Si neuf familles sont toujours sans logis, la plupart des Montréalais ont trouvé un toit après le 1er juillet. À en croire l’administration municipale, ces chiffres permettraient d’affirmer qu’il n’y a plus de crise du logement. Notre dignité est sauve : on ne sera plus témoin du sort humiliant de ces gens de chez nous se retrouvant sans toit comme à Calcutta — atteinte trop insupportable à notre amour-propre de société en apparence riche et opulente.
Hélas, la crise ne se limite pas au spectacle désolant des familles qui se retrouvent dans la rue ou dans un sous-sol d’église à chaque 1er juillet. Le problème est plus vaste : c’est la pénurie croissante de logements abordables pour les familles à faible et moyen revenu. C’est la part croissante qu’accapare le loyer dans le budget des gens à revenu modeste, un fardeau de plus en plus écrasant pour des milliers de familles dans un Québec où la richesse s’accroît, mais se partage de moins en moins. Ainsi, loin d’être résorbée, la crise n’est que la pointe d’un iceberg beaucoup plus préoccupant : celui la pauvreté.
Problème de fond
Les symptômes les plus évidents de la pénurie de logements ont disparu en raison de meilleures mesures d’urgence. Le problème de fond demeure cependant, à savoir le manque criant de logements à loyer abordable. "Si j’avais de l’argent, il n’y en aurait pas de crise !", se disent des milliers de gens étranglés financièrement parce que leur revenu ne rattrape pas la hausse des loyers. À preuve, selon la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), en octobre 2003, le taux d’inoccupation des logements haut de gamme était de 3,5 %. Pas de pénurie, donc, à ce niveau !
Le haut de gamme
À quoi attribuer le manque de logements abordables ? Depuis de nombreuses années, le marché immobilier résidentiel concentre la construction dans les domaines les plus rentables, soit le haut de gamme. À ce désintérêt des promoteurs pour la construction de logements à prix moyen ou abordable destinés aux gens à faible revenu s’est ajouté le retrait du gouvernement fédéral de ce domaine. Entre 1994 et 2001, en effet, il n’a pas financé de nouveaux logements sociaux et a même réduit les dépenses de ceux en place. Le FRAPRU estime à 50 000 le nombre de logements sociaux manquants à cause des compressions fédérales ! Enfin, malgré la croissance des revenus familiaux moyens, l’inégalité des richesses a augmenté de manière marquée entre 1984 et 1999 (Statistique Canada, 2003). Dans ces conditions, est-il surprenant que les gens à revenu modeste ou les pauvres aient tant de difficulté à se loger sans s’appauvrir davantage ?
Partenariat public-privé
Pour régler ces problèmes au Québec, le gouvernement du Parti libéral compte encourager les partenariats public-privé en habitation, si l’on en croit les intentions de la présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget.
Ce que demande aussi l’Institut économique de Montréal qui, en bon défenseur du libre marché, reflète les vues des promoteurs et de certains propriétaires réclamant la déréglementation et moins d’intervention étatique en matière de logement. Selon eux, le libre marché résorbera le problème.
Or, dans les années 1950, avant la mise en place de la réglementation et le financement de logements sociaux, le libre marché avait prouvé son incapacité à répondre adéquatement aux besoins des moins nantis. Il suffit de lire cette description de la situation qui sévissait à l’époque dans l’édition du 29 avril 1944 du journal Le Bloc, organe du Bloc populaire : "Dans Montréal, le nombre de familles sans logement dépasse le millier présentement. Dans Québec, au-delà de 600 ménages ne savent où aller et une douzaine de familles de la haute ville devront chercher refuge dans des sous-sols d’église."
Les leçons à tirer de notre propre passé autant que de celui de plusieurs centres urbains à travers l’Europe démontrent que l’État doit au contraire s’engager tant pour financer et encadrer la construction de logements à visée sociale que pour mener une lutte efficace à la pauvreté. Cela implique qu’il faille questionner les fondements structurels de notre économie qui — pourtant efficace pour produire des richesses — produit parallèlement beaucoup de pauvreté et d’exclusion.
Politique globale
L’Union des forces progressistes propose une véritable politique globale de l’habitation qui inclut l’inscription du droit au logement dans la Charte québécoise des droits, un meilleur contrôle des loyers, un programme permanent de construction de logements sociaux et une interdiction de reprise pour fins de conversion en condominium.
À brève échéance, le gouvernement québécois doit respecter les engagements que Jean Charest a pris dans l’opposition, lorsqu’il avait joint la belle unanimité de l’Assemblée nationale pour donner force de loi à la lutte contre la pauvreté.
Le gouvernement fédéral doit aussi réaliser ses promesses électorales en matière de financement des logements sociaux et rattraper le retard causé par ses coupures passées. Souhaitons qu’avec leur pouvoir de négociation accru, le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique mettront le logement social et la lutte à la pauvreté au centre des priorités publiques.
Pendant dix ans, les moins nantis ont largement contribué à la réalisation du déficit zéro par les privations qu’ils ont subies. C’est maintenant au tour des gouvernements d’écouter la population et au tour des députés de jouer le rôle pour lequel ils ont été élus. Après tout, n’est-ce pas faire preuve d’aveuglement que de croire qu’il n’y a plus de danger parce que la pointe visible de l’iceberg pauvreté, celle qui heurtait notre dignité, a disparu de notre champ de vision médiatique ?