RABOUD Pierre
* Paru en Suisse dans « solidaritéS » n°170 (24/06/2010), p. 10.
La coupe du monde de football se déroule pour la première fois en Afrique. Cet événement médiatique est l’occasion de se pencher sur la réalité du football africain, entre stars du ballon rond et exclus du système.
Cette coupe du monde organisée en Afrique vient concrétiser l’importance de plus en plus grande des footballeurs africains. Après avoir brillé en France, les joueurs africains sont désormais incontournables en Italie, en Espagne et en Angleterre avec des stars comme le camerounais Eto’o ou l’ivoirien Drogba. Mais le parcours de ces derniers constitue une exception dans le flux constant de joueurs et d’argent entre l’Afrique et l’Europe. Rappelons que c’est par la colonisation que le football est introduit en Afrique, le sport étant alors vu comme un moyen d’inculquer ordre et discipline aux natifs. Néanmoins, il faut noter qu’au-delà des écoles, le football suscite très vite la passion des Africains, notamment dans les banlieues pauvres. Ainsi, au moment des indépendances, il ne sera pas banni mais au contraire utilisé comme instrument du nationalisme, et des règles strictes seront mises en place pour empêcher aux joueurs d’aller jouer en Europe ou pour limiter le nombre d’émigrés dans la sélection nationale.
Aujourd’hui, ces règles ne sont plus à l’ordre du jour et, comme partout, c’est l’ultralibéralisme qui domine, que ce soit dans les sélections ou dans le domaine des transferts. Ce dernier aspect représente en fait le principal biais par lequel est perçu le football africain. Depuis l’arrêt « Bosman » (1995), qui supprime tout quota de joueurs étrangers dans un club et l’accord de libre circulation pour les sportifs Africains, le nombre de ces derniers en Europe a explosé (ils sont aujourd’hui plus de 1000) et commence à augmenter en Asie. Les mots ne trompent pas : dans le milieu on considère l’Afrique comme « un vivier » et la CAN (Coupe d’Afrique des Nations) comme un « marché aux bestiaux ». Si les médias s’arrêtent sur les transferts juteux des stars dans les grands clubs européens, la réalité pour la plupart des footballeurs africains est bien moins rose. Leur coût est très bas par rapport aux autres joueurs, à cause de leur manque de formation, ce qui n’est pas le cas des joueurs provenant d’Amérique du Sud, mais aussi à cause de la position de force des clubs européens qui dictent leurs conditions de transfert. Beaucoup de clubs spéculent aux dépens des joueurs africains, les faisant venir très jeunes pour tenter de les revendre plus cher. Ceci explique pourquoi les championnats qui comportent les plus fortes proportions d’Africains ne sont pas les plus prestigieux mais plutôt ceux classés comme moyens par la FIFA. Si le joueur importé ne réussit pas et que le club ne parvient pas à le revendre, il arrive souvent qu’il soit abandonné à son sort. Le taux d’éviction pour cette filière demeure très élevé.
Une dépendance entretenue
Du côté du continent africain, le football est souvent utilisé comme un moyen de contrôle par les dirigeants au détriment des peuples et des sportifs africains. Ainsi c’est presque devenu une habitude pour les présidents africains que de profiter que la CAN se joue dans leur pays pour modifier la constitution. Ce fut le cas en 2010 en Angola et en 2008 au Cameroun. Plus généralement, les manifestations sportives sont utilisées pour développer des infrastructures de prestige comme des stades ou des hôtels sans prendre en compte les besoins réels de la population. De plus, la construction des stades est le plus souvent confiée à une entreprise étrangère. Les dirigeants des différentes fédérations entretiennent leur dépendance par rapport aux championnats européens en encourageant les joueurs à émigrer pour obtenir des joueurs mieux formés en sélection nationale. Dans le même temps, rien n’est fait pour améliorer la formation au pays.
Néanmoins, il serait faux de diaboliser le football en général. Celui-ci sert en effet de ciment social et associatif pour la population africaine. Si les académies de football oscillent entre formation et commercialisation, elles peuvent jouer un rôle positif. Ainsi la MYSA (Mathare Youth Sport Association) dans le bidonville de Mathare au Kenya offre aux jeunes un équipement de football en contrepartie de travaux collectifs utiles à la communauté comme le nettoyage ou la prévention du sida. Cette association a fait des émules et touche désormais 20 000 de jeunes dont un quart de femmes.
Pierre Raboud
A lire : « Afrique contemporaine » nº 233 : « L’Afrique, la mondialisation et le ballon rond. »
3e mi-temps
Après le match Allemagne-Australie, on se disait que le Mondial était enfin lancé, mais au-delà du score, c’est en fait une lutte sociale qui commençait. Malgré un contrôle de l’information important, un nettoyage en règle autour des stades et surtout une connivence générale autour de cet événement, des dépêches annonçaient que quelques 400 stadiers s’étaient mis en grève à la fin du match pour protester contre les conditions de travail et la réduction de leur salaire, passé de 40 euros par jour à seulement 20. Le mouvement concerne quasiment l’ensemble du personnel de certains stades. Le gouvernement sud-africain a choisi la force pour réponse, en dispersant les manifestations à coup de gaz lacrymogène et surtout en « prenant le contrôle » de 4 des 10 stades de la compétition, où désormais ce sont les policiers qui ont remplacé les stadiers. Si les médias tenteront de faire passer ces événements pour des conséquences de la désorganisation africaine, la responsabilité de la FIFA est indéniable, l’employeur étant sous contrat avec elle.
PR
RABOUD Pierre
* Paru en Suisse dans « solidaritéS » n°170 (24/06/2010), p. 10.