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Un autre plan de Charest

La Bourse du carbone, fausse piste et perte d’un temps précieux !

lundi 18 juillet 2011, par Bernard Rioux

Le 6 juillet dernier, le gouvernement Charest publiait le projet de règlement devant encadrer le marché du carbone dès 2012. Il jetait ainsi les bases d’une bourse canadienne du carbone qui opérera à partir de Montréal. Les cibles contraignantes pour les entreprises s’appliqueront à partir du premier janvier 2013. L’objectif affirmé du gouvernement est de ramener à 20 % sous la barre de 1990 le niveau d’émission des gaz à effet de serre (GES).

Les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre du Québec dans les secteurs industriels, des transports et de l’immobilier sont définis comme les entreprises qui rejettent plus de 25 000 tonnes de CO2 par année ou équivalents. Cette réglementation touchera une centaine d’entreprises qui représentent à elles seules 90 % des émissions de GES au Québec. Ces entreprises ont pratiquement atteint les objectifs du 20 % sous le niveau de 90. Il s’agit donc davantage de stabiliser les émissions de GES que de s’orienter vers une nouvelle baisse. Ces entreprises se voient attribuer gratuitement des quotas d’émissions à un niveau équivalent à la moyenne de leur rejet des années 2007 à 2010. Le projet de règlement soumis à la consultation demande non une baisse de la quantité d’émissions de GES, mais une diminution de l’intensité des émissions par tonne de marchandises produites.

Si une entreprise fait plus d’émissions de GES que les droits reçus elle doit abaisser ses émissions en deçà des quotas fixés. Au contraire, si une entreprise reçoit un surplus de droits, à cause d’une diminution précédente de ses émissions, elle peut vendre ses droits à une autre entreprise qui n’en aurait pas suffisamment. C’est ainsi que s’instaure un marché des droits de polluer et une bourse de carbone pour régulariser ce marché. [1]

Le rejet par les grandes entreprises pétrolières, les gouvernements et le capital financier à leur service de l’organisation immédiat du passage aux énergies renouvelables comme base d’un nouveau système énergétique de la société

Certains écologistes au Québec font confiance aux marchés pour lutter contre le dérèglement climatique. Ces derniers ont d’ailleurs félicité de gouvernement pour son initiative. Mais pour d’autres écologistes, le commerce du carbone n’évitera pas la crise climatique. La cause principale de la crise climatique, c’est l’extraction de combustibles fossiles et sa libération dans l’environnement. C’est cette combustion excessive d’hydrocarbures qui menace maintenant la capacité de la terre de maintenir un climat tolérable et d’empêcher le réchauffement climatique.

Les gouvernements, les grandes entreprises polluantes, particulièrement celles liées aux énergies fossiles et les institutions financières refusent d’éliminer l’utilisation du charbon, du pétrole, du gaz naturel. Les entreprises qui tirent leurs profits de l’exploitation des énergies fossiles font tout pour rejeter l’analyse qui pose la nécessité d’en finir avec les énergies fossiles et de passer aux énergies renouvelables sans faire de la rentabilité à court terme un obstacle à cette mutation de la base énergétique de la société.

Plus encore, ces entreprises et les gouvernements à leur service soutiennent la prospection et l’extraction de combustibles fossiles dans des endroits de plus en plus dangereux (les plates-formes marines) par des procédés de plus en plus polluants (l’exploitation des sables bitumineux et l’exploitation des gaz de schiste). La part consacrée aux énergies renouvelables reste encore marginale si on les compare aux sommes investies dans l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles. [2]

La création d’une bourse du carbone, une manoeuvre pour reporter à plus tard le passage vers les énergies renouvelables

Le marché du carbone organise la distribution de droits d’émissions de GES échangeables sur le marché. Il existe des marchés obligatoires liés aux engagements des États signataires du protocole de Kyoto de réduire leur niveau d’émissions de GES par rapport à 1990. Il existe également des marchés pour un développement propre qui autorise une entreprise d’un pays signataire du protocole de Kyoto à engranger des crédits d’émission au moyen d’investissements dans un pays non signataire. C’est ainsi qu’une entreprise va investir dans un programme de reforestation (capteur de carbone) dans un pays du tiers monde afin d’engranger des crédits de carbone (des droits de polluer) qui permettront à cette entreprise de maintenir des procédés de production polluants tout en pouvant se faire une réputation d’entreprise qui investit dans des projets écologistes dans les pays en développement. Le marché du carbone tend à orienter les investissements vers des mesures non structurelles qui évitent de s’attaquer au système énergétique basé sur les énergies fossiles. Dans une logique de rentabilité à court terme, les entreprises se ruent vers les droits d’émission les moins chers et les moins pertinents d’un point de vue stratégique.

Plus, les entreprises qui investissent dans de tels projets peuvent recevoir l’aide du Fonds du carbone de la Banque mondiale. Cette logique financière à la base de l’expansion de marché des droits de polluer débouche souvent sur des projets douteux d’un point de vue écologique. Le marché du carbone opère dans une logique purement quantitative. Il permet d’éviter l’imposition réglementaire d’un encadrement direct des activités industrielles polluantes. Il conduit à la recherche de mécanismes de compensation qui limitent la portée des initiatives en faveur des changements climatiques. Il permet aux entreprises qui ont accumulé suffisamment de droits de polluer de continuer de poursuivre leurs activités destructrices chez elles. Le marché de carbone conduit donc à un énorme gaspillage de compétences et de temps. [3]

L’objectif de dépasser le dérèglement climatique ne pourra être atteint en utilisant les mécanismes du marché

Le marché du carbone ne constitue pas une partie de la solution. Il est maintenant devenu une partie du problème. Au lieu de poser clairement la nécessité de transformer la structure de l’appareil productif, au lieu d’organiser le passage rapide d’un système énergétique reposant sur les énergies fossiles vers un système énergique reposant essentiellement sur les énergies renouvelables, on construit un marché des droits de polluer, avec une multiplication de produits dérivés, qui permet au capital financier de se développer encore davantage tout en refusant de s’attaquer à l’essentiel.

Il ne sera possible de résoudre le dérèglement climatique qu’en remettant radicalement en question la logique intrinsèquement productiviste du système capitaliste. Cela passera par l’élimination de productions inutiles, par la transformation des procédés de production, par le passage d’un système de transport fondé sur l’automobile vers un système de transport en commun, par la restructuration du système énergétique vers le développement de sources d’énergies renouvelables et ce, indépendamment de la rentabilité à court terme. L’ensemble de ces transformations nécessitera la participation démocratique des populations de la planète à tous les niveaux donnant toute sa place au pouvoir citoyen.

Ces projets essentiels à notre époque nécessitent qu’on arrache des mains de l’oligarchie financière le pouvoir qui lui permet de nous traîner sur les chemins du désastre. [4]


[1Voir La Presse, Le Devoir, Le Soleil du 7 juillet 2011

[2Tanuro, Daniel, Comment les mécanismes de marché pourrissent le climat, Inprecor, septembre 2007

[3Louis Gaudreau et Éric Pineault, Les marchés du carbone : solution écologique ou prochaine bulle spéculative, in La bourse contre la vie, dérive et excroissance des marchés financiers, Éditions Multimondes, 2010

[4Tanuro, Daniel, L’impossible capitalisme vert, La Découverte, 2010