d’amour ou des textes d’Aragon, pas les chansons politiques. « Que serais-je sans toi », « Nous dormirons ensemble », « Heureux celui qui meurt d’aimer »... A côté de ça, il y avait des chansons que des gens appréciaient, mais qui n’ont pas rencontré le même succès.

J’ai eu la chance d’avoir deux chansons qui m’ont fait connaître. La première c’est « Ma môme ». Les gens l’ont souvent considérée comme une chanson d’amour, mais ma démarche était politique. C’était l’époque des vedettes, de Saint-Trop’, des lunettes de soleil, de Brigitte Bardot. J’ai voulu dire, moi, ma môme, c’est pas ça, c’est le contraire. On m’a dit que c’était du populisme, mais ça ne l’était pas. Elle a eu ce succès parce que c’était aussi une chanson d’amour, dans laquelle les gens pouvaient se reconnaître ; mais une idée peut en cacher une autre, et c’était une chanson politique.

La deuxième chanson était vraiment une chanson d’amour, « Deux Enfants au soleil » -« la mer sans arrêt roulait ses galets »-, qu’avait déjà chanté avec un grand succès Isabelle Aubret. Après il y a eu « C’est beau la vie », puis, pavé dans la mare, « Nuit et Brouillard ». C’est le genre de chanson sur lequel personne n’aurait misé un centime.

Et vous ?

J. Ferrat - Moi non plus ! J’avais commencé ce texte des années auparavant, parce que cela tenait à ma vie. Mon père avait été arrêté, déporté et il n’est jamais revenu. Je pensais aussi qu’elle ne marcherait pas, mais j’avais besoin de faire cette chanson. Le succès de « Nuit et Brouillard » m’ a énormément surpris, et il m’a encouragé à écrire ce dont j’avais envie.

Vous avez rencontré le même type de réaction avec « Potemkine » ?

J. Ferrat - « Potemkine », c’était une chanson plus facile, une chanson sur la révolte, contre l’injustice. Sa dramatisation musicale et son texte me donnaient l’impression qu’elle pouvait être reçue plus facilement. On ne peut pas faire de parallèle. Ce sont deux moments de l’histoire. L’un reste comme un moment de déchéance de l’humanité, une abomination qui nous suit encore, qui n’est pas près d’être oubliée. Disons que « Potemkine » c’est plus anecdotique.

Vous avez commencé à chanter avec Aragon, et c’est aussi votre dernier disque...

J. Ferrat - J’ai fait au moins trente chansons sur des textes d’Aragon, sur une période de quarante ans. Ma première chanson enregistrée, c’est « les Yeux d’Elsa ». Le dernier disque que j’ai fait, en 1995, regroupait 16 chansons sur des textes d’Aragon, que j’avais écrites au cours des ans et conservées dans des tiroirs. Toute ma vie, l’univers d’Aragon m’a poursuivi. Ce que j’ai fait est très limité, je dis toujours que c’est « mon Aragon ». Ce n’est pas la poésie d’Aragon, c’est ce que j’ai senti, aimé chez lui. Ses textes étaient particulièrement adaptés à ce que je voulais faire et dire moi-même : si je les ai chantés, c’est que ce sont les textes que j’aurais aimé écrire... J’ai aussi beaucoup travaillé avec Henri Gougaud, dont les textes correspondaient à ce que j’avais envie de chanter.

J’ai deux éditions complètes des pèmes d’Aragon, et j’ai mis des petits morceaux de papier dans les volumes, qui marquent des poèmes que j’ai eu envie de chanter. Quand je travaillais, je les feuilletais, je tombais en arrêt sur ces poèmes. Quelquefois cela donnait un résultat, quelquefois non. Pour le dernier disque, j’avais noté « les Oiseaux déguisés ». Ce texte me plaisait, mais je ne trouvais rien, je me disais qu’il n’était pas fait pour une chanson. Puis un jour la musique est venue, comme ça, et c’est sans doute la chanson que je préfère sur ce disque. Sur ce même disque, « Epilogue » m’a posé de gros problèmes. Pour moi, ce poème, c’est la légende du XXe siècle. Alors ça ne pouvait pas tomber à côté de la plaque ! Je suis souvent revenu dessus, j’ai mis du temps à la faire. J’ai pris quatre vers pour faire un refrain, qui me semble-t-il permettait d’ouvrir le poème, de créer une respiration dans ce texte très dense.

Quelles étaient vos relations avec Aragon ?

J. Ferrat - Aragon était d’une autre génération, il était un homme mûr, un écrivain célèbre et un homme politique important quand j’étais un jeune chanteur débutant. Nos rapports n’étaient pas de copinage. J’allais le voir quand je le mettais en musique, il aimait bien la chanson, Elsa aussi. Il ne reconnaissait pas ses poèmes, qui prenaient une autre dimension une fois chantés. Je me suis permis des libertés avec ses textes -que je lui soumettais d’ailleurs. Je supprimais des strophes, je prenais deux vers pour faire un refrain. J’en ai chanté d’autres littéralement. Mais il acceptait tout ça.

