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La ZLÉA partie prenante de la stratégie impériale ou la ZLÉA vue des États-Unis

vendredi 1er novembre 2002, par James Petras

Les conversations et les entrevues des hommes d’affaires et des banquiers de Wall Street, les opinions des éditoriaux de la presse financière et des représentants du gouvernement de Washington et la lecture de revues économiques et des documents publics nous indiquent que la ZLÉA jouit d’un appui enthousiaste et quasi unanime aux États-Unis. L’AFL-CIO, la confédération syndicale, qui est virtuellement impuissante, cherche à imposer des tarifs sur les exportations latino-américaines pour protéger les travailleurs américains. Hormis quelques groupes d’affinité liés aux églises chrétiennes et les organisations de solidarité avec l ’Amérique latine qui s’opposent à la ZLÉA, le reste de l’opinion publique américaine reste dans l’ignorance de l’existence même de cet accord commercial.

Plusieurs importantes questions découlent de ces réalités. Pourquoi y a-t-il un si ferme appui à la ZLÉA étant donné l’échec des politiques de libre-échange dans les deux dernières décennies en Amérique latine et de la pauvreté croissante du Mexique sous l’emprise de l’ALENA ? Pourquoi la ZLEA est-elle nécessaire si les entreprises américaines et européennes ont prospéré dans le cadre néolibéral actuel ? Comment la ZLÉA s’insère-t-elle dans la stratégie de guerre globale de l’administration Bush ?

Des superprofits à la ZLÉA

De 1990 à 2002, "l’Age d’or du néolibéralisme", les banques et les entreprises multinationales américaines ont soutiré un trillion de dollars en profits, paiements en intérêts sur la dette et royalties en provenance de l’Amérique latine. De plus, près de 900 milliards de dollars "d’argent sale" - où des fonds gagnés illégalement - ont été envoyés par l’élite latino-américaine outre-mer par les banques étatsuniennes et européennes. Dans la même période, les banques étatsuniennes et européennes ont acheté des banques auparavant publiques, des entreprises de télécommunications, de transport, des entreprises dans les domaines miniers et pétroliers et d’autres entreprises à travers toute l’Amérique latine mais principalement en Argentine, au Mexique et au Brésil. Le surplus commercial avec l ’Amérique latine dépasse de 25% son déficit avec l’Asie et plus de 50% de celui avec l’Europe. Les taux de profit et les intérêts des multionationales et des banques américaines sont deux à 3 fois le niveau américain. Les entreprises qui se relocalisent en Amérique latine ont été capables de réduire leur coût de main-d’œuvre de 70 à 80% ; les Etats-Unis partagent le commerce de détail via les banques et les subsides locaux croissent de façon exponentielle spécialement dans la restauration rapide, les centres commerciaux et la propriété immobilière. En d’autres termes, les politiques de "libre-échange" ont permis des résultats radicalement opposés : de plus hauts profits et une présence en Amérique latine au 20e et au début du 21e siècle pour les multinationales américaines et une contre performance pour la même période pour l’Amérique latine - spécialement pour l’Argentine, le Brésil et le Mexique. La pauvreté et la stagnation de l’Amérique latine est le produit de la concentration et de la centralisation de la richesse et de l’expansion des États-Unis.

Du point de vue des banquiers américains le régimes "néolibéraux" ont été des succès éclatants et leur soutien à la ZLÉA s’est approfondi et s’est étendu durant les années dorés (1990-2002). Les transferts massifs de la richesse vers le NORD a miné l’accumulation et la croissance locale ; les privatisations ont conduit à une croissance des profits et à un chômage plus important ; la déréglementation des banques a permis aux banques américaines de s’emparer des épargnes locales et de transférer illégalement des milliards de fonds illicites d’Amérique latine aux États-Unis (y compris le transfert vers la Citibank de 100 millions des fonds illicites de Raul Salinas de Gortari) alors qu’au même moment les producteurs locaux devaient faire avec des taux d’intérêt plus haut et un crédit moins accessible ; le "libre-échange et la protection asymétrique" ont conduit les entreprises américaines à s’emparer du commerce de détail, des télécommunications et de la propriété immobilières et à imposer des quotas et des restrictions aux exportations des biens agricoles latino-américains (agrumes, sucre, coton, crevettes…), transports, textiles et sur beaucoup d’autres produits. Si on exclut le pétrole et la valeur ajoutée des entreprises possédés par les étrangers, le pourcentage des exportations latino-américaines aux États-Unis a diminué considérablement Si cet immense transfert de richesses aux États-Unis aurait été investi en Amérique latine durant la dernière décennie, le niveau de vie y aurait augmenté de 40% et les systèmes d’éducation et de santé auraient été grandement améliorés.

La conclusion est absolument claire : le soutien des États-Unis à la ZLÉA est basé sur les superprofits des politiques de libre-échange et la croyance que la ZLÉA consolidera le cadre pour la poursuite d’une telle rentabilité. La désintégration des économies latino-américaines et le dépérissement des sociétés latino-américaines n’entrent dans les calculs de Wall Street et de Washington que s’ils conduisent à des soulèvements populaires. Dans un tel cas Washington se prépare à imposer un contrôle militaire et non à modifier leurs conditions d’exploitation.

La nécessaire ZLÉA

La ZLÉA est une suite logique du "marché libre" parce qu’elle établit une base institutionnelle formelle et légale à l’accaparement total des ressources, de l’épargne, des marchés, du commerce et des entreprises de l’Amérique latine. Comme il a été dit ci-haut, le néolibéralisme a été un formidable succès pour Wall Street mais il reste encore des petits espaces de contrôle local et certaines législations sociales et nationales restrictives et dans certains cas des régimes faibles incapables d’appliquer complètement les politiques de Washington face aux pressions populaires. Avec la ZLÉA, ces obstacles au pillage impérial total seraient abolis. Telles que conçues, les politiques économiques de la ZLÉA seront dictées par une commission dominée par les États-Unis, - de la même manière qu’ils dominent déjà l’OEA, la BID et les autres organisations régionales. Les règles de la ZLÉA seront renforcés par un personnel administratif contrôlé par les États-Unis et par les alliances militaires. La ZLÉA sort "pleinement développée" de sa coquille néolibérale, mais elle est aussi une tentative de rendre "permanentes" ces politiques et structures régressives. En éliminant la législation locale et les lieux de pouvoirs sensibles aux pressions populaires, la ZLÉA substituera des commissaires non-élus sous le contrôle des Département D’Etat américain du Trésor et du Département du Commerce qui superviseront et élaboreront des politiques visant à faciliter une emprise américaine plus forte et à protéger les entreprises américaines de toute compétition, aux dépends de ses concurrents européens et des producteurs latino-américains.

Enfin, les entreprises multinationales américaines voient la ZLÉA comme un moyen de contrer les concurrents européens dans l’appropriation des ressources latino-américaines et dans le partage des marchés. Étant donné le déficit commercial croissant des États-Unis avec le reste du monde, la ZLÉA permettra de nouveaux surplus commerciaux et facilitera le transfert vers le NORD de "l’argent sale". Avec la faillite et le discrédit des régimes-clients néolibéraux et la montée des mouvements populaires et l’élection de régimes progressistes, la ZLÉA propose de déplacer le pouvoir de décision des régimes clients discrédités directement dans les mains des fonctionnaires impériaux.

La ZLÉA et la stratégie d guerre globale de Bush

Pendant que les fonctionnaires économiques américains sont à préparer le terrain pour l’Accord sur la ZLÉA en 2005, les hauts responsables de l’administration Bush oeuvrent sur un terrain différent mais parallèle : la poursuite de la conquête militaire et de la monopolisation des ressources pétrolières stratégiques par la guerre et l’occupation prochaine de l’Iraq - et vraisemblablement par de futures guerres et la colonisation d’autres pays producteurs de pétrole. Les efforts importants de Washington pour fomenter un coup militaire au Venezuela et promouvoir une guerre totale en Colombie sont le point de convergence entre la conquête militaire des ressources pétrolières et l’Amérique latine.

L’influence de militaristes d’extrême-droite dans le régime Bush (Wolfowitz, Perle, Cheney, Rice et Rumsfeld) signifie pour le moment que la guerre et les politiques répressives sont priorisées par rapport aux politiques économiques y compris la ZLÉA. Washington croit que les régime clients latino-américains et les ministres des affaires étrangères serviles s’occuperont de la promotion de la ZLÉA. Dans un sens stratégique, les seigneurs de la guerre américains comptent sur leurs liens de plus en plus étroits avec les militaires latino-américains et la police secrète (les dits services de sécurité et d’intelligence) pour imposer la ZLÉA si nécessaire.

Objectivement parlant, la priorité accordée par le régime de Bush à la conquête militaire repose sur l’énorme déficit économique actuel et sur l’espoir de profits monopolistes futurs découlant du contrôle direct du pétrole du Moyen-Orient et du Venezuela. Dans une période de "transition", entre les déficits courants et les profits à venir, Washington tente d’écraser l’Amérique latine pour faire la différence. Les calculs de Washington et de Wall Street, cependant, sous-estiment la largeur et la profondeur de la vague émergeante des mouvements populaires contre la ZLÉA et sa composante militaire ; de la manière dont Washington procède dans son projet de construction de son empire, les masses sont de plus en plus impatientes et les régimes clients commencent à devenir des accidents de l’histoire. Cela est une question de temps. Les mouvements populaires pourront-ils créer des régimes nationalistes et socialistes avant que Washington puisse leur imposer la camisole de force de la ZLÉA ? Je parie sur les mouvements populaires.

Traduction La Gauche
(à partir du site de Rebelion)

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