Aragon a écrit « Je chante pour passer le temps », que Ferré a chanté, et vous « Je ne chante pas pour passer le temps ». Quel est le sens de cette chanson ?

J. Ferrat - Je crois que cela ne lui a pas trop plu [rires]... Mais ma démarche ne consistait pas à aller contre la chanson que Ferré avait mise en musique. Aragon a écrit « Je chante pour passer le temps » pendant la première guerre mondiale, de son lit d’hôpital, où il rêvait de la vie, de ce qu’il avait vécu... Moi, j’en ai fait une affirmation de mon écriture, de ma façon de chanter, de mon engagement dans la chanson, une sorte de profession de foi. Ce n’était pas une réplique. Mais tout en ne chantant pas pour passer le temps, dans mon métier, dans ma démarche, je pouvais à l’occasion chanter pour passer le temps. Je lui ai expliqué ! Evidemment, les gens pouvaient prendre ça pour une contestation, mais ce n’était pas du tout le cas.

Et vous en avez discuté avec Ferré ?

J. Ferrat - Non, je n’en ai pas parlé avec lui. Catherine Sauvage, Hélène Martin ont chanté, très bien, Aragon. Ferré était plus anar que moi, c’est sûr. Il avait des côtés qui me plaisaient bien, parfois c’était plus dur. On était tous les deux chez Barclay, et il avait fait une chanson où il prenait à partie Coquatrix, les salauds de l’Olympia. Dans les studios, où j’enregistrais alors, j’avais entendu dire que Barclay voulait la passer à l’as. J’ai dit aux gens du studio, gentiment, que je trouvais quand même ça fort de café, et que si la chanson n’était pas gravée je n’enregistrerai plus chez eux. Puis je n’ai plus entendu parler de rien, le disque est sorti. Un jour j’ai rencontré Léo, qui m’est tombé dans les bras, en me disant que j’étais un frère...

Au moins, avec Barclay, on avait un interlocuteur, à qui on pouvait dire qu’il déconnait ou que tout allait bien. Aujourd’hui, j’ai plein d’ enregistrements chez Vivendi-Universal... Voilà comment va le monde monsieur... C’était un avantage d’avoir une maison de disques comme ça, avec des interlocuteurs qui ne changent pas tous les deux ans. Maintenant, là aussi, les gens sont sur des sièges éjectables.

Pourquoi avez-vous écrit « le Bilan » ?

J. Ferrat - « Le Bilan », c’est très simple, ce fut une réaction au concept émis par Georges Marchais, lors de je ne sais plus quel congrès du Parti communiste, de « bilan globalement positif » de l’Urss. J’ai d’abord réagi à cela, puis j’ai voulu parler du stalinisme, de tous les désastres qu’il avait produits. Faire cela en quatre couplets et un refrain, c’était assez difficile...

Quelles réactions a suscitées « le Bilan » au sein du PCF ?

J. Ferrat - Certains ont dit « Jean Ferrat a retourné sa veste », et d’autres, à l’extrême gauche et au Parti communiste, ont eu du mal à admettre cette chanson, parce que je remettais en cause l’idéologie. Je n’avais pas de relation avec le Parti, j’avais des relations avec des communistes, des amis, à Ivry, à Antraigues. Ils pouvaient être à la tête du Parti ou à sa base. Personnellement, après cette chanson-là, je n’ai pas eu de réaction défavorable. Roland Leroy a fait publier le texte dans l’Humanité.

Vous n’avez pas eu de commentaires négatifs de la part de dirigeants du PCF ?

J. Ferrat - Non, mais je ne les voyais pas, et il n’y avait pas de relation d’autorité entre le Parti et moi. Les relations étaient amicales, artistiques, mais pas d’ordre politique, même si j’étais et je suis étiquetté chanteur du PCF, même si j’ai soutenu souvent le PCF à bien des époques de son histoire, contre les guerres coloniales, pour la défense de certaines revendications. J’étais souvent à côté d’eux.

Mais c’est une démarche tout à fait politique que de figurer sur une liste du PCF comme vous l’avez fait lors des élections européennes, en 1999.

J. Ferrat - Oui, la direction du Parti m’a demandé, et j’ai accepté pour leur faire plaisir -mais je ne leur ai pas porté chance [rires] - et parce que j’étais d’accord avec leur démarche au sujet de l’Europe.

Pensez-vous que le PCF a suffisamment dressé son bilan ?

J. Ferrat - Non, il ne l’a sans doute pas assez fait. Il y a des pesanteurs, des pesanteurs sociologiques, qui se manifestent encore. Le Parti est dans un état de déséquilibre inquiétant pour lui. Il est pris entre l’enclume et le marteau si j’ose dire, pas entre la faucille et le marteau. C’est un des seuls partis communistes qui restent en Europe, c’est difficile à porter.

D’où vient votre engagement ? De votre enfance, de la déportation de votre père ?

J. Ferrat - Oui, j’ai ressenti un sentiment d’exclusion, pendant l’enfance. Cela m’a paru tellement incroyable, à dix ans quand on m’a dit que mon père devait aller se faire inscrire. Je ne savais même pas ce que ça voulait dire, être juif, je n’en entendais jamais parler. Ma famille était totalement athée, mon père n’était pas religieux, on ne recevait pas d’amis juifs, ou alors ils ne se manifestaient pas comme tels. Mon père ne faisait pas de politique. Il avait vécu en Russie jusqu’à ses dix-huit ans, avant de venir en France. Je pense qu’il fuyait les pogroms qui ont eu lieu après la révolution de 1905, mais il n’en a jamais dit un mot, même à ma mère. Moi j’étais un petit garçon totalement français, et tout d’un coup je me suis retrouvé exclu, on devait mettre des étoiles jaunes... Comme ma mère était une auvergnate catholique, on ne les a pas mises, en espérant que ça passerait. On était marqués, comme au fer rouge.

Cela, c’est sans doute une motivation importante dans mon engagement. Puis je suis d’une nature... comment dirais-je... rebelle. J’ai travaillé à 17 ans, et mon premier patron me disait : « Vous, Tenenbaum, vous êtes un raisonneur et j’aime pas ça. » Il avait fait mon portrait !

Vous avez aussi écrit deux célèbres chansons sur les « gauchistes »...

J. Ferrat - Il y a là une erreur totale d’interprétation que je n’arrête pas de corriger, tout comme mon appartenance au PCF. « Hou-Hou Méfions-nous, les flics sont partout », c’était une chanson sur les provocations policières, contre les flics, c’était pas contre les gauchistes. Si on relit le texte, il n’y a pas d’équivoque possible. Quant à « Pauvres Petits Cons », c’est une chanson que j’ai écrite et chantée en 1967, avant Mai 68, et c’est une chanson sur la jeunesse dorée. Mais les chansons sont reçues différemment selon l’époque. Quand je chantais « Pauvres Petits Cons » en 1967, les gens prenaient cette chanson pour ce qu’elle était, une chanson contre les jeunes bourgeois à la mode, et d’ailleurs elle ne les emballait pas. C’est une chanson qui allait dans le sens de « Ma môme ». Les petits jeunes bourgeois, ils nous jetaient de la poudre aux yeux et voilà, c’était de pauvres petits cons. Puis quand je l’ai chantée en 1969, je n’avais pas du tout les mêmes réactions, des gens applaudissaient, d’autres sifflaient. Il faut relire ces textes en s’extrayant du contexte, et on comprend que c’est une erreur.

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous met en colère, qu’est-ce qui fait de vous un raisonneur ?

J. Ferrat - Il y a tant de choses... Et elles se succèdent avec une telle constance. Ce qui se passe en ex-Yougoslavie. Au XXIe siècle, on a l’impression de revenir au premier âge de l’humanité. L’augmentation des inégalités dans le monde. On arrive à un monde qui veut tout englober, et où les peuples se referment sur eux-mêmes. Je crois que le monde est en grand danger, à cause de ces inégalités. La Palestine et Israël, où on ne peut plus faire appel à la raison. L’intelligence, le raisonnement ne peuvent plus avoir de place. On arrive à un point de non-retour Mais autoriser, aujourd’hui, des Israéliens à aller fonder des colonies dans les territoires palestiniens me semble une aberration extrême, une provocation. Les dirigeants israéliens qui voulaient en théorie la paix autorisaient en même temps les colons juifs à s’implanter... C’est du double langage inadmissible, qui ne peut donner que des affrontements totaux.

Quand on vous propose de signer un appel, vous faites une sélection ?

J. Ferrat - Je signe toujours. Evidemment, depuis longtemps on se moque des pétitionnaires. Mais si on m’inonde de demande, pour soutenir ceci, pour combattre cela, il y a une raison, c’est que ça rend service. Je donne toujours mon accord pour les causes qui à mon avis en valent la peine.

Vous avez des projets en cours ?

J. Ferrat - Je devrais faire quelques émissions, je vais sans doute préparer un documentaire sur mon parcours... Peut-être je ferai un disque, quand je jugerai que c’est assez bon [rires]. J’ai des textes, comme ça, mais pas de vrai projet La scène, non, j’ai arrêté depuis longtemps. Quoique quand je vois le succès d’Henri Salvador, je me dis que j’ai le temps [rires].

Et la vie à la campagne ?

J. Ferrat - Je ne suis pas coupé du monde. Je me demande souvent pourquoi les Parisiens ont cette fatuité de croire que la pensée s’arrête aux boulevards des Maréchaux... Il se passe des choses ailleurs.

J’ai un site Internet, depuis un mois je suis branché, entre guillemets non, sans guillemets. Je reçois énormément de courrier, et je suis content parce que ce sont essentiellement des jeunes, à partir de 15 ans. Cela me fait vraiment plaisir...

Donc vous n’êtes pas seulement l’idole à papa ?

J. Ferrat - Donc je suis l’idole à grand-papa, à papa, et au fiston [rires].

Propos recueillis par Naoufel, Joël F. Volson et Laure Favières


FERRAT Jean, Naoufel, VOLSON Joël F., FAVIERES Laure
* Paru dans Rouge n° 1921, 03/05/2001 